S. m. (Histoire des Ordres religieux et militaires) chevalier de la milice du temple.

L'ordre des Templiers est le premier de tous les ordres militaires religieux ; il commença vers l'an 1118 à Jérusalem. Hugues de Paganès et Geoffroi de Saint-Ademar en sont les fondateurs. Ils se réunirent avec sept autres personnes pour la défense du saint sépulcre, et pour la protection des pélerins qui y abordaient de toutes parts. Baudouin II. roi de Jérusalem, leur préta une maison située auprès de l'église de Jérusalem, qu'on disait avoir été autrefois le temple de Salomon ; c'est de-là qu'ils eurent le nom de Templiers ou de chevaliers de la milice du temple ; de-là vint aussi qu'on donna dans la suite le nom de temples à toutes leurs maisons.



Les chevaliers de cet ordre furent d'abord nommés à cause de leur indigence, les pauvres de la sainte cité ; et comme ils ne vivaient que d'aumônes, le roi de Jérusalem, les prélats et les grands leur donnèrent à l'envi des biens considérables, les uns pour un temps, et les autres à perpétuité.

Les neuf premiers chevaliers de cet ordre firent ensemble les trois vœux de religion entre les mains du patriarche de Jérusalem ; j'entends par les trois vœux de religion, ceux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, auxquels ils ajoutèrent un quatrième vœu, par lequel ils s'engageaient de défendre les pélerins, et de tenir les chemins libres pour ceux qui entreprendraient le voyage de la terre-sainte. Mais ils n'agregèrent personne à leur société qu'en 1125, où ils reçurent leur règle de saint Bernard après le concîle tenu à Troies en Champagne par l'évêque d'Albe, légat du pape Honorius II. Ce concîle ordonna qu'ils porteraient l'habit blanc ; et en 1146 Eugène III. y ajouta une croix sur leurs manteaux.

Les principaux articles de leur règle portaient, qu'ils entendraient tous les jours l'office divin ; que quand leur service militaire les en empêcherait, ils y suppléeraient par un certain nombre de pater ; qu'ils feraient maigre quatre jours de la semaine, et le vendredi en viande de carême ; c'est-à-dire, sans œufs ni laitage ; que chaque chevalier pourrait avoir trois chevaux et un écuyer ; et qu'ils ne chasseraient ni à l'oiseau ni autrement.

Après la ruine du royaume de Jérusalem arrivée l'an 1186, l'ordre des Templiers se répandit dans tous les états de l'Europe, s'accrut extraordinairement, et s'enrichit par les libéralités des grands et des petits.

Matthieu Paris assure que dans le temps de l'extinction de leur ordre en 1312, c'est-à-dire, en moins de deux cent ans, les Templiers avaient dans l'Europe neuf mille couvens ou seigneuries. De si grands biens excitèrent l'envie, parce que les Templiers vivaient avec tout l'orgueil que donne l'opulence, et dans les plaisirs effrenés que prennent les gens de guerre qui ne sont point retenus par le frein du mariage. Ils refusèrent de se soumettre au patriarche de Jérusalem, et montrèrent dans leur conduite beaucoup de traits d'arrogance. Enfin ils devinrent odieux à Philippe-le-bel qui entreprit de ruiner leur ordre, et exécuta ce dessein. Voici ce qu'en a écrit l'auteur de l'Essai sur l'histoire générale des nations, dont les recherches sur cette matière, méritent d'être recueillies dans cet ouvrage.

La rigueur des impôts, dit-il, et la malversation du conseil de Philippe-le-bel dans les monnaies, excita une sédition dans Paris en 1306. Les Templiers qui avaient en garde le trésor du roi, furent accusés d'avoir eu part à la mutinerie.

De plus, ce prince les accusait d'avoir envoyé des secours d'argent à Boniface VIII. pendant ses différents avec ce pape, et de tenir en toute occasion des discours séditieux sur sa conduite et sur celle de ses deux favoris, Enguerrand de Marigny, surintendant des finances, et Etienne Barbette, prevôt de Paris et maître des monnaies.

Philippe-le-bel était vindicatif, fier, avide, prodigue, et s'abusant toujours sur les moyens que ses ministres employaient pour lui trouver de l'argent. Il ne fut pas difficîle de lui faire goûter le projet d'une vengeance qui mettrait dans ses coffres la dépouille des Juifs et une partie des richesses que les Templiers avaient en partage. Il ne s'agissait plus que de trouver des accusateurs, et l'on en avait en main.

Les deux premiers qui se présentèrent, furent, un bourgeois de Bésiers, prieur de Montfaucon près Toulouse, nommé Squin de Floriau, et Noffodei, florentin, Templiers apostats, détenus tous deux en prison pour leurs crimes. Ils demandèrent à être conduits devant le roi à qui seul ils voulaient révéler des choses importantes. S'ils n'avaient pas su quelle était l'indignation du roi contre les Templiers, auraient-ils espéré leur grâce en les accusant ? Ils furent écoutés. Le roi, sur leur déposition, ordonna à tous les baillis du royaume, à tous les officiers, de prendre main-forte ; leur envoie un ordre cacheté, avec défense, sous peine de la vie, de l'ouvrir avant le 13 Octobre 1309. Ce jour venu, chacun ouvre son ordre : il portait de mettre en prison tous les Templiers. Tous sont arrêtés. Le roi aussi-tôt fait saisir en son nom les biens des chevaliers, jusqu'à ce qu'on en dispose.

Il parait évident que leur perte était résolue très-longtemps avant cet éclat : l'accusation et l'emprisonnement sont de 1309 ; mais on a retrouvé des lettres de Philippe-le-bel au comte de Flandre, datées de Melun 1306, par lesquelles il le priait de se joindre à lui pour extirper les Templiers.

Il fallait juger ce prodigieux nombre d'accusés. Le pape Clément V. créature de Philippe, et qui demeurait alors à Poitiers, se joint à lui ; après quelques disputes sur le droit qu'avait l'Eglise d'exterminer ces religieux, et le droit du roi de punir ses sujets, le pape interrogea lui-même soixante et douze chevaliers ; des inquisiteurs, des commissaires délégués procédèrent par-tout contre les autres. Les bulles furent envoyées chez tous les potentats de l'Europe pour les exciter à imiter la France. On s'y conforma en Castille, en Aragon, en Sicile, en Angleterre ; mais ce ne fut presque qu'en France qu'on fit périr ces malheureux.

Deux cent et un témoins les accusèrent de renier J. C. en entrant dans l'ordre, de cracher sur la croix, d'adorer une tête dorée montée sur quatre pieds. Le novice baisait le profès qui le recevait, à la bouche, au nombril, et à des parties qui certainement ne sont pas destinées à cet usage : il jurait de s'abandonner à ses confrères. Voilà, disent les informations conservées jusqu'à nos jours, ce qu'avouèrent soixante et douze templiers au pape même, et cent quarante-un de ces accusés à Guillaume Cordelier, inquisiteur dans Paris, en présence de témoins ; on ajoute que le grand-maître de l'ordre, même le grand-maître de Chypre, les maîtres de France, de Poitou, de Vienne, de Normandie, firent les mêmes aveux, à trois cardinaux délégués par le pape.

Ce qui est indubitable, c'est qu'on fit subir des tortures cruelles à plus de cent chevaliers, et qu'on en brula vifs cinquante-neuf en un jour près de l'abbaye S. Antoine de Paris. Le grand bailli, Jacques de Molay, et Guy, dauphin, fils de Robert II. dauphin d'Auvergne, commandeur d'Aquittaine, deux des principaux seigneurs de l'Europe, l'un par sa dignité, l'autre par sa naissance, furent aussi jetés vifs dans les flammes, le lundi 18 Mars 1314, à l'endroit où est à-présent la statue équestre du roi Henri IV.

Ces supplices dans lesquels on fait mourir tant de citoyens, d'ailleurs respectables, cette foule de témoins contr'eux, ces nombreuses dépositions des accusés même, semblent des preuves de leur crime, et de la justice de leur perte.

Mais aussi que de raisons en leur faveur ! Premièrement, de tous ces témoins qui déposent contre les Templiers, la plupart n'articulent que de vagues accusations.

Secondement, très-peu disent que les Templiers reniaient Jesus-Christ ; qu'auraient-ils en effet gagné en maudissant leur religion qui les nourrissait et pour laquelle ils combattaient ?

Traisiemement, que plusieurs d'entr'eux, témoins et complices des débauches des princes et des ecclésiastiques de ce temps-là, eussent souvent marqué du mépris pour les abus d'une religion tant déshonorée en Asie et en Europe, qu'ils eussent parlé dans des moments de liberté, comme on dit que Boniface VIII. en parlait, c'est un emportement très-condamnable de jeunes gens, mais dont l'ordre entier n'est point comptable.

Quatriemement, cette tête dorée qu'on prétend qu'ils adoraient, et qu'on gardait à Marseille, devait leur être représentée : on ne se met pas seulement en peine de la chercher ; et il faut avouer qu'une telle accusation se détruit d'elle-même.

Cinquiemement, la manière infame dont on leur reprochait d'être reçus dans l'ordre, ne peut avoir passé en loi parmi eux. C'est mal connaître les hommes de croire qu'il y ait des sociétés qui se soutiennent par les mauvaises mœurs, et qui fassent une loi de l'impudicité. On veut toujours rendre sa société respectable à qui veut y entrer, il n'y a pas d'exemple du contraire. On ne doit pas douter que plusieurs jeunes templiers ne s'abandonnassent à des excès honteux de débauche, vices qu'il ne faut point cependant divulguer par des punitions publiques.

Sixiemement, si tant de témoins ont déposé contre les Templiers, il y eut aussi beaucoup de témoignages étrangers en faveur de l'ordre.

Septiemement, si les accusés vaincus par les tourments, qui font dire le mensonge comme la vérité, ont confessé tant de crimes, peut-être ces aveux sont-ils autant à la honte des juges qu'à celle des chevaliers : on leur promettait leur grâce pour extorquer leur confession.

Huitiemement, les cinquante-neuf qu'on brula prirent Dieu à témoin de leur innocence, et ne voulurent point la vie qu'on leur offrait, à condition de s'avouer coupables.

Neuviemement, soixante et quatorze templiers non accusés, entreprirent de défendre l'ordre, et ne furent point écoutés.

Dixiemement, lorsqu'on lut au grand-maître sa confession rédigée devant les trois cardinaux, ce vieux guerrier qui ne savait ni lire ni écrire ainsi que ses confrères, s'écria qu'on l'avait trompé, que l'on avait écrit une autre déposition que la sienne ; que les cardinaux, ministres de cette perfidie, méritaient qu'on les punit, comme les Turcs punissent les faussaires, en leur fendant le corps et la tête en deux.

Enfin, on eut accordé la vie à ce grand-maître et à Guy, dauphin d'Auvergne, s'ils avaient voulu se reconnaître coupables publiquement, et on ne les brula que parce qu'appelés en présence du peuple sur un échafaud, pour avouer les crimes de l'ordre, ils jurèrent que l'ordre était innocent. Cette déclaration qui indigna le roi, leur attira leur supplice, et ils moururent en invoquant la colere céleste contre leurs persécuteurs.

Cependant en conséquence de la bulle du pape et de leurs grands biens, on poursuivit les Templiers dans toute l'Europe ; mais en Allemagne ils surent empêcher qu'on ne saisit leurs personnes : ils soutinrent en Aragon des sièges dans leurs châteaux.

Enfin, le pape abolit l'ordre de sa seule autorité, dans un consistoire secret, pendant le concîle de Vienne, tenu en 1312.

Les rois de Castille et d'Aragon s'emparèrent d'une partie de leurs biens, et en firent part aux chevaliers de Calatrava. On donna les terres de l'ordre en France, en Italie, en Angleterre, en Allemagne, aux hospitaliers nommés alors chevaliers de Rhodes, parce qu'ils venaient de prendre cette île sur les Turcs, et l'avaient su garder avec un courage qui méritait au - moins les dépouilles des chevaliers du Temple pour leur récompense.

Denis, roi de Portugal, institua en leur place l'ordre des chevaliers du Christ, ordre qui devait combattre les Maures, mais qui étant devenu depuis un vain honneur, a cessé même d'être honneur à force d'être prodigué.

Philippe-le-Bel se fit donner deux cent mille livres, et Louis Hutin son fils, prit soixante mille livres sur les biens des Templiers. Le pape eut aussi sa bonne part de leurs dépouilles ; mais il faut lire sur toute cette affaire l'histoire des Templiers, par M. Dupuis.

L'abolition de leur ordre, ainsi que le supplice de tant de chevaliers, est un événement monstrueux, soit qu'on imagine que leurs crimes fussent avérés, soit qu'on pense, avec plus de raison, que la haine, la vengeance, et l'avarice les eussent inventés. Il est triste, en parcourant les annales du monde, d'y trouver de tels faits qui font frémir d'horreur. (D.J.)