S. f. (Divination) art de deviner par des verges ou bâtons, comme l'indique son nom, composé du grec , baguette, et , divination.

La rabdomancie se pratiquait en différentes manières. On croit, par exemple, la trouver dans ce qui est rapporté au chap. xxj. d'Ezéchiel, d'une superstition du roi de Babylone, qui se trouvant à l'entrée de deux chemins, dont l'un allait à Jérusalem, métropole de la Judée, et l'autre vers Rabbath, métropole des Ammonites, et ne sachant lequel il devait prendre il voulut que le sort décidât la chose. C'est pourquoi il mêla ses flèches, pour voir de quel côté elles tomberaient. Stetit rex Babylonis in bivio, in capite duarum viarum, divinationem quaerents, commiscens sagittas.... ad dexteram ejus facta est divinatio super Jerusalem. . 21. et 22.



On prétend aussi la trouver dans ces paroles du prophète Osée, où Dieu dit de son peuple adonné à l'idolâtrie, populus meus in ligno suo interrogavit et baculus ejus annuntiavit ei. chap. IVe . 12. S. Jérome croit que dans l'un et l'autre passage il s'agit de la bélomancie, voyez BELOMANCIE.

Mais Theophylacte semble d'abord entendre celui d'Osée de la rabdomancie proprement dite, et voici, selon lui, comme elle se pratiquait : Virgas duas statuentes, carmina et incantationes quasdam submurmurabant : Deinde virgis, daemonum operatione aut effectu, cadentibus, considerabant, quoniam utraque earum caderet, antrorsum ne an retrorsum, ad dexteram vel sinistram. Sicque tandem responsa dabant insipientibus, virgarum casu pro signis usi. Mais ce qu'il ajoute ensuite fait connaître qu'il la confond, aussi-bien que S. Jérome, avec la bélomancie : Eundem ad modum, dit-il, Nabuchodonosor vaticinabatur ut Ezéchielel habet.

On confond assez ordinairement ces deux sortes de divination, car les septante traduisent le d'Ezéchiel par le mot grec , quoique le mot hébreu signifie une flèche. Il est cependant certain que les instruments de divination dont Osée fait mention, sont différents de ceux dont parle Ezéchiel ; car le premier dit etso, maklo, bois, bâton ; et le dernier écrit hhitsim, flèche. Au reste il se peut faire qu'on se servit de baguettes ou de flèches indifféremment, les gens de guerre de flèches, et les autres de baguettes.

Rabbi Moïse Samson, dans l'explication du cinquante-deuxième précepte négatif, explique ainsi la divination par les bâtons dont il est parlé dans le ch. IVe d'Osée. " On écorçait, dit-il, seulement d'un côté et dans toute sa longueur une baguette qu'on lançait en l'air ; si en retombant elle présentait à la vue sa partie écorcée, et qu'en la jetant une seconde fois elle montrât le côté qui n'était pas dépouillé de son écorce, on en tirait un heureux présage. Au contraire il passait pour funeste quand à la première chute la baguette montrait le côté écorcé ; mais quand à toutes les deux fois elle présentait la même face, soit couverte, soit dépouillée, on en augurait que le succès serait mêlé de bonheur et de malheur ". Apud Delrio, lib. IV. cap. IIe sect. 3. quaest. 7. pag. 561. Or ce n'était point-là la bélomancie, dans laquelle on se contentait de marquer deux flèches de certains caractères relatifs à l'événement qu'on méditait ; on les lançait en l'air, et selon qu'elles retombaient à droite ou à gauche, en avant ou en arrière, on en augurait bien ou mal pour l'entreprise en question. Quoiqu'il en sait, toutes ces pratiques étaient également condamnables.

Ce n'était pas chez les Hébreux seuls qu'elles étaient en vogue. Strabon, liv. XIV. rapporte celle dont se servaient les Perses ; et selon Caelius Rhodiginus, leurs mages employaient à cet effet des branches de laurier, de myrte, et des brins de bruyere. Les Scythes se servaient de baguettes de saule ; et les Tartares, qui en sont descendus, ont aussi une espèce de rabdomancie, si on en croit Paul Vénitien, l. I. c. xliij. Les Algériens dans la Barbarie en ont encore une autre espèce.

Elle a été également connue en occident. Voici comment Tacite s'exprime sur celle des Germains, dans ce qu'il a écrit des mœurs de ces peuples. " Ils sont, dit-il, fort adonnés aux augures et aux sorts, et n'y observent pas grande cérémonie. Ils coupent une branche de quelque arbre fruitier en plusieurs morceaux, et les marquent de certains caractères, puis les jettent à l'aventure sur un drap blanc : alors le prêtre ou le père de famille lève chaque brin trois fais, après avoir prié les dieux, et les interpretes selon les marques qu'il y a faites ". Ammien Marcellin, l. XXXI. représente ainsi la rabdomancie des Alains : " Ils devinent, dit-il, l'avenir d'une manière merveilleuse : les femmes coupent des baguettes bien droites, ce qu'elles font avec des enchantements secrets et à certains jours marqués exactement. Ils connaissent par ces baguettes ce qui doit arriver ".

On peut rapporter à cette espèce de divination, la fameuse flèche d'Abaris, sur laquelle les anciens ont débité tant de fables qu'on peut voir dans Bayle, et la baguette divinatoire qui a fait tant de bruit sur la fin du siècle dernier.

On entend communément par la baguette divinatoire, une petite branche de quelque arbre que ce sait, qui tourne sur tout ce qu'on veut découvrir, quand on vient à passer par-dessus ou à s'en approcher. Dans les premiers temps de l'usage de cette baguette, on se servait d'une petite houssine de coudre ou d'amendier ; mais dans la suite on a employé des baguettes de toute sorte de bois : on s'est même servi de verges de fer, d'argent, de fil-d'archal, etc. Les gens à baguettes se sont servi de baguettes figurées de trois différentes manières : 1°. les uns se sont servi de baguettes fourchues par le milieu, qu'ils tenaient des deux mains la pointe en haut ou en bas, ou parallèle à l'horizon. Voyez la fig. A.

A

2°. D'autres se servaient d'une baguette toute droite, ou fourchue au bout, comme dans les fig. B. C. qu'ils tenaient d'une main, ou qu'ils mettaient sur le dessus ou sur le dedans de la main dans une ligne parallèle à l'horizon.

B

C

3°. D'autres enfin se servaient d'une baguette coupée en deux parties, dont l'une était pointue par un bout pour entrer dans l'autre, dont le bout était creux, telle qu'on la voit dans la fig. D. et ils tenaient cette baguette par l'extrémité des doigts de différente main.

D

La baguette tourne dès qu'on passe sur quelque chose qu'on veut découvrir, soit eaux, soit métaux, soit voleurs, soit bornes de champs, soit reliques de saint, etc. Ce mouvement est quelquefois si violent, que la baguette se brise quand on ne la laisse pas libre.

Dès 1671 on avait écrit sur la baguette divinatoire, et les effets en étaient connus ; mais rien ne la mit plus en vogue que les découvertes que fit ou prétendit faire par ce moyen Jacques Aymar, paysan né en Dauphiné le 8 Septembre 1622. C'était par elle, disait-on, qu'il avait découvert les auteurs d'un assassinat commis à Lyon : sa baguette avait remué sur la serpe qui avait servi à l'un d'eux ; elle avait encore remué sur la table d'une hôtellerie où ils avaient mangé ; enfin elle l'avait conduit dans les prisons de Beaucaire, où ils étaient détenus. Ce phénomène excita bien-tôt l'attention du public : Aymar vint à Paris, et en imposa d'abord aux yeux les moins clairvoyans ; mais ses ruses n'échappèrent pas à ceux du prince de Condé, qui fit cacher de l'or et de l'argent en plusieurs trous de son jardin, que ce faux devin ne trouva pas. Il avoua même au prince de Condé que par un mouvement insensible du poignet il faisait tourner la baguette.

Mais l'imposture d'Aymar ne prouve pas qu'il y en ait dans toutes les autres personnes qui ont fait usage de la baguette, puisque le P. le Brun, dans son histoire critique des superstitions, tome II. p. 332 et 333, atteste, comme témoin oculaire, qu'un président du parlement de Grenoble lui ayant dit que la baguette avait tourné plusieurs fois entre ses mains, et le P. le Brun ne pouvant le croire, l'occasion se présenta peu de jours après d'en faire l'expérience au Villars, près de Tencin, l'une des terres du président. " Je tins, dit le P. le Brun, la main droite du président avec mes deux mains ; une autre personne lui tint la gauche, dans une allée du jardin sous laquelle il y avait un tuyau qui conduisait de l'eau dans un bassin ; en un instant la baguette se tordit si fort entre ses mains, que M. le président demanda quartier, parce qu'elle lui blessait les doigts ". M. le Royer, avocat à Rouen, et juge des gabelles, et M. le Gentil, religieux prémontré, prieur de Dorenie, près de Guisex, et plusieurs autres personnes fort au-dessus de tout soupçon d'imposture, ont fait usage de la baguette divinatoire qui tournait de son propre mouvement, sans effort ni secours de la part de la personne qui la tenait. L'effet est certain, constaté par des expériences sans nombre. D'où ce tournoyement provient-il ? est-il naturel ? est-il surnaturel ?

C'est à ces deux questions que se réduit tout ce qu'on a écrit pour ou contre la baguette. Parmi les savants, les uns en ont regardé le mouvement comme naturel, et par conséquent explicable par les lois de la physique : les autres l'ont regardé comme surnaturel, inexpliquable et produit par des intelligences supérieures à l'homme. Nous allons donner au lecteur l'analyse de l'un et de l'autre sentiment, d'après M. l'abbé de la Chambre dans son traité de la religion, tome II. troisième part. ch. Xe p. 473. et suiv.

Ceux qui ont regardé comme naturel le tournoyement de la baguette, ont pris différentes routes pour en développer la cause et le principe.

1°. Willenius et Frommann croient que le tournoyement de la baguette vient de la communication du mouvement à l'occasion de la rencontre et du choc des corps, quoiqu'ils ne puissent absolument expliquer le mécanisme de ce phénomène ; et aux objections qu'on leur fait que la baguette ne tourne pas entre les mains de toutes sortes de personnes, et qu'elle ne tourne pas toujours dans les mains de la même personne, ils répondent 1°. qu'il faut que la vertu de la baguette soit aidée de celle du tempérament qui est différent dans tous les hommes. 2°. Que la variation du mouvement de la baguette vient ou de ce que la même personne n'est pas toujours dans les mêmes circonstances pour le sang et les humeurs, ou de ce que les influences des astres s'unissent et se fortifient quelquefois, et quelquefois se combattent. Traité de la baguette imprimé en 1671 ; traité de la fascination, en 1674.

2°. M. de S. Romain explique le mouvement de la baguette par le mouvement des corpuscules qui sortent des corps qu'on cherche, et qui viennent agraffer la baguette. Si la baguette ne tourne pas entre les mains de tout le monde, c'est qu'il y a, dit cet auteur, des tempéraments qui ralentissent la force de ces corpuscules ; et si elle ne tourne pas toujours entre les mains de la même personne, c'est que le tempérament n'est pas toujours dans la même situation et le même état. Traité de la science naturelle dégagée des chican. de l'école 1679.

3°. D'autres disent que les particules qui s'exhalent des sources d'eaux et des métaux empreignent la verge de coudrier, et la déterminent à se baisser pour la rendre parallèle aux lignes verticales qu'elles décrivent en se levant. Ces particules d'eau sont poussées au-dehors par le feu central, et par les fermentations qui se font dans les entrailles de la terre. Or, la baguette étant d'un bois poreux, il donne aisément passage à ces corpuscules, qui sont extrêmement subtils et déliés. Ces vapeurs pressées par celles qui les suivent, et pressées par l'air qui pese dessus, sont forcées d'entrer dans les petits intervalles de la baguette, et par cet effort elles la contraignent à s'incliner perpendiculairement, afin de se rendre parallèle avec les colomnes que forment ces vapeurs en s'élevant. Les objections ne sont pas moins difficiles à résoudre dans ce sentiment que dans les deux précédents.

4°. L'abbé de Vallemont dans le traité qu'il a donné sur cette matière, édit. de 1696, p. 379, s'efforce de prouver que cette baguette n'a rien de commun avec toutes les espèces de divinations comprises sous le nom de rabdomanie, et que ses effets sont purement physiques. " On conjecture, dit-il, par son mouvement, qu'il y a de l'eau dans la terre, comme on juge par le mouvement d'un hygromètre qu'il y a des vapeurs aqueuses dans l'air, et que conséquemment il y aura de la pluie ". Mais cette raison qui satisfait pour un phénomène, ne satisfait pas pour tous, et ne lève point les difficultés ci-dessus proposées.

5°. M. le Royer prétendait expliquer le mouvement de la baguette par l'antipathie et la sympathie des Péripatéticiens ; si la baguette ne remue pas entre les mains de tout le monde, c'est qu'il y a, dit-il, des personnes qui ont une antipathie à la vertu de la baguette, et qui en arrêtent l'effet. Si elle ne remue pas toujours entre les mains de la même personne, c'est qu'il y a, ajoute-t-il, auprès de la baguette un corps qui lui ôte toute sa force. L'aimant, par exemple, perd sa vertu quand il y a de l'ail ou un diamant auprès de lui. Mais outre que cet exemple est faux, on sent que ces grands mots d'antipathie et de sympathie sont vides de raison, et aussi peu propres à expliquer le point en question, que l'opinion de Peucer sur la même matière ; elle est conçue en ces termes : ad seu divinationem ex plantis, pertinent certae in plantis aliquibus notae indicantes initia, finesve aut conditiones quatuor universalium anni temporum. Eodem divinationes pertinent metallariis usitatae quae fiunt sciotericis et virgulâ divinâ. Ea est ex corylo decisus bifidus surculus, quo venas illi auri argentive feraces explorant, inclinante sese eo virgula quà sub terrâ venae feruntur atque incedunt. Qua Ve id soli corylorum praestant surculi, et non item caeterarum arborum quae in iisdem proveniunt locis, eodem terrae altae refectaeque succo obscurum est : nisi quod conjicio habere corylos ad metalla connatam et occultam, etc. Solution merveilleuse qui suppose faux et ne débrouille rien.

Ceux, au contraire, qui rejettent le mouvement de la baguette sur des êtres intelligens, supérieurs à l'homme, l'attribuent au démon. C'est le sentiment de Tollius, de M. Hennin et du P. Malebranche.

Ils avancent 1°. que la baguette ne tourne naturellement ni sur l'eau, ni sur les métaux, ni sur quelqu'autre chose que ce soit : car elle tourne souvent où il n'y a rien, et ne tourne pas toujours où il y a quelque chose ; on a des exemples de l'un et de l'autre. D'ailleurs, elle ne remue que sur ce qu'on a envie de trouver ; or une pensée, un désir ne peuvent faire remuer un bâton. 2°. Que le mouvement de la baguette ne vient point d'un tour de poignet, ni d'une certaine pression de doigts, puisqu'elle tourne sans art entre les mains de plusieurs personnes, et même malgré elles. L'exemple du président de Grenoble que cite le P. le Brun en est une preuve. 3°. Que le mouvement de la baguette doit être rejeté sur l'action des intelligences supérieures à l'homme, et ces intelligences ne pouvant être ni Dieu, ni les anges, parce que le mouvement de la baguette est équivoque, et qu'il est quelquefois fautif dans son opération, ils en concluent que ces intelligences supérieures sont les démons, à qui Dieu permet quelquefois de séduire les hommes, et qui agissent quelquefois par notre ministère, sans que nous ayons fait aucun pacte avec eux. Si ces raisons ne paraissent pas évidentes, on conviendra que les systèmes des Physiciens ne sont pas plus satisfaisants. Traité de la religion, t. II. troisième partie, chapitre Xe p. 473 et suiv.

N. B. Cet article est tiré en partie des mémoires de M. Formey, historiographe de l'académie royale de Prusse.