GRAVEUR en cuivre, en acier, au burin, à l’eau forte, en bois, en manière noire, et en clair-obscur, (Arts modernes.) ce sont-là autant d’artistes qui par le moyen du dessein et de l’incision sur les matières dures, imitent les lumières et les ombres des objets visibles.

Les glorieux monuments du savoir des anciens ont presque tous péri : mais si à tant d'avantages qu'ils semblent avoir sur nous ils avaient joint l'art de graver, que de richesses nous en reviendraient ? elles tromperaient notre douleur, tanti solatia luctus ! et peut-être nous apercevrions-nous moins de nos pertes. Il serait sans-doute échappé quelques empreintes de tant de rares productions de leur génie ; nous aurions du-moins quelques images des grands hommes que nous admirons, ce patrimoine de la postérité, et qui la touche si fort. Cependant loin de nous affliger davantage, cherchons dans ce que nous avons, des motifs de consolation sur ce que nous n'avons plus. Ne songeons désormais qu'à tirer parti de la découverte admirable de la Gravure, moyen sur de faire passer d'âge en âge jusqu'à nos derniers neveux, les connaissances que nous avons acquises.



J'envisage les productions de ce bel art comme un parterre émaillé de quantité de fleurs variées dans les formes et les couleurs, qui quoique moins précieuses les unes que les autres, concourent toutefois à l'effet de ce tout ensemble brillant, que les yeux du spectateur avide ne peuvent se lasser de considérer. Tels sont les ouvrages des habiles Graveurs qu'un curieux délicat a su réunir dans son cabinet ; il les parcourt avec un plaisir secret ignoré des hommes sans goût : tantôt il admire à quel point de grands maîtres ont porté leur burin par une touche forte, vigoureuse et hardie ; tantôt il se plait à voir la correction qui se présente sous des travaux plus agréables ; ensuite satisfait des beautés propres au burin, il passe à celles de l'eau-forte, qui moins recherchée dans ses atours, lui peint l'aimable nature dans sa simplicité : telle il la chérit dans les estampes du Parmesan, du Guide, et autres grands peintres qui ont laissé couler leurs pensées sur le cuivre avec cette facilité qu'on retrouve dans leurs desseins. Il est vrai qu'à regret il voit ces précieuses eaux-fortes dénuées de ce clair-obscur, le charme de la vue ; mais il les retrouve dans d'autres maîtres, qui célèbres en cette partie, ont produit comme par enchantement sur les objets, les jours et les ombres qu'y répand la lumière.

Ces maîtres méritent d'être connus non-seulement des amateurs, qui goutent tant de plaisir au spectacle de leurs ouvrages, mais surtout des personnes qui se destinant au même art, brulent de courir avec honneur dans la même carrière. C'est par ces raisons que nous nous croyons obligés de nommer ici ces illustres artistes, et de jeter en passant quelques fleurs sur leur tombe. On trouvera dans Moréri et dans le P. Anselme, la généalogie, la naissance, les noms des rais, des princes, des grands seigneurs ; l'Encyclopédie ne leur doit rien à ce titre, mais elle doit tout aux Arts et aux talents.

Albert Durer, né à Nuremberg en 1470, et dont j'ai parlé comme peintre au mot ECOLE, ne laisse presque à désirer dans les ouvrages de son temps, dont les Italiens eux-mêmes profitèrent, sinon que cet illustre artiste eut connu l'antique, pour donner à ses figures autant d'élégance que de vérité.

Aldegraf, (Albert) né en Westphalie, disciple de Durer, en a saisi la manière, et s'est fait autrefois une grande réputation.

Audran, (Gérard) mort en 1703 âgé de soixante-trois ans, a exercé son burin à multiplier les grands morceaux du Poussin, de Mignard, et autres. On connait ses magnifiques estampes des batailles d'Alexandre, qu'il a gravées d'après les desseins de le Brun : l'œuvre de cet artiste est recommandable par la force et le bon goût de sa manière.

Baldini, (Baccio) florentin, fut élève de Maso Finiguerra, inventeur du secret de la Gravure en cuivre, et fit paraitre encore quelque chose de mieux que son maître.

Belle, (Etienne de la) né à Florence en 1610, mort dans la même ville en 1664, acquit une manière d'eau-forte très-expéditive, et d'un si grand effet, que quelques curieux le mettent au-dessus de Callot. Si la manière de ce maître n'est point si finie de gravure ni si précise de dessein que celle de Callot, sa touche est plus libre, plus savante, et plus pittoresque : peu de gens l'ont surpassé pour l'esprit, la finesse, et la legereté de la pointe. Il a généralement négligé les pieds et les mains de ses petites figures, mais ses têtes ont une noblesse et une beauté de caractère séduisante ; son œuvre est très-considérable.

Bénédette Castiglione, peintre et graveur, né à Gènes en 1616, mort à Mantoue en 1670, a gravé à l'eau forte plusieurs pièces, où il a mis autant d'esprit que de gout. Le clair-obscur de ses estampes fait le charme des connaisseurs.

Bloèmaert, (Corneille) né à Gorkum vers l'an 1606, est un des plus célèbres graveurs au burin, et c'est une chose étonnante, qu'avec une manière précise et finie il ait pu donner autant d'ouvrages que nous en avons de lui. Frédéric Bloèmaert est bien inférieur à Corneille.

Bloèttling, l'un des grands artistes de Hollande, a principalement réussi dans la gravure en manière noire.

Blond, (Michel le) mort à Amsterdam en 1656, a laissé plusieurs monuments de son habileté dans la gravure.

Bollswert (Scheldt) né dans les Pays-Bas, a beaucoup travaillé d'après les ouvrages de Rubens, de Vandick, et de Jordan, dont il a rendu le goût et les grands effets. Adam et Boèce Bollswert n'ont pas eu les rares talents de Scheldt, et cependant ils sont mis au nombre des bons artistes.

Bosse, (Abraham) né à Tours au commencement du dernier siècle, avait une manière de graver à l'eau-forte qui lui est particulière ; ses estampes sont agréables. Il était savant dans la Perspective et dans l'Architecture. Nous avons de lui deux bons traités, l'un sur la manière de dessiner, l'autre sur l'art de la Gravure.

Bruyn, (Nicolas de) a fait quantité de grands morceaux au burin, entre lesquels il y en a qui sont finis avec beaucoup de soin ; sa manière est d'une propreté charmante, mais seche et maigre ; on lui reproche encore un goût de dessein gothique.

Bry, (Théodore de) est mis au rang des petits maîtres, quoiqu'il ait gravé plusieurs morceaux d'histoire ; les estampes qu'il a copiées d'après d'autres estampes, et qu'il a réduites en petit, sont plus estimées que les originaux : s'il y a beaucoup de netteté et de propreté, il y a aussi trop de secheresse dans son burin.

Callot, (Jacques) né à Nancy en 1593, mort dans la même ville en 1635 ; il s'échappa deux ou trois fois de la maison paternelle dans sa tendre jeunesse, pour se livrer à la Gravure ; arrivé à Florence, le grand duc Côme II. charmé de ses talents, prit soin de se l'attacher ; c'est alors que Callot imagina ses petits sujets, dans lesquels il a si bien réussi. Son œuvre contient environ seize cent pièces, la plupart gravées à l'eau-forte, et ce sont les plus estimées ; il a su rendre les moindres choses intéressantes par la facilité du travail, l'expression des figures, le choix et la distribution. On recherchera toujours ses foires, ses supplices, ses miseres de la guerre, sa passion, son éventail, son parterre, et sa grande rue de Nancy. L'esprit et la finesse de sa pointe, le feu et l'abondance de son génie, la variété de ses grouppes sans contrastes forcés, font les délices des amateurs.

Carrache, (Augustin) également versé dans les Sciences et dans les Beaux-Arts, a gravé plusieurs morceaux au burin, d'après le Corrège, le Tintoret, le Baroche, Voènius, et Paul Véronese. On admire dans ses pièces la plus grande correction, qui se présente sous des travaux agréables.

Château, (Guillaume) natif d'Orléans, mort à Paris en 1683, âgé de cinquante ans, a mis au jour d'assez bonnes estampes, d'après les ouvrages du Poussin.

Chauveau, (Français) mort à Paris en 1674, s'exerça d'abord à graver au burin quelques tableaux de la Hire ; mais il quitta bien-tôt le burin pour graver à l'eau-forte ses propres pensées. Si l'on ne trouve point dans ses ouvrages la douceur et le moèlleux de la gravure, on y voit avec étonnement le feu, la force, la variété, et le tour ingénieux de ses compositions. Lorsqu'on s'adressait à lui pour quelque dessein, il prenait aussi-tôt une ardoise, et y crayonnait son sujet en plusieurs façons différentes, jusqu'à-ce qu'on fût content, ou qu'il le fût lui-même ; car on l'était souvent, qu'il ne l'était pas encore.

Clerc, (Sébastien le) né à Metz en 1637, mort à Paris en 1714. Il mania le burin avec succès, et se distingua dans la gravure à l'eau-forte : son œuvre est très-considérable et très-variée. Ses compositions sont gracieuses, sa gravure nette, et sa touche facile. Ses meilleures pièces sont 1°. le catafalque en l'honneur du chancelier Séguier, mort en 1672 : 2°. la pierre du Louvre, estampe de 1679 : 3°. l'arc de triomphe de 1680 : le grand concile, et le S. Augustin prêchant, toutes deux de 1683, et toutes deux les plus rares vignettes de son burin : 4°. la passion de Notre Seigneur, en trente-six planches, en 1695, 5°. la multiplication des pains, en 1696 : 6°. l'entrée triomphante d'Alexandre dans Babylone, en 1706, etc. C'est dans ces morceaux recherchés des gens de gout, que l'on aperçoit les talents de cet artiste.

Coèch, (Pierre) naquit à Alost, et mourut en 1551. Il voyagea en Italie et ensuite dans le Levant, où il fit une suite de desseins qui représentaient des cérémonies des Turcs ; et ces desseins ont été depuis gravés en bois.

Cort, (Corneille) né en Hollande, vivait dans le seizième siècle ; il se fixa à Rome, et devint un des plus corrects graveurs qu'il y ait eu. Ce fut de lui qu'Augustin Carrache apprit la gravure, et c'est lui qui publia le premier les ouvrages de Raphaël et du Titien.

Dassier, (les) père et fils, de Geneve, ont rendu leurs noms célèbres par le même talent : leurs belles médailles d'après nature et plusieurs autres ouvrages de leur burin, prouvent qu'ils sont dignes d'être comptés parmi les plus célèbres graveurs.

Drevet, (Pierre) les Drevet père et fils, tous deux nommés Pierre, se sont acquis une très-grande réputation par leur burin : on connait les portraits qu'ils ont gravés d'après Rigaud. Drevet fils est mort à Paris en 1739, âgé de quarante-deux ans.

Edelinck, (Gérard) ou le Chevalier, natif d'Anvers, mort en 1707 dans un âge fort avancé, a gravé des pièces qui sont des chefs-d'œuvre, où régnent la pureté de burin, la fonte, et la couleur ; M. Colbert l'attira en France. Nous avons de lui des estampes des hommes illustres, une sainte-famille d'après Raphaël, la famille de Darius, et la Madeleine de le Brun, trois pièces admirables ; mais il regardait le portrait de Champagne comme son triomphe.

Falda, (Jean-Baptiste) né en Italie, a donné des estampes à l'eau-forte, qui sont d'un très-bon goût : ses livres des palais, des vignes, des fontaines de Rome et des environs, sont aussi très-recherchés.

Goltz, (Henry) né en 1558 dans le duché de Juliers, mort à Harlem en 1617 ; il a gravé plusieurs sujets en diverses manières. On a beaucoup de ses estampes extrêmement estimées, faites d'après les desseins qu'il avait apportés d'Italie : si celles de son invention ont quelquefois un goût de dessein un peu rude, on admire en échange la legereté, la fermeté, et tous les autres talents de ce célèbre artiste.

Le Guide, dont le pinceau leger et la touche gracieuse enchantent, déploya le même esprit, dans les gravures à l'eau-forte, qu'il fit d'après les tableaux de piété des grands maîtres d'Italie.

Hollard, (Vinceslas) né à Prague en 1607, tenta d'imiter avec la pointe le beau fini du burin, et ses succès répondirent à ses vues ; il conduisit donc l'eau-forte avec toute l'intelligence possible, en connut les gradations, en développa les ressources, enfin apprit à s'en servir ; il excella dans les fourrures, les paysages, les animaux, les insectes ; mais il n'a pas également réussi dans les grands sujets, parce que le dessein et la correction manquaient à ses talents.

Lasne, (Michel) natif de Caèn, mort en 1667, âgé de soixante-douze ans. Il a donné quelques planches au burin d'après Raphaël, Paul Véronese, Rubens, Annibal Carrache, Vouet, le Brun, et autres : il a aussi fait des morceaux de son génie, dans lesquels les passions sont assez bien exprimées.

Lucas de Leyden, né en 1494, mort en 1533, fut le rival et l'ami d'Albert Durer. On a de lui une grande quantité d'estampes gravées au burin, à l'eau-forte, et en bois.

Luyken, (Jean) né à Amsterdam en 1649, mort en 1712, montra dans son œuvre qui est très-considérable, beaucoup de feu, d'imagination, et de facilité.

Mantègne, (André) né gardeur de moutons près de Padoue en 1451, avait reçu de la nature un heureux génie qui le tira bien-tôt de cette condition servile, en lui inspirant le goût des Arts qui annoblissent l'origine la plus abjecte, et font rechercher l'homme à talents pour lui-même, et non pour ses ayeux. Mantègne au lieu de veiller à la garde de son troupeau, s'amusait à le dessiner ; un peintre le vit, le prit chez lui, l'éleva, l'adopta pour son fils, l'institua son héritier. Jacques Bellin enchanté de son caractère et de ses talents, lui donna sa fille en mariage : le duc de Mantoue le combla d'honneurs et de bienfaits, il le créa chevalier en reconnaissance de son excellent tableau connu sous le nom du triomphe de César ; on a gravé de clair-obscur en neuf feuilles ce chef-d'œuvre du pinceau de Mantègne ; mais il s'est couvert de gloire par l'invention ou la perfection de la gravure au burin pour ses estampes. Il grava lui-même plusieurs pièces sur des planches d'étain d'après ses propres desseins. Il mourut en 1517, âgé de soixante-six ans.

Mantuan, (George le) nous avons aussi de lui divers beaux morceaux gravés au burin.

Marc-Antoine, (Raymond) natif de Bologne, florissait au commencement du seizième siècle ; il essaya ses forces avec succès contre Albert Durer, se mit à copier la passion que ce maître avait donnée en trente-six morceaux, et grava sur ses planches, ainsi que lui A. D. Tous les connaisseurs s'y trompèrent, et Albert Durer fit un voyage à Rome pour porter au pape ses plaintes contre son rival. Marc-Antoine devint le graveur favori de Raphaël, dont il a répandu les ouvrages et la gloire par-tout où il y a quelque étincelle de goût et de savoir. Ce fut encore Marc-Antoine qui grava les estampes qui furent mises au-devant des sonnets infames de l'Arétin. L'exactitude du dessein de ce fameux maître, la douceur et le charme de son burin, feront toujours rechercher ses estampes.

Maso, dit Finiguerra, né à Florence, inventa dans le quinzième siècle le secret de graver sur le cuivre ; il travaillait en Orfèvrerie l'an 1460, et avait coutume de faire une empreinte de terre de tout ce qu'il gravait sur l'argent pour émailler ; au moment qu'il jetait dans ce moule de terre du soufre fondu, il s'aperçut que ces dernières empreintes étant frottées d'huîle et de noir de fumée, représentaient les traits qui étaient gravés sur l'argent. Il trouva dans la suite le moyen d'exprimer les mêmes figures sur du papier en l'humectant, et en passant un rouleau très-uni sur l'empreinte ; ce qui lui réussit tellement, que ses figures paraissaient imprimées et comme dessinées avec la plume.

Cet essai donna l'être à la Gravure, faible entre ses mains, puisque les Arts sortaient à-peine des ténébres épaisses où l'ignorance les avait laissés près de mille ans ensevelis. La découverte de Maso ne reçut qu'un accroissement insensible de Baldini, orfèvre de la même ville de Florence, à qui notre artiste l'avait communiqué ; il fallait un peintre pour l'améliorer : car si l'heureux génie de la Peinture n'inspire le graveur, vainement s'efforce-t-il d'y réussir : cet art parut donc avec un grand avantage dans les morceaux qui furent gravés alors par Mantègne, dont nous avons parlé tout-à-l'heure.

Masson, (Antoine) a surtout excellé dans les gravures de portraits ; ses disciples d'Emmaus sont un chef-d'œuvre. Son burin est ferme et également gracieux : on prétend qu'il s'était fait une manière de graver toute particulière, et qu'au lieu de faire agir la main sur la planche, comme c'est l'ordinaire pour conduire le burin selon la forme du trait que l'on y veut exprimer, il tenait au contraire sa main droite fixe, et avec la main gauche il faisait agir la planche suivant le sens que la taille exigeait. J'ignore l'année de la naissance et de la mort de ce grand maître.

Mellan, (Claude) né à Abbeville en 1601, mort en 1688. " Ce célèbre graveur en taille-douce, dit M. Perrault, eut deux grands avantages sur la plupart de ses confrères : le premier, c'est qu'il n'avait pas seulement le don de graver avec beaucoup de grâce et d'élégance les tableaux des excellents maîtres, mais qu'il était aussi l'auteur et l'ouvrier de presque tous les desseins qu'il gravait ; de sorte qu'on doit le regarder comme un habîle graveur et comme un grand dessinateur tout ensemble ; on pourrait ajouter, comme peintre, car il a peint des tableaux de bon goût : le second avantage, plus grand encore que le premier, c'est qu'il a inventé lui-même la manière admirable de graver dont il s'est servi dans la plupart de ses ouvrages. "

Les graveurs ordinaires ont presque autant de tailles différentes qu'ils ont de différents objets à représenter : autre est celle dont ils se servent pour la chair, soit du visage, soit des mains, ou des autres parties du corps, autre celle qu'ils emploient pour les vêtements, autre celle dont ils représentent la terre, l'eau, l'air, et le feu, et même dans chacun de ces objets ils varient leur taille et le maniement de leur burin en plusieurs façons différentes. Mellan imitait toutes choses avec de simples traits mis auprès les uns des autres, sans jamais les croiser en quelque manière que ce sait, se contentant de les faire ou plus forts ou plus faibles, selon que le demandaient les parties, les couleurs, les jours, et les ombres de ce qu'il représentait.

Il a porté cette gravure à une telle perfection, qu'il est difficîle d'y rien ajouter, et l'on n'a point encore entrepris d'aller plus loin dans cette sorte de travail : ce n'est pas que Mellan ne sut pratiquer la manière des autres graveurs ; il a fait beaucoup d'estampes à double taille, qui sont très-belles et très-estimées ; mais il s'est plus adonné à celle qui est simple ; et c'est par celle-là qu'il s'est le plus distingué.

Parmi ses ouvrages il y en a un qui parait mériter d'être plus admiré que les autres, c'est une tête de Jésus-Christ dessinée et ombrée avec sa couronne d'épines, et le sang qui ruissele de tous côtés, d'un seul et unique trait, qui commençant par le bout du nez, et allant toujours en tournant, forme exactement tout ce qui est représenté dans cette estampe, par la seule différente épaisseur de ce trait, qui selon qu'il est plus ou moins gros, fait des yeux, un nez, une bouche, des joues, des cheveux, du sang et des épines, le tout si bien représenté et avec une telle marque de douleur et d'affliction, que rien n'est plus triste ni plus touchant. On met encore au rang des chefs-d'œuvre de sa gravure, sa galerie justinienne, son portrait de Justinien, et celui de Clément VIII.

Son œuvre contient une infinité de pièces curieuses. Il fut choisi pour représenter les figures antiques et les bustes du cabinet du roi de France ; son burin réussit parfaitement dans ces sortes d'ouvrages, qui étant tous d'une couleur, s'accommodent bien de l'uniformité de sa gravure, laquelle n'étant point croisée, conserve une blancheur très-convenable au marbre qu'elle représente.

Enfin ses gravures avaient plus de feu, plus de vie, et plus de liberté que le dessein même qu'il imitait, contre ce qu'il arrive aux autres graveurs, dont les ouvrages sont toujours moins vifs que le dessein et le tableau qu'ils copient. Cet avantage de Mellan ne peut venir que du goût qu'il prenait à son travail, et de l'extrême facilité qu'il avait à conduire son burin de la manière qu'il lui plaisait.

Mérian, (Matthieu) naquit à Bâle en 1593, et mourut à Schwalsbach en 1651. Il est célèbre par son habileté dans l'art de graver à l'eau-forte, par son fils Gaspard Mérian qui se distingua dans le même genre, et par sa fille Marie Sybille Mérian, encore plus connue. Les principaux ouvrages de Matthieu Mérian père, sont le théâtre de l'Europe, la Danse des morts, cent-cinquante figures historiques de la bible, et un grand nombre de paysages.

Nanteuil, (Robert) né à Rheims en 1630, mort à Paris en 1678 : il n'a gravé que des portraits, mais avec une précision et une pureté de burin qu'on ne peut trop admirer. Son recueil est très-considérable, puisqu'il contient plus de deux cent quarante estampes.

Nanteuil après avoir peint Louis XIV. en pastel, le grava aussi grand que nature ; ce qui n'avait point encore été tenté par personne avec succès : jusque-là il avait été presque impossible aux plus habiles graveurs de bien représenter avec le seul blanc du papier et le seul noir de l'encre, toutes les autres couleurs que demande un portrait lorsqu'il est en grand ; car lorsqu'il est en petit, l'imagination de celui qui le regarde y supplée. Cependant dans le portrait du roi par Nanteuil, la couleur naturelle du teint, le vermeil des joues, et le rouge des lèvres y est marqué ; au lieu que dans les portraits de cette même grandeur faits par la plupart des autres artistes, le teint parait plombé, les joues livides, et les lèvres violettes ; en sorte qu'on croit plutôt voir des hommes noyés que des hommes vivants : le portrait dont je parle est peut-être le plus bel ouvrage de cette espèce qui ait jamais Ve le jour. Nanteuil a gravé de la même manière le portrait de la reine mère de Louis XIV. celui du duc d'Orléans, du cardinal Mazarin, du maréchal de Turenne, et de quelques autres personnes, qui lui ont acquis une réputation que le temps n'a point encore effacée.

Ce célèbre artiste avait gagné par son talent plus de cinquante mille écus, et en laissa très-peu à ses héritiers, ayant toujours fait servir la fortune à ses plaisirs. Au reste, il est un exemple de ces hommes qui se sont engagés dans leur profession par une inclination dominante : son père fit les mêmes efforts pour l'empêcher de devenir graveur, que les parents font ordinairement pour obliger les enfants à s'instruire dans quelque profession : mais Nanteuil éluda les vains efforts de son père ; il montait en secret sur des arbres pour n'être point vu, et s'y cachait sans cesse pour dessiner à loisir.

Le Parmesan partagea son goût entre la Gravure et la Peinture, deux arts qu'il eut porté au degré le plus éminent, si le destin qui lui donna tant de rapport avec Raphaël par la fécondité du génie, toujours tourné du côté de l'agrément et de la gentillesse, n'eut terminé ses jours par une mort également prématurée.

Pens, (George) natif de Nuremberg, florissait au commencement du seizième siècle ; ses gravures en taille-douce sont estimées : il y marquait son nom par ces deux lettres ainsi disposées, P. G.

Pérelle ; nous avons deux artistes français de ce nom, qui se sont illustrés dans la gravure du paysage.

Perrier, (Français) né à Mâcon en 1590, mort à Paris en 1650, s'est distingué par ses gravures à l'eau-forte ; on estime surtout celles qui représentent les antiques, les bas-reliefs de Rome, et dans le moderne, plusieurs choses d'après Raphaël, il grava aussi quelques antiques dans la manière du clair obscur, que le Parmesan avait le premier mis en usage.

Picard, (Bernard) né à Paris en 1673, mort à Amsterdam en 1733, était fils d'Etienne Picard, surnommé le Romain, homme de réputation dans la gravure. Bernard s'attacha surtout à mettre beaucoup de propreté et de netteté dans ses ouvrages pour plaire à la nation chez laquelle il s'était retiré, et qui aime passionnément le fini, et le travail où brille la patience : il ne fut guère occupé en Hollande que par les libraires, mais il avait soin de garder une quantité d'épreuves de toutes les planches qu'il gravait ; et les curieux qui voulaient faire des collections, les achetaient à tout prix : ses desseins étaient aussi fort chers. On connait ses planches des métamorphoses d'Ovide.

Quand ce maître s'est écarté de sa manière léchée, il a exécuté des choses très-piquantes, et ses compositions en grand nombre font honneur à son génie ; les pensées en sont belles et pleines de noblesse, mais quelquefois trop recherchées et trop allégoriques.

Il a fait un nombre d'estampes qu'il nomma les impostures innocentes, parce qu'il avait tâché d'imiter les différents gouts pittoresques de certains maîtres savants qui n'ont gravé qu'à l'eau-forte, tels que le Guide, le Rembrand, Carle-Maratte, et autres ; il réussit et eut le plaisir de voir ses estampes achetées par ceux-là même qui se donnaient pour connaisseurs du goût et de la manière des peintres. Bernard a publié le catalogue de son œuvre.

Pippo, (dit Philippe de Santa-croce) s'est autant distingué par le beau fini et l'extrême délicatesse qu'il mettait dans ses ouvrages, que par le choix singulier de la matière qu'il employait pour son travail. Ce graveur s'amusait à tailler sur des noyaux de prunes et de cerises, de petits bas-reliefs composés de plusieurs figures, mais si fines qu'elles devenaient imperceptibles à la vue : ces figures sont néanmoins dans toutes leurs proportions.

Poilly, (Français) né à Abbeville en 1622, mort à Paris en 1693, a mis au jour une œuvre très-considérable, quoiqu'il donnât beaucoup de temps et de soin à finir ses planches. La précision, la netteté, et le moèlleux de son burin, font rechercher ses ouvrages, dans lesquels il a su conserver la noblesse, les grâces, et l'esprit des grands-maîtres qu'il a copiés. Nicolas Poilly, son frère, mort en 1696 âgé de soixante-dix ans, s'est distingué dans la gravure du portrait ; l'un et l'autre ont laissé des enfants qui se sont appliqués à leur profession.

Le Rembrand fit passer la chaleur de sa peinture jusque dans la manière de graver dont il est l'inventeur. Quelle touche, quelle harmonie, quels effets surprenans ! sont-ce des estampes ou des desseins ? la belle et l'extrême facilité qui y régnent pourraient induire en erreur, si la fermeté du travail dans certains endroits ne le décelait : en marchant par des routes nouvelles, il a rapproché la gravure de son vrai point de vue, qui est de rendre toutes sortes d'objets uniquement par l'ombre et la lumière, en les opposant alternativement avec tant d'entente, qu'il en résulte le relief le plus séduisant.

Il envisagea son art comme la scène où les caractères ne frappent point s'ils ne sont exagérés : il crut devoir s'abandonner à une impétuosité qui produit souvent un certain désordre dans le faire ; mais ce désordre ne peut rebuter que ceux dont les idées superficielles cherchent dans la gravure des travaux refroidis ; trop faits aux afféteries de nos modernes, ils sont insensibles aux beautés fortes du Rembrand. Elles doivent sans-doute trouver de l'indulgence pour les négligences de détail qu'on remarque dans ses estampes, parmi lesquelles la pièce où Jésus-Christ guérit les malades (pièce connue sous le nom de cent florins, parce qu'il la vendait ce prix-là, même de son vivant) prouve décidemment que cette manière est susceptible du fini le plus flatteur.

Il serait encore à souhaiter que ce célèbre artiste se fût appliqué à varier ses productions ; les objets déjà si séduisans par le charme de son clair-obscur, en eussent été mieux caractérisés. Enfin Rembrand ne connut point l'élégance du Dessein ; fils d'un artisan, il mode la ses pensées sur les objets qui meublaient sa chaumière : trop heureux s'il eut adhéré aux idées judicieuses de son propre père, qui remarquant en lui avec plaisir un esprit au-dessus de son âge, l'envoya étudier à Leyde ; mais il ne sut pas profiter de ce temps précieux où l'éducation pouvait si bien corriger le vice du terroir ; son goût serait insensiblement devenu délicat et correct ; ensuite considérant son art sous un autre coup-d'oeil, il l'aurait embelli, comme l'Albane, des dépouilles de la Littérature. On a fait à Paris un catalogue raisonné de l'œuvre du Rembrand.

Romain de Hooge, hollandais, a terni ses talents par la corruption de son cœur ; on lui reproche encore l'incorrection du Dessein, et le goût des sujets allégoriques ou d'une satyre triviale.

Roullet, (Jean Louis) né à Arles en 1645, mort à Paris en 1699, se rendit à Rome pour y exercer la Gravure ; de retour en France, ses talents ne furent point aisifs. On loue ses ouvrages pour la correction du Dessein, la pureté, et l'élégance.

Sadeler, (Jean) né à Bruxelles en 1550, mort à Venise, fit, ainsi que son frère Raphaël, des ouvrages assez estimés ; mais ils eurent l'un et l'autre un neveu, Gilles Sadeler, qui les surpassa de loin par la sévérité du Dessein, par le goût et la netteté de son travail : les empereurs Rodolphe II. Matthias, et Ferdinand II. se l'attachèrent par leurs bienfaits.

Saerdam, (Jean). Les estampes de ce maître sont goutées de quelques curieux, mais la correction du Dessein manque à l'artiste.

Silvestre, (Israèl) né à Nancy en 1621, et mort à Paris en 1691, devint célèbre par le goût et l'intelligence qu'il a mis dans divers paysages et dans différentes vues gravées de sa main. Louis XIV. occupa ses talents et les récompensa.

Simonneau, (Charles) né à Orléans vers l'an 1639, mourut à Paris en 1728. Après avoir été élève de Noë Coypel dans le Dessein, il le devint de Château pour la Gravure, mais enfin il ne consulta plus que son génie : il grava le portrait, les figures, et des sujets d'histoire avec une grande vérité. Plusieurs vignettes de son invention peuvent aussi le mettre au rang des compositeurs ; mais il se distingua davantage par les médailles qu'il grava pour servir à l'histoire métallique de Louis XIV.

Spierre, (Français) a fait des ouvrages rares et estimés ; son burin est gracieux, et les estampes de sa composition prouvent ses talents. On estime fort la Vierge qu'il a gravée d'après le Correge.

Stella, (Mademoiselle) nièce de Jacques Stella, peintre, a mis dans ses gravures beaucoup de goût et d'intelligence.

Suyderhoef, (Jonas) hollandais, s'est plus attaché à mettre dans ses productions un effet pittoresque et piquant, qu'à faire admirer la propreté et la délicatesse de son burin ; il a gravé plusieurs portraits d'après Rembrand. La plus considérable de ses estampes est celle de la paix de Munster, où il a saisi le goût de Terburg, auteur du tableau original, dans lequel ce peintre a représenté près de soixante plénipotentiaires qui assistèrent à la signature de cette paix.

Thomassin, père et fils, graveurs français, ont publié d'assez bons morceaux, surtout le fils ; on connait sa mélancolie d'après le Féty, et c'est une estampe précieuse.

Vichem, allemand, est le plus célèbre graveur en bois du dix-septième siècle. On voit de ses gravures depuis 1607 jusqu'en 1670 ; il a manié la pointe à graver en bois avec une liberté et une hardiesse surprenantes.

Villamene, (Français) italien, élève d'Augustin Carrache, est recommandable par la correction de son dessein et par la propreté de son travail ; mais on lui reproche d'être trop maniéré dans ses contours.

Vosterman, (Lucas) graveur hollandais dont les estampes sont très-recherchées ; il a contribué à faire connaître le mérite de Rubens, et à multiplier ses belles compositions. On trouve dans les estampes de Vosterman une manière expressive et beaucoup d'intelligence.

Warin, (Jean) graveur et sculpteur, natif de Liège en 1604, mort à Paris en 1672. Après avoir fait longtemps ses délices du Dessein, il s'exerça à la gravure, et y réussit parfaitement ; enfin il inventa des machines très-ingénieuses pour monnoyer les médailles qu'il avait gravées. On connait le sceau de l'académie française, où il a représenté le cardinal de Richelieu d'une manière si ressemblante. Ce grand maître a encore gravé les poinçons des monnaies de France sous Louis XIII. et sous la minorité de Louis XIV. Je ne parle pas de quantité de belles médailles dont on lui est redevable, j'ajouterai seulement qu'il travaillait à l'histoire métallique du roi quand il mourut.

Wischer, (Corneille) est le maître qui fait le plus d'honneur à la Hollande ; on ne peut guère graver avec plus de finesse, de force, d'esprit et de vérité. Son burin est en même temps le plus savant, le plus pur, et le plus gracieux ; ses desseins dénotent encore l'excellent artiste ; les estampes de son invention prouvent son goût et son génie. Louis et Jean Wischer se sont aussi distingués par les estampes qu'ils ont gravés d'après Berghem et Wouwermants, mais il est difficîle d'atteindre à la supériorité de Corneille.

Il y a d'illustres graveurs qui vivent encore, dont nous ne pouvons parler, mais dont les ouvrages feront passer les noms à la postérité. (D.J.)