(Littérature moderne) terme général ; c'est toute personne qui lit un livre, un écrit, un ouvrage,

Un auteur à genoux dans une humble préface,

Au lecteur qu'il ennuie, a beau demander grâce,

il ne doit pas l'espérer lorsque son livre est mauvais, parce que rien ne le forçait à le mettre au jour ; on peut être très estimable, et ignorer l'art de bien écrire. Mais il faut aussi convenir que la plupart des lecteurs sont des juges trop rigides, et souvent injustes. Tout homme qui sait lire se garde bien de se croire incompétent sur aucun des écrits qu'on publie ; savants et ignorants, tous s'arrogent le droit de décider ; et malgré la disproportion qui est entr'eux sur le mérite, tous sont assez uniformes dans le penchant naturel de condamner sans miséricorde. Plusieurs causes concourent à leur faire porter de faux jugements sur les ouvrages qu'ils lisent ; les principales sont les suivantes, discutées attentivement par un habîle homme du siècle de Louis XIV. qui n'a pas dédaigné d'épancher son cœur à ce sujet.



Nous lisons un ouvrage, et nous n'en jugeons que par le plus ou le moins de rapport qu'il peut avoir avec nos façons de penser. Nous offre-t-il des idées conformes aux nôtres, nous les aimons et nous les adoptons aussi-tôt ; c'est-là l'origine de notre complaisance pour tout ce que nous approuvons en général. Un ambitieux, par exemple, plein de ses projets et de ses espérances, n'a qu'à trouver dans un livre des idées qui retracent avec un éloge de pareilles images, il goute infiniment ce livre qui le flatte. Un amant possédé de ses inquiétudes et de ses désirs, Ve cherchant des peintures de ce qui se passe dans son cœur, et n'est pas moins charmé de tout ce qui lui représente sa passion, qu'une belle personne l'est du miroir qui lui représente sa beauté. Le moyen que de tels lecteurs fassent usage de leur esprit, puisqu'ils n'en sont pas les maîtres ? hé, comment puiseraient-ils dans leurs fonds des idées conformes à la raison et à la vérité quand une seule idée les remplit, et ne laisse point de place pour d'autres ?

De plus, il arrive souvent que la partialité offusque nos faibles lumières et nous aveugle. On a des liaisons étroites avec l'auteur dont on lit les écrits, on l'admire avant que de le lire ; l'amitié nous inspire pour l'ouvrage la même vivacité de sentiment que pour la personne. Au contraire notre aversion pour un autre, le peu d'intérêt que nous prenons à lui (& c'est malheureusement le plus ordinaire), fait d'avance du tort à son ouvrage dans notre âme, et nous ne cherchons, en le lisant, que les traits d'une critique amère. Nous ne devrions avec de semblables dispositions porter notre avis que sur des livres dont les auteurs nous sont inconnus.

Un défaut particulier à notre nation qui s'étend tous les jours davantage, et qui constitue présentement le caractère des lecteurs de notre pays, c'est de dépriser par air, par méchanceté, par la prétention à l'esprit les ouvrages nouveaux qui sont vraiment dignes d'éloges. Aujourd'hui (dit un Philosophe dans un ouvrage de ce genre qui durera longtemps) " aujourd'hui que chacun aspire à l'esprit, et s'en croit avoir beaucoup ; aujourd'hui qu'on met tout en usage pour être à peu de frais spirituel et brillant, ce n'est plus pour s'instruire, c'est pour critiquer et pour ridiculiser qu'on lit. Or il n'est point de livre qui puisse tenir contre cette amère disposition des lecteurs. La plupart d'entr'eux, occupés à la recherche des défauts d'un ouvrage, sont comme ces animaux immondes qu'on rencontre quelquefois dans les villes, et qui ne s'y promenent que pour en chercher les égouts. Ignorerait-on encore qu'il ne faut pas moins de lumières pour apercevoir les beautés que les défauts d'un ouvrage ? Il faut aller à la chasse des idées quand on lit, dit un anglais, et faire grand cas d'un livre dont on en rapporte un certain nombre. Le savant sait lire pour s'éclairer encore, et s'enquiert sans satyre et sans malignité ".

Joignez à ces trois causes de nos faux jugements en ouvrages le manque d'attention et la répugnance naturelle pour tout ce qui nous attache longtemps sur un même objet. Voilà pourquoi l'auteur de l'Esprit des lois, tout intéressant qu'est son ouvrage, en a si fort multiplié les chapitres ; la plupart des hommes, et les femmes sans-doute y sont comprises, regardent deux ou trois choses à la fais, ce qui leur ôte le pouvoir d'en bien démêler une seule ; ils parcourent rapidement les livres les plus profonds, et ils décident. Que de gens qui ont lu de cette manière l'ouvrage que nous venons de nommer, et qui n'en ont aperçu ni l'enchainement, ni les liaisons, ni le travail ?

Mais je suppose deux hommes également attentifs, qui ne soient ni passionnés, ni prévenus, ni portés à la satyre, ni paresseux, et cette supposition même est rare ; je dis que quand la chose se rencontre par bonheur, le différent degré de justesse qu'ils auront dans l'esprit formera la différente mesure du discernement ; car l'esprit juste juge sainement de tout, au lieu que l'imagination séduite ne juge sainement de rien ; l'imagination influe sur nos jugements à-peu-près comme une lunette agit sur nos yeux, suivant la taille du verre qui la compose. Ceux qui ont l'imagination forte craient voir de la petitesse dans tout ce qui n'excède point la grandeur naturelle, tandis que ceux dont l'imagination est faible voient de l'enflure dans les pensées les plus mesurées, et blâment tout ce qui passe leur portée : en un mot, nous n'estimons jamais que les idées analogues aux nôtres.

La jalousie est une autre des causes les plus communes des faux jugements des lecteurs. Cependant les gens du métier qui par eux-mêmes connaissent ce qu'il en coute de soins, de peines, de recherches et de veilles pour composer un ouvrage, devraient bien avoir appris à compâtir.

Mais que faut-il penser de la bassesse de ces hommes méprisables qui vous lisent avec des yeux de rivaux, et qui, incapables de produire eux-mêmes, ne cherchent que la maligne joie de nuire aux ouvrages supérieurs, et d'en décréditer les auteurs jusque dans le sein du sanctuaire ? " Ennemis des beaux génies, et affligés de l'estime qu'on leur accorde, ils savent que semblables à ces plantes viles qui ne germent et ne croissent que sur les ruines des palais, ils ne peuvent s'élever que sur les débris des grandes réputations ; aussi ne tendent-ils qu'à les détruire ".

Le reste des lecteurs, quoiqu'avec des dispositions moins honteuses, ne juge pas trop équitablement. Ceux qu'un fastueux amour des livres a teint, pour ainsi dire, d'une littérature superficielle, qualifient d'étrange, de singulier, de bizarre tout ce qu'ils n'entendent pas sans effort, c'est-à-dire, tout ce qui excède le petit cercle de leurs connaissances et de leur génie.

Enfin d'autres lecteurs revenus d'une erreur établie parmi nous quand nous étions plongés dans la barbarie ; savoir, que la plus légère teinture des sciences dérogeait à la noblesse, affectent de se familiariser avec les muses, osent l'avouer, et n'ont après tout dans leurs décisions sur les ouvrages qu'un goût emprunté, ne pensant réellement que d'après autrui. On ne voit que des gens de cet ordre parmi nos agréables et ces femmes qui lisent tout ce qui parait. Ils ont leurs héros de littérature, dont ils ne sont que l'écho ; ils ne jugent qu'en seconds, entêtés de leurs choix, et séduits par une sorte de présomption d'autant plus dangereuse qu'elle se cache sous une espèce de docilité et de déférence. Ils ignorent que pour choisir de bons guides en ce genre, il ne faut guère moins de lumières que pour se conduire par soi-même ; c'est ainsi qu'on tâche de concilier son orgueil avec les intérêts de l'ignorance et de la paresse. Nous voulons presque tous avoir la gloire de prononcer, et nous fuyons presque tous l'attention, l'examen, le travail et les moyens d'acquérir des connaissances.

Que les auteurs soient donc moins curieux de suffrages de la plus grande, que de la plus saine partie du public !

Neque te ut miretur turba ; labores ;

Contentus paucis lectoribus. (D.J.)

LECTEUR, s. m. (Littérature) lector, quelquefois à studiis, et en grec , c'était chez ces deux peuples un domestique dans les grandes maisons destiné à lire pendant les repas. Il y avait même un domestique lecteur dans les maisons bourgeoises, où l'on se piquait de goût et d'amour pour les lettres. Servius, dans ses Commentaires sur Virgile, liv. XII. Ve 159, parle d'une lectrice, lectrix.

Quelquefois le maître de la maison prenait l'emploi de lecteur ; l'empereur Sévère, par exemple, lisait souvent lui-même au repas de sa famille. Les Grecs établirent des anagnostes qu'ils consacrèrent à leurs théâtres, pour y lire publiquement les ouvrages des poètes. Les anagnostes des Grecs et les lecteurs des Romains avaient des maîtres exprès qui leur apprenaient à bien lire, et on les appelait en latin praelectores.

Le temps de la lecture était principalement à souper dans les heures des vacations, au milieu même de la nuit, si l'on était réveillé et disposé à ne pas dormir davantage : c'était du moins la pratique de Caton, dont il ne faut pas s'étonner, car il était affamé de cette nourriture. Je l'ai rencontré, dit Cicéron, dans la bibliothèque de Lucullus, assis au milieu d'un tas de livres de Stoïciens, qu'il dévorait des yeux : Erat in eo inexhausta aviditas legendi, nec satiare poterat, quippe nec reprehensionem vulgi inanem reformidants, in ipsâ curiâ soleret saepiùs légère, dùm senatus cogeretur, ità ut helu librorum videbatur.

Atticus ne mangeait jamais chez lui en famille, ou avec des étrangers, que son lecteur n'eut quelque chose de beau, d'agréable et d'intéressant à lire à la compagnie ; desorte, dit Cornelius Népos, qu'on trouvait toujours à sa table le plaisir de l'esprit réuni à celui de la bonne chère. Les historiens, les orateurs, et surtout les poètes étaient les livres de choix pendant le repas, chez les Romains comme chez les Grecs.

Juvenal promet à l'ami qu'il invite à venir manger le soir chez lui, qu'il entendra lire les vers d'Homère et de Virgile durant le repas, comme on promet aujourd'hui aux convives une reprise de brelan après le souper. Si mon lecteur, dit-il n'est pas des plus habiles dans sa profession, les vers qu'il nous lira sont si beaux, qu'ils ne laisseront pas de nous faire plaisir.

Nostra dabunt alios hodie convivia ludos,

Conditor iliados cantabitur atque Maronis

Altisoni, dubiam facientia carmina palmam :

Quid refert tales versus quâ voce legantur ?

Satyr. II.

Je finis, parce que cette matière de lecteurs, d'anagnostes et de lecture a été épuisée par nos savants ; ceux qui seront curieux de s'instruire à fond de tous les détails qui s'y rapportent peuvent lire Fabricii Biblioth. antiq. cap. xix. Graevii Thes. antiq. rom. Pignorius de Servis. Meursii Glossarium. Alexandri ab Alexandro Genial. dier. l. II. c. xxx. Puteanus de Stylo, t. XII. p. 258. Gelli l. XVIII. c. Ve Bilbergii Dissert. acad. de anagnostis, Upsal. 1689, in -8°. et finalement Th. Raynaud de Anagnostis ad mensam religiosam, in operib. edit. Lugd. 1665, in-fol. (D.J.)

LECTEURS dans l'Eglise romaine, (Théologie) clercs revêtus d'un des quatre ordres mineurs. Voyez ORDRES MINEURS.

Les lecteurs étaient anciennement et en commençant les plus jeunes des enfants qui entraient dans le clergé. Ils servaient de secrétaires aux évêques et aux prêtres, et s'instruisaient en écrivant ou en lisant sous eux. On formait ainsi ceux qui étaient plus propres à l'étude, et qui pouvaient devenir prêtres. Il y en avait toutefois qui demeuraient lecteurs toute leur vie. La fonction des lecteurs a toujours été nécessaire dans l'Eglise, puisque l'on a toujours lu les écritures de l'ancien et du nouveau Testament, soit à la Messe, soit aux autres offices, principalement de la nuit. On lisait aussi des lettres des autres évêques, des actes des martyrs, ensuite des homélies des pères, comme on le pratique encore. Les lecteurs étaient chargés de la garde des livres sacrés, ce qui les exposait fort pendant les persécutions. La formule de leur ordination marque qu'ils doivent lire pour celui qui prêche, et chanter les leçons, benir le pain et les fruits nouveaux. L'évêque les exhorte à lire fidélement et à pratiquer ce qu'ils lisent, et les met au rang de ceux qui administrent la parole de Dieu. La fonction de chanter les leçons, qui était autrefois affectée aux lecteurs, se fait aujourd'hui indifféremment par toutes sortes de clercs, même par des prêtres. Fleury, Instit. au droit ecclés. tome I. part. I. chap. VIe p. 61. et suiv.

Il parait, par le concîle de Chalcédoine, qu'il y avait dans quelques églises un archi-lecteur, comme il y a eu un archi-acolyte, un archi-diacre, un archiprêtre, etc. Le septième concîle général permet aux abbés, qui sont prêtres et qui ont été bénis par l'évêque d'imposer les mains à quelques-uns de leurs religieux pour les faire lecteurs.

Selon l'auteur du supplément de Morery, la charge de lecteur n'a été établie que dans le troisième siècle. M. Cotelier dit que Tertullien est le premier qui fasse mention des lecteurs. M. Basnage croit qu'avant que cet emploi eut lieu, l'Eglise chrétienne suivait dans la lecture des divines Ecritures la méthode de la Synagogue, où le jour du sabbat un sacrificateur, un lévite, et cinq d'entre le peuple, choisis par le président de l'assemblée, faisaient cette lecture ; mais Bingham, dans ses antiquités de l'Eglise, t. II. p. 28. et suiv. remarque qu'il ne parait pas qu'il y ait eu aucune église, excepté celle d'Alexandrie, où l'on ait permis aux laics de lire l'Ecriture-sainte en public : cette permission était accordée même aux catéchumenes dans cette église. Son sentiment est que tantôt les diacres, tantôt les prêtres, et quelquefois les évêques s'acquittaient de cette fonction.

Dans l'église grecque, les lecteurs étaient ordonnés par l'imposition des mains ; mais, suivant Habert cette cérémonie n'avait pas lieu dans l'Eglise romaine. Le quatrième concîle de Carthage ordonne que l'évêque mettra la Bible entre les mains du lecteur en présence du peuple, en lui disant : Recevez ce livre, et soyez lecteur de la parole de Dieu : si vous remplissez fidélement votre emploi, vous aurez part avec ceux qui administrent la parole de Dieu.

C'est à l'ambon et sur le pupitre que la lecture se faisait ; de-là ces expressions de saint Cyprien, super pulpitum imponi, ad pulpitum venire. Des personnes de considération se faisaient honneur de remplir cette fonction. Témoin Julien, depuis empereur, et son frère Gallus, qui furent ordonnés lecteurs dans l'église de Nicomédie. Par la novelle 123 de Justinien, il fut défendu de choisir pour lecteurs des personnes au-dessous de dix-huit ans. Mais avant ce règlement, on avait Ve cet emploi rempli par des enfants de 7 à 8 ans : ce qui venait de ce que les parents ayant consacré de bonne heure leurs enfants à l'église ; on voulait par là les mettre en état de se rendre capable s des fonctions les plus difficiles du sacré ministère. Voyez le Diction. de Moréri.