S. m. (Littérature et Mythologie) affirmation qu'on fait d'une chose, en marquant cette affirmation d'un sceau de religion.
Les jurements ont pris chez tous les peuples autant de formes différentes que la divinité ; et comme le monde s'est trouvé rempli de dieux, il a été inondé de jurements au nom de cette multitude de divinités.
Les Grecs et les Romains juraient tantôt par un dieu, tantôt par deux, et quelquefois par tous ensemble. Ils ne réservaient pas aux dieux seuls le privilège d'être les témoins de la vérité ; ils associaient au même honneur les demi-dieux, et juraient par Castor, Pollux, Hercule, etc. avec cette différence chez les Romains, que les hommes seuls juraient par Hercule ; les hommes et les femmes par Pollux, et les femmes seules par Castor : mais ces règles même, quoiqu'en dise Aulugelle, n'étaient pas inviolablement observées. Il est mieux fondé quand il observe que le jurement par Castor et Pollux, fut introduit dans l'initiation aux mystères éleusyniens, et que c'est de-là qu'il passa dans l'usage ordinaire.
Les femmes juraient aussi généralement par leurs Junons, et les hommes par leurs Génies ; mais il y avait certaines divinités, au nom desquelles on jurait plus spécialement en certains lieux, qu'en d'autres. Ainsi à Athènes, on jurait le plus souvent par Minerve, qui était la déesse tutélaire de cette ville ; à Lacédemone, par Castor et Pollux : en Sicile, par Proserpine ; parce que ce fut en ce lieu, que Pluton l'enleva ; et dans cette même ile, le long du fleuve Simettre, on jurait par les dieux Palices. Voyez PALICES.
Les particuliers avaient eux-mêmes certains serments, dont ils usaient davantage selon la différence de leur état, de leurs engagements, et de leurs gouts. Les vestales juraient volontiers par la déesse Vesta, les femmes mariées par Junon, les laboureurs par Cérès, les vendangeurs par Bacchus, les chasseurs par Diane, etc.
Non-seulement l'on jurait par les dieux et les demi-dieux, mais encore par tout ce qui relevait de leur empire, par leurs temples, par les marques de leur dignité, par les armes qui leur étaient particulières. Juvenal, qui comme Séneque, ne sait pas toujours s'arrêter où il le faut, nous présente une longue liste des armes des dieux, par lesquels les jureurs de profession tâchaient de donner du poids à leurs paroles. Un homme de ce caractère, dit-il, brave dans ses jurements les rayons du soleil, les foudres de Jupiter, l'épée de Mars, les traits d'Apollon, les flèches de Diane, le trident de Neptune, l'arc d'Hercule, la lance de Minerve, et finalement, ajoute ce poète dans son style emphatique, tout ce qu'il y a d'armes dans les arsenaux du ciel.
Quicquid habent telorum armamentaria coeli.
Les Poètes et les Orateurs imaginèrent de certifier leurs affirmations, en jurant par les personnes qui leur étaient chères, soit qu'elles fussent mortes ou vivantes : j'en jure par mon père et ma mère, dit Properce.
Ossa tibi juro per matris, et ossa parentis.
Quintilien s'écrie au sujet de sa femme, et d'un fils qu'il avait perdu fort jeune : j'en jure par leurs manes, les tristes divinités de ma douleur, per illos manes, numina doloris mei : j'en atteste les dieux, et vous, ma sœur, dit tendrement Didon dans l'Eneïde, testor, cara, deos, et te germana.
Quelquefois les anciens juraient par une des principales parties du corps, comme par la tête ou par la main droite : j'en jure par ma tête, dit le jeune Ascagne, par laquelle mon père avait coutume de jurer.
Per caput hoc juro, per quod pater ante solebat.
Dans la célèbre ambassade que les Troïens envaient au roi Latinus, Ilionée qui porte la parole, emploie ce noble et grand serment : j'en jure par les destins d'Enée, et par sa droite aussi fidèle dans les traités, que redoutable dans les combats.
Fata per Aeneae juro, dextramque potentem
Sive fide, seu quis bello est expertus, et armis.
Aeneid. VII. Ve 234.
On ne doit pas être surpris que les amants préférassent à tout autre usage celui de jurer par les charmes, par les beaux yeux de leurs maîtresses : c'étaient-là des serments dictés naturellement par l'amour, attestor oculos, sydera nostra, tuos : je me souviens, dit Ovide, que cette ingrate me jurait fidélité par ses yeux, par les miens ; et les miens eurent un pressentiment de la perfidie qu'elle me préparait.
Perque suos nuper jurasse recordor,
Perque meos oculos, et doluere mei.
Amor. lib. III. Eleg. 3.
Mais on est indigné de voir les Romains jurer par le génie, par le salut, par la fortune, par la majesté, par l'éternité de l'empereur.
Il semble que les dieux n'auraient jamais dû employer de jurements ; cependant la fable a voulu leur donner une garantie étrangère, pour justifier aux hommes la sainteté de la parole. Ainsi la Mythologie déclare, que les divinités de l'Olympe juraient elles-mêmes par le Styx, ce fleuve que nous concevons sous l'idée d'un dieu, et que les Grecs concevaient sous l'idée d'une déesse. Hésiode conte fort au long, tout ce qui regarde cette divinité redoutable.
Dii cujus jurare timent, et fallere numen.
Elle était, dit-il, fille de l'Océan, et épousa le dieu Pallas. De ce mariage naquirent un fils et trois filles, le Zele, la Victoire, la Force, et la Puissance. Tous quatre prirent les intérêts de Jupiter dans la guerre qu'il eut à soutenir contre les Titants : le maître du monde pour marquer sa reconnaissance, ordonna qu'à l'avenir tous les dieux jureraient par le Styx, et en même temps il établit des peines sévères contre quiconque d'entre les dieux oserait se parjurer. Il devait subir une pénitence de neuf années célestes, garder le lit la première année, c'est-à-dire demeurer tout ce temps-là sans voix et sans respiration, être ensuite chassé du ciel, exclus du conseil et des repas des dieux, mener cette triste vie pendant huit ans, et ne pouvoir reprendre sa place qu'à la dixième année.
C'est par ces fictions qu'on tâchait de rappeler l'homme à lui-même, et le contenir dans le devoir. Les sages disaient simplement que la déesse Fidélité était respectable à Jupiter même. Voyez STYX, FIDELITE, FIDIUS, RMENTMENT. (D.J.)
JUREMENT, (Théologie) Dieu défend le faux serment, et les serments inutiles ; mais il veut que quand la nécessité et l'importance de la matière demandent que l'on jure, on le fasse en son nom, et non pas au nom des dieux étrangers, ou au nom des choses inanimées et terrestres, ou même par le ciel et par les astres, ou par la vie de quelque homme que ce sait. Notre Sauveur qui était venu, non pour détruire la Loi, mais pour la perfectionner, défend aussi les jurements ; et les premiers chrétiens observaient cela à la lettre, comme on le voit dans Tertullien, dans Eusebe, dans saint Chrisostome, dans saint Basile, dans saint Jérome, etc. Mais ni J. C. ni les Apôtres, ni les Peres, universellement n'ont pas condamné le jurement, ni même les serments pour toutes occasions et pour toutes sortes de sujets. Il est des circonstances où l'on ne peut moralement s'en dispenser ; mais il ne faut jamais jurer sans une très grande nécessité ou utilité. Nous devons vivre avec tant de bonne-foi et de droiture, que notre parole vaille un serment, et ne jurer jamais que selon la justice et la vérité. Voyez saint Augustin, ép. 157. n. 40. et les Commentateurs sur saint Matthieu, Ve 33. 34. Calmet, Dictionnaire de la Bible.
JUREMENT, (Jurisprudence) se prend quelquefois pour serment ou affirmation que l'on fait d'une chose en justice. Voyez AFFIRMATION et SERMENT.
Mais le terme de jurement, se prend plus souvent pour certains termes d'emportement et d'exécration que l'on prononce dans la colere et dans les passions. Saint Louis fit des règlements sévères contre les jurements et les blasphèmes ; les ordonnances postérieures ont aussi établi des peines contre ceux qui profèrent des jurements en vain. L'article 86. de l'ordonnance de Moulins défend tous blasphêmes et jurements du nom de Dieu, sous peine d'amende et même de punition corporelle, s'il y échet. Voyez BLASPHEME. (A)
JUREMENT
- Détails
- Écrit par : Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (A)
- Catégorie : Littérature & Mythologie
- Clics : 2029