S. m. (Musique) est en général une sorte de modification de la voix, par laquelle on forme des sons variés et appréciables. Il est très-difficîle de déterminer en quoi le son qui forme la parole, diffère du son qui forme le chant. Cette différence est certaine ; mais on ne voit pas bien précisément en quoi elle consiste. Il ne manque peut-être que la permanence aux sons qui forment la parole, pour former un véritable chant : il parait aussi que les diverses inflexions qu'on donne à sa voix en parlant, forment des intervalles qui ne sont point harmoniques, qui ne font point partie de nos systèmes de Musique, et qui par conséquent ne peuvent être exprimés en notes.



Chant, appliqué plus particulièrement à la Musique, se dit de toute musique vocale ; et dans celle qui est mêlée d'instruments, on appelle partie de chant toutes celles qui sont destinées pour les voix. Chant se dit aussi de la manière de conduire la mélodie dans toutes sortes d'airs et de pièces de musique. Les chants agréables frappent d'abord, ils se gravent facilement dans la mémoire ; mais peu de compositeurs y réussissent. Il y a parmi chaque nation des tours de chant usés, dans lesquels la plupart des compositeurs retombent toujours. Inventer des chants nouveaux, n'appartient qu'à l'homme de génie ; trouver de beaux chants, appartient à l'homme de gout. (S)

Le chant est l'une des deux premières expressions du sentiment, données par la nature. Voyez GESTE.

C'est par les différents sons de la voix que les hommes ont dû exprimer d'abord leurs différentes sensations. La nature leur donna les sons de la voix, pour peindre à l'extérieur les sentiments de douleur, de joie, de plaisir dont ils étaient intérieurement affectés, ainsi que les désirs et les besoins dont ils étaient pressés. La formation des mots succéda à ce premier langage. L'un fut l'ouvrage de l'instinct, l'autre fut une suite des opérations de l'esprit. Tels on voit les enfants exprimer par des sons vifs ou tendres, gais ou tristes, les différentes situations de leur âme. Cette espèce de langage, qui est de tous les pays, est aussi entendu de tous les hommes, parce qu'il est celui de la nature. Lorsque les enfants viennent à exprimer leurs sensations par des mots, ils ne sont entendus que des gens d'une même langue ; parce que les mots sont de convention, et que chaque société ou peuple a fait sur ce point des conventions particulières.

Ce chant naturel dont on vient de parler, s'unit dans tous les pays avec les mots : mais il perd alors une partie de sa force ; le mot peignant seul l'affection qu'on veut exprimer, l'inflexion devient par-là moins nécessaire ; et il semble que sur ce point, comme en beaucoup d'autres, la nature se repose, lorsque l'art agit. On appelle ce chant, accent. Il est plus ou moins marqué, selon les climats. Il est presqu'insensible dans les tempérés ; et on pourrait aisément noter comme une chanson, celui des différents pays méridionaux. Il prend toujours la teinte, si on peut parler ainsi, du tempérament des diverses nations. Voyez ACCENT.

Lorsque les mots furent trouvés, les hommes qui avaient déjà le chant, s'en servirent pour exprimer d'une façon plus marquée le plaisir et la joie. Ces sentiments qui remuent et agitent l'âme d'une manière vive, dû.ent nécessairement se peindre dans le chant avec plus de vivacité que les sensations ordinaires ; de-là cette différence que l'on trouve entre le chant du langage commun, et le chant musical.

Les règles suivirent longtemps après, et on réduisit en art ce qui avait été d'abord donné par la nature ; car rien n'est plus naturel à l'homme que le chant, même musical : c'est un soulagement qu'une espèce d'instinct lui suggère pour adoucir les peines, les ennuis, les travaux de la vie. Le voyageur dans une longue route, le laboureur au milieu des champs, le matelot sur la mer, le berger en gardant ses troupeaux, l'artisan dans son atelier, chantent tous comme machinalement ; et l'ennui, la fatigue, sont suspendus ou disparaissent.

Le chant consacré par la nature pour nous distraire de nos peines ou pour adoucir le sentiment de nos fatigues, et trouvé pour exprimer la joie, servit bien-tôt après pour célébrer les actions de grâces que les hommes rendirent à la Divinité ; et une fois établi pour cet usage, il passa rapidement dans les fêtes publiques, dans les triomphes et dans les festins, etc. La reconnaissance l'avait employé pour rendre hommage à l'Etre suprême ; la flatterie le fit servir à la louange des chefs des nations, et l'amour à l'expression de la tendresse. Voilà les différentes sources de la Musique et de la Poésie. Les noms de Poète et de Musicien furent longtemps communs à tous ceux qui chantèrent et à tous ceux qui firent des vers.

On trouve l'usage du chant dans l'antiquité la plus reculée. Enos commença le premier à chanter les louanges de Dieu, Genèse 4. et Laban se plaint à Jacob son gendre, de ce qu'il lui avait comme enlevé ses filles, sans lui laisser la consolation de les accompagner au son des chansons et des instruments. Gen. 31.

Il est naturel de croire que le chant des oiseaux, les sons différents de la voix des animaux, les bruits divers excités dans l'air par les vents, l'agitation des feuilles des arbres, le murmure des eaux, servirent de modèle pour régler les différents tons de la voix. Les sons étaient dans l'homme : il entendit chanter ; il fut frappé par des bruits ; toutes ses sensations et son instinct le portèrent à l'imitation. Les concerts de voix furent donc les premiers. Ceux des instruments ne vinrent qu'ensuite, et ils furent une seconde imitation : car dans tous les instruments connus, c'est la voix qu'on a voulu imiter. Nous en devons l'invention à Jubal fils de Lamech : Ipse fuit pater canentium citharâ et organo. Genèse 4. Dès que le premier pas est fait dans les découvertes utiles ou agréables, la route s'élargit et devient aisée. Un instrument trouvé une fais, a dû fournir l'idée de mille autres. Voyez-en les différents noms à chacun de leurs articles.

Parmi les Juifs, le cantique chanté par Moyse et les enfants d'Israèl, après le passage de la mer Rouge, est la plus ancienne composition en chant qu'on connaisse.

Dans l'Egypte et dans la Grèce, les premiers chants connus furent des vers en l'honneur des dieux, chantés par les poètes eux-mêmes. Bien-tôt adoptés par les prêtres, ils passèrent jusqu'aux peuples, et de-là prirent naissance les concerts et les chœurs de Musique. Voyez CHOEUR et CONCERT.

Les Grecs n'eurent point de poésie qui ne fût chantée ; la lyrique se chantait avec un accompagnement d'instruments, ce qui la fit nommer mélique. Le chant de la poésie épique et dramatique était moins chargé d'inflexions, mais il n'en était pas moins un vrai chant ; et lorsqu'on examine avec attention tout ce qu'ont écrit les anciens sur leurs poésies, on ne peut pas révoquer en doute cette vérité. Voyez OPERA. C'est donc au propre qu'il faut prendre ce qu'Homère, Hésiode, etc. ont dit au commencement de leurs poèmes. L'un invite sa muse à chanter la fureur d'Achille ; l'autre Ve chanter les Muses elles-mêmes, parce que leurs ouvrages n'étaient faits que pour être chantés. Cette expression n'est devenue figure que chez les Latins, et depuis parmi nous.

En effet, les Latins ne chantèrent point leurs poésies ; à la réserve de quelques odes et de leurs tragédies, tout le reste fut récité. César disait à un poète de son temps qui lui faisait la lecture de quelqu'un de ses ouvrages. Vous chantez mal si vous prétendez chanter ; et si vous prétendez lire, vous lisez mal : vous chantez.

Les inflexions de la voix des animaux sont un vrai chant formé de tons divers, d'intervalles, etc. et il est plus ou moins mélodieux, selon le plus ou le moins d'agrément que la nature a donné à leur organe. Au rapport de Juan Christoval Calvete (qui a fait une relation du voyage de Philippe II. roi d'Espagne, de Madrid à Bruxelles, qu'on Ve traduire ici mot à mot), dans une procession solennelle qui se fit dans cette capitale des Pays-Bas en l'année 1549, pendant l'octave de l'Ascension, sur les pas de l'archange S. Michel, couvert d'armes brillantes, portant d'une main une épée, et une balance de l'autre, marchait un chariot sur lequel on voyait un ours qui touchait un orgue : il n'était point composé de tuyaux comme tous les autres, mais de plusieurs chats enfermés séparément dans des caisses étroites, dans lesquelles ils ne pouvaient se remuer : leurs queues sortaient en-haut, elles étaient liées par des cordons attachés au registre ; ainsi à mesure que l'ours pressait les touches, il faisait lever ces cordons, tirait les queues des chats, et leur faisait miauler des tailles, des dessus et des basses, selon les airs qu'il voulait exécuter. L'arrangement était fait de manière qu'il n'y eut point un faux ton dans l'exécution : y hazien consus aullidos altos y baxos una musica ben entonada, che era cosa nueva y mucho de ver. Des singes, des ours, des loups, des cerfs, etc. dansaient sur un théâtre porté dans un char au son de cet orgue bizarre : una gratiosa dansa de monos, ossos, lobos, ciervos, y otros animales salvajes dançando delante y detras de una granjaula che en un carro tirava un quartago. Voyez DANSE.

On a entendu de nos jours un cœur très-harmonieux, qui peint le croassement des grenouilles, et une imitation des différents cris des oiseaux à l'aspect de l'oiseau de proie, qui forme dans Platée un morceau de musique du plus grand genre. Voyez BALLET et OPERA.

Le chant naturel variant dans chaque nation selon les divers caractères des peuples et la température différente des climats, il était indispensable que le chant musical, dont on a fait un art longtemps après que les langues ont été trouvées, suivit ces mêmes différences ; d'autant mieux que les mots qui forment ces mêmes langues n'étant que l'expression des sensations, ont dû nécessairement être plus ou moins forts, doux, lourds, legers, etc. selon que les peuples qui les ont formés ont été diversement affectés, et que leurs organes ont été plus ou moins déliés, roides ou flexibles. En partant de ce point, qui parait incontestable, il est aisé de concilier les différences qu'on trouve dans la musique vocale des diverses nations. Ainsi disputer sur cet article, et prétendre, par exemple, que le chant italien n'est point dans la nature, parce que plusieurs traits de ce chant paraissent étrangers à l'oreille, c'est comme si l'on disait que la langue italienne n'est point dans la nature, ou qu'un italien a tort de parler sa langue. Voyez CHANTRE, EXECUTION, OPERA.

Les instruments d'ailleurs n'ayant été inventés que pour imiter les sons de la voix, il s'ensuit aussi que la musique instrumentale des différentes nations doit avoir nécessairement quelque air du pays où elle est composée : mais il en est de cette espèce de productions de l'art, comme de toutes les autres de la nature. Une femme vraiment belle, de quelque nation qu'elle sait, le doit paraitre dans tous les pays où elle se trouve ; parce que les belles proportions ne sont point arbitraires. Un concerto bien harmonieux d'un excellent maître d'Italie, un air de violon, une ouverture bien dessinée, un grand chœur de M. Rameau, le Venite exultemus de M. Mondonville, doivent de même affecter tous ceux qui les entendent. Le plus ou le moins d'impression que produisent et la belle femme de tous les pays, et la bonne musique de toutes les nations, ne vient jamais que de la conformation heureuse ou malheureuse des organes de ceux qui voient et de ceux qui entendent. (B)

CHANT AMBROSIEN, CHANT GREGORIEN ; voyez PLEIN-CHANT. (S)

* CHANT, (Littérature) c'est une des parties dans lesquelles les Italiens et les François divisent le poème épique. Le mot chant pris en ce sens, est synonyme à livre. On dit le premier livre de l'Iliade, de l'Enéide, du Paradis perdu, etc. et le premier chant de la Jérusalem délivrée, et de la Henriade. Le poète épique tend à la fin de son ouvrage, en faisant passer son lecteur ou son héros par un enchainement d'aventures extraordinaires, pathétiques, terribles, touchantes, merveilleuses. Il établit dans le cours du récit général de ces aventures, comme des points de repos pour son lecteur et pour lui. La partie de son poème comprise entre un de ces points et un autre qui le suit, s'appelle un chant. Il y a dans un poème épique des chants plus ou moins longs, plus ou moins intéressants, selon la nature des aventures qui y sont récitées. Il y a plus : il en est d'un chant comme d'un poème entier ; il peut intéresser davantage une nation qu'une autre, dans un temps que dans un autre, une personne qu'une autre. Il y aurait une grande faute dans la machine, ou construction, ou conduite du poème, si l'on pouvait prendre la fin d'un chant, quel qu'il fût, excepté le dernier, pour la fin du poème ; et il y aurait eu un grand art de la part du poète, et il en fût résulté une grande perfection dans son poème, s'il avait su le couper de manière que la fin d'un chant laissât une sorte d'impatience de connaître la suite des choses, et d'en commencer un autre. Le Tasse me parait avoir singulièrement excellé dans cette partie. On peut interrompre la lecture d'Homère, de Virgile, et des autres poètes épiques, à la fin d'un livre ; le Tasse vous entraîne malgré que vous en ayiez, et l'on ne peut plus quitter son ouvrage quand on en a commencé la lecture. Il n'en faut pas inférer de-là que j'accorde au Tasse la prééminence sur les autres poètes épiques ; je dis seulement que par rapport à nous il l'emporte du côté de la machine sur Homère et Virgile, qui, au jugement des Grecs et des Romains, l'auraient peut-être emporté sur lui, si la colere d'Achille, l'établissement des restes de Troie en Italie, et la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon, avaient pu être des événements chantés en même temps, et occasionner des poèmes jugés par les mêmes juges. Il me semble que les Italiens ont plus de droit que nous d'appeler les parties de leurs poèmes épiques, des chants, ces poèmes étant divisés chez eux par stances qui se chantent. Les Gondoliers de Venise chantent ou plutôt psalmodient par cœur toute la Jérusalem délivrée, et l'on ne chante point parmi nous la Henriade ou le Lutrin, ni chez les Anglais le Paradis perdu. Il suit de ce qui précède, que les différents chants d'un poème épique devraient être entr'eux, comme les actes d'un poème dramatique ; et que, de même que l'intérêt doit croitre dans le dramatique de scène en scène, d'acte en acte jusqu'à la catastrophe, il devrait aussi croitre dans l'épique d'évenements en événements, de chants en chants, jusqu'à la conclusion. Voyez DRAME, SCENE, ACTE, MACHINE, COUPE, POEME EPIQUE, etc.

* CHANT, (Belles Lettres) se dit encore dans notre ancienne poésie, de plusieurs sortes de pièces de vers, les unes assujetties à certaines règles, les autres n'en ayant proprement aucune particulière. Il y a le chant royal, le chant de Mai, le chant nuptial, le chant de joie, le chant pastoral, le chant de folie. Voyez, dans Clément Marot, des exemples de tous ces chants.

Le chant royal suit les mêmes règles que la ballade, la même mesure de vers, le même mélange de rime, et le même nombre de stances, si toutefois il est déterminé dans la ballade ; il a aussi son vers de refrein et son envoi. Il ne diffère, dit-on, de la ballade que par le sujet. Le sujet de la ballade est toujours badin ; celui du chant royal est toujours sérieux. Cependant il y a dans Marot même un chant royal dont le refrein est, de bander l'arc ne guérit point la plaie, qui fut donné par François I. et dont le sujet est de pure galanterie. Voyez BALLADE. Le chant de Mai est aussi une ballade, mais dont le sujet est donné ; c'est le retour des charmes de la nature, des beaux jours et des plaisirs, avec le retour du mois de Mai. Selon que le poète traite ce sujet d'une manière grave ou badine, le chant de Mai est grave ou badin. Il y en a deux dans Marot, et tous les deux dans le genre grave. Le refrein n'est pas exactement le même à toutes les stances du premier ; il est dans une stance en précepte, et dans l'autre en défense : louez le nom du Créateur ; n'en louez nulle créature. Cette licence a lieu dans la ballade, sous quelque titre qu'elle sait. Le chant nuptial n'est qu'une épithalame en stances, où quelquefois les stances sont en ballade, dont le refrein est ou varié par quelque opposition agréable, ou le même à chaque stance. Le chant de joie est une ballade ordinaire sur quelque grand sujet d'allégresse, soit publique, soit particulière. Le chant pastoral, une ballade dont les images et l'allégorie sont champêtres. Le chant de folie n'est qu'une petite pièce satyrique en vers de dix syllabes, où l'on chante ironiquement le travers de quelqu'un.

CHANT, (Médecine, Physiologie) voyez VOIX et RESPIRATION ; (Pathologie et Hygiene) voyez EXERCICE.