S. m. (Peinture et Chimie) c'est une espèce de laque très-fine et fort belle, de couleur rouge fort éclatante et précieuse, dont on ne fait guère d'usage que dans la mignature et peinture en détrempe. Comme elle n'a pas beaucoup de corps, non plus que toutes les laques, on ne peut la glacer sur le blanc.

Pour faire le carmin, prenez cinq gros de cochenille, trente-six grains de graine de chouan, dix-huit grains d'écorce de raucour, et dix-huit grains d'alun de roche ; pulvérisez chacune de ces matières à part dans un mortier bien net ; faites bouillir deux pintes et demie d'eau de rivière ou de pluie bien claire dans un vaisseau bien net, et pendant qu'elle bout versez-y le chouan, et le laissez bouillir trois bouillons, en remuant toujours avec une spatule de bois, et passez promptement par un linge blanc : remettez cette eau passée dans un vaisseau bien lavé, et la faites bouillir : quand elle commencera à bouillir, mettez-y la cochenille, et la laissez bouillir trois bouillons ; puis vous y ajouterez le raucour, et lui laisserez faire un bouillon : enfin vous y verserez l'alun, et vous ôterez en même temps le vaisseau de dessus le feu ; vous passerez promptement la liqueur dans un plat de fayence ou de porcelaine bien net, et sans presser le linge : vous laisserez ensuite reposer la liqueur rouge pendant sept à huit jours, puis vous verserez doucement le clair qui surnage, et laisserez secher le fond ou les feces au soleil dans une étuve ; vous les ôterez ensuite avec une brosse ou plume, et ce sera du carmin en poudre très-fine et très-belle en couleur.



Remarquez que dans un temps froid on ne peut pas faire le carmin, attendu qu'il ne se précipite pas au fond de la liqueur, mais fait une espèce de gelée et se corrompt.

La cochenille qui reste dans le linge après avoir passé la liqueur, peut être remise au feu dans de nouvelle eau bouillante, pour en avoir un second carmin ; mais il ne sera ni si beau, ni en si grande quantité que le premier.

Enfin la cochenille qui reste dans le linge, et la liqueur rouge qui surnage au carmin, peut se mêler avec la teinture de bourre d'écarlate, pour en faire la laque fine. Voyez l'article LAQUE, et la suite de celui-ci.

Autre manière. Prenez trois chopines d'eau bien pure, c'est-à-dire, trois livres pesant ; mettez-les dans un pot de terre vernissé ; placez ce pot devant un feu de charbon ; ajoutez-y aussi-tôt un grain au plus de graine de chouan : quand ce mélange bouillira fortement, passez-le par un tamis serré, et remettez cette première eau dans le même pot sur le feu, y ajoutant aussi-tôt deux gros de cochenille mesteque, et remuant le tout une fois avec une spatule. Quand ce nouveau mélange bouillira bien fort, ajoutez-y un grain d'autour, et immédiatement ensuite huit grains de creme de tartre pilée, autant de talc blanc, et autant d'alun de Rome broyé ; laissez bouillir le tout pendant deux à trois minutes ; éloignez-le ensuite du feu, et le laissez refroidir sans y toucher, jusqu'à ce qu'il soit tiede, alors l'eau paraitra plus rouge que l'écarlate : passez-la tiede au-travers d'un linge net un peu fin, dans un plat de fayence ; laissez le marc au fond du pot pour le passer et presser à part dans un autre plat ; ce qui vous donnera le carmin commun : laissez reposer vos plats pendant trois jours ; décantez-en l'eau, le carmin restera au fond des plats : faites-le secher à l'ombre et à l'abri de toute poussière, et quand il sera sec, enlevez-le avec une petite brosse ; vous aurez dix-huit à dix-neuf grains de beau carmin, sans compter le commun.

Observez que le talc blanc doit être purifié de la manière suivante pour l'opération qu'on vient de dire. Prenez du talc, calcinez-le dans un bon feu, jetez-le ensuite dans de l'eau, remuez et délayez avec les mains ; quand l'eau paraitra blanche, enlevez-la avec une tasse, et la passez par un tamis dans un grand vaisseau, où vous la laisserez reposer pendant deux heures ; le talc se précipitera au fond du vaisseau, dont vous décanterez l'eau : faites secher ce sédiment, ce sera le talc dont vous employerez huit grains au carmin.

Quoique les méthodes précédentes puissent être bonnes, nous conseillons au lecteur de donner la préférence à celle qui suit ; elle est de Kunckel. Voici comment cet auteur enseigne à faire le carmin.

" Prenez, dit-il, quatre onces de cochenille, une livre d'alun, de laine bien fine et bien nette une demi-livre, de tartre pulvérisé une demi-livre, de son de froment huit bonnes poignées ; faites bouillir le son dans environ vingt-quatre pintes d'eau, ou plus ou moins à volonté ; laissez reposer cette eau pendant une nuit, pour qu'elle devienne bien claire ; et pour la rendre encore plus pure, filtrez-la : prenez un chauderon de cuivre assez grand pour que la laine y soit au large ; versez dessus la moitié de votre eau de son, et autant d'eau commune à proportion de la quantité de laine que vous aurez à y faire bouillir ; mettez-y l'alun, le tartre, et la laine ; ensuite vous ferez bouillir le tout pendant deux heures, en observant de remuer la laine de bas en haut ou de haut en bas, afin qu'elle se nettoie parfaitement ; mettez la laine ; après qu'elle aura bouilli le temps nécessaire, dans un filet, pour la laisser égoutter : prenez pour lors la moitié qui vous reste de votre eau de son, joignez-y vingt-quatre pintes d'eau commune, et faites-les bien bouillir ; dans le fort de la cuisson mettez-y la cochenille pulvérisée au plus fin, mêlée avec deux onces de tartre ; il faut remuer sans-cesse ce mélange pour l'empêcher de fuir : on y mettra la laine, on l'y sera bouillir pendant une heure et demie, en observant de la remuer comme il a déjà été dit ; lorsqu'elle aura pris couleur, on la remettra dans un filet pour égoutter ; elle aura pour lors une belle couleur écarlate.

Voici la manière de tirer la laque ou le carmin de cette laine ainsi colorée. Prenez environ trente-deux pintes d'eau claire, faites-y fondre assez de potasse pour en faire une lessive fort acre ; purifiez cette lessive en la filtrant ; faites-y bouillir votre laine jusqu'à ce qu'elle ait perdu toute sa couleur, et soit devenue toute blanche, et que la lessive se soit chargée de toute sa teinture ; pressez bien votre laine, et passez la lessive par la chausse ; faites fondre deux livres d'alun dans de l'eau, versez cette solution dans la lessive colorée ; remuez bien le tout ; par cette addition la lessive se caillera et s'épaissira ; repassez-la à la chausse, elle sortira toute claire et pure : si elle était encore chargée de couleur, il faudrait la mettre bouillir, et y ajouter encore de l'alun dissous ; elle achevera de se cailler, et le carmin ou la laque ne passera point, mais restera dans la chausse. On aura soin de verser à plusieurs reprises de l'eau fraiche par-dessus, pour achever d'en ôter l'alun ou les sels qui pourraient y être restés : on fait sécher ensuite la couleur, qu'on réserve pour l'usage, après l'avoir réduite en une poudre impalpable. Si dans l'opération on trouvait que l'eau se fût trop diminuée par la cuisson, il faudra bien se garder d'y verser de l'eau froide ; mais il faut dans ce cas n'y mettre que de l'eau bouillante. "

Si on voulait faire du carmin à moins de frais, et sans se donner la peine de commencer par teindre la laine, il n'y aurait qu'à faire bouillir dans la lessive susdite de la bourre tontisse de drap écarlate, et procéder en toutes choses de la manière qu'on vient de décrire. Kunckel dit avoir souvent fait ces deux opérations, et toujours avec succès. Voyez ses remarques sur l'art de la Verrerie d'Antoine Néri, liv. VII.

On contrefait le carmin avec du bois de Bresil ou de Fernambouc ; on les pîle pour cet effet dans un mortier ; on les met tremper dans du vinaigre blanc ; on fait bouillir ces matières, et l'écume qui en vient donne une espèce de carmin : mais il n'approche nullement de la beauté de celui que nous venons d'indiquer. On tire aussi une couleur rouge des grains de kermès et de la garance. Voyez l'art. ROUGE. (-)