PHRASE, (Grammaire et Poésie). J'appelle phrase imitative avec M. l'abbé du Bos (qui me fournira cet article de Grammaire philosophique) toute phrase qui imite en quelque manière le bruit inarticulé dont nous nous servons par instinct naturel, pour donner l'idée de la chose que la phrase exprime avec des mots articulés.

L'homme qui manque de mots pour exprimer quelque bruit extraordinaire, ou pour rendre à son gré le sentiment dont il est touché, a recours naturellement à l'expédient de contrefaire ce même bruit, et de marquer ses sentiments par des sons inarticulés. Nous sommes portés par un mouvement naturel à dépeindre par des sons inarticulés le fracas qu'une maison aura fait en tombant, le bruit confus d'une assemblée tumultueuse, et plusieurs autres choses. L'instinct nous porte à suppléer par ces sons inarticulés, à la stérilité de notre langue, ou bien à la lenteur de notre imagination.



Mais les Ecrivains latins, particulièrement leurs poètes qui n'ont pas été gênés comme les nôtres, et dont la langue est infiniment plus riche, sont remplis de phrases imitatives qui ont été admirées et citées avec éloge par les Ecrivains du bon temps. Elles ont été louées par les Romains du siècle d'Auguste qui étaient juges compétens de ces beautés.

Tel est le vers de Virgile qui dépeint Poliphème.

Monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum.

Ce vers prononcé en supprimant les syllabes qui font élision, et en faisant sonner l'u comme les Romains le faisaient sonner, devient si l'on peut s'exprimer ainsi, un vers monstrueux. Tel est encore le vers où Perse parle d'un homme qui nazille, et qu'on ne saurait aussi prononcer qu'en nazillant.

Rancidulum quidam balbâ de nare locutus.

Le changement arrivé dans la prononciation du latin, nous a voilé, suivant les apparences, une partie de ces beautés, mais il ne nous les a point toutes cachées.

Nos poètes qui ont voulu enrichir leurs vers de ces phrases imitatives, n'ont pas réussi au goût des Français, comme ces poètes latins réussissaient au goût des Romains. Nous rions du vers où du Bartas dit en décrivant un coursier, le champ plat, bat, abat. Nous ne traitons pas plus sérieusement les vers où Ronsard décrit en phrase imitative le vol de l'alouette.

Elle guindée du zéphire,

Sublime en l'air, vire et revire,

Et y décligne un joli cri,

Qui rit, guérit, et tire l'ire

Des esprits mieux que je n'écris.

Pasquier rapporte plusieurs autres phrases imitatives des poètes français, dans le chap. Xe liv. VIII. de ses recherches, où il veut prouver que notre langue n'est pas moins capable que la latine de beaux traits poétiques ; mais les exemples que Pasquier rapporte, réfutent seuls sa proposition.

En effet, parce qu'on aura introduit quelques phrases imitatives dans des vers, il ne s'ensuit pas que ces vers soient bons. Il faut que ces phrases imitatives y aient été introduites, sans préjudicier au sens et à la construction grammaticale. Or on citerait bien peu de morceaux de poésie française, qui soient de cette espèce, et qu'on puisse opposer en quelque façon à tant d'autres vers, que les latins de tous les temps ont loué dans les ouvrages des poètes qui avaient écrit en langue vulgaire. M. l'abbé du Bos ne connaissait même en ce genre que la description d'un assaut qui se trouve dans l'ode de Despreaux sur la prise de Namur ; le poète, dit-il, y dépeint en phrase imitative le soldat qui gravit contre une breche, et qui vient le fer et la flamme en main,

Sur les monceaux de piques,

Des corps morts, de rocs, de briques,

S'ouvrir un large chemin.

Je n'examinerai pas si l'exemple de l'Abbé du Bos est très-bon ; je dirai seulement qu'on en citerait peu de meilleurs dans notre langue. Les poètes anglais sont plus fertiles que les nôtres en phrases imitatives, comme Adisson l'a prouvé par plusieurs traits admirables tirés de Milton. J'en trouve aussi quelquefois dans le Virgile de Dryden, où il peint avec plaisir les objets par des phrases imitatives ; témoin la description suivante du travail des Cyclopes.

One stirs the fire and one the bellows blows,

The hissing steel in the smithy drownd ;

The grot with beating anvils groans around,

By turns their arms advance in equal time,

By turns their hand descend, and hammers chime.

They turn the glowing mass with crooked tongs

The fiery work proceeds with rustick songs.

(D.J.)