S. m. (Histoire sacrée, profane et naturelle) c'est un débordement ou une inondation très-considérable, qui couvre la terre en tout ou en partie. Voyez INONDATION et DEBORDEMENT.
L'Histoire sacrée et profane parle de plusieurs déluges. Celui qui arriva en Grèce du temps de Deucalion, appelé diluvium Deucalidoneum, est fort renommé. " Ce déluge inonda la Thessalie. Deucalion qui en échappa, bâtit un temple à Jupiter phryxius, c'est-à-dire à Jupiter, par le secours duquel il s'était sauvé du déluge. Ce monument durait au temps de Pisistrate, qui en le réparant et le consacrant à Jupiter Olympien, en fit un des beaux édifices de la Grèce. Il subsistait encore sous ce titre au temps d'Adrien, qui y fit beaucoup travailler. Deucalion établit aussi des fêtes en l'honneur de ceux qui avaient péri dans l'inondation ; elles se célébraient encore au temps de Sylla, au premier du mois Anthistérion, et se nommaient ". Voilà les monuments qui établissent la certitude de cet événement : du reste on en a fixé l'époque à l'an 1529 avant J. C. trois ans avant la sortie des Israélites de l'Egypte. C'est le sentiment du P. Petau. Rat. temp. part. I. liv. I. ch. VIIe
Le déluge d'Ogyges est arrivé, selon plusieurs savants, environ 300 ans avant celui de Deucalion, 1020 avant la première olympiade, et 1796 avant J. C. C'est en particulier le sentiment du même auteur Rat. temp. part. I. liv. I. ch. IVe part. II. liv. II. ch. Ve " Mais il faut convenir avec les Grecs eux-mêmes, que rien n'est plus incertain que l'époque de ce déluge. Elle était si peu fixée et si peu connue, qu'ils appelaient ogygien tout ce qui était obscur et incertain. Ce déluge dévasta l'Attique ; quelques auteurs y ajoutent la Béotie, contrée basse et marécageuse, qui fut près de deux cent ans à redevenir habitable, s'il en faut croire les traditions.
On rencontre souvent dans les anciens auteurs grecs ces deux déluges, désignés par les noms de cataclysmus prior, et cataclysmus posterior.
" Les historiens parlent encore des déluges de Promethée, de Xisuthrus, d'un autre très-fameux qui se fit dans l'île de Samothrace, et qui fut causé par le dégorgement subit du Pont-Euxin qui rompit le Bosphore ; déluge dont les époques sont peu connues, et qui pourraient n'être que le même, dont la mémoire s'est différemment altérée chez les différents peuples qui y ont été exposés ".
Dans nos siècles modernes nous avons eu les inondations des Pays-Bas, qui ensevelirent toute cette partie appelée aujourd'hui le golfe Dossart dans la Hollande, entre Groningue et Embden, et en 1421, toute cette étendue qui se trouve entre le Brabant et la Hollande. " Ainsi on peut juger que ces contrées ont été encore plus malheureuses que ne furent autrefois la Thessalie, l'Attique, et la Béotie dans leurs déluges, qui ne furent que passagers sur ces contrées, au lieu que dans ces tristes provinces de la Hollande le déluge dure encore ".
Mais le déluge le plus mémorable dont l'histoire ait parlé, et dont la mémoire restera tant que le monde subsistera, est celui qu'on nomme par excellence le déluge, ou le déluge universel, ou le déluge de Noé : ce fut une inondation générale que Dieu permit pour punir la corruption des hommes, en détruisant tout ce qui avait vie sur la face de la terre, excepté Noé, sa famille, les poissons, et tout ce qui fut renfermé dans l'arche avec Noé.
Cet événement mémorable dans l'histoire du monde, est une des plus grandes époques de la chronologie. Moyse nous en donne l'histoire dans la Genèse, ch. VIe et VIIe Les meilleurs chronologistes le fixent à l'an de la création 1656, 2293 ans av. J. C. Depuis ce déluge, on distingue le temps d'avant et d'après le déluge.
Ce déluge, qu'on eut dû se contenter de croire, a fait et fait encore le plus grand sujet des recherches et des réflexions des Naturalistes, des Critiques, etc. Les points principalement contestés peuvent être réduits à trois : 1° son étendue, c'est-à-dire s'il a été général ou partiel : 2° sa cause : et 3° ses effets.
1°. L'immense quantité d'eau qu'il a fallu pour former un déluge universel, a fait soupçonner à plusieurs auteurs qu'il n'était que partiel. Selon eux un déluge universel était inutile, eu égard à sa fin, qui était d'extirper la race des méchants ; le monde alors était nouveau, et les hommes en très-petit nombre ; l'Ecriture-sainte ne comptant que huit générations depuis Adam, il n'y avait qu'une partie de la terre habitée ; le pays qui arrose l'Euphrate, et qu'on suppose avoir été l'habitation des hommes avant le déluge, était suffisant pour les contenir : or, disent-ils, la providence qui agit toujours avec sagesse et de la manière la plus simple, n'a jamais disproportionné les moyens à la fin, au point que pour submerger une petite partie de la terre, elle l'ait inondée toute entière. Ils ajoutent que dans le langage de l'Ecriture, la terre entière ne signifie autre chose que tous ses habitants ; et sur ces principes, ils avancent que le débordement du Tigre et de l'Euphrate, avec une pluie considérable, peut avoir donné lieu à tous les phénomènes et les détails de l'histoire du déluge.
Mais le déluge a été universel. Dieu déclara à Noé, Gen. VIe 17. qu'il avait resolu de détruire par un déluge d'eau tout ce qui respirait sous le ciel et avait vie sur la terre. Telle fut sa menace. Voyons son exécution. Les eaux, ainsi que l'atteste Moyse, couvrirent toute la terre, ensevelirent les montagnes, et surpassèrent les plus hautes d'entr'elles de quinze coudées : tout périt, oiseaux, animaux, hommes, et généralement tout ce qui avait vie, excepté Noé, les poissons, et les personnes qui étaient avec lui dans l'arche. Gen. VIIe 19. Un déluge universel peut-il être plus clairement exprimé ? Si le déluge n'eut été que partiel, il eut été inutîle de mettre 100 ans à bâtir l'arche, et d'y renfermer des animaux de toute espèce pour en repeupler la terre : il leur eut été facîle de se sauver des endroits de la terre qui étaient inondés, dans ceux qui ne l'étaient point ; tous les oiseaux au moins n'auraient pu être détruits, comme Moyse dit qu'ils le furent, tant qu'ils auraient eu des ailes pour gagner les lieux où le déluge ne serait point parvenu. Si les eaux n'eussent inondé que les pays arrosés par le Tigre et par l'Euphrate, jamais elles n'auraient pu surpasser de quinze coudées les plus hautes montagnes ; elles ne se seraient point élevées à cette hauteur : mais suivant les lois de la pesanteur, elles auraient été obligées de se repandre sur toutes les autres parties de la terre, à moins que par un miracle elles n'eussent été arrêtées ; et dans ce cas, Moyse n'aurait pas manqué de rapporter ce miracle comme il a rapporté celui des eaux de la mer Rouge, et du Jourdain, qui furent suspendues comme une muraille pour laisser passer les Israélites. Ex. XIVe 22. Jos. IIIe 16.
" A ces autorités tirées des expressions positives de la Genèse, toutes extrêmement dignes de notre foi, nous en ajouterons encore quelques-unes, quoique nous pensions bien qu'elles ne sont pas nécessaires au véritable fidèle : mais tout le monde n'a pas le bonheur de l'être. Nous tirerons ces autorités de nos connaissances historiques et physiques ; et si elles ne convainquent pas avec la même évidence que celles puisées dans l'Ecriture-sainte, on doit être assez éclairé pour sentir l'extrême supériorité de celles-ci, sur tout ce que notre propre fond peut nous fournir ".
" On peut alléguer, en faveur de l'universalité du déluge mosaïque, les traditions presque universelles qui en ont été conservées chez tous les peuples des quatre parties du monde, quoique les nations aient donné à leurs déluges des dates et des époques aussi différentes entr'elles qu'elles le sont toutes avec la date du déluge de Noé. Ces différences n'ont point empêché un grand nombre d'historiens chrétiens de faire peu de cas de la chronologie des temps fabuleux et héroïques de la Grèce et de l'Egypte, et de ramener tous ces faits particuliers à l'époque et à l'évenement unique que nous a transmis l'historien des Hébreux.
Si ce système dérange beaucoup les idées des chronologistes de bonne foi, néanmoins on doit reconnaître combien il est fondé en raison, puisqu'il n'y a pas un de ces déluges, quoique donnés comme particuliers par les anciens, où l'on ne reconnaisse au premier coup d'oeil les anecdotes et les détails qui sont propres à la Genèse. On y voit la même cause de ce terrible châtiment, une famille unique sauvée, une arche, des animaux, et & cette colombe que Noé envoya à la découverte, messager qui n'est autre chose que la chaloupe ou le radeau dont parlent quelques autres traditions profanes. Enfin on y reconnait jusqu'au sacrifice qui fut offert par Noé au Dieu qui l'avait sauvé. Sous ce point de vue, tous ces déluges particuliers rentrent donc dans le récit et dans l'époque de celui de la Genèse. Deucalion dans la famille duquel on trouve un Japet, Promethée, Xisuthrus, tous ces personnages se réduisent au seul Noé ; et ce sont-là les témoignages qui ont paru les plus convaincans de l'universalité de notre déluge. Aussi cette preuve a-t-elle été déjà très-souvent employée par les défenseurs des traditions judaïques ; mais d'un autre côté, un système qui renverse toutes les antiquités et les chronologies des peuples est-il resté sans replique ? Non, sans-doute ; il a trouvé un grand nombre d'opposans. Quoique ce soit un des lieux communs des preuves du déluge, il n'a été adopté d'aucun chronologiste, et chacun d'eux n'en a pas moins assigné des époques diverses et distinctes à chacun de ces déluges, et il ne faut pas se hâter de les condamner. Ce système, si favorable à l'universalité du déluge par l'analogie frappante et singulière des détails des auteurs profanes avec ceux de l'auteur sacré, est extrêmement défavorable d'ailleurs ; et loin d'en conclure que le déluge mosaïque a été universel, et n'a laissé qu'une seule famille de tout le genre humain, on pourrait au contraire, juger par les anecdotes particulières et propres aux contrées où ces traditions dispersées se sont conservées, qu'il est évident qu'en toutes, il est resté quelques-uns des anciens témoins et des anciens habitants, qui après en être échappés, ont transmis à leur postérité ce qui était arrivé en leur pays à telle et telle rivière, à telle et telle montagne, et à telle ou telle mer ; car Noé réclu et enfermé dans une arche, errant au gré des vents sur les sommets de l'Arménie, pouvait-il être instruit de ce qui se passait alors aux quatre coins du monde. Les Thessaliens, par exemple, disaient qu'au temps du déluge, le fleuve Penée enflé considérablement par les pluies, avait franchi les bornes de son lit et de sa vallée, avait séparé le mont Ossa du mont Olympe qui lui était auparavant uni et continu, et que c'était par cette fracture que les eaux s'étaient écoulées dans la mer, Hérodote qui, bien des siècles après, alla vérifier la tradition sur les lieux, jugea par l'aspect des coteaux et par la position des escarpements, que rien n'était plus vraisemblable et mieux fondé.
On avait de même conservé en Boeotie la mémoire des effets du déluge sur cette contrée. Le fleuve Colpias s'était prodigieusement accru ; son lit et sa vallée étant comblés, il avait rompu les sommets qui le contenaient à l'endroit du mont Ptous, et ses eaux s'étaient écoulées par cette nouvelle issue. Le curieux Wheler qui, dans son voyage de la Grèce, eut occasion d'examiner le terrain, vérifia la tradition historique sur les monuments naturels qui en sont restés, et il convient que le fait est certainement arrivé de la sorte.
Le dégorgement du Pont-Euxin dans l'Archipel et dans la Méditerranée avait aussi laissé chez les Grecs et chez les peuples de l'Asie mineure, une infinité de circonstances propres aux seuls lieux où il avait causé des ravages ; et le fameux M. de Tournefort a de même reconnu, tous les lieux et les endroits, où l'effort des eaux du Pont-Euxin débordé s'était alternativement porté d'une rive à l'autre, dans toute la longueur du détroit de Constantinople. Le détail qu'il en donne et la description qu'il fait, des prodigieux escarpements que cette subite et violente irruption y a produits autrefois, en tranchant la masse et le solide de ce continent, est un des morceaux des plus intéressants de son voyage, et des plus instructifs pour les physiciens et autres historiens de la nature. On ne rapportera pas d'autres exemples que ceux-là (quoiqu'il y en ait un plus grand nombre, soit en Europe, soit en Asie, soit en Amérique même), de ces détails propres et particuliers aux contrées où les traditions d'un déluge sont restées, et qui, prouvant ce semble d'une manière évidente, qu'en chacune de ces contrées il y a eu des témoins qui y ont survécu, seraient par conséquent très-contraires au texte formel de la Genèse sur l'universalité du déluge. Mais tous ces déluges nationaux sont, dit-on toujours, de la même date que celui des Hébreux. Quelque favorables que soient les observations qui précèdent, aux chronologistes qui n'ont point voulu confondre tous les déluges nationaux avec le nôtre, la preuve qui nait de l'analogie qu'ils ont d'ailleurs avec lui est si forte, qu'elle doit nous engager à les réunir ; et elle est si convenable et si conforme au texte qui parle de l'universalité, que tout bon chrétien doit tenter de résoudre les objections qui s'y opposent ; ce qui n'est pas aussi difficîle que l'on pense peut-être, du moins relativement aux observations particulières aux peuples et aux contrées. Les traditions qui nous parlent des effets du déluge sur la Thessalie, la Boeotie, et sur les contrées de la Thrace et de l'Asie mineure, sont appuyées de monuments naturels si authentiques, que l'on ne peut douter, après les observations des voyageurs qui les ont examinés en historiens et en physiciens, que les effets de ces déluges n'aient été tels que les traditions du pays le portent. Or ces effets, c'est-à-dire ces furieuses et épouvantables dégradations qui se remarquent dans ces contrées sur les montagnes et les continens qui ont autrefois été tranchés par les débordements extraordinaires du Pénée, du Colpias, et du Pont-Euxin, sont-ils uniques sur la terre et propres seulement à ces contrées ? N'est-ce, par exemple, que dans le détroit de Constantinople que se remarquent ces côtes roides, escarpées et déchirées, toujours et constamment opposées à la chute des eaux des contrées supérieures, et placées dans les angles alternatifs et correspondants que forme ce détroit ? Et n'est-ce enfin que dans ce seul détroit que l'on trouve ces angles alternatifs, et qui se correspondent avec une si parfaite régularité ? La physique est instruite aujourd'hui du contraire. Cette admirable disposition des détroits, des vallées et des montagnes, est propre à tous les lieux de la terre sans aucune exception. C'est même un problème des plus intéressants et des plus nouveaux que les observateurs de ce siècle se soient proposés, et dont ils cherchent encore la solution. Or ne se présente-t-elle pas ici d'elle-même ? Ces positions et ces escarpements réguliérement distribués, les uns à l'égard des autres, dans le cours de toutes les vallées de la terre, sont semblables en tout aux dispositions qui se voient dans le détroit de Constantinople et dans les vallées du Pénée et du Colpias. Elles ont donc la même origine ; elles sont donc les monuments du même fait, mais ces monuments sont universels ; il est donc constant que le fait a été universel ; c'est-à-dire, il est donc vrai, ainsi que dit la Genèse, que l'éruption des sources et la chute des pluies ayant été générales, les torrents et les inondations qui en ont été les suites, ont parcouru la surface entière de la terre, ce qu'il nous fallait prouver. A cette solution se présentent deux objections : 1°. les physiciens ne conviennent point encore que ces angles alternatifs et tous ces escarpements qui se voient dans nos vallées soient les effets du déluge ; ils les regardent au contraire comme les monuments du séjour des mers, et non comme ceux d'une inondation passagère. 2°. Toute favorable que cette solution paraisse, on sent encore néanmoins qu'il faut toujours qu'il soit resté des témoins en différentes contrées de la terre, puisque les anecdotes physiques qui font la base de notre solution, ont été conservées en plusieurs contrées particulières. Le déluge, à la vérité, aura été universel, mais on ne pourra point dire de même que la destruction de l'espèce humaine ait été universelle. Nous répondrons à la première objection au troisième article sur les effets du déluge, et nous tâcherons de répondre ici à la seconde. Les terribles effets du déluge ont été connus de Noé et de sa famille dans les lieux de l'Asie où il a demeuré ; ceci ne peut se contester. Quoiqu'enfermé dans l'arche, Noé dès le commencement des pluies voyait autour de lui tout ce qui se passait ; il vit les pluies tomber du ciel, les gouffres de la terre s'ouvrir et vomir les eaux souterraines ; il vit les rivières s'enfler, sortir de leur lit, remplir les vallées, tantôt se répandre par-dessus les sommets collatéraux qui dirigeaient leur cours, et tantôt rompre ces mêmes sommets dans les endroits les plus faibles, et se frayer de nouvelles routes au-travers des continens pour aller se précipiter dans les mers. Le mont Ararat ne porte sans-doute ce nom, qui signifie en langue orientale malédiction du tremblement, que parce que la famille de Noé qui prit terre aux environs de cette montagne d'Arménie, y reconnut les affreux vestiges et les effroyables dégradations que l'éruption des eaux, que la chute des torrents, et que les tremblements de la terre, maudite par le Seigneur, y avaient causé et laissé. Or il en a pu être de même pour les autres lieux de la terre, où des détails particuliers sur le déluge se sont conservés. C'est de cette même famille de Noé que nous les tenons ; à mesure que les descendants de ce patriarche se sont successivement répandus sur tous les continens, ils y ont reconnu par-tout, les mêmes empreintes qu'avait laissé le déluge en Arménie, et ils ont dû juger par la nature des dégradations, de la nature des causes destructives. Telle est donc la source de ces détails particuliers et propres aux contrées qui nous les donnent ; ce sont les monuments eux-mêmes qui les ont transmis et qui les transmettront à jamais. Mais, dira-t-on encore, les dates ne sont point les mêmes. Et qu'importe, si c'est toujours le même fait ? Les Hébreux, de qui nous tenons l'histoire d'un déluge universel, sont-ils entr'eux plus d'accord sur les époques ? N'y a-t-il pas dans celles qu'ils nous donnent, de prodigieuses différences, et en convenons-nous moins qu'il n'y a cependant dans leurs differents systèmes qu'un seul et même déluge ? Croyons donc qu'il en est de même à l'égard de l'histoire profane, qu'elle ne nous présente que le même fait, malgré la difference des dates ; et quant aux circonstances particulières, que ce sont les seuls monuments qui les ont suggérées aux nouveaux habitants de la terre, et non comme on le voudrait conclure, la présence des differents témoins qui y auront survécu ; ce qui serait extrêmement contraire à notre foi. Les chronologistes, à la vérité, n'adopteront peut-être jamais ce sentiment : mais dès qu'ils conviennent du fait, c'est une raison toute naturelle de s'en tenir pour l'époque au parti des théologiens qui trouvent ici les physiciens d'accord avec eux. Au reste, s'il y a encore dans cette solution quelque difficulté physique ou historique, c'est aux siècles, aux temps et au progrès de nos connaissances à nous les resoudre.
On a regardé encore comme une preuve physique de l'universalité du déluge et des grands changements qu'il a operés sur toute la face du monde, cette multitude étonnante de corps marins qui se trouvent répandus tant sur la surface de la terre que dans l'intérieur même de tous les continens, sans que l'éloignement des mers, l'étendue des régions, la hauteur des montagnes, ou la profondeur des fouilles, aient encore pu faire connaître quelque exception dans cette surprenante singularité. Ce sont-là sans contredit des monuments encore certains d'une révolution universelle, telle qu'elle soit ; et si on en excepte quelques naturalistes modernes, tous les savants et tous les hommes mêmes, sont d'accord entr'eux, pour les regarder comme les médailles du déluge, et comme les reliques du monde ancien qu'il a détruit.
Cette preuve est très-forte ; aussi a-t-elle été souvent employée. Cependant on lui a opposé l'antiquité des pyramides d'Egypte ; ces monuments remontent presqu'à la naissance du monde : cependant on découvre déjà des coquilles décomposées dans la formation des pierres dont on s'est servi pour les construire. Or quelle suite énorme de siècles cette formation ne suppose-t-elle pas ? Et comment expliquer ce phénomène, sans admettre l'éternité du monde ? Expliquera-t-on la présence des corps marins dans les pierres des pyramides par une cause, et la présence des mêmes corps dans nos pierres, par une autre cause ? cela serait ridicule : mais d'un autre côté, dans les questions où la foi est mêlée, quel besoin de tout expliquer ? D'ailleurs on doit noter ici, que si la preuve que nous avons tirée des escarpements que l'on voit régulièrement disposés dans toutes les vallées du monde, était reconnue pour bonne et solide, cette seconde preuve, tirée des corps marins ensevelis dans nos continens, ne pourrait cependant concourir avec elle comme preuve du même fait. Car si ce sont les eaux et les torrents du déluge qui, en descendant du sommet et du milieu des continens vers les mers, ont creusé en serpentant sur la surface de la terre, tous ces profonds sillons que les hommes ont appelés des vallées : et si ce sont eux qui, en fouillant ainsi le solide de nos continens et en les tranchant, ont produit les escarpements de nos coteaux, de nos côtes et de nos montagnes, dans tous les lieux dont la résistance et l'exposition les ont obligés malgré eux à changer de direction ; ce ne peut être par conséquent ces mêmes torrents qui y aient apporté les corps marins, puisque ces corps marins se trouvent dans ce qui nous reste de la masse des anciens terrains tranchés. Le tremblement de terre qui a brisé le mont Ararat, et qui l'a rendu d'un aspect hydeux et effroyable, n'est pas l'agent qui a pu mettre des fossiles dans les débris entiers qui en restent ; ce n'est pas non plus l'acte qui a séparé l'Europe de l'Asie au détroit du Pont-Euxin, qui a mis dans les bancs dont l'extrémité et la coupe se découvrent, dans les escarpements et les arrachements des terrains qui sont restés de part et d'autre, les corps marins que contient l'intérieur du pays. Ceci, je crois, n'a pas besoin de plus longue explication pour être jugé naturel et raisonnable, il n'en résulte rien de défavorable au déluge, puisqu'une seule de ces deux preuves suffit pour montrer physiquement les traces de son universalité. Il s'ensuit seulement qu'un de ces deux monuments de l'histoire de la terre appartient à quelqu'autre fait fort différent du déluge, et qui n'a point de rapport à l'époque que nous lui assignons ".
II. Le déluge reconnu universel, les philosophes ne savent où trouver l'eau qui l'a produit ; " tantôt ils n'ont employé que les eaux du globe, et tantôt des eaux auxiliaires qu'ils ont été chercher dans la vaste étendue des cieux, dans l'athmosphère, dans la queue d'une comete ".
Moyse en établit deux causes ; les sources du grand abîme furent lâchées, et les cataractes du ciel furent ouvertes : " ces expressions ne semblent nous indiquer que l'éruption des eaux souterraines et la chute des pluies ; mais nos physiciens ont donné bien plus de carrière à leur imagination ".
Burnet, dans son livre telluris theoria sacra, prouve qu'il s'en faut de beaucoup que toutes les eaux de l'océan eussent suffi pour submerger la terre, et surpasser de quinze coudées le sommet des plus hautes montagnes ; suivant son calcul il n'aurait pas fallu moins que de huit océans. En supposant que la mer eut été entièrement mise à sec, et que toutes les nuées de l'atmosphère se fussent dissoutes en pluie, il manquerait encore la plus grande partie des eaux du déluge. Pour résoudre cette difficulté plusieurs excellents naturalistes, tels que Stenon, Burnet, Woodvard, Scheuchzer, etc. adoptent le système de Descartes sur la formation de la terre : ce philosophe prétend que la terre dans son origine était parfaitement ronde et égale, sans montagnes et sans vallées : il en établit la formation sur des principes de Mécanique, et suppose que dans son premier état c'était un tourbillon fluide et épais rempli de diverses matières hétérogènes, qui après avoir pris consistance insensiblement et par degrés, ont formé suivant les lois de la pesanteur des couches ou lits concentriques, et composé ainsi à la longue le solide de la terre. Burnet pousse cette théorie plus loin ; il prétend que la terre primitive n'était qu'une croute orbiculaire qui recouvrait l'abîme, ou la mer, qui s'étant fendue et brisée en morceaux dans le sein des eaux, noya tous ceux qui l'habitaient. Le même auteur ajoute que par cette révolution le globe de la terre non-seulement fut ébranlé et s'ouvrit en mille endroits, mais que la violence de la secousse changea sa situation, en sorte que la terre qui, auparavant était placée directement sous le zodiaque, lui est ensuite devenue oblique ; d'où est née la différence des saisons, auxquelles la terre, selon lui et selon les idées de bien d'autres, n'était point sujette avant le déluge.
Mais comment accorder toutes les parties de ce système, et cette égalité prétendue de la surface de la terre, avec le texte de l'Ecriture que l'on vient de citer ? il est expressément parlé des montagnes comme d'un point qui sert à déterminer la hauteur des eaux ; et avec cet autre passage de la Genèse, VIIIe 22. où Dieu promettant de ne plus envoyer de déluge et de rétablir toutes choses dans leur ancien état, dit que le temps des semences et la moisson, le froid et le chaud, l'été et l'hiver, le jour et la nuit, ne cesseront point de s'entre-suivre. " Circonstances qui ne se concilient point avec les idées de Burnet, et qui en nous apprenant que l'ancien monde était sujet aux mêmes vicissitudes que le nouveau, nous fait de plus connaître une des anecdotes du déluge à laquelle on a fait peu d'attention ; c'est cette interruption du cours réglé de la nature, et surtout du jour et de la nuit, qui indique qu'il y eut alors un grand dérangement dans le cours annuel du globe, dans sa rotation journalière, et une grande altération dans la lumière ou dans le soleil même. La mémoire de cette altération du soleil au temps du déluge s'était conservée aussi chez les Egyptiens et chez les Grecs. On peut voir dans l'histoire du ciel de M. Pluche, que le nom de Deucalion ne signifie autre chose qu'affoiblissement du soleil ".
D'autres auteurs supposant dans l'abîme ou la mer une quantité d'eau suffisante, ne sont occupés que du moyen de l'en faire sortir ; en conséquence quelques-uns ont recours à un changement du centre de la terre, qui entrainant l'eau après lui, la fait sortir de ses réservoirs, et a inondé successivement plusieurs parties de la terre.
Le savant Whiston, dans sa nouvelle théorie de la terre, donne une hypothèse extrêmement ingénieuse et tout à fait nouvelle ; il juge par beaucoup de circonstances singulières qu'une comete descendant sur le plan de l'écliptique vers son périhélie, passa directement au-dessus de la terre le premier jour du déluge. Les suites qui en résultèrent furent premièrement que cette comete, lorsqu'elle se trouva au-dessous de la lune, occasionna une marée d'une étendue et d'une force prodigieuse dans toutes les petites mers, qui suivant son hypothèse faisaient partie de la terre avant le déluge (car il croit qu'il n'y avait point alors de grand océan) ; que cette marée fut excitée jusque dans l'abîme qui était sous la première croute de la terre ; qu'elle grossit à mesure que la comete s'approcha de la terre, et que la plus grande hauteur de cette marée fut lorsque la comete se trouva le moins éloignée de la terre. Il prétend que la force de cette marée fit prendre à l'abîme une figure elliptique beaucoup plus large que la sphérique qu'elle avait auparavant ; que cette première croute de la terre qui recouvrait l'abîme, forcée de se prêter à cette figure, ne le put à cause de sa solidité et de l'ensemble de ses parties ; d'où il prétend qu'elle fut nécessitée de se gonfler, et enfin de se briser par l'effort des marées et de l'attraction dont on vient de parler : qu'alors l'eau sortant des abîmes où elle se trouvait renfermée, fut la grande cause du déluge ; ce qui répond à ce que dit Moyse, que les sources du grand abîme furent rompues.
De plus, il fait voir que cette même comete s'approchant du soleil, se trouva si serrée dans son passage par le globe de la terre, qu'elle l'enveloppa pendant un temps considérable dans son atmosphère et dans sa queue, obligeant une quantité prodigieuse de vapeurs de s'étendre et de se condenser sur sa surface ; que la chaleur du soleil en ayant raréfié ensuite une grande partie, elles s'élevèrent dans l'atmosphère et retombèrent en pluie violente ; ce qu'il prétend être la même chose que ce que Moyse veut faire entendre par ces mots, les cataractes du ciel furent ouvertes, et surtout par la pluie de quarante jours : car quant à la pluie qui tomba ensuite, dont la durée forme avec la première un espace de cent cinquante jours, Whiston l'attribue à ce que la terre s'est trouvée une seconde fois enveloppée dans l'atmosphère de la comete, lorsque cette dernière est venue à s'éloigner du soleil. Enfin pour dissiper cet immense volume d'eau, il suppose qu'il s'éleva un grand vent qui en dessécha une partie, et força le reste de s'écouler dans les abîmes par les mêmes ouvertures qu'elles en étaient sorties, et qu'une bonne partie resta dans le sein du grand océan qui venait d'être formé, dans les autres petites mers, et dans les lacs dont la surface des continens est couverte et entrecoupée aujourd'hui.
Cette curieuse théorie ne fut d'abord proposée que comme une hypothèse, c'est-à-dire que l'auteur ne supposa cette comete que dans la vue d'expliquer clairement et philosophiquement les phénomènes du déluge, sans vouloir assurer qu'il ait effectivement paru dans ce temps une comete si près de la terre. Ces seuls motifs firent recevoir favorablement cette hypothèse. Mais l'auteur ayant depuis approfondi la matière, il prétendit prouver qu'il y avait eu en effet dans ce temps une comete qui avait passé très-près de la terre, et que c'était cette même comete qui avait reparu en 1680 ; en sorte qu'il ne se contenta plus de la regarder comme une hypothèse, il donna un traité particulier intitulé la cause du déluge démontrée. Voyez COMETE. " Si on doit faire quelque fond sur cette décision hardie, nous croyons que ce devrait moins être sur l'autorité de Whiston et de ses calculs, que sur l'effroi de tous les temps connus, et sur cette terreur universelle que l'apparition de ces astres extraordinaires a toujours causée chez toutes les nations de la terre, sans que la diversité des climats, des mœurs, des religions, des usages et des coutumes, y aient mis quelqu'exception. On n'a point encore assez réfléchi sur cette terreur et sur son origine, et l'on n'a point, comme on aurait dû faire, sondé sur cette matière intéressante les anciennes traditions, et les allégories sous lesquelles l'Ecriture et le style figuré des premiers peuples rendaient les grands événements de la nature.
On peut juger par les seuls systèmes de Burnet et de Whiston, qui ont été adoptés en tout ou en partie par beaucoup d'autres physiciens après eux, combien cette question des causes physiques du déluge est embarrassante. On pourrait cependant soupçonner que ces savants se sont rendus à eux-mêmes ce problème plus difficîle qu'il n'est peut-être en effet, en prenant avec trop d'étendue ce que dit la Genèse des quinze coudées d'élevation dont les eaux du déluge surpassèrent les plus hautes montagnes. Sur cette expression ils ont presque tous imaginé, que la terre avait dû par conséquent être environnée en entier d'un orbe d'eau, qui s'était élevé à pareille hauteur au-dessus du niveau ordinaire des mers ; volume énorme qui les a obligé, tantôt de rompre notre globe en morceaux pour le faire écrouler sous les eaux, tantôt de le dissoudre et de le rendre fluide, et presque toujours d'aller emprunter au reste de l'univers, les eaux nécessaires pour remplir les vastes espaces qui s'étendent jusqu'au sommet de nos montagnes. Mais pour se conformer au texte de la Genèse, est-il nécessaire de se jeter dans ces embarras, et de rendre si composés les actes qui se passèrent alors dans la nature ? La plupart de ces auteurs ayant conçu qu'il y eut alors des marées excessives, ne pouvaient-ils pas s'en tenir à ce moyen simple et puissant, qui rend si vraisemblable la souplesse qu'on a lieu de soupçonner dans les continens de la terre ? souplesse dont l'auteur d'une mappemonde nouvelle vient d'expliquer les phénomènes et les effets dans les grandes révolutions.
Si cette flexibilité des couches continues de la terre, est une des principales causes conspirantes au mouvement périodique dont nos mers sont régulièrement agitées dans leurs bassins, il est donc très-possible que le ressort de la voute terrestre fortement agitée au temps du déluge, eut permis aux mers entières de se porter sur les continens, et aux continens de se porter vers le centre de la terre en se submergeant sous les eaux avec une alternative de mouvement toute semblable à celui de nos marées journalières ; mais avec une telle action et une telle accélération, que tantôt l'hémisphère maritime était à sec quand l'hemisphère terrestre était submergée, et que tantôt celui-ci reprenait son état naturel en repoussant les eaux dans leurs bassins ordinaires. La surface du globe est assez également divisée en continens et en mers, pour que les eaux de ces mers aient seules suffi à couvrir une moitié du globe, dans les temps où l'agitation du corps entier de la terre lui faisait abandonner l'autre. Le physicien ne doit concevoir rien d'impossible dans une telle opération, et le théologien rien de contraire au texte de la Genèse ; il n'aura point fallu d'autres eaux que celles de notre globe, et aucun homme n'aura pu échapper à ces marées universelles.
La troisième question sur le déluge roule sur ses effets, et les savants sont extrêmement partagés là-dessus : ils se sont tous accordés pendant longtemps à regarder la dispersion des corps marins comme un des effets de ce grand événement ; mais la difficulté est d'expliquer cet effet d'une manière conforme à la disposition et à la situation des bains, des couches et des contrées où on les trouve ; et c'est en quoi les Naturalistes ne s'accordent guère ".
Ceux qui suivent le système de Descartes, comme Stenon, etc. prétendent que ces restes d'animaux de la terre et des eaux, ces branches d'arbres, ces feuilles, etc. que l'on trouve dans les lits et couches des carrières, sont une preuve de la fluidité de la terre dans son origine : mais alors ils sont obligés d'admettre une seconde formation des couches beaucoup postérieure à la première, n'y ayant lors de la première ni plantes ni animaux : c'est ce qui fait soutenir à Stenon qu'il s'est fait dans différents temps de secondes formations, par des inondations, des tremblements de terre, des volcans extraordinaires, etc. Burnet, Woodward, Scheuchzer, etc. aiment mieux attribuer au déluge une seconde formation générale sans cependant exclure les formations particulières de Stenon. Mais la grande objection qui s'elève contre le systéme de la fluidité, ce sont les montagnes ; car si le globe de la terre eut été entièrement liquide, comment de pareilles inégalités se seraient-elles formées ? " comment le mont Ararat aurait-il montré à Noé son pic et ses effroyables dégradations, telles dès ces premiers temps que M. Tournefort les a vues au commencement de ce siècle, c'est-à-dire inspirant l'horreur et l'effroi " ?
Scheuchzer est du sentiment de ceux qui prétendent qu'après le déluge, Dieu, pour faire rentrer les eaux dans leurs réservoirs souterrains, brisa et ôta de sa main toute-puissante un grand nombre de couches qui auparavant étaient placées horizontalement, et les entassa sur la surface de la terre ; raison, dit-il, pour laquelle toutes les couches qui se trouvent dans les montagnes, quoique concentriques, ne sont jamais horizontales.
Woodward regarde ces différentes couches comme les sédiments du déluge ; et il tire un grand nombre de conséquences des poissons, des coquillages, et des autres débris qui expliquent assez clairement selon lui les effets du déluge. Premièrement que les corps marins et les dépouilles des poissons d'eau douce, ont été entrainés hors des mers et des fleuves par le déluge universel, et qu'ensuite les eaux venant à s'écouler les ont laissés sur la terre. 2°. Que pendant que l'inondation couvrait le globe de la terre, tous les solides, tels que les pierres, les métaux, les minéraux, ont été entièrement dissous, à l'exception cependant des fossiles marins ; que ces corpuscules se sont trouvés ensuite confondus avec les coquillages et les végétations marines et terrestres, et ont formé des masses communes. Traisiemement que toutes ces masses qui nageaient dans les eaux pêle-mêle, ont été ensuite précipitées au fond ; et suivant les lois de la pesanteur, les plus lourdes ont occupé les premières places, et ainsi des autres successivement : que ces matières ayant de cette manière pris consistance, ont formé les différentes couches de pierre, de terre, de charbon, etc. Quatriemement que ces couches étaient originairement toutes parallèles, égales et régulières, et rendaient la surface de la terre parfaitement sphérique ; que toutes les eaux étaient au-dessus, et formaient une sphère fluide qui enveloppait tout le globe de la terre. Cinquiemement que quelque temps après par l'effort d'un agent renfermé dans le sein de la terre, ces couches furent brisées dans toutes les parties du globe, et changèrent de situation ; que dans certains endroits elles furent élevées ; et que dans d'autres elles s'enfoncèrent ; et de-là les montagnes, les vallées, les grottes, etc. le lit de la mer, les iles, etc. en un mot tout le globe terrestre arrangé par cette rupture et ce déplacement de couches, selon la forme que nous lui voyons présentement. Sixiemement que par cette rupture des couches, l'enfoncement de quelques parties et l'élevation d'autres qui se firent vers la fin du déluge, la masse des eaux tomba dans les parties de la terre qui se trouvèrent les plus enfoncées et les plus basses, dans les lacs et autres cavités, dans le lit de l'océan, et remplit l'abîme par les ouvertures qui y communiquent, jusqu'au point qu'elle fut en équilibre avec l'océan. " On peut juger par cet extrait, que l'auteur a recours pour expliquer les effets du déluge à un second chaos : son système est extrêmement composé ; et si en quelques circonstances il parait s'accorder avec certaines dispositions de la nature, il s'en éloigne en une infinité d'autres : d'ailleurs, le fond de cette théorie roule sur un principe si peu vraisemblable, sur cette dissolution universelle du globe, dont il est forcé d'excepter les plus fragiles coquillages, qu'il faudrait être bien prévenu pour s'y arrêter.
Mais tous ces systèmes sur l'origine des fossiles deviendront inutiles, et seront abandonnés en entier, si le sentiment qui n'attribue leur position et leur origine qu'à un long et ancien séjour de toutes nos contrées, présentement habitées sous les mers, continue à faire autant de partisans qu'il en fait aujourd'hui. La multitude d'observations que nous devons de notre siècle et de nos jours, à des personnes éclairées, et dont plusieurs ne sont nullement suspectes de nouveauté sur le fait de la religion, nous ont amené à cette idée, que toutes les découvertes confirment de jour en jour ; et vraisemblablement c'est où les Physiciens et les Théologiens mêmes vont s'en tenir : car on a cru pouvoir aisément allier cette étrange mutation arrivée dans la nature, avec les suites et les effets du déluge selon l'histoire sainte ".
M. D. L. P. est un des premiers qui ait avancé qu'avant le déluge notre globe avait une mer extérieure, des continens, des montagnes, des rivières, etc. et que ce qui occasionna le déluge fut que les cavernes souterraines et leurs piliers ayant été brisés par d'horribles tremblements de terre, elles furent, sinon en entier, du moins pour la plus grande partie, ensevelies sous les mers que nous voyons aujourd'hui ; et qu'enfin cette terre où nous habitons était le fond de la mer qui existait avant le déluge ; et que plusieurs îles ayant été englouties, il s'en est formé d'autres dans les endroits où elles sont présentement.
Par un tel système qui remplit les idées et les vues de l'Ecriture-sainte, les grandes difficultés dont sont remplis les autres systèmes s'évanouissent ; tout ce que nous y voyons s'explique naturellement. On n'est plus surpris qu'il se trouve dans les différentes couches de la terre, dans les vallées, dans les montagnes, et à des profondeurs surprenantes, des amas immenses de coquillages, de bois, de poissons, et d'autres animaux, et végétaux terrestres et marins : ils sont encore dans la position naturelle où ils étaient lorsque leur élément les a abandonnés, et dans les lieux où les fractures et les ruptures arrivées dans cette grande catastrophe leur ont permis de tomber et de s'ensevelir. Transact. philos. n°. 266.
" M. Pluche n'a pas été le seul à embrasser un système aussi chrétien, et qui lui a paru d'autant plus vraisemblable, que nous ne trouvons sur nos continens aucuns débris des habitations et des travaux des premiers hommes, ni aucuns vestiges sensibles du séjour de l'espèce humaine ; ce qui devrait être, à ce qu'il lui semble, fort commun si la destruction universelle des premiers hommes était arrivée sur les mêmes terrains que nous habitons ; objection puissante que l'on fait à tous les autres systèmes, mais à laquelle ils peuvent néanmoins en opposer une autre qui n'a pas moins de force pour détruire toutes les idées des modernes.
M. Pluche et les autres qui ont imaginé que l'ancienne terre, où il ne devait point y avoir de fossiles marins, a été précipitée sous les eaux, et que les lits des anciennes mers ont pris leur place, sont forcés de convenir que les régions du Tigre et de l'Euphrate n'ont point été comprises dans cette terrible submersion, et qu'elles seules en ont été exceptées parmi toutes celles de l'ancien monde. Le nom de ces fleuves et des contrées circonvoisines, leur fertilité incroyable, la sérenité du ciel, la tradition de tous les peuples, et en particulier de l'histoire sainte, tout les a mis dans la nécessité de souscrire à cette vérité, et de dire voici encore le berceau du genre humain ; Spect. de la Nat. tom. VIII. pag. 93. Si on examine à présent comment cette exception a pu se faire et ce qui a dû s'ensuivre, on ne trouvera rien que de très-contraire à l'époque où le nouveau système fixe la sortie de nos continens hors des mers. Si les pays qu'arrosent le Tigre et l'Euphrate n'ont point été effacés de dessus la terre, et n'ont point changé comme on est obligé d'en convenir, c'est sans-doute parce qu'il n'y eut point d'affaissement dans les sommets d'où ces fleuves descendent, dans ceux qui les dirigent à l'orient et à l'occident en y conduisant les ruisseaux et les grandes rivières qui les forment, ni aucune élévation au lit de cette partie de nos mers où ils se déchargent ; d'où il doit suivre que toute cette étendue de terre bornée par la mer Caspienne, la mer Noire, la mer Méditerranée, et le golfe Persique, n'a dû recevoir aussi aucune altération dans son ancien niveau et dans ses pentes, et dans la nature de ses terrains ; puisque les revers de tous les sommets qui regardent les grandes vallées du Tigre et de l'Euphrate n'ayant point baissé ni changé, il est constant que les revers de ces mêmes sommets qui regardent l'Arménie, la Perse, l'Asie mineure, la Syrie, l'Arabie, etc. n'ont point dû baisser non plus, et qu'ainsi toutes ces vastes contrées situées à l'entour et au-dehors du bassin de l'Euphrate et des rivières qui le forment, n'ont souffert aucun affaissement, et ont été nécessairement exceptées de la loi générale en faveur de leur proximité du berceau du genre humain : elles font donc partie de cet illustre échantillon qui nous reste de l'ancien monde, et c'est donc là qu'on pourrait aller pour juger de la différence qui doit se trouver entr'eux, et voir enfin si elles ne contiennent point de fossiles marins comme tout le reste de la nouvelle terre que nous habitons ; c'est un voyage que les naturalistes et les voyageurs nous épargneront ; nous savons que toutes ces contrées sont remplies comme les nôtres de productions marines qui sont étrangères à leur état présent ; Pline même connaissait les boucardes fossiles qu'on trouvait dans la Babylonie : que devient donc le systéme sur l'époque de la sortie des continens hors des mers ? N'est-il point visible que ces observations le détruisent, et que ses partisans n'en sont pas plus avancés, puisqu'il n'y a point de différence entre le nouveau et l'ancien monde, chose absolument nécessaire pour la validité de leur sentiment ? Au reste ces reflexions ne sont point contraires au fond de leurs observations. Si M. Pluche et un grand nombre d'autres ont reconnu que nos continens après un long séjour sous les eaux, où leurs couches et leurs bancs coquilleux s'étaient construits et accumulés, en sont autrefois sortis pour devenir l'habitation des hommes, c'est une chose dont on peut convenir, quoiqu'on ne convienne point de l'époque.
Quant aux preuves historiques et physiques du déluge et de son universalité, il nous restera toujours celle de l'uniformité des traditions, de leur généralité, et celles que l'on peut tirer des grands escarpements et des angles alternatifs de nos vallées, qui au défaut des corps marins nous peuvent donner des preuves, nouvelles à la vérité, mais aussi fortes néanmoins que toutes celles qu'on avait jusqu'à ce jour : on en pourra juger par les observations suivantes.
M. Bourguet, et plusieurs autres observateurs depuis lui, ayant remarqué que toutes les chaînes des montagnes forment des angles alternatifs et qui se correspondent ; et cette disposition des montagnes n'étant que le résultat et l'effet conséquent de la direction sinueuse de nos vallées, on en a conclu que ces vallées étaient les anciens lits des courants des mers qui ont couvert nos continens, et qui y nourrissaient et produisaient les êtres marins dont nous trouvons les dépouilles. Mais si le fond des mers s'étant autrefois élevé au-dessus des eaux qui les couvraient, les anciennes pentes et les directions anciennes des courants ont été altérées et changées, comme il a dû arriver nécessairement dans un tel acte ; pourquoi donc aujourd'hui, dans un état de la nature tout différent et tout opposé à l'ancien, puisque ce qui était bas est devenu élevé, et ce qui était élevé est devenu bas ; pourquoi veut-on que les eaux de nos fleuves et de nos rivières suivent les mêmes routes que suivaient les anciens courants ; ne doivent-elles pas au contraire couler depuis ce temps-là sur des pentes toutes différentes et toutes nouvelles ; et n'est-il pas plus raisonnable et en même temps tout naturel de penser que si les anciennes mers et leurs courants ont laissé sur leur lit quelques empreintes de leur cours, ces empreintes telles qu'elles soient ne doivent plus avoir de rapport à la disposition présente des choses, et à la forme nouvelle des continens. Ce raisonnement doit former quelque doute sur le système dominant de l'origine des angles alternatifs. Les sinuosités de nos vallées qui les forment, ont dans tout leur cours et dans leurs ramifications, trop de rapport avec la position de nos sommets et l'ensemble de nos continens, pour ne pas soupçonner qu'elles sont un effet tout naturel et dépendant de leur situation présente au-dessus des mers, et non les traces et les vestiges de courants des mers de l'ancien monde. Nos continens depuis leur apparition étant plus élevés dans leur centre qu'auprès des mers qui les baignent, il a été nécessaire que les eaux des pluies et des sources se sillonassent, dès les premiers temps, une multitude de routes pour se rendre malgré toutes inégalités aux lieux les plus bas où les mers les engloutissent toutes. Il a été nécessaire que lors de la violente éruption des sources et des grandes pluies du déluge, les torrents qui en résultèrent fouillassent et élargissent ces sillons au point où nous les voyons aujourd'hui. Enfin la forme de nos vallées, leurs replis tortueux, les grands escarpements de leurs côtes et de leurs coteaux, sont tellement les effets et les suites du cours des eaux sur nos continens, et de leur chute des sommets de chaque contrée vers les mers, qu'il n'est pas un seul de ces escarpements qui n'ait pour aspect constant et invariable le continent supérieur, d'où la vallée et les eaux qui y passent descendent ; en sorte que s'il arrivait encore de nos jours des pluies et des débordements assez violents pour remplir les vallées à comble comme au temps du déluge, les torrents qui en résulteraient viendraient encore frapper les mêmes rives escarpées qu'ils ont frappées et déchirées autrefois. Il suit de tout ceci une multitude de conséquences, dont le détail trop long ne serait point ici placé ; on les trouvera aux mots VALLEE, MONTAGNE, RIVIERE. C'est aux observateurs de nos jours à réflechir sur ce système, qui n'a peut-être contre lui que sa simplicité : s'ils l'adoptent, quelle preuve physique n'en résulte-t-il pas en faveur de l'universalité du déluge, puisque ces escarpements alternatifs de nos vallées se voient dans toutes les contrées et les régions de la terre ? et quel poids ne donne-t-il point à ces différentes traditions de quelques peuples d'Europe et d'Asie sur les effets du déluge sur leurs contrées ? Tout se lie par ce moyen, la physique et l'histoire profane se confirment mutuellement, et celles-ci ensemble se concilient merveilleusement avec l'histoire sacrée ".
Il reste une dernière difficulté sur le déluge ; c'est qu'on a peine à comprendre comment après cet événement, de telle façon qu'il soit arrivé, les animaux passèrent dans les diverses parties du monde, mais surtout en Amérique ; car pour les trois autres, comme elles ne forment qu'un même continent, les animaux domestiques ont pu y passer facilement en suivant ceux qui les ont peuplées, et les animaux sauvages, en y pénétrant eux-mêmes par succession de temps. La difficulté est plus grande par rapport à l'Amérique pour cette dernière espèce d'animaux, à moins qu'on ne la suppose jointe à notre continent par quelque isthme encore inconnu aux hommes, les animaux de la première espèce y ayant pu être transportés dans des vaisseaux : mais quelle apparence qu'on allât se charger de propos déliberé de peupler un pays d'animaux féroces, tels que le lion, le loup, le tigre, etc. à moins encore qu'on ne suppose une nouvelle création d'animaux dans ces contrées ? mais surquoi serait-elle fondée ? Il vaut donc mieux supposer, ou que l'Amérique est jointe à notre continent, ce qui est très-vraisemblable, ou qu'elle n'en est séparée en quelques endroits que par des bras assez étroits, pour que les animaux qu'on y trouve y aient pu passer : ces deux suppositions n'ont rien que de très-vraisemblable.
Terminons cet article par ces réflexions de M. Pluche, imprimées à la fin du troisième volume du Spectacle de la Nature. " Quelques savants, dit-il, ont entrepris de mesurer la profondeur du bassin de la mer, pour s'assurer s'il y avait dans la nature assez d'eau pour couvrir les montagnes ; et prenant leur physique pour la règle de leur foi, ils décident que Dieu n'a point fait une chose, parce qu'ils ne conçoivent point comment Dieu l'a faite : mais l'homme qui sait arpenter ses terres et mesurer un tonneau d'huîle ou de vin, n'a point reçu de jauge pour mesurer la capacité de l'atmosphère, ni de sonde pour sentir les profondeurs de l'abîme : à quoi bon calculer les eaux de la mer dont on ne connait pas l'étendue ? Que peut-on conclure contre l'histoire du déluge de l'insuffisance des eaux de la mer, s'il y en a une masse peut-être plus abondante dispersée dans le ciel ? Et à quoi sert-il enfin d'attaquer la possibilité du déluge par des raisonnements, tandis que le fait est démontré par une foule de monuments " ?
Le même auteur, dans le premier volume de l'histoire du ciel, a ramassé une infinité de monuments historiques du déluge, que les peuples de l'Orient avaient conservés avec une singulière et religieuse attention, et particulièrement les Egyptiens. Comme le déluge changea toute la face de la terre, " les enfants de Noé, dit-il, en conservèrent le souvenir parmi leurs descendants, qui, à l'exemple de leurs pères faisaient toujours l'ouverture de leurs fêtes ou de leurs prières publiques par des regrets et des lamentations sur ce qu'ils avaient perdu ", c'est-à-dire sur les avantages de la nature dont les hommes avaient été privés par le déluge, et c'est ce qu'il prouve ainsi plus en détail. " Les Egyptiens et la plupart des Orientaux, quels que soient des uns ou des autres ceux à qui on doit attribuer cette invention, avaient une allégorie ou une peinture des suites du déluge, qui devint célèbre et qu'on trouve par-tout, elle représentait le monstre aquatique tué et Osiris ressuscité ; mais il sortait de la terre des figures hydeuses qui entreprenaient de le déthrôner ; c'étaient des géants monstrueux, dont l'un avait plusieurs bras, l'autre arrachait les plus grands chênes, un autre tenait dans ses mains un quartier de montagne et le lançait contre le ciel : on les distinguait tous par des entreprises singulières et par des noms effrayans. Les plus connus de tous étaient Briareus, Othus, Ephialtes, Encelade, Mimas, Porphyrion, et Rouach ou Rhaecus. Osiris reprenait le dessus, et Horus son fils bien aimé, après avoir été rudement maltraité par Rhaecus, se délivrait heureusement de ses poursuites, en se présentant à sa rencontre avec les griffes et la gueule d'un lion.
Or pour montrer que ce tableau est historique, et que tous les personnages qui le composent sont autant de symboles ou de caractères significatifs qui expriment les désordres qui ont suivi le déluge, les peines des premiers hommes, et en particulier l'état malheureux du labourage en Egypte, il suffira de traduire ici les noms particuliers qu'on donne à chacun de ces géans. Briareus, dérivé de beri, serenitas, et de harous, subversa, signifie la perte de la sérénité ; Othus, de onittoth, tempestatum vices, la succession ou la diversité des saisons ; Ephialtes, de evi ou ephi, nubes, et de althah, caligo, c'est-à-dire nubes caliginis ou nubes horrida, les grands amas de nuées auparavant inconnues ; Encelade, en-celed, fons temporaneus, torrents, le ravage des grandes eaux débordées ; Porphyrion, de phour, frangère, et en doublant, frustulatim defringère, les tremblements de terre ou la fracture des terres qui crevasse les plaines et renverse les montagnes ; Mimas, de maim, les grandes pluies ; Rhaecus, de rouach, le vent. Comment se pourrait-il faire, dit avec raison notre auteur, que tous ces noms conspirassent par hasard à exprimer tous les météores qui ont suivi le déluge, si ce n'avait été là l'intention et le premier sens de cette allégorie ? La figure d'Horus en était une suite. Histoire du ciel, tom. I. p. 107. et 108 ". Ces observations singulières sont pour ainsi dire, démontrées avec la dernière évidence dans le reste de l'ouvrage, et presque toutes les fables de l'antiquité y concourent à nous apprendre que les suites du déluge influèrent beaucoup sur la religion des nouveaux habitants de la terre, et firent sur eux toute l'impression qu'un événement aussi terrible et qu'un tel exemple de la vengeance divine devait nécessairement opérer. Article où tout ce qui est en guillemets est de M. BOULANGER.