S. f. (Histoire ancienne et Economie domestique) c'est la partie de l'habillement qui couvre le pied. Les Grecs et les Romains en ont eu de cuir ; les Egyptiens de papirus ; les Espagnols, de genet tissu ; les Indiens, les Chinois, et d'autres peuples, de jonc, de soie, de lin, de bois, d'écorce d'arbre, de fer, d'airain, d'or, d'argent ; le luxe les a quelquefois couvertes de pierreries. Les formes et les noms des chaussures anciennes nous ont été conservés, les unes dans les antiques, les autres dans les auteurs : mais il est très-difficîle d'appliquer à chaque forme son nom propre. Les Grecs appelaient en général la chaussure, upodemata pedila ; ils avaient les diabatres à l'usage des hommes et des femmes ; les sandales, qui n'étaient portées que par les femmes de qualité ; les lantia, dont on n'usait que dans la maison ; les campodes, chaussure basse et légère ; les peribarides, qu'il n'était permis de porter qu'aux femmes nobles et libres ; les crepides, qu'on croit n'avoir été que la chaussures des soldats ; les abulcés, chaussure des pauvres ; les persiques, chaussure blanche à l'usage des courtisannes ; les laconiques ou amucledes, chaussure rouge particulière aux Lacédémoniens ; les garbatines, souliers de paysans ; les embates, pour la comédie, les cothurnes, pour la tragédie ; les énemides, que les Latins nommaient ocreae, et qui revenaient à nos bottines : toutes ces chaussures s'attachaient sur les pieds avec des courroies ; imantes. Chez les Lacédémoniens les jeunes gens ne portaient des chaussures qu'à l'âge où ils prenaient les armes, soit pour la guerre, soit pour la chasse. Les Philosophes n'avaient que des semelles ; Pythagore avait ordonné à ses disciples de les faire d'écorce d'arbre : on dit que celles d'Empedocle étaient de cuivre ; et qu'un certain Philetas de Cos était si maigre et si faible, qu'il en fit faire de plomb ; conte ridicule ; les souliers lourds ne sont guère qu'à l'usage des personnes vigoureuses.



La chaussure des Romains différait peu de celle des Grecs ; celle des hommes était noire, celle des femmes blanche : il était déshonnête pour les hommes de la porter blanche ou rouge : il y en avait qui allaient jusqu'à demi-jambe, et on les appelait calcei uncinati ; elles étaient seulement à l'usage des personnes de qualité : on pouvait les distribuer en deux sortes ; celles qui couvraient entièrement le pied, comme le calceus, le mullaeus, le pero et le phaecasium ; celles dont la semelle simple ou double se fixait sous le pied par des bandes ou courroies qui s'attachaient dessus, et qui laissaient une partie de dessus le pied découverte, comme le caliga, le solea, le crepida, le bacca et le sandalium.

Le calceus et le mullaeus ne différaient du pero, qu'en ce que ce dernier était fait de peaux de bêtes non tannées, et que les deux autres étaient de peaux préparées. La chaussure de cuir non préparé passe pour avoir été commune à toutes les conditions ; le mullaeus qui était de cuir aluné et rouge, était une chaussure à lunule. Voyez LUNULE. Dans les temps de simplicité il n'était guère porté que par les patriciens, les sénateurs, les édiles. On dit que cette chaussure avait passé des rois d'Albe à ceux de Rome, et de ceux-ci aux principaux magistrats de la république, qui ne s'en servaient que dans les jours de cérémonies, comme triomphes, jeux publics, etc. Il parait qu'il y avait telle chaussure qu'on pardonnait à la jeunesse, mais qu'on quittait dans un âge plus avancé : on reprochait à César de porter sur le retour de l'âge une chaussure haute et rouge. Le calceus et le mullaeus couvraient tout le pied, et montaient jusqu'au milieu de la jambe. Les Romains poussèrent le luxe fort loin dans cette partie du vêtement, et y employèrent l'or, l'argent et les pierreries. Ceux qui se piquaient de galanterie, veillaient à ce que la chaussure prit bien la forme du pied. On la garnissait d'étoffe molle ; on la serrait fortement avec des courroies appelées ansae ; quelques-uns même s'oignaient auparavant les pieds avec des parfums.

Le pero était de peaux de bêtes non préparées : c'était une chaussure rustique ; elle allait jusqu'à la moitié du genou. Le phaecasium était de cuir blanc et leger ; cette chaussure convenait à des pieds délicats : les prêtres d'Athènes et d'Alexandrie la portaient dans les sacrifices. Le caliga était la chaussure des gens de guerre ; c'était une grosse semelle d'où partaient des bandes de cuir qui se croisaient sur le coup de pied, et qui faisaient quelques tours vers la cheville : il y avait quelquefois de ces courroies qui passaient entre le gros orteil et le suivant, et allaient s'assembler avec les autres. Le campagus différait peu du caliga ; c'était la chaussure de l'empereur et des principaux de l'armée : il parait que les courroies de celle-ci étaient plus legeres qu'au caliga, et formaient un réseau sur la jambe.

Le solea, crepida, sandalium, gallica, étaient des semelles retenues sous la plante du pied : voilà ce qu'elles avaient de commun ; quant à leur différence, on l'ignore : on sait seulement que le solea et le gallica n'allaient point avec la toge, à moins qu'on ne fût à la campagne ; mais qu'on les portait fort bien avec le pénule. Les femmes se servaient de ces deux chaussures soit à la ville soit à la campagne. Il parait par quelques endroits de Cicéron, qu'il y avait un solea qui était de bois, qu'il était très-lourd, et qu'on en mettait aux pieds des criminels pour les empêcher de s'enfuir. Ce pourrait bien être du gallica des Latins que nous avons fait notre mot galloche.

Le crepida différait peu du solea, et ne couvrait le pied que par intervalle. Le bacca était une chaussure de philosophes ; il y en avait de feuilles de palmier. On n'a d'autres conjectures sur la sycionia, sinon que c'était une chaussure légère. Quant au soccus, soc, et au cothurnus, cothurne, voyez SOC et COTHURNE. Les ocreae qui étaient en usage dès la guerre de Troie, étaient quelquefois d'étain, de cuivre, de fer, et d'oripeau.

Les Juifs avaient aussi leurs chaussures assez semblables à celles que nous venons de décrire ; elles s'attachaient sur le pied avec des courroies. Cependant ils allaient souvent pieds nuds ; ils y étaient obligés dans le deuil, par respect, et quelquefois par pauvreté. Leurs prêtres entraient dans le temple pieds nuds : ils ôtaient leurs sandales en se mettant à table, excepté à la célébration de l'agneau pascal. Oter sa chaussure et la donner, était le signe du transport de la propriété d'une chose.

Les anciens Germains, et surtout les Goths, avaient une chaussure de cuir très-fort qui allait jusqu'à la cheville du pied : les gens distingués la portaient de peau. Ils étaient aussi dans l'usage d'en faire de jonc et d'écorce d'arbre. Presque tous les Orientaux aujourd'hui portent des babouches ou chaussures semblables à nos pantoufles. Presque tous les Européens sont en souliers. Nos chaussures sont le soulier, la pantoufle, la babouche, la mule, la claque, le patin, le sabot. Voyez ces mots à leurs articles. Antiq. expl. heder. lex.

Observations anatomiques sur quelques chaussures modernes. De judicieux anatomistes ont observé, 1°. que les différents mouvements des os du pied étant très-libres dans l'état naturel, comme on le voit assez dans les petits enfants, se perdent d'ordinaire par la mauvaise manière de chausser les pieds ; que la chaussure haute des femmes change tout à fait la conformation naturelle de ces os, rend les pieds extraordinairement cambrés ou voutés, et même incapables de s'aplatir, à cause de la soudure non naturelle ou anchylose forcée de ces os, à-peu-près comme il arrive aux vertèbres des bossus : que l'extrémité postérieure de l'os calcaneum, à laquelle est attaché le gros tendon d'achille, s'y trouve continuellement beaucoup plus élevée, et le devant du pied beaucoup plus abaissé que dans l'état naturel ; et que par conséquent les muscles qui couvrent la jambe postérieurement, et qui servent par l'attache de leur tendon à étendre le pied, sont continuellement dans un raccourcissement non naturel, pendant que les muscles antérieurs qui servent à fléchir le pied en-devant, sont au contraire dans un allongement forcé.

2°. Que les personnes ainsi chaussées ne peuvent que très-difficilement descendre d'une montagne ; au lieu qu'en y montant, la chaussure haute leur peut en quelque façon servir de marches plates, le bout du pied étant alors plus élevé : qu'elles ont aussi de la peine à marcher longtemps, même par un chemin uni, surtout à marcher vite, étant alors obligées ou de se balancer à-peu-près comme les canards, ou de tenir les genoux plus ou moins pliés et soulevés, pour ne pas heurter des talons de leur chaussure contre terre ; et que par la même raison, elles ne peuvent sauter avec la même liberté que d'autres qui ont la chaussure basse : car on sait que dans l'homme, de même que dans les quadrupedes et dans les oiseaux, l'action de sauter s'exécute par le mouvement subit et prompt de l'extrémité postérieure et saillante de l'os calcaneum au moyen des muscles dont le gros tendon y est attaché.

3°. Que les chaussures basses, loin d'exposer à ces inconvéniens, facilitent au contraire tous les mouvements naturels des pieds, comme le prouvent assez les coureurs, les portes-chaise, les laboureurs, etc. que les sabots les plus communs, malgré leur pesanteur et inflexibilité, ne mettent pas tant d'obstacles à l'action libre et naturelle des muscles qui servent aux mouvements des pieds, en ce que, outre qu'ils ont le talon très-bas, leur extrémité antérieure est arrondie vers le dessous ; ce qui supplée en quelque manière au défaut de l'inflexion alternative d'un pied appuyé sur les orteils, pendant que l'autre pied est en l'air quand on marche.

4°. Que les socques des Récollets suppléent davantage à ce défaut, en ce que avec un talon très-bas, ils ont encore une pièce de la même hauteur vers le devant, sous l'endroit qui répond à l'articulation du métatarse avec les orteils ; et que par ce moyen, la portion antérieure de ces socques étant en l'air, permet d'abaisser la pointe du pied proportionnellement à l'élévation du calcaneum.

5°. Que les souliers du petit peuple avec des semelles de bois, sont moins commodes que ces socques, et fatiguent plus les muscles du tendon d'achille, en ce que n'étant ni flexibles ni façonnés comme ces socques, ils rendent la portion antérieure du levier du pied plus longue que dans l'état naturel, et occasionnent ainsi plus d'effort à ces muscles, lorsqu'il faut soulever le corps sur la pointe de ces souliers inflexibles : car on sait que dans l'action de soulever le corps sur la pointe du pied, ce pied fait l'office du levier de la seconde espèce, le fardeau de tout le corps étant alors entre l'effort des muscles et la résistance de la terre, etc.

6°. Qu'un autre inconvénient de la chaussure haute, c'est que non-seulement les muscles du gros tendon d'achille, qui servent à l'extension du pied, mais aussi les muscles antérieurs qui servent à l'extension des orteils, sont par la hauteur de ces chaussures continuellement dans un état de raccourcissement forcé ; tandis que les muscles antérieurs qui servent à la flexion du pied, et les postérieurs qui servent à la flexion des orteils, sont en même temps par cette hauteur continuellement dans un état d'allongement forcé : que cet état continuel de froncement des uns et de tiraillement des autres, ne peut que causer tôt ou tard à leurs vaisseaux tant sanguins que lymphatiques, et à leurs nerfs, quelque inconvénient plus ou moins considérable ; et par la communication de ces vaisseaux et de ces nerfs, avec les vaisseaux et les nerfs d'autres parties plus éloignées, même avec ceux des viscères de l'abdomen, etc. occasionner des incommodités que l'on attribuerait à toute autre cause, auxquelles par conséquent on apporterait des remèdes inutiles, et peut-être accidentellement nuisibles et dangereux.

7°. Qu'à la vérité, cet état forcé de raccourcissement d'une part et d'allongement de l'autre, devient avec le temps comme naturel ; de sorte que ceux qui y sont habituellement accoutumés, ne peuvent presque sans peine et sans souffrance marcher avec des chaussures basses : mais que cette attitude non naturelle n'en sera pas moins la cause de certaines infirmités qui paraitront n'y avoir aucun rapport.

8°. Qu'un autre inconvénient des chaussures hautes, c'est de faire courber la taille aux jeunes personnes ; et que pour cette raison l'on ne devrait point donner aux filles des talons hauts avant l'âge de quinze ans.

9°. Que les souliers trop étroits ou trop courts, chaussure si fort à la mode chez les femmes, les blessant souvent, il arrive que pour modérer la douleur, elles se jettent les unes en-devant, les autres en-arrière, les unes sur un côté, les autres sur l'autre ; ce qui non-seulement préjudicie à leur taille et à la grâce de leur démarche, mais leur cause des cors qui ne se guérissent point.

Ces remarques sont de M. Winslow, qui avait projeté de les étendre dans un traité sur celui de Borelli, de motu animalium ; ouvrage admirable en son genre, que peu de gens sont en état de lire, et qui traite néanmoins d'une des parties des plus intéressantes de la Physiologie. Observ. communiquées par M(D.J.)