LE, s. m. (Gouvernement politique) nom collectif difficîle à définir, parce qu'on s'en forme des idées différentes dans les divers lieux, dans les divers temps, et selon la nature des gouvernements.
Les Grecs et les Romains qui se connaissaient en hommes, faisaient un grand cas du peuple. Chez eux, le peuple donnait sa voix dans les élections des premiers magistrats, des généraux, et les decrets des proscriptions ou des triomphes, dans les règlements des impôts, dans les décisions de la paix ou de la guerre, en un mot, dans toutes les affaires qui concernaient les grands intérêts de la patrie. Ce même peuple entrait à milliers dans les vastes théâtres de Rome et d'Athènes, dont les nôtres ne sont que des images maigres, et on le croyait capable d'applaudir ou de siffler Sophocle, Eurypide, Plaute et Térence. Si nous jetons les yeux sur quelques gouvernements modernes, nous verrons qu'en Angleterre le peuple élit ses représentants dans la chambre des communes, et que la Suède compte l'ordre des paysans dans les assemblées nationales.
Autrefois en France,, le peuple était regardé comme la partie la plus utile, la plus précieuse, et par-conséquent la plus respectable de la nation. Alors on croyait que le peuple pouvait occuper une place dans les états-généraux, et les parlements du royaume ne faisaient qu'une raison de celle du peuple et de la leur. Les idées ont changé, et même la classe des hommes faits pour composer le peuple, se retrécit tous les jours davantage. Autrefois le peuple était l'état général de la nation, simplement opposé à celui des grands et des nobles. Il renfermait les Laboureurs, les ouvriers, les artisans, les Négociants ; les Financiers, les gens de Lettres, et les gens de Lais. Mais un homme de beaucoup d'esprit, qui a publié il y a près de vingt ans une dissertation sur la nature du peuple, pense que ce corps de la nation, se borne actuellement aux ouvriers et aux Laboureurs. Rapportons ses propres réflexions sur cette matière, d'autant mieux qu'elles sont pleines d'images et de tableaux qui servent à prouver son système.
Les gens de Lais, dit-il, se sont tirés de la classe de peuple, en s'ennoblissant sans le secours de l'épée : les gens de Lettres, à l'exemple d'Horace, ont regardé le peuple comme profane. Il ne serait pas honnête d'appeler peuple ceux qui cultivent les beaux Arts, ni même de laisser dans la classe du peuple cette espèce d'artisans, disons mieux, d'artistes maniérés qui travaillent le luxe ; des mains qui peignent divinement une voiture, qui montent un diamant au parfait, qui ajustent une mode supérieurement, de telles mains ne ressemblent point aux mains du peuple. Gardons nous aussi de mêler les Négociants avec le peuple, depuis qu'on peut acquérir la noblesse par le commerce ; les Financiers ont pris un vol si élevé, qu'ils se trouvent côte à côte des grands du royaume. Ils sont faufilés, confondus avec eux ; alliés avec les nobles, qu'ils pensionnent, qu'ils soutiennent, et qu'ils tirent de la misere : mais pour qu'on puisse encore mieux juger combien il serait absurde de les confondre avec le peuple, il suffira de considérer un moment la vie des hommes de cette volée et celle du peuple.
Les Financiers sont logés sous de riches plafonds ; ils appellent l'or et la soie pour filer leurs vêtements ; ils respirent les parfums, cherchent l'appétit dans l'art de leurs cuisiniers ; et quand le repos succede à leur oisiveté, ils s'endorment nonchalamment sur le duvet. Rien n'échappe à ces hommes riches et curieux ; ni les fleurs d'Italie, ni les perroquets du Bresil, ni les toiles peintes de Masulipatan, ni les magots de la Chine, ni les porcelaines de Saxe, de Sève et du Japon. Voyez leurs palais à la ville et à la campagne, leurs habits de gout, leurs meubles élégans, leurs équipages lestes, tout cela sent-il le peuple ? Cet homme qui a su brusquer la fortune par la porte de la finance, mange noblement en un repas la nourriture de cent familles du peuple, varie sans cesse ses plaisirs, réforme un vernis, perfectionne un lustre par le secours des gens du métier, arrange une fête, et donne de nouveaux noms à ses voitures. Son fils se livre aujourd'hui à un cocher fougueux pour effrayer les passants ; demain il est cocher lui même pour les faire rire.
Il ne reste donc dans la masse du peuple que les ouvriers et les Laboureurs. Je contemple avec intérêt leur façon d'exister ; je trouve que cet ouvrier habite ou sous le chaume, ou dans quelque réduit que nos villes lui abandonnent, parce qu'on a besoin de sa force. Il se lève avec le soleil, &, sans regarder la fortune qui rit au-dessus de lui, il prend son habit de toutes les saisons, il fouille nos mines et nos carrières, il desseche nos marais, il nettoie nos rue, il bâtit nos maisons, il fabrique nos meubles ; la faim arrive, tout lui est bon ; le jour finit, il se couche durement dans les bras de la fatigue.
Le laboureur, autre homme du peuple, est avant l'aurore tout occupé à ensemencer nos terres, à cultiver nos champs, à arroser nos jardins. Il souffre le chaud, le froid, la hauteur des grands, l'insolence des riches, le brigandage des traitants, le pillage des commis, le ravage même des bêtes fauves, qu'il n'ose écarter de ses moissons par respect pour les plaisirs des puissants. Il est sobre, juste, fidèle, religieux, sans considérer ce qui lui en reviendra. Lucas épouse Colette, parce qu'il l'aime ; Colette donne son lait à ses enfants, sans connaître le prix de la fraicheur et du repos. Ils grandissent ces enfants, et Lucas ouvrant la terre devant eux, leur apprend à la cultiver. Il meurt, et leur laisse son champ à partager également ; si Lucas n'était pas un homme du peuple, il le laisserait tout entier à l'ainé. Tel est le portrait des hommes qui composent ce que nous appelons peuple, et qui forment toujours la partie la plus nombreuse et la plus nécessaire de la nation.
Qui croirait qu'on a osé avancer de nos jours cette maxime d'une politique infâme, que de tels hommes ne doivent point être à leur aise, si l'on veut qu'ils soient industrieux et obéissants : si ces prétendus politiques, ces beaux génies pleins d'humanité, voyageaient un peu, ils verraient que l'industrie n'est nulle part si active que dans les pays où le petit peuple est à son aise, et que nulle part chaque genre d'ouvrage ne reçoit plus de perfection. Ce n'est pas que des hommes engourdis sous le poids d'une misere habituelle ne pussent s'éloigner quelque temps du travail si toutes les impositions cessaient sur le champ, mais outre la différence sensible entre le changement du peuple et l'excès de cette supposition, ce ne serait point à l'aisance qu'il faudrait attribuer ce moment de paresse, ce serait à la surcharge qui l'aurait précédée. Encore ces mêmes hommes revenus de l'emportement d'une joie inespérée, sentiraient-ils bientôt la nécessité de travailler pour subsister ; et le désir naturel d'une meilleure subsistance les rendrait fort actifs. Au contraire, on n'a jamais Ve et on ne verra jamais des hommes employer toute leur force et toute leur industrie, s'ils sont accoutumés à voir les taxes engloutir le produit des nouveaux efforts qu'ils pourraient faire, et ils se borneront au soutien d'une vie toujours abandonnée sans aucune espèce de regret.
A l'égard de l'obéissance, c'est une injustice de calomnier ainsi une multitude infinie d'innocens ; car les rois n'ont point de sujets plus fidèles, &, si j'ose le dire, de meilleurs amis. Il y a plus d'amour public dans cet ordre, peut-être, que dans tous les autres ; non point parce qu'il est pauvre, mais parce qu'il sait très-bien, malgré son ignorance, que l'autorité et la protection du prince sont l'unique gage de sa sûreté et de son bien-être ; enfin, parce qu'avec le respect naturel des petits pour les grands, avec cet attachement particulier à notre nation pour la personne de ses rais, ils n'ont point d'autres biens à espérer. Dans aucune histoire, on ne rencontre un seul trait qui prouve que l'aisance du peuple par le travail, a nui à son obeissance.
Concluons qu'Henri IV. avait raison de désirer que son peuple fût dans l'aisance, et d'assurer qu'il travaillerait à procurer à tout laboureur les moyens d'avoir l'oie grasse dans son pot. Faites passer beaucoup d'argent dans les mains du peuple, il en reflue nécessairement dans le trésor public une quantité proportionnée que personne ne regrettera : mais lui arracher de force l'argent que son labeur et son industrie lui ont procuré, c'est priver l'état de son embonpoint et de ses ressources. (D.J.)
PEUPLE ROMAIN, plebs romana, (Histoire romaine) Tout ce qui par l'établissement de Romulus n'était pas sénateur ou chevalier, était peuple, plebs, habitant de la ville ou de la campagne, rustica vel urbana. Le peuple de la campagne la cultivait, et tenait le premier rang : d'où il arriva que dans les commencements de la république, les patriciens eux-mêmes, dans le sein de la paix, travaillaient à la culture des terres ; parce que chacun cultivait sans déshonneur son propre champ, ou celui qui lui était assigné sur les terres romaines.
Une partie du peuple qui habitait la ville, exerçait le trafic, les arts, les différents métiers ; et les plus distingués d'entr'eux s'appliquaient au ministère du barreau pour s'élever à la magistrature.
La populace de Rome, qu'il ne faut pas confondre avec le peuple proprement dit, plebs, étaient des vagabonds, sans feu ni lieu, toujours prêts à exciter des troubles et à commettre des crimes. Tite-Live nomme cette troupe vagabonde, turba forensis, la troupe du forum, parce qu'elle se tenait dans les places publiques, criant qu'on partageât les terres suivant la loi agraire. Ciceron l'appelle plebs urbana, la populace de la ville, et Horace popellum tunicatum, la populace à tunique, parce qu'elle ne portait qu'une simple tunique. Pour soulager la ville de ces misérables, on les envoyait dans les champs publics ; mais une grande partie les quittait pour revenir à Rome. C'était-là que les séditieux, qui ne cherchent qu'à troubler l'état pour envahir les biens des honnêtes gens, ameutaient cette canaille, et s'en servaient à leurs fins, comme de coquins qui n'avaient rien à perdre. (D.J.)
PEUPLE, (Jardinage) se dit des jetons ou talles qui viennent aux pieds des arbres et des plantes bulbeuses. Voyez TALLES.