DIFFÉRENTIEL
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- Écrit par : Jean le Rond d'Alembert (O)
CALCUL DIFFERENTIEL ; c'est la manière de différentier les quantités, c'est-à-dire de trouver la différence infiniment petite d'une quantité finie variable.
Cette méthode est une des plus belles et des plus fécondes de toutes les Mathématiques ; M. Leibnitz qui l'a publiée le premier, l'appelle calcul différentiel, en considérant les grandeurs infiniment petites comme les différences des quantités finies ; c'est pourquoi il les exprime par la lettre d qu'il met au-devant de la quantité différentiée ; ainsi la différentielle de x est exprimée par d Xe celle de y par d y, &c.
M. Newton appelle le calcul différentiel, méthode des fluxions, parce qu'il prend, comme on l'a dit, les quantités infiniment petites pour des fluxions ou des accroissements momentanés. Il considére, par exemple, une ligne comme engendrée par la fluxion d'un point, une surface par la fluxion d'une ligne, un solide par la fluxion d'une surface ; et au lieu de la lettre d, il marque les fluxions par un point mis au-dessus de la grandeur différentiée. Par exemple, pour la fluxion de Xe il écrit x ; pour celle de y, y etc. c'est ce qui fait la seule différence entre le calcul différentiel et la méthode des fluxions. Voyez FLUXION.
On peut réduire toutes les règles du calcul différentiel à celles-ci.
1°. La différence de la somme de plusieurs quantités est égale à la somme de leurs différences. Ainsi d (x + y + z) = d x + d y + d z.
2°. La différence de x y est y d x + x d y.
3°. La différence de xm, m étant un nombre positif et entier, est m x(m - 1) d Xe
Par ces trois règles, il n'y a point de quantité qu'on ne puisse différentier. On fera, par exemple, x/y = x x y-1. Voyez EXPOSANT. Donc la différence (regle 2) est y-1 X d x + x X d (y-1) = (regle 3.) (d x)/y - (x d y)/y2 = (y d x - x d y)/y 2. La différentielle de z 1/q est 1/q z 1/q-1 d z. Car soit z 1/ q = Xe on a z = Xe et d z = q xq-1 d x et d x = (d z)/q X x-q+1 = (d z)/q X z-1+1/q. De même = 1/2 ; donc la différence est 1/2 X (2 x d x + 2 y a y) X (x x + y y) - 1/2 = , et ainsi des autres.
Les trois règles ci-dessus sont démontrées d'une manière fort simple dans une infinité d'ouvrages, et surtout dans la première section de l'analyse des Infiniment petits de M. de l'Hopital, à laquelle nous renvoyons. Il manque à cette section le calcul différentiel des quantités logarithmiques et exponentielles, qu'on peut voir dans le I. volume des œuvres de Jean Bernoulli, et dans la I. partie du traité du calcul intégral de M. de Bougainville le jeune. On peut consulter ces ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde. Voyez EXPONENTIEL. Ce qu'il nous importe le plus de traiter ici, c'est la métaphysique du calcul différentiel.
Cette métaphysique dont on a tant écrit, est encore plus importante, et peut-être plus difficîle à développer que les règles mêmes de ce calcul : plusieurs géomètres, entr'autres M. Rolle, ne pouvant admettre la supposition que l'on y fait de grandeurs infiniment petites, l'ont rejetée entièrement, et ont prétendu que le principe était fautif et capable d'induire en erreur. Mais quand on fait attention que toutes les vérités que l'on découvre par le secours de la Géométrie ordinaire, se découvrent de même et avec beaucoup plus de facilité par le secours du calcul différentiel, on ne peut s'empêcher de conclure que ce calcul fournissant des méthodes sures, simples et exactes, les principes dont il dépend doivent aussi être simples et certains.
M. Leibnitz, embarrassé des objections qu'il sentait qu'on pouvait faire sur les quantités infiniment petites, telles que les considère le calcul différentiel, a mieux aimé réduire ses infiniment petits à n'être que des incomparables, ce qui ruinerait l'exactitude géométrique des calculs ; et de quel poids, dit M. de Fontenelle, ne doit pas être contre l'invention l'autorité de l'inventeur ? D'autres, comme M. Nieuwentit, admettaient seulement les différentielles du premier ordre, et rejetaient toutes celles des ordres plus élevés : ce qui n'a aucun fondement ; car imaginant dans un cercle une corde infiniment petite du premier ordre, l'abscisse ou sinus verse correspondant est infiniment petit du second ; et si la corde est infiniment petite du second, l'abscisse est infiniment petite du quatrième, etc. Cela se démontre aisément par la Géométrie élémentaire, puisque le diamètre d'un cercle qui est fini, est toujours à la corde, comme la corde est à l'abscisse correspondante. D'où l'on voit que les infiniment petits du premier ordre étant une fois admis, tous les autres en dérivent nécessairement. Ce que nous disons ici n'est que pour faire voir, qu'en admettant les infiniment petits du premier ordre, on doit admettre ceux de tous les autres à l'infini ; car on peut du reste se passer très-aisément de toute cette métaphysique de l'infini dans le calcul différentiel, comme on le verra plus bas.
M. Newton est parti d'un autre principe ; et l'on peut dire que la métaphysique de ce grand géomètre sur le calcul des fluxions est très-exacte et très-lumineuse, quoiqu'il se soit contenté de la faire entre-voir.
Il n'a jamais regardé le calcul différentiel comme le calcul des quantités infiniment petites, mais comme la méthode des premières et dernières raisons, c'est-à-dire la méthode de trouver les limites des rapports. Aussi cet illustre auteur n'a-t-il jamais différentié des quantités, mais seulement des équations ; parce que toute équation renferme un rapport entre deux variables, et que la différentiation des équations ne consiste qu'à trouver les limites du rapport entre les différences finies de deux variables que l'équation renferme. C'est ce qu'il faut éclaircir par un exemple qui nous donnera tout à la fois l'idée la plus nette et la démonstration la plus exacte de la méthode du calcul différentiel.
Sait A M (fig. 3. analys.) une parabole ordinaire, dont l'équation, en nommant A P, Xe P M, y, et a le paramètre, est y y = a Xe On propose de tirer la tangente M Q de cette parabole au point M. Supposons que le problème soit résolu, et imaginons une ordonnée p m à une distance quelconque finie de P M ; et par les points M, m tirons la ligne m M R. Il est évident, 1°. que le rapport (M P)/(P Q) de l'ordonnée à la soutangente, est plus grand que le rapport (M P)/(P R) ou (m O)/(M O), qui lui est égal à cause des triangles semblables M O m, M P R : 2°. que plus le point m sera proche du point M, plus le point R sera près du point Q, plus par conséquent le rapport (M P)/(P R) ou (m O)/(M O) approchera du rapport MP/PQ ; et que le premier de ces rapports pourra approcher du second aussi près qu'on voudra, puisque P R peut différer aussi peu qu'on voudra de P Q. Donc le rapport (M P)/(P Q) est la limite du rapport de m O à O M. Donc si on peut trouver la limite du rapport de m O à O M, exprimée algébriquement, on aura l'expression algébrique du rapport de M P à P Q ; et par conséquent l'expression algébrique du rapport de l'ordonnée à la soutangente, ce qui fera trouver cette soutangente. Sait donc M O = u, O m = z, on aura a x = y y, et a x + au = y y + 2 y z + z z. Donc à cause de a x = y y, il vient a u = 2 y z + z z et z/u = a /(2 y + z).
Donc a /(2 y + z) est en général le rapport de m O à O M, quelque part que l'on prenne le point m. Ce rapport est toujours plus petit que a /(2 y) ; mais plus z sera petit, plus ce rapport augmentera ; et comme on peut prendre z si petit qu'on voudra, on pourra approcher le rapport a /(2 y + z) aussi près qu'on voudra du rapport a /2 y ; donc a /(2 y) est la limite du rapport de a /(2 y + z), c'est-à-dire du rapport (m O)/(OM). Donc a /(2 y) est égal à MP/PQ que nous avons trouvé être aussi la limite du rapport de m O à O M ; car deux grandeurs qui sont la limite d'une même grandeur, sont nécessairement égales entr'elles. Pour le prouver, soient Z et X les limites d'une même quantité Y, je dis que X = Z ; car s'il y avait entr'elles quelque différence V, soit X = Z ± V : par l'hypothèse la quantité Y peut approcher de X aussi près qu'on voudra ; c'est-à-dire que la différence de Y et de X peut être aussi petite qu'on voudra. Donc, puisque Z diffère de X de la quantité V, il s'ensuit que Y ne peut approcher de Z de plus près que de la quantité V, et par conséquent que Z n'est pas la limite de Y, ce qui est contre l'hypothèse. Voyez LIMITE, EXHAUSTION.
De-là il résulte que (M P)/(P Q) est égal à a /(2 y). Donc P Q = (2 y y)/a = 2 Xe Or, suivant la méthode du calcul différentiel, le rapport de M P à P Q est égal à celui de d y à d x ; et l'équation a x = y y donne a d x = 2 y d y et (d y)/(d Xe = a /2 y. Ainsi (d y)/(d Xe est la limite du rapport de z à u ; et cette limite se trouve en faisant z = 0 dans la fraction a /(2 y + z). Mais dira-t-on, ne faut-il pas faire aussi z = 0 et u = 0, dans la fraction z/u = a /(2 y + z), et alors on aura 0/0 = a /(2 y). Qu'est-ce que cela signifie ? Je réponds, 1°. qu'il n'y a en cela aucune absurdité ; car 0/0 peut être égal à tout ce qu'on veut : ainsi il peut être a /(2 y). Je réponds, 2°. que quoique la limite du rapport de z à u se trouve quand z = 0 et u = 0, cette limite n'est pas proprement le rapport de z = 0 à u = 0, car cela ne présente point d'idée nette ; on ne sait plus ce que c'est qu'un rapport dont les deux termes sont nuls l'un et l'autre. Cette limite est la quantité dont le rapport z/u approche de plus en plus en supposant z et u tous deux réels et décroissants, et dont ce rapport approche d'aussi près qu'on voudra. Rien n'est plus clair que cette idée ; on peut l'appliquer à une infinité d'autres cas. Voyez LIMITE, SERIE, PROGRESSION, etc.
Suivant la méthode de différentier, qui est à la tête du traité de la quadrature des courbes de M. Newton, ce grand géomètre, au lieu de l'équation a x + a u = y y + 2 y z + z z, aurait écrit a x + a o = y y + 2 y o + o o, regardant ainsi en quelque manière z et u comme des zéros ; ce qui lui aurait donné 0/0 = a /(2 y). On doit sentir par tout ce que nous avons dit plus haut l'avantage et les inconvénients de cette dénomination : l'avantage, en ce que z étant = 0 disparait sans aucune autre supposition du rapport a /(2 y + o) ; l'inconvénient, en ce que les deux termes du rapport sont censés zéros : ce qui au premier coup-d'oeil ne présente pas une idée bien nette.
On voit donc par tout ce que nous venons de dire que la méthode du calcul différentiel nous donne exactement le même rapport que vient de nous donner le calcul précédent. Il en sera de même des autres exemples plus compliqués. Celui-ci nous parait suffire pour faire entendre aux commençans la vraie métaphysique du calcul différentiel. Quand une fois on l'aura bien comprise, on sentira que la supposition que l'on y fait de quantités infiniment petites, n'est que pour abréger et simplifier les raisonnements ; mais que dans le fond le calcul différentiel ne suppose point nécessairement l'existence de ces quantités ; que ce calcul ne consiste qu'à déterminer algébriquement la limite d'un rapport de laquelle on a déjà l'expression en lignes, et à égaler ces deux limites, ce qui fait trouver une des lignes que l'on cherche. Cette définition est peut être la plus précise et la plus nette qu'on puisse donner du calcul différentiel ; mais elle ne peut être bien entendue que quand on se sera rendu ce calcul familier ; parce que souvent la vraie définition d'une science ne peut être bien sensible qu'à ceux qui ont étudié la science. Voyez le Disc. prélimin. page xxxvij.
Dans l'exemple précédent, la limite géométrique et connue du rapport de z à u est le rapport de l'ordonnée à la soutangente ; on cherche par le calcul différentiel la limite algébrique du rapport de z à u, et on trouve a /(2 y). Donc nommant s la soutangente, on a y/s = a /(2 y) ; donc s = (2 y y)/a = 2 Xe Cet exemple suffit pour entendre les autres. Il suffira donc de se rendre bien familier dans l'exemple ci-dessus des tangentes de la parabole ; et comme tout le calcul différentiel peut se réduire au problème des tangentes, il s'ensuit que l'on pourra toujours appliquer les principes précédents aux différents problèmes que l'on resout par ce calcul, comme l'invention des maxima et minima, des points d'inflexion et de rebroussement, etc. Voyez ces mots.
Qu'est-ce en effet que trouver un maximum ou un minimum ? C'est, dit-on, faire la différence de d y égale à zéro ou à l'infini : mais pour parler plus exactement, c'est chercher la quantité (d y)/(d Xe qui exprime la limite du rapport de d y fini à d x fini, et faire ensuite cette quantité nulle ou infinie. Voilà tout le mystère expliqué. Ce n'est point d y qu'on fait = à l'infini : cela serait absurde ; car d y étant prise pour infiniment petite, ne peut être infinie ; c'est (d y)/(d Xe : c'est-à-dire qu'on cherche la valeur de x qui rend infinie la limite du rapport de d y fini à d x fini.
On a Ve plus haut qu'il n'y a point proprement de quantités infiniment petites du premier ordre dans le calcul différentiel ; que les quantités qu'on nomme ainsi, y sont censées divisées par d'autres quantités censées infiniment petites, et que dans cet état elles marquent non des quantités infiniment petites, ni même des fractions, dont le numérateur et le dénominateur sont infiniment petits, mais la limite d'un rapport de deux quantités finies. Il en est de même des différences secondes, et des autres d'un ordre plus élevé. Il n'y a point en Géométrie de d d y véritable, mais lorsque d d y se rencontre dans une équation, il est censé divisé par une quantité d x 2, ou autre du même ordre : en cet état qu'est-ce que (d d y)/(d x2) ? c'est la limite du rapport (d y)/(d x), divisée par d x ; ou ce qui sera plus clair encore, c'est, en faisant la quantité finie (d y)/(d Xe = z, la limite de (d z)/(d x).
Le calcul differentio-différentiel est la méthode de différentier les grandeurs différentielles ; et on appelle quantité differentio-différentielle la différentielle d'une différentielle.
Comme le caractère d'une différentielle est la lettre d, celui de la différentielle de d x est d d x ; et la différentielle de d d x est d d d Xe ou d2 Xe d3 Xe etc. ou , , etc. au lieu de d d Xe d3 Xe &c.
La différentielle d'une quantité finie ordinaire s'appelle une différentielle du premier degré ou du premier ordre comme d Xe
Différentielle du second degré ou du second ordre, qu'on appelle aussi, comme on vient de le voir, quantité differentio-différentielle, est la partie infiniment petite d'une quantité différentielle du premier degré, comme d d Xe d x d Xe ou d x2, d x d y, &c.
Différentielle du troisième degré, est la partie infiniment petite d'une quantité différentielle du second degré, comme d d d Xe d x3, d x d y d z, et ainsi de suite.
Les différentielles du premier ordre s'appellent encore différences premières ; celles du second, différences secondes ; celles du troisième, différences troisiemes.
La puissance seconde d Xe d'une différentielle du premier ordre, est une quantité infiniment petite du second ordre ; car d Xe : d x : : d Xe 1 ; donc d Xe est censée infiniment petite par rapport à d x ; de même on trouvera que d Xe ou d Xe d y, est infiniment petite du troisième ordre, etc. Nous parlons ici de quantités infiniment petites, et nous en avons parlé plus haut dans cet article, pour nous conformer au langage ordinaire ; car parce que nous avons déjà dit de la métaphysique du calcul différentiel, et par ce que nous allons encore en dire, on verra que cette façon de parler n'est qu'une expression abrégée et obscure en apparence, d'une chose très-claire et très-simple.
Les puissances différentielles, comme d x2, se différentient de la même manière que les puissances des quantités ordinaires. Et comme les différentielles composées se multiplient ou se divisent l'une l'autre, ou sont des puissances des différentielles du premier degré, ces différentielles se différentient de même que les grandeurs ordinaires. Ainsi la différence de d Xe est m (d x)(m - 1) d d Xe et ainsi des autres. C'est pourquoi le calcul differentio-différentiel est le même au fond que le calcul différentiel.
Un auteur célèbre de nos jours dit dans la préface d'un ouvrage sur la Géométrie de l'infini, qu'il n'avait point trouvé de géomètre qui put expliquer précisément ce que c'est que la différence de d y devenue égale à l'infini dans certains points d'inflexion. Rien n'est cependant plus simple ; au point d'inflexion la quantité (d y)/(d Xe est un maximum ou un minimum ; donc la différence divisée par d x est = 0 ou = à l'infini. Donc, en regardant d x comme constant, on a la quantité (d d y)/(d y)2 = à zéro ou à l'infini ; cette quantité n'est point une quantité infiniment petite, c'est une quantité qui est nécessairement ou finie, ou infinie, ou zéro, parce que le numérateur d d y qui est infiniment petit du second ordre, est divisé par d x2, qui est aussi du second ordre. Pour abréger, on dit que d d y est = à l'infini ; mais d d y est censée multipliée par la quantité 1/ (d x2) ; ce qui fait disparaitre tout le mystère. En général d d y = à l'infini ne signifie autre chose que (d d y)/(d x2) = à l'infini ; or dans cette équation il n'entre point de différentielle ; par exemple soit y = 1/4 ; on aura d y = + (4 d Xe /(a - x)5 et d d y = (20 d x2)/(a - x)6 : d d y = à l'infini n'est autre chose que (d d y)/(d x)2 = à l'infini, c'est-à-dire 20/(a - x)6 = à l'infini, ce qui arrive quand x = a ; on voit qu'il n'entre point de différentielle dans la quantité 20/(a - x)6, qui représente (d d y)/(d x)2 ou la limite de la limite de (d y)/(d x).
On supprime le d x 2 pour abréger ; mais il n'en est pas moins censé existant. C'est ainsi qu'on se sert souvent dans les Sciences de manières de parler abrégées qui peuvent induire en erreur, quand on n'en entend pas le véritable sens. Voyez ELEMENS.
Il résulte de tout ce que nous avons dit, 1°. que dans le calcul différentiel les quantités qu'on néglige, sont négligées, non comme on le dit d'ordinaire, par ce qu'elles sont infiniment petites par rapport à celles qu'on laisse subsister, ce qui ne produit qu'une erreur infiniment petite ou nulle ; mais parce qu'elles doivent être négligées pour l'exactitude rigoureuse. On a Ve en effet ci-dessus que a /(2 y) est la vraie et exacte valeur de (d y)/(d Xe ; ainsi en différentiant a x = y y, c'est 2 y d y, et non 2 y d y + d y2 qu'il faut prendre pour la différentielle de y2, afin d'avoir, comme on le doit, (d x)/(d y) = (2 y)/a ; 2°. Il ne s'agit point, comme on le dit encore ordinairement, de quantités infiniment petites dans le calcul différentiel ; il s'agit uniquement de limites de quantités finies. Ainsi la métaphysique de l'infini et des quantités infiniment petites plus grandes ou plus petites les unes que les autres, est totalement inutîle au calcul différentiel. On ne se sert du terme d'infiniment petit, que pour abréger les expressions. Nous ne dirons donc pas avec bien des géomètres qu'une quantité est infiniment petite, non avant qu'elle s'évanouisse, non après qu'elle est évanouie, mais dans l'instant même où elle s'évanouit ; car que veut dire une définition si fausse, cent fois plus obscure que ce qu'on veut définir ? Nous dirons qu'il n'y a point dans le calcul différentiel de quantités infiniment petites. Au reste nous parlerons plus au long à l'article INFINI de la métaphysique de ces quantités. Ceux qui liront avec attention ce que nous venons de dire, et qui y joindront l'usage du calcul et les réflexions, n'auront plus aucune difficulté sur aucun cas, et trouveront facilement des réponses aux objections de Rolle et des autres adversaires du calcul différentiel, supposé qu'il lui en reste encore. Il faut avouer que si ce calcul a eu des ennemis dans sa naissance, c'est la faute des géomètres ses partisans, dont les uns l'ont mal compris, les autres l'ont trop peu expliqué. Mais les inventeurs cherchent à mettre le plus de mystère qu'ils peuvent dans leurs découvertes ; et en général les hommes ne haïssent point l'obscurité, pourvu qu'il en résulte quelque chose de merveilleux. Charlatanerie que tout cela ! La vérité est simple, et peut être toujours mise à portée de tout le monde, quand on veut en prendre la peine.
Nous ferons ici au sujet des quantités différentielles du second ordre, et autres plus élevées, une remarque qui sera très-utîle aux commençans. On trouve dans les mém. de l'acad. des Sciences de 1711, et dans le I. tome des œuvres de M. Jean Bernoulli, un mémoire où l'on remarque avec raison que Newton s'est trompé, quand il a cru que la différence seconde de zn, en supposant d z constante, est (n. (n - 1)n - 2 dz2)/2 au lieu qu'elle est n. (n - 1) z(n - 2) d z2, comme il résulte des règles énoncées ci-dessus, et conformes aux principes ordinaires du calcul différentiel. C'est à quoi il faut prendre bien garde ; et ceci nous donnera encore occasion d'insister sur la différence des courbes polygones et des courbes rigoureuses, dont nous avons déjà parlé aux art. CENTRAL et COURBE. Sait, par exemple, y = x2, l'équation d'une parabole : supposons d x constant, c'est-à-dire tous les d x égaux, on trouvera que x + d x donne pour l'ordonnée correspondante exacte, que j'appelle y', Xe + 2 x d x + d x2, et que x + 2 d x donne l'ordonnée correspondante que je nomme y", exactement égale à Xe + 4 x d x + 4 d Xe ; donc 2 x d x + d Xe est l'excès de la seconde ordonnée sur la première, et 2 x d Xe + 3 d Xe est l'excès de la troisième sur la seconde : la différence de ces deux excès est 2 d Xe ; et c'est le d d y, tel que le donne le calcul différentiel. Or si par l'extrémité de la seconde ordonnée on tirait une tangente qui vint couper la troisième ordonnée, on trouverait que cette tangente diviserait le d d y en deux parties égales, dont chacune serait par conséquent d Xe ou (2 d x2)/2. C'est cette moitié du ddy vrai que M. Newton a prise pour le vrai dd y entier ; et voici ce qui peut avoir occasionné cette méprise. Le ddy véritable se trouve par le moyen de la tangente considérée comme sécante dans la courbe rigoureuse ; car en faisant les d x constants, et regardant la courbe comme polygone, le d d y sera donné par le prolongement d'un des côtés de la courbe, jusqu'à ce que ce côté rencontre l'ordonnée infiniment proche aussi prolongée. Or la tangente rigoureuse dans la courbe rigoureuse étant prolongée de même, donne la moitié de ce d d y ; et M. Newton a cru que cette moitié du d d y exprimait le ddy véritable, parce qu'elle était formée par la soutangente ; ainsi il a confondu la courbe polygone avec la rigoureuse. Une figure très-simple fera entendre aisément tout cela à ceux qui sont un peu exercés à la géométrie des courbes et au calcul différentiel. V. COURBE POLYGONE au mot COURBE, l'histoire de l'acad. des Scienc. de 1722, et mon traité de Dynamique, I. partie, à l'article des forces centrales.
EQUATION DIFFERENTIELLE, est celle qui contient des quantités différentielles. On l'appelle du premier ordre, si les différentielles sont du premier ordre, du second, si elles sont du second, etc.
Les équations différentielles à deux variables appartiennent aux courbes mécaniques ; c'est en quoi ces courbes diffèrent des géométriques. On trouvera leur construction au mot COURBE. Mais cette construction suppose que les indéterminées y soient séparées ; et c'est l'objet du calcul intégral. Voyez INTEGRAL.
Dans les équations différentielles du second ordre, où d Xe par exemple, est supposé constant, si on veut qu'il ne soit plus constant, on n'a qu'à diviser tout par d x ; et ensuite au lieu de (d d y)/(d x), mettre d (d y)/(d Xe ou (d d y)/(d Xe - (d y d d x)/(d x)2, et on aura une équation où rien ne sera constant. Cette règle est expliquée dans plusieurs ouvrages, et surtout dans la seconde partie du traité du calcul intégral de M. de Bougainville, qui ne tardera pas à paraitre. En attendant on peut avoir recours aux œuvres de Jean Bernoulli, t. IV. page 77 ; et on peut remarquer que (d d y)/(d x), en supposant d x constant, est la même chose que d (d y)/(d x), en supposant d x constant : or (d y)/(d Xe est le même, soit qu'on prenne d x constant, soit qu'on le fasse variable. Car y demeurant la même, (d y)/(d Xe ne change point, pourvu que d x soit infiniment petite. Pour le bien voir, on n'a qu'à supposer d y = z d x ou (d y)/(d Xe = z, on aura d z au lieu de (d d y)/(d Xe dans l'équation ; or ce d z est la même chose que d (d y)/(d x), sans supposer rien de constant. Donc, etc.
Il me reste à parler de la différentiation des quantités sous le signe . Par exemple, on propose de différentier A d Xe en ne faisant varier que y, A étant une fonction de x et de y : cette différence est d y d A/d y d Xe d A/d y étant le coefficient de d y dans la différentielle de A. On trouvera la méthode expliquée dans les mém. de l'acad. de 1740, page 296, d'après un mémoire de M. Nicolas Bernoulli ; et cette méthode sera détaillée dans l'ouvrage de M. de Bougainville. Je passe légèrement sur ces objets qui sont traités ailleurs, pour venir à la question, de l'inventeur du calcul différentiel.
Il est constant que Leibnitz l'a publié le premier ; il parait qu'on convient aujourd'hui assez généralement que Newton l'avait trouvé auparavant : reste à savoir si Leibnitz l'a pris de Newton. Les pièces de ce grand procès se trouvent dans le commercium epistolicum de analysi promotâ, 1712, Londini. On y rapporte une lettre de Newton du 10 Décembre 1672, qu'on prétend avoir été connue de Leibnitz, et qui renferme la manière de trouver les tangentes des courbes. Mais cette méthode dans la lettre citée, n'est appliquée qu'aux courbes dont les équations n'ont point de radicaux ; elle ne contient point le calcul différentiel, et n'est autre chose que la méthode de Barrow pour les tangentes un peu simplifiée. Newton dit à la vérité dans cette lettre, que par sa méthode il trouve les tangentes de toutes sortes de courbes, géométriques, mécaniques, soit qu'il y ait des radicaux, ou qu'il n'y en ait pas dans l'équation. Mais il se contente de le dire. Ainsi quand Leibnitz aurait Ve cette lettre de 1672, il n'aurait point pris à Newton le calcul différentiel ; il l'aurait pris tout au plus à Barrow ; et en ce cas ce ne serait, ni Newton, ni Leibnitz, ce serait Barrow qui aurait trouvé le calcul différentiel. En effet, pour le dire en passant, le calcul différentiel n'est autre chose que la méthode de Barrow pour les tangentes, généralisée. Voyez cette méthode de Barrow pour les tangentes, expliquée dans ses lectiones geometricae et à la fin du V. livre des sections coniques de M. de l'Hopital, et vous serez convaincu de ce que nous avançons ici. Il n'y avait, pour la rendre générale, qu'à l'appliquer aux courbes dont les équations ont des radicaux ; et pour cela il suffisait de remarquer que m x(m - 1) d x est la différentielle de xm, non-seulement lorsque m est un nombre entier positif (c'est le cas de Barrow), mais encore lorsque m est un nombre quelconque entier, ou rompu, positif, ou négatif. Ce pas était facîle en apparence ; et c'était cependant celui qu'il fallait faire pour trouver tout le calcul différentiel. Ainsi quel que soit l'inventeur du calcul différentiel, il n'a fait qu'étendre et achever ce que Barrow avait presque fait, et ce que le calcul des exposans, trouvé par Descartes, rendait assez facîle à perfectionner. Voyez EXPOSANT. C'est ainsi souvent que les découvertes les plus considérables préparées par le travail des siècles précédents, ne dépendent plus que d'une idée fort simple. Voyez DECOUVERTE.
Cette généralisation de la méthode de Barrow, qui contient proprement le calcul différentiel, ou (ce qui revient au même) la méthode des tangentes en général, se trouve dans une lettre de Leibnitz du 21 Juin 1677, rapportée dans le même recueil, p. 90. C'est de cette lettre qu'il faut dater, et non des actes de Leipsic de 1684, où Leibnitz a publié le premier les règles du calcul différentiel, qu'il connaissait évidemment sept ans auparavant, comme on le voit par la lettre citée. Venons aux autres faits qu'on peut opposer à Leibnitz.
Par une lettre de Newton du 13 Juin 1676, p. 49 de ce recueil, on voit que ce grand géomètre avait imaginé une méthode des suites, qui l'avait conduit aux calculs différentiel et intégral ; mais Newton n'explique point comment cette méthode y conduit, il se contente d'en donner des exemples ; et d'ailleurs les commissaires de la société royale ne disent point si Leibnitz a Ve cette lettre ; ou pour parler plus exactement, ne disent point qu'il l'a vue : observation remarquable et importante, comme on le verra tout à l'heure. Il n'est parlé dans le rapport des commissaires que de la lettre de Newton de 1672, comme ayant été vue par Leibnitz ; ce qui ne conclud rien contre lui, comme nous l'avons prouvé. Voyez p. 121 de ce recueil, le rapport des commissaires nommés par la société royale, art. II. et III. Il semble pourtant par le titre de la lettre de Newton de 1676, imprimée page 49 du recueil, que Leibnitz avait Ve cette lettre avant la sienne de 1677 ; mais cette lettre de 1676 traite principalement des suites ; et le calcul différentiel ne s'y trouve que d'une manière fort éloignée, sous-entendue, et supposée. C'est apparemment pour cela que les commissaires n'en parlent point ; car par la lettre suivante de Leibnitz, page 58, il parait qu'il avait Ve la lettre de Newton de 1676, ainsi qu'une autre du 24 Octobre même année, qui roule sur la même méthode des suites. On ne dit point non plus, et on sait encore moins, si Leibnitz avait Ve un autre écrit de Newton de 1669, qui contient un peu plus clairement, mais toujours implicitement, le calcul différentiel, et qui se trouve au commencement de ce même recueil.
C'est pourquoi, si on ne peut refuser à Newton la gloire de l'invention, il n'y a pas non plus de preuves suffisantes pour l'ôter à Leibnitz. Si Leibnitz n'a point Ve les écrits de 1669 et 1676, il est inventeur absolument : s'il les a vus, il peut passer pour l'être encore, du moins de l'aveu tacite des commissaires, puisque ces écrits ne contiennent pas assez clairement le calcul différentiel, pour que les commissaires lui aient reproché de les avoir lus. Il faut avouer pourtant que ces deux écrits, surtout celui de 1669, s'il l'a lu, peuvent lui avoir donné des idées (voyez page 19 du recueil) ; mais il lui restera toujours le mérite de les avoir eues, de les avoir développées, et d'en avoir tiré la méthode générale de différentier toutes sortes de quantités. On objecte en vain à Leibnitz que sa métaphysique du calcul différentiel n'était pas bonne, comme on l'a Ve plus haut : cela peut être ; cependant cela ne prouve rien contre lui. Il peut avoir trouvé le calcul dont il s'agit, en regardant les quantités différentielles comme des quantités réellement infiniment petites, ainsi que bien des géomètres les ont considérées ; il peut ensuite, effrayé par les objections, avoir chancelé sur cette métaphysique. On objecte enfin que cette méthode aurait dû être plus féconde entre ses mains, comme elle l'a été dans celles de Newton. Cette objection est peut-être une des plus fortes pour ceux qui connaissent la nature du véritable génie d'invention. Mais Leibnitz, comme on sait, était un philosophe plein de projet sur toutes sortes de matières : il cherchait plutôt à proposer des vues nouvelles, qu'à perfectionner et à suivre celles qu'il proposait.
C'est dans les actes de Leipsic de 1684 ; comme on l'a dit plus haut, que Leibnitz a donné le calcul différentiel des quantités ordinaires. Celui des quantités exponentielles qui manquait à l'écrit de Leibnitz, a été donné depuis en 1697 par M. Jean Bernouilli dans les actes de Leipsic ; ainsi ce calcul appartient en propre à ce dernier auteur.
METHODE DIFFERENTIELLE, methodus differentialis, est le titre d'un petit ouvrage de Newton, imprimé en 1711 par les soins de M. Jones, où ce grand géomètre donne une méthode particulière pour faire passer par tant de points qu'on voudra une courbe de genre parabolique ; méthode très-ingénieuse. Comme M. Newton résout ce problème, en employant des différences de certaines lignes, il a pour cette raison nommé sa méthode méthode différentielle. Elle est encore expliquée dans le lemme V. du III. liv. des principes mathématiques de la philosophie naturelle ; et elle a été commentée par plusieurs auteurs, entr'autres par M. Stirling dans son traité de summatione serierum, Lond. 1730, part. II. Voyez un plus grand détail aux articles SERIE, PARABOLIQUE, COURBE, INTERPOLATION, etc. (O)