ELÉMENS
- Détails
- Écrit par : Jean le Rond d'Alembert (O)
La plupart des Sciences n'ont été inventées que peu-à-peu : quelques hommes de génie, à différents intervalles de temps, ont découvert les uns après les autres un certain nombre de vérités ; celles-ci en ont fait découvrir de nouvelles, jusqu'à-ce qu'enfin le nombre des vérités connues est devenu assez considérable. Cette abondance, du moins apparente, a produit deux effets. En premier lieu, on a senti la difficulté d'y ajouter, non-seulement parce que les génies créateurs sont rares, mais encore parce que les premiers pas faits par une suite de bons esprits, rendent les suivants plus difficiles à faire ; car les hommes de génie parcourent rapidement la carrière une fois ouverte, jusqu'à-ce qu'ils arrivent à quelqu'obstacle insurmontable pour eux, qui ne peut être franchi qu'après des siècles de travail. En second lieu, la difficulté d'ajouter aux découvertes, a dû naturellement produire le dessein de mettre en ordre les découvertes déjà faites ; car le caractère de l'esprit humain est d'amasser d'abord le plus de connaissances qu'il est possible, et de songer ensuite à les mettre en ordre, lorsqu'il n'est plus si facîle d'en amasser. De-là sont nés les premiers traités en tout genre ; traités pour la plupart imparfaits et informes. Cette imperfection venait principalement de ce que ceux qui ont dressé ces premiers ouvrages, ont pu rarement se mettre à la place des inventeurs, dont ils n'avaient pas reçu le génie en recevant le fruit de leurs travaux. Les inventeurs seuls pouvaient traiter d'une manière satisfaisante les sciences qu'ils avaient trouvées, parce qu'en revenant sur la marche de leur esprit, et en examinant de quelle manière une proposition les avait conduits à une autre, ils étaient seuls en état de voir la liaison des vérités, et d'en former par conséquent la chaîne. D'ailleurs, les principes philosophiques sur lesquels la découverte d'une science est appuyée, n'ont souvent une certaine netteté que dans l'esprit des inventeurs ; car soit par négligence, soit pour déguiser leurs découvertes, soit pour en faciliter aux autres le fruit, ils les couvrent d'un langage particulier, qui sert ou à leur donner un air de mystère, ou à en simplifier l'usage : or ce langage ne peut être mieux traduit que par ceux même qui l'ont inventé, ou qui du moins auraient pu l'inventer. Il est enfin des cas où les inventeurs mêmes n'auraient pu réduire en ordre convenable leurs connaissances ; c'est lorsqu'ayant été guidés moins par le raisonnement que par une espèce d'instinct, ils sont hors d'état de pouvoir les transmettre aux autres. C'est encore lorsque le nombre des vérités se trouve assez grand pour être recueilli, et pour qu'il soit difficîle d'y ajouter, mais non assez complet pour former un corps et un ensemble.
Ce que nous venons de dire regarde les traités détaillés et complets ; mais il est évident que les mêmes réflexions s'appliquent aux traités élémentaires : car puisque les traités complets ne diffèrent des traités élémentaires bien faits, que par le détail des conséquences et des propositions particulières omises dans les unes et énoncées dans les autres, il s'ensuit qu'un traité élémentaire et un traité complet, si on les suppose bien faits, seront ou explicitement ou implicitement renfermés l'un dans l'autre.
Il est donc évident par tout ce que nous venons de dire, qu'on ne doit entreprendre les éléments d'une science que quand les propositions qui la constituent ne seront point chacune isolées et indépendantes l'une de l'autre, mais quand on y pourra remarquer des propositions principales dont les autres seront des conséquences. Or comment distinguera-t-on ces propositions principales ? voici le moyen d'y parvenir. Si les propositions qui forment l'ensemble d'une science ne se suivent pas immédiatement les unes les autres, on remarquera les endroits où la chaîne est rompue, et les propositions qui forment la tête de chaque partie de la chaîne, sont celles qui doivent entrer dans les éléments. A l'égard des propositions mêmes qui forment une seule portion continue de la chaîne, on y en distinguera de deux espèces ; celles qui ne sont que de simples conséquences, une simple traduction en d'autres termes de la proposition précédente, doivent être exclues des éléments, puisqu'elles y sont évidemment renfermées. Celles qui empruntent quelque chose, non-seulement de la proposition précédente, mais d'une autre proposition primitive, sembleraient devoir être exclues par la même raison, puisqu'elles sont implicitement et exactement renfermées dans les propositions dont elles dérivent. Mais en s'attachant scrupuleusement à cette règle, non-seulement on réduirait les élements à presque rien, on en rendrait l'usage et l'application trop difficiles. Ainsi les conditions nécessaires pour qu'une proposition entre dans les élements d'une science pris dans le premier sens, sont que ces propositions soient assez distinguées les unes des autres, pour qu'on ne puisse pas en former une chaîne immédiate ; que ces propositions soient elles-mêmes la source de plusieurs autres, qui n'en seront plus regardées que comme des conséquences ; et qu'enfin si quelqu'une des propositions est comprise dans les précédentes, elle n'y soit comprise qu'implicitement, ou de manière qu'on ne puisse en apercevoir la dépendance que par un raisonnement développé.
N'oublions pas de dire qu'il faut insérer dans les élements les propositions isolées, s'il en est quelqu'une qui ne tienne ni comme principe ni comme conséquence, à aucune autre ; car les élements d'une science doivent contenir au moins le germe de toutes les vérités qui font l'objet de cette science ; par conséquent l'omission d'une seule vérité isolée, rendrait les éléments imparfaits.
Mais ce qu'il faut surtout s'attacher à bien développer, c'est la métaphysique des propositions. Cette métaphysique, qui a guidé ou dû guider les inventeurs, n'est autre chose que l'exposition claire et précise des vérités générales et philosophiques sur lesquelles les principes de la science sont fondés. Plus cette métaphysique est simple, facile, et pour ainsi dire populaire, plus elle est précieuse ; on peut même dire que la simplicité et la facilité en sont la pierre de touche. Tout ce qui est vrai, surtout dans les sciences de pur raisonnement, a toujours des principes clairs et sensibles, et par conséquent peut être mis à la portée de tout le monde sans aucune obscurité. En effet, comment les conséquences pourraient-elles être claires et certaines, si les principes étaient obscurs ? La vanité des auteurs et des lecteurs est cause que l'on s'écarte souvent de ces règles : les premiers sont flattés de pouvoir répandre un air de mystère et de sublimité sur leurs productions : les autres ne haïssent pas l'obscurité, pourvu qu'il en résulte une espèce de merveilleux ; mais la vérité est simple, et veut être traitée comme elle est. Nous aurons occasion dans cet ouvrage d'appliquer souvent les règles que nous venons de donner, principalement dans ce qui regarde les lois de la Mécanique, la Géométrie qu'on nomme de l'infini, et plusieurs autres objets ; c'est pourquoi nous insistons pour le présent assez légèrement là-dessus.
Pour nous borner ici à quelques règles générales, quels sont dans chaque science les principes d'où l'on doit partir ? des faits simples, bien vus et bien avoués ; en Physique l'observation de l'univers, en Géométrie les propriétés principales de l'étendue, en Mécanique l'impénétrabilité des corps, en Métaphysique et en Morale l'étude de notre âme et de ses affections, et ainsi des autres. Je prends ici la Métaphysique dans le sens le plus rigoureux qu'elle puisse avoir, en tant qu'elle est la science des êtres purement spirituels. Ce que j'en dis ici sera encore plus vrai, quand on la regardera dans un sens plus étendu, comme la science universelle qui contient les principes de toutes les autres ; car si chaque science n'a et ne peut avoir que l'observation pour vrais principes, la Métaphysique de chaque science ne peut consister que dans les conséquences générales qui résultent de l'observation, présentées sous le point de vue le plus étendu qu'on puisse leur donner. Ainsi dû.sai-je, contre mon intention, choquer encore quelques personnes, dont le zèle pour la Métaphysique est plus ardent qu'éclairé, je me garderai bien de la définir, comme elles le veulent, la science des idées ; car que serait-ce qu'une pareille science ? La philosophie, sur quelqu'objet qu'elle s'exerce, est la science des faits ou celle des chimères. C'est en effet avoir d'elle une idée bien informe et bien peu juste, que de la croire destinée à se perdre dans les abstractions, dans les propriétés générales de l'être, dans celles du mode et de la substance. Cette spéculation inutîle ne consiste qu'à présenter sous une forme et un langage scientifiques, des propositions qui étant mises en langage vulgaire, ou ne seraient que des vérités communes qu'on aurait honte d'étaler avec tant d'appareil, ou seraient pour le moins douteuses, et par conséquent indignes d'être érigées en principes. D'ailleurs une telle méthode est non-seulement dangereuse, en ce qu'elle retarde par des questions vagues et contentieuses le progrès de nos connaissances réelles, elle est encore contraire à la marche de l'esprit, qui, comme nous ne saurions trop le redire, ne connait les abstractions que par l'étude des êtres particuliers. Ainsi la première chose par où l'on doit commencer en bonne Philosophie, c'est de faire main-basse sur ces longs et ennuyeux prolégomenes, sur ces nomenclatures éternelles, sur ces arbres et ces divisions sans fin ; tristes restes d'une misérable scolastique et de l'ignorante vanité de ces siècles ténébreux, qui dénués d'observations et de faits, se créaient un objet imaginaire de spéculations et de disputes. J'en dis autant de ces questions aussi inutiles que mal résolues, sur la nature de la Philosophie, sur son existance, sur le premier principe des connaissances humaines, sur l'union de la probabilité avec l'évidence, et sur une infinité d'autres objets semblables.
Il est dans les Sciences d'autres questions contestées, moins frivoles en elles-mêmes, mais aussi inutiles en effet, qu'on doit absolument bannir d'un livre d'éléments. On peut juger surement de l'inutilité absolue d'une question sur laquelle on se divise, lorsqu'on voit que les Philosophes se réunissent d'ailleurs sur des propositions, qui néanmoins au premier coup-d'oeil sembleraient tenir nécessairement à cette question. Par exemple, les éléments de Géométrie, de calcul, étant les mêmes pour toutes les écoles de Philosophie, il résulte de cet accord, et que les vérités géométriques ne tiennent point aux principes contestés sur la nature de l'étendue, et qu'il est sur cette matière un point commun où toutes les sectes se réunissent ; un principe vulgaire et simple d'où elles partent toutes sans s'en apercevoir ; principe qui s'est obscurci par les disputes, ou qu'elles ont fait négliger, mais qui n'en subsiste pas moins. De même, quoique le mouvement et ses propriétés principales soient l'objet de la mécanique, néanmoins la métaphysique obscure et contentieuse de la nature du mouvement, est totalement étrangère à cette science ; elle suppose l'existance du mouvement, tire de cette supposition une foule de vérités utiles, et laisse bien loin derrière elle la philosophie scolastique s'épuiser en vaines subtilités sur le mouvement même. Zénon chercherait encore si les corps se meuvent, tandis qu'Archimède aurait trouvé les lois de l'équilibre, Huygens celle de la percussion, et Newton celles du système du monde.
Concluons de-là que le point auquel on doit s'arrêter dans la recherche des principes d'une science, est déterminé par la nature de cette science même, c'est-à-dire par le point de vue sous lequel elle envisage son objet ; tout ce qui est au-delà doit être regardé ou comme appartenant à une autre science, ou comme une région entièrement refusée à nos regards. J'avoue que les principes d'où nous partons en ce cas, ne sont peut-être eux-mêmes que des conséquences fort éloignées des vrais principes qui nous sont inconnus, et qu'ainsi ils mériteraient peut-être le nom de conclusions plutôt que celui de principes. Mais il n'est pas nécessaire que ces conclusions soient des principes en elles-mêmes, il suffit qu'elles en soient pour nous.
Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des principes proprement dits, de ces vérités primitives par lesquelles on peut non-seulement guider les autres, mais se guider soi-même dans l'étude d'une science. Il est d'autres principes qu'on peut appeler secondaires ; ils dépendent moins de la nature des choses, que du langage : ils ont principalement lieu, lorsqu'il s'agit de communiquer ses connaissances aux autres. Je veux parler des définitions, qu'on peut, à l'exemple des Mathématiciens, regarder en effet comme des principes ; puisque dans quelque espèce d'éléments que ce puisse être, c'est en partie sur elles que la plupart des propositions sont appuyées. Ce nouvel objet demande quelques réflexions : l'article DEFINITION en présente plusieurs ; nous y ajouterons les suivantes.
Définir, suivant la force du mot, c'est marquer les bornes et les limites d'une chose ; ainsi définir un mot, c'est en déterminer et en circonscrire pour ainsi dire le sens, de manière qu'on ne puisse, ni avoir de doute sur ce sens donné, ni l'étendre, ni le restreindre, ni enfin l'attribuer à aucun autre terme.
Pour établir les règles des définitions, remarquons d'abord que dans les Sciences on fait usage de deux sortes de termes ; de termes vulgaires, et de termes scientifiques.
J'appelle termes vulgaires, ceux dont on fait usage ailleurs que dans la science dont il s'agit, c'est-à-dire dans le langage ordinaire, ou même dans d'autres sciences ; tels sont par exemple les mots espace, mouvement en Mécanique ; corps en Géométrie, son en Musique, et une infinité d'autres. J'appelle termes scientifiques, les mots propres et particuliers à la science, qu'on a été obligé de créer pour désigner certains objets, et qui sont inconnus à ceux à qui la science est tout à fait étrangère.
Il semble d'abord que les termes vulgaires n'ont pas besoin d'être définis, puisqu'étant, comme on le suppose, d'un usage fréquent, l'idée qu'on attache à ces mots doit être bien déterminée et familière à tout le monde. Mais le langage des Sciences ne saurait être trop précis, et celui du vulgaire est souvent vague et obscur ; on ne saurait donc trop s'appliquer à fixer la signification des mots qu'on emploie, ne fût-ce que pour éviter toute équivoque. Or pour fixer la signification des mots, ou, ce qui revient au même, pour les définir, il faut d'abord examiner quelles sont les idées simples que ce mot renferme ; j'appelle idée simple, celle qui ne peut être décomposée en d'autres, et par ce moyen être rendue plus facîle à saisir : telle est par exemple l'idée d'existance, celle de sensation, et une infinité d'autres. Ceci a besoin d'une plus ample explication.
A proprement parler, il n'y a aucune de nos idées qui ne soit simple ; car quelque composé que soit un objet, l'opération par laquelle notre esprit le conçoit comme composé, est une opération instantanée et unique : ainsi c'est par une seule opération simple que nous concevons un corps comme une substance tout-à-la-fais étendue, impénétrable, figurée, et colorée.
Ce n'est donc point par la nature des opérations de l'esprit qu'on doit juger du degré de simplicité des idées ; c'est la simplicité plus ou moins grande de l'objet qui en décide : de plus cette simplicité plus ou moins grande, n'est pas celle qui est déterminée par le nombre plus ou moins grand des parties de l'objet, mais par le nombre plus ou moins grand des propriétés qu'on y considère à la fois ; ainsi quoique l'espace et le temps soient composés de parties, et par conséquent ne soient pas des êtres simples, cependant l'idée que nous en avons est une idée simple, parce que toutes les parties du temps et de l'espace sont absolument semblables, que l'idée que nous en avons est absolument la même, et qu'enfin cette idée ne peut être décomposée, puisqu'on ne pourrait simplifier l'idée de l'étendue et celle du temps sans les anéantir : au lieu qu'en retranchant de l'idée de corps, par exemple, l'idée d'impénétrabilité, de figure, et de couleurs, il reste encore l'idée de l'étendue.
Les idées simples dans le sens où nous l'entendons, peuvent se réduire à deux espèces : les unes sont des idées abstraites ; l'abstraction en effet n'est autre chose que l'opération, par laquelle nous considérons dans un objet une propriété particulière, sans faire attention à celles qui se joignent à celle-là pour constituer l'essence de l'objet. La seconde espèce d'idées simples est renfermée dans les idées primitives que nous acquérons par nos sensations, comme celles des couleurs particulières, du froid, du chaud, et plusieurs autres semblables ; aussi n'y a-t-il point de circonlocution plus propre à faire entendre ces choses, que le terme unique qui les exprime.
Quand on a trouvé toutes les idées simples qu'un mot renferme, on le définira en présentant ces idées d'une manière aussi claire, aussi courte, et aussi précise qu'il sera possible. Il suit de ces principes, que tout mot vulgaire qui ne renfermera qu'une idée simple, ne peut et ne doit pas être défini dans quelque science que ce puisse être ; puisqu'une définition ne pourrait en mieux faire connaître le sens. A l'égard des termes vulgaires qui renferment plusieurs idées simples, fussent-ils d'un usage très-commun, il est bon de les définir, pour développer parfaitement les idées simples qu'ils renferment.
Ainsi dans la Mécanique ou science du mouvement des corps, on ne doit définir ni l'espace ni le temps, parce que ces mots ne renferment qu'une idée simple ; mais on peut et on doit même définir le mouvement, quoique la notion en soit assez familière à tout le monde, parce que l'idée de mouvement est une idée complexe qui en renferme deux simples, celle de l'espace parcouru, et celle du temps employé à le parcourir. Il suit encore des mêmes principes, que les idées simples qui entrent dans une définition doivent être tellement distinctes l'une de l'autre, qu'on ne puisse en retrancher aucune. Ainsi dans la définition ordinaire du triangle rectiligne, on fait entrer mal-à-propos les trois côtés et les trois angles ; il suffit d'y faire entrer les trois côtés, parce qu'une figure renfermée par trois lignes droites a nécessairement trois angles. C'est à quoi on ne saurait faire trop d'attention, pour ne pas multiplier sans nécessité les mots non plus que les êtres, et pour ne pas faire regarder comme deux idées distinctes, ce qui n'est individuellement que la même.
On peut donc dire non-seulement qu'une définition doit être courte, mais que plus elle sera courte, plus elle sera claire ; car la briéveté consiste à n'employer que les idées nécessaires, et à les disposer dans l'ordre le plus naturel. On n'est souvent obscur, que parce qu'on est trop long : l'obscurité vient principalement de ce que les idées ne sont pas bien distinguées les unes des autres, et ne sont pas mises à leur place. Enfin la briéveté étant nécessaire dans les définitions, on peut et on doit même y employer des termes qui renferment des idées complexes, pourvu que ces termes aient été définis auparavant, et qu'on ait par conséquent développé les idées simples qu'ils contiennent. Ainsi on peut dire qu'un triangle rectiligne est une figure terminée par trois lignes droites, pourvu qu'on ait défini auparavant ce qu'on entend par figure, c'est-à-dire un espace terminé entièrement par des lignes : ce qui renferme trois idées, celle d'étendue, celle de bornes, et celle de bornes en tout sens.
Telles sont les règles générales d'une définition ; telle est l'idée qu'on doit s'en faire, et suivant laquelle une définition n'est autre chose que le développement des idées simples qu'un mot renferme. Il est fort inutîle après cela d'examiner si les définitions sont de nom ou de chose, c'est-à-dire si elles sont simplement l'explication de ce qu'on entend par un mot, ou si elles expliquent la nature de l'objet indiqué par ce mot. En effet, qu'est-ce que la nature d'une chose ? En quoi consiste-t-elle proprement, et la connaissons-nous ? Si on veut répondre clairement à ces questions, on verra combien la distinction dont il s'agit est futîle et absurde : car étant ignorants comme nous le sommes sur ce que les êtres sont en eux-mêmes, la connaissance de la nature d'une chose (du moins par rapport à nous) ne peut consister que dans la notion claire et décomposée, non des principes réels et absolus de cette chose, mais de ceux qu'elle nous parait renfermer. Toute définition ne peut être envisagée que sous ce dernier point de vue : dans ce cas elle sera plus qu'une simple définition de nom, puisqu'elle ne se bornera pas à expliquer le sens d'un mot, mais qu'elle en décomposera l'objet ; et elle sera moins aussi qu'une définition de chose, puisque la vraie nature de l'objet, quoiqu'ainsi décomposé, pourra toujours rester inconnue.
Voilà ce qui concerne la définition des termes vulgaires. Mais une science ne se borne pas à ces termes, elle est forcée d'en avoir de particuliers ; soit pour abréger le discours et contribuer ainsi à la clarté, en exprimant par un seul mot ce qui aurait besoin d'être exprimé par une phrase entière ; soit pour désigner des objets peu connus sur lesquels elle s'exerce, et que souvent elle se produit à elle-même par des combinaisons singulières et nouvelles. Ces mots ont besoin d'être définis, c'est-à-dire simplement expliqués par d'autres termes plus vulgaires et plus simples ; et la seule règle de ces définitions, c'est de n'y employer aucun terme qui ait besoin lui-même d'être expliqué, c'est-à-dire qui ne soit ou clair de lui-même, ou déjà expliqué auparavant.
Les termes scientifiques n'étant inventés que pour la nécessité, il est clair que l'on ne doit pas au hasard charger une science de termes particuliers. Il serait donc à souhaiter qu'on abolit ces termes scientifiques et pour ainsi dire barbares, qui ne servent qu'à en imposer ; qu'en Géométrie, par exemple, on dit simplement proposition au lieu de théorème, conséquence au lieu de corollaire, remarque au lieu de scholie, et ainsi des autres. La plupart des mots de nos Sciences sont tirés des langues savantes, où ils étaient intelligibles au peuple même, parce qu'ils n'étaient souvent que des termes vulgaires, ou dérivés de ces termes : pourquoi ne pas leur conserver cet avantage ?
Les mots nouveaux, inutiles, bizarres, ou tirés de trop loin, sont presque aussi ridicules en matière de science, qu'en matière de gout. On ne saurait, comme nous l'avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple, et pour ainsi dire trop populaire ; non-seulement c'est un moyen d'en faciliter l'étude, c'est ôter encore un prétexte de la décrier au peuple, qui s'imagine ou qui voudrait se persuader que la langue particulière d'une science en fait tout le mérite, que c'est une espèce de rempart inventé pour en défendre les approches : les ignorants ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles, qui ne pouvant forcer une place se vengent en insultant les dehors.
Au reste ce que je propose ici a plutôt pour objet les mots absolument nouveaux que le progrès naturel d'une science oblige à faire, que les mots qui y sont déjà consacrés, surtout lorsque ces mots ne pourraient être facilement changés en d'autres plus intelligibles. Il est dans les choses d'usage, des limites où le philosophe s'arrête ; il ne veut ni se réformer, ni s'y soumettre en tout, parce qu'il n'est ni tyran ni esclave.
Les règles que nous venons de donner, concernent les éléments en général pris dans le premier sens. A l'égard des éléments pris dans le second sens, ils ne diffèrent des autres qu'en ce qu'ils contiendront nécessairement moins de propositions primitives, et qu'ils pourront contenir plus de conséquences particulières. Les règles de ces deux éléments sont d'ailleurs parfaitement semblables ; car les éléments pris dans le premier sens étant une fois traités, l'ordre des propositions élémentaires et primitives y sera réglé par le degré de simplicité ou de multiplicité, sous lequel on envisagera l'objet. Les propositions qui envisagent les parties les plus simples de l'objet, se trouveront donc placées les premières ; et ces propositions en y joignant ou en omettant leurs conséquences, doivent former les éléments de la seconde espèce. Ainsi le nombre des propositions primitives de cette seconde espèce d'éléments, doit être déterminé par l'étendue plus ou moins grande de la science que l'on embrasse, et le nombre des conséquences sera déterminé par le détail plus ou moins grand dans lequel on embrasse cette partie.
On peut proposer plusieurs questions sur la manière de traiter les éléments d'une science.
En premier lieu, doit-on suivre, en traitant les éléments, l'ordre qu'ont suivi les inventeurs ? Il est d'abord évident qu'il ne s'agit point ici de l'ordre que les inventeurs ont pour l'ordinaire réellement suivi, et qui était sans règle et quelquefois sans objet, mais de celui qu'ils auraient pu suivre en procédant avec méthode. On ne peut douter que cet ordre ne soit en général le plus avantageux à suivre ; parce qu'il est le plus conforme à la marche de l'esprit, qu'il éclaire en instruisant, qu'il met sur la voie pour aller plus loin, et qu'il fait pour ainsi dire pressentir à chaque pas celui qui doit le suivre : c'est ce qu'on appelle autrement la méthode analytique, qui procede des idées composées aux idées abstraites, qui remonte des conséquences connues aux principes inconnus, et qui, en généralisant celles-là, parvient à découvrir ceux-ci ; mais il faut que cette méthode réunisse encore la simplicité et la clarté, qui sont les qualités les plus essentielles que doivent avoir les éléments d'une science. Il faut bien se garder surtout, sous prétexte de suivre la méthode des inventeurs, de supposer comme vraies des propositions qui ont besoin d'être prouvées, sous prétexte que les inventeurs, par la force de leur génie, ont dû apercevoir d'un coup-d'oeil et comme à vue d'oiseau la vérité de ces propositions. On ne saurait traiter trop exactement les Sciences, surtout celles qui s'appellent particulièrement exactes.
La méthode analytique peut surtout être employée dans les sciences dont l'objet n'est pas hors de nous, et dont le progrès dépend uniquement de la méditation ; parce que tous les matériaux de la science étant pour ainsi dire au-dedans de nous, l'analyse est la vraie manière et la plus simple d'employer ces matériaux. Mais dans les sciences dont les objets nous sont extérieurs, la méthode synthétique, celle qui descend des principes aux conséquences, des idées abstraites aux composées, peut souvent être employée avec succès et avec plus de simplicité que l'autre ; d'ailleurs les faits sont eux-mêmes en ce cas les vrais principes. En général la méthode analytique est plus propre à trouver les vérités, ou à faire connaître comment on les a trouvées. La méthode synthétique est plus propre à expliquer et à faire entendre les vérités trouvées : l'une apprend à lutter contre les difficultés, en remontant à la source ; l'autre place l'esprit à cette source même, d'où il n'a plus qu'à suivre un cours facile. Voyez ANALYSE, SYNTHESE.
On demande en second lieu, laquelle des deux qualités doit être préférée dans des éléments, de la facilité, ou de la rigueur exacte. Je réponds que cette question suppose une chose fausse ; elle suppose que la rigueur exacte puisse exister dans la facilité, et c'est le contraire ; plus une déduction est rigoureuse, plus elle est facîle à entendre : car la rigueur consiste à réduire tout aux principes les plus simples. D'où il s'ensuit encore que la rigueur proprement dite entraîne nécessairement la méthode la plus naturelle et la plus directe. Plus les principes seront disposés dans l'ordre convenable, plus la déduction sera rigoureuse ; ce n'est pas qu'absolument elle ne put l'être si on suivait une méthode plus composée, comme a fait Euclide dans ses éléments : mais alors l'embarras de la marche ferait aisément sentir que cette rigueur précaire et forcée ne serait qu'improprement telle.
Nous n'en dirons pas davantage ici sur les règles qu'on doit observer en général, pour bien traiter les éléments d'une science. La meilleure manière de faire connaître ces règles, c'est de les appliquer aux différentes sciences ; et c'est ce que nous nous proposons d'exécuter dans les différents articles de cet ouvrage. A l'égard des éléments des Belles-Lettres, ils sont appuyés sur les principes du gout. Voyez GOUT. Ces éléments, semblables en plusieurs choses aux éléments des Sciences, ont été faits après coup sur l'observation des différentes choses qui ont paru affecter agréablement les hommes. On trouvera de même à l'article HISTOIRE, ce que nous pensons des éléments de l'histoire en général. Voyez aussi COLLEGE.
Nous dirons seulement ici que toutes nos connaissances peuvent se réduire à trois espèces ; l'Histoire, les Arts tant libéraux que mécaniques, et les Sciences proprement dites, qui ont pour objet les matières de pur raisonnement ; et que ces trois espèces peuvent être réduites à une seule, à celle des Sciences proprement dites. Car, 1°. l'Histoire est ou de la nature, ou des pensées des hommes, ou de leurs actions. L'histoire de la nature, objet de la méditation du philosophe, rentre dans la classe des sciences ; il en est de même de l'histoire des pensées des hommes, surtout si on ne comprend sous ce nom que celles qui ont été vraiment lumineuses et utiles, et qui sont aussi les seules qu'on doive présenter à ses lecteurs dans un livre d'éléments. A l'égard de l'histoire des rais, des conquérants, et des peuples, en un mot des événements qui ont changé ou troublé la terre, elle ne peut être l'objet du philosophe qu'autant qu'elle ne se borne pas aux faits seuls ; cette connaissance stérile, ouvrage des yeux et de la mémoire, n'est qu'une connaissance de pure convention quand on la renferme dans ses étroites limites, mais entre les mains de l'homme qui sait penser, elle peut devenir la première de toutes. Le sage étudie l'univers moral comme le physique, avec cette patience, cette circonspection, ce silence de préjugés qui augmente les connaissances en les rendant utiles ; il suit les hommes dans leurs passions comme la nature dans ses procédés ; il observe, il rapproche, il compare, il joint ses propres observations à celles des siècles précédents, pour tirer de ce tout les principes qui doivent l'éclairer dans ses recherches ou le guider dans ses actions : d'après cette idée, il n'envisage l'Histoire que comme un recueil d'expériences morales faites sur le genre humain, recueil qui serait sans-doute beaucoup plus complet s'il n'eut été fait que par des philosophes, mais qui, tout informe qu'il est, renferme encore les plus grandes leçons de conduite, comme le recueil des observations médicinales de tous les âges, malgré tout ce qui lui manque et qui lui manquera peut-être toujours, forme néanmoins la partie la plus importante et la plus réelle de l'art de guérir. L'Histoire appartient donc à la classe des Sciences, quant à la manière de l'étudier et de se la rendre utile, c'est-à-dire quant à la partie philosophique.
2°. Il en est de même des Arts tant mécaniques que libéraux : dans les uns et les autres ce qui concerne les détails est uniquement l'objet de l'artiste ; mais d'un côté, les principes fondamentaux des Arts mécaniques sont fondés sur les connaissances mathématiques et physiques des hommes, c'est-à-dire, sur les deux branches les plus considérables de la Philosophie ; de l'autre, les Arts libéraux ont pour base l'étude fine et délicate de nos sensations. Cette métaphysique subtîle et profonde qui a pour objet les matières de gout, sait y distinguer les principes absolument généraux et communs à tous les hommes, d'avec ceux qui sont modifiés par le caractère, le génie, le degré de sensibilité des nations ou des individus ; elle démêle par ce moyen le beau essentiel et universel, s'il en est un, d'avec le beau plus ou moins arbitraire et plus ou moins convenu : également éloigné et d'une décision trop vague et d'une discussion trop scrupuleuse, elle ne pousse l'analyse du sentiment que jusqu'où elle doit aller, et ne la resserre point non plus trop en-deçà du champ qu'elle peut se permettre ; en comparant les impressions et les affections de notre âme, comme le métaphysicien ordinaire compare les idées purement spéculatives, elle tire de cet examen des règles pour rappeler ces impressions à une source commune, et pour les juger par l'analogie qu'elles ont entr'elles ; mais elle s'abstient ou de les juger en elles-mêmes, ou de vouloir apprécier les impressions originaires et primitives par les principes d'une philosophie aussi obscure pour nous que la structure de nos organes, ou de vouloir enfin faire adopter ses règles par ceux qui ont reçu soit de la nature soit de l'habitude une autre façon de sentir. Ce que nous disons ici du goût dans les Arts libéraux, s'applique de soi-même à cette partie des Sciences qu'on appelle Belles-Lettres. C'est ainsi que les éléments de toutes nos connaissances sont renfermés dans ceux d'une philosophie bien entendue. Voyez PHILOSOPHIE.
Nous n'ajouterons plus qu'un mot sur la manière d'étudier quelques sortes d'éléments que ce puisse être, en supposant ces éléments bien faits. Ce n'est point avec le secours d'un maître qu'on peut remplir cet objet, mais avec beaucoup de méditation et de travail. Savoir des éléments, ce n'est pas seulement connaître ce qu'ils contiennent, c'est en connaître l'usage, les applications, et les conséquences ; c'est pénétrer dans le génie de l'inventeur, c'est se mettre en état d'aller plus loin que lui, et voilà ce qu'on ne fait bien qu'à force d'étude et d'exercice : voilà pourquoi on ne saura jamais parfaitement que ce qu'on a appris soi-même. Peut être ferait-on bien par cette raison, d'indiquer en deux mots dans des éléments l'usage et les conséquences des propositions démontrées. Ce serait pour les commençans un sujet d'exercer leur esprit en cherchant la démonstration de ces conséquences, et en faisant disparaitre les vides qu'on leur aurait laissés à remplir. Le propre d'un bon livre d'élements est de laisser beaucoup à penser.
On doit être en état de juger maintenant si des éléments complets des Sciences, peuvent être l'ouvrage d'un homme seul : et comment pourraient-ils l'être, puisqu'ils supposent une connaissance universelle et approfondie de tous les objets qui occupent les hommes ? je dis une connaissance approfondie ; car il ne faut pas s'imaginer que pour avoir effleuré les principes d'une science, on soit en état de les enseigner. C'est à ce préjugé, fruit de la vanité et de l'ignorance, qu'on doit attribuer l'extrême disette où nous sommes de bons livres élémentaires, et la foule de mauvais dont nous sommes chaque jour inondés. L'élève à peine sorti des premiers sentiers, encore frappé des difficultés qu'il a éprouvées, et que souvent même il n'a surmontées qu'en partie, entreprend de les faire connaître et surmonter aux autres ; censeur et plagiaire tout ensemble de ceux qui l'ont précédé, il copie, transforme, étend, renverse, resserre, obscurcit, prend ses idées informes et confuses pour des idées claires, et l'envie qu'il a eu d'être auteur pour le désir d'être utile. On pourrait le comparer à un homme qui, ayant parcouru un labyrinthe à tâtons et les yeux bandés, croirait pouvoir en donner le plan et en développer les détours. D'un autre côté les maîtres de l'art, qui par une étude longue et assidue en ont vaincu les difficultés et connu les finesses, dédaignent de revenir sur leurs pas pour faciliter aux autres le chemin qu'ils ont eu tant de peine à suivre : peut-être, encore frappés de la multitude et de la nature des obstacles qu'ils ont surmontés, redoutent-ils le travail qui serait nécessaire pour les applanir, et qui serait trop peu senti pour qu'on put leur en tenir compte. Uniquement occupés de faire de nouveaux progrès dans l'art, pour s'élever, s'il leur est possible, au-dessus de leurs prédécesseurs ou de leurs contemporains, et plus jaloux de l'admiration que de la reconnaissance publique, ils ne pensent qu'à découvrir et à jouir, et préfèrent la gloire d'augmenter l'édifice au soin d'en éclairer l'entrée. Ils pensent que celui qui apportera comme eux dans l'étude des Sciences, un génie vraiment propre à les approfondir, n'aura pas besoin d'autres éléments que de ceux qui les ont guidés eux-mêmes, que la nature et les réflexions suppléeront infailliblement pour lui à ce qui manque aux livres, et qu'il est inutîle de faciliter aux autres des connaissances qu'ils ne pourront jamais se rendre vraiment propres, parce qu'ils sont tout-au-plus en état de les recevoir sans y rien mettre du leur. Un peu plus de réflexion, eut fait sentir combien cette manière de penser est nuisible au progrès et à la gloire des Sciences ; à leur progrès, parce qu'en facilitant aux génies heureux l'étude de ce qui est connu, on les met en état d'y ajouter davantage et plus promptement ; à leur gloire, parce qu'en les mettant à la portée d'un plus grand nombre de personnes, on se procure un plus grand nombre de juges éclairés. Tel est l'avantage que produiraient de bons éléments des Sciences, éléments qui ne peuvent être l'ouvrage que d'une main fort habîle et fort exercée. En effet, si on n'est pas parfaitement instruit des vérités de détail qu'une Science renferme, si par un fréquent usage on n'a pas aperçu la dépendance mutuelle de ces vérités, comment distinguera-t-on parmi elles les propositions fondamentales dont elles dérivent, l'analogie ou la différence de ces propositions fondamentales, l'ordre qu'elles doivent observer entr'elles, et surtout les principes au-delà desquels on ne doit pas remonter ? c'est ainsi qu'un chimiste ne parvient à connaître les mixtes qu'après des analyses et des combinaisons fréquentes et variées. La comparaison est d'autant plus juste, que ces analyses apprennent au chimiste non-seulement quels sont les principes dans lesquels un corps se résout, mais encore, ce qui n'est pas moins important, les bornes au-delà desquelles il ne peut se résoudre, et qu'une expérience longue et réitérée peut seule faire connaître.
Des éléments bien faits, suivant le plan que nous avons exposé, et par des écrivains capables d'exécuter ce plan, auraient une double utilité : ils mettraient les bons esprits sur la voie des découvertes à faire, en leur présentant les découvertes déjà faites ; de plus ils mettraient chacun plus à portée de distinguer les vraies découvertes d'avec les fausses ; car tout ce qui ne pourrait point être ajouté aux éléments d'une Science comme par forme de supplément, ne serait point digne du nom de découverte. Voyez ce mot. (O)
Après avoir exposé ce qui concerne les éléments des Sciences en général, nous allons maintenant dire un mot des éléments de Mathématique et de Physique, en indiquant, pour répondre à l'objet de cet ouvrage, les principaux livres où ils sont traités.
Les éléments des Mathématiques ont été expliqués dans des cours et des systèmes qu'ont donnés différents auteurs. Voyez COURS.
Le premier ouvrage de cette espèce est celui de Hérigone, publié en latin et en français l'an 1664, en dix volumes. Cet auteur y a renfermé les éléments d'Euclide, les données du même, etc. avec les éléments d'Arithmétique, d'Algèbre, de Trigonométrie, d'Architecture, de Géographie, de Navigation, d'Optique, des Sphériques, d'Astronomie, de Musique, de Perspective, etc. Cet ouvrage a cela de remarquable, que l'auteur y emploie par-tout une espèce de caractère universel, de manière que sans se servir absolument d'aucun langage, on peut en entendre toutes les démonstrations, pourvu que l'on se souvienne seulement des caractères qui y sont employés. Voyez CARACTERE.
Depuis Hérigone, d'autres auteurs ont expliqué les éléments de différentes parties de Mathématiques, particulièrement le jésuite Schot dans son cursus mathematicus, publié en 1674 ; Jonas Moore, dans son nouveau système de Mathématiques, imprimé en anglais en 1681 ; Dechales dans son cursus mathematicus, qui parut en 1674 ; Ozannam dans son cours des Mathématiques, publié en 1699 : mais personne n'a donné de cours de Mathématiques plus étendu ni plus approfondi que M. Wolf ; son ouvrage a été publié sous le titre de elementa mathèseos universae, en deux volumes in-4°, dont le premier parut en 1713, et le second en 1715 : depuis il y a eu une édition de Geneve en 1733, en cinq volumes in -4° : en général cet ouvrage fait honneur à son auteur, quoiqu'il ne soit pas exempt de fautes ; mais c'est le meilleur ou le moins mauvais que nous ayons jusqu'ici.
Les éléments d'Euclide sont le premier, et selon plusieurs personnes le meilleur livre d'éléments de Géométrie. On a fait un grand nombre d'éditions et de commentaires sur les quinze livres des éléments de cet auteur. Oronce Finé est le premier qui a publié, en 1530, les six premiers livres de ces éléments, avec des notes pour expliquer le sens d'Euclide. Pelletier fit la même chose en 1557. Nic. Tartaglia fit un commentaire vers ce même temps sur les quinze livres entiers ; il y ajouta même quelque chose de lui.
Dechales, Hérigone, et d'autres, ont pareillement travaillé beaucoup sur les éléments d'Euclide, ainsi que Barrow, recommandable surtout par la précision et la rigueur de ses démonstrations. Mais comme les quinze livres entiers ne paraissent pas nécessaires, principalement aux jeunes Mathématiciens, quelques auteurs se sont appliqués seulement à bien éclaircir les six premiers livres, avec l'onzième et le douzième tout au plus. On ne finirait pas, si l'on voulait rapporter les différentes éditions qu'on en a faites : celles qui passent pour les meilleures, sont une édition française de Dechales et une latine d'André Tacquet : celle de Dechales, qu'on estime le plus, a été faite à Paris en 1709 par Ozannam ; et la meilleure de Tacquet est une édition de Cambridge faite en 1703 par Whiston.
Quelques auteurs ont réduit en syllogismes toutes les démonstrations d'Euclide, pour faire voir comment l'on s'éleve, par une chaîne de raisonnements, à une démonstration complete . Pierre Ramus n'approuva pas l'ordre d'Euclide, comme il le parait par son discours sur les quinze livres de cet auteur ; c'est ce qui le détermina à compiler vingt-trois nouveaux livres d'éléments, suivant la méthode scolastique, mais sans succès. Arnaud, en 1667 ; Gaston Pardiés, Jésuite, en 1680 ; le P. Lamy, en 1685 ; Polinière, en 1704 ; et depuis 20 ans M. Rivard, ont publié le fond de la doctrine d'Euclide, suivant une nouvelle méthode particulière à chacun d'eux.
Il y a quelques années que M. Clairaut, de l'académie des Sciences de Paris, publia une Géométrie, où les propositions ne paraissent qu'à mesure qu'elles sont occasionnées par les besoins des hommes qui les ont découvertes : cette méthode est très-lumineuse, et n'a point la sécheresse des précédentes ; mais, outre que l'auteur y suppose quelquefois sans démonstration ce qui à la rigueur pourrait en avoir besoin, les propositions, ainsi que dans toutes les autres méthodes, n'y sont point déduites immédiatement les unes des autres, et forment plutôt un assemblage qu'un édifice de propositions ; cependant une chaîne non interrompue de vérités, serait le système le plus naturel et le plus commode, en même temps qu'elle offrirait à l'esprit l'agréable spectacle de générations en ligne directe : or c'est ce que l'on a exécuté dans les institutions de Géométrie, imprimées à Paris en 1746, chez de Bure l'ainé. Toutes les propositions de cet ouvrage sont déduites immédiatement les unes des autres, et donnent occasion à la résolution d'un fort grand nombre de problèmes curieux et utiles, ainsi qu'à des réflexions sur les développements de l'esprit humain ; ce qui répand quelque agrément sur une matière qui ne comporte par elle-même que trop de sécheresse. Moyennant cet appas ou cet artifice, la Géométrie élémentaire a été mise à la portée de la plus tendre enfance, ainsi que l'experience l'a démontré, et le démontre tous les jours. On désirerait que M. Clairaut, dans les excellents éléments d'Algèbre qu'il a publiés, eut mis les opérations du calcul plus à portée des commençans. Voyez ALGEBRE.
Sur les éléments des différentes parties des Mathématiques, voyez ALGEBRE, DIFFERENTIEL, INTEGRAL, MECHANIQUE, OPTIQUE, ASTRONOMIE, etc.
Les meilleurs éléments de Physique sont l'essai de Physique de Musschenbroeck, les éléments de s'Gravesande, les leçons de Physique de M. l'abbé Nollet, et plusieurs autres. Voyez PHYSIQUE. (E)
ELEMENS, (Géomét. trants.) On appelle ainsi dans la géométrie sublime, les parties infiniment petites ou différentielles d'une ligne droite, d'une courbe, d'une surface, d'un solide. Ainsi (Pl. d'anal. fig. 18.) le petit espace P M m p, formé par les deux ordonnées infiniment proches PM, m p, et par l'arc M m de la courbe, est l'élément de l'espace A P M ; P p est l'élément de l'abscisse ; Mm, celui de la courbe, etc. Voyez DIFFERENTIEL, FLUXIONS, INDIVISIBLES, INTEGRAL, INFINI, etc. (O)
ELEMENS, en Astronomie. Les Astronomes entendent communément par ce mot les principaux résultats des observations astronomiques, et généralement tous les nombres essentiels qu'ils emploient à la construction des tables du mouvement des planètes. Ainsi les éléments de la théorie du soleil, ou plutôt de la terre, sont son mouvement moyen et son excentricité, et le mouvement de son aphélie. Les éléments de la théorie de la lune sont son mouvement moyen, celui de son nœud et de son apogée, son excentricité, l'inclinaison moyenne de son orbite à l'écliptique. Voyez EPOQUE, MOUVEMENT MOYEN, EXCENTRICITE, etc. (O)
ELEMENS, s. pl. m. On appelle ainsi en Physique les parties primitives des corps. Les anciens, comme tout le monde sait, admettaient quatre éléments ou corps primitifs dont ils supposaient les autres formés, l'air, le feu, l'eau, la terre ; et cette opinion, quoiqu'abandonnée depuis, n'était pas si déraisonnable, car il n'y a guère de mixte dans lequel la Chimie ne trouve ces quatre corps, ou du moins quelques-uns d'eux. Descartes est venu, qui à ces quatre éléments en a substitué trois autres, uniquement tirés de son imagination, la matière subtîle ou du premier élément, la matière globuleuse ou du second, et la matière rameuse ou du troisième. Voyez CARTESIANISME, ETHER, MATIERE SUBTILE, GLOBULES, etc. Aujourd'hui les Philosophes sages reconnaissent, 1°. qu'on ignore absolument en quoi consistent les éléments des corps. Voyez CONFIGURATION, CORPS, MATIERE, CORPUSCULE, etc. 2°. Qu'on ignore encore, à plus forte raison, si les éléments des corps sont tous semblables, et si les corps diffèrent entr'eux par la différente nature de leurs éléments, ou seulement par leur différente disposition. 3°. Qu'il y a apparence que les éléments ou particules primitives des corps sont durs par eux-mêmes. Voyez DURETE. On sera peut-être étonné de la briéveté de cet article : mais nos connaissances sur ce qui en fait l'objet sont encore plus courtes. (O)
ELEMENT ou PREMIER PRINCIPE, (Chimie) Voyez PRINCIPE.
ELEMENT, (Medec. Physiol. Pathol.) ce terme est employé dans la théorie de la Médecine pour désigner les premiers principes de la structure du corps humain. Voyez FIBRE, NUTRITION. (d)
ELEMENTAIRE, adj. (Philosophie) se dit de ce qui se rapporte aux éléments. Voyez ELEMENT. Ainsi les éléments d'un corps se nomment aussi les particules élémentaires de ce corps.
Tout l'espace qui est compris dans l'orbite de la Lune, était appelé par les anciens la région élémentaire, parce que c'était selon eux le siège ou la sphère des quatre éléments vulgaires. C'est par la même raison que de prétendus philosophes ont appelé peuple élémentaire une espèce d'êtres imaginaires qu'ils ont cru ou supposé habiter les quatre éléments des anciens, etc. En voilà assez et trop sur ces sottises. Sur l'air et le feu élémentaire, voyez AIR et FEU.
ELEMENTAIRE se dit aussi, en parlant d'une science, de la partie de cette science qui en renferme les éléments. Ainsi on dit la Géométrie élémentaire pour les éléments de Géométrie, la Mécanique élémentaire pour les éléments de Mécanique, etc. (O)