GESTE
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- Écrit par : Louis de Cahusac (B)
Les sons ont fait naître le chant, et sont par conséquent la cause première de toutes les espèces de Musique possibles. Voyez CHANT, MUSIQUE. Les gestes ont été de la même manière la source primitive de ce que les anciens et nous avons appelé danse. Voyez l'article suivant.
Pour parler du geste d'une manière utîle aux Arts, il est nécessaire de le considérer dans ses points de vue différents. Mais de quelque manière qu'on l'envisage, il est indispensable de le voir toujours comme expression : c'est-là sa fonction primitive ; et c'est par cette attribution, établie par les lois de la nature, qu'il embellit l'art dont il est le tout, et celui auquel il s'unit, pour en devenir une principale partie. (B)
GESTE, (Danse) la Danse est l'art des gestes ; on a expliqué à cet article dans les volumes précédents l'objet et l'origine de cet art. Voyez DANSE. Il ne reste ici qu'une observation à faire pour aider ses progrès, et pour employer utilement les moyens qu'elle a sous sa main, et que cependant elle laisse aisifs depuis qu'elle existe.
Cette observation sera peu du goût de nos artistes ; ils sont dans une routine contraire ; et la routine est en général la boussole des artistes modernes qui ont acquis quelque réputation dans la danse du théâtre.
Observer, réfléchir, lire, leur paraissent des distractions nuisibles aux mouvements du corps, où ils se livrent par préférence ; leurs bras, leurs positions croissent en agrément, et l'art reste sans progrès. C'est donc à l'amour de l'art à ne se point rebuter contre une ancienne obstination qui lui est très-nuisible. Le moment viendra peut-être où l'esprit de réflexion entrera en quelque société avec la facture mécanique des sauts et des pas. En attendant, la vérité se trouvera écrite.
Il est certain que les mouvements extérieurs du visage sont les gestes les plus expressifs de l'homme : pourquoi donc tous les danseurs se privent-ils sur nos théâtres de l'avantage que leur procurerait cette expression supérieure à toutes les autres ?
Les Grecs et les Romains avaient une raison très-puissante pour s'aider du secours du masque, non-seulement dans la Danse, mais encore dans la déclamation chantée de leurs représentations tragiques et comiques. Les places immenses où s'assemblaient les spectateurs, formaient de si grands éloignements, qu'on n'aurait entendu la voix ni distingué aucun des traits du visage, si on n'avait eu recours à l'invention des masques qu'on changeait dans la même représentation, selon les divers besoins de l'action théâtrale.
Le masque ne leur fit rien perdre, et il leur procura les deux avantages dont l'éloignement les aurait privés. Nous sommes dans la situation contraire : le masque nous nuit toujours, et n'est utîle presque jamais.
1°. Malgré l'habitude qu'on a prise de s'en servir, il est impossible qu'il ne gêne pas la respiration ; 2°. il diminue par conséquent les forces ; et c'est un inconvénient considérable dans un pareil exercice, que la gêne et l'affoiblissement.
En considérant que le masque, quelque bien dessiné et peint qu'on puisse le faire, est toujours inférieur à la teinte de la nature, ne peut avoir aucun mouvement, et ne peut être jamais que ce qu'il a paru d'abord ; peut-on se refuser à l'abolition d'un abus si nuisible à la Danse ? L'habitude dans les Arts doit-elle toujours prévaloir sur les moyens surs d'un embellissement qu'on perd par indolence ? quel honneur peut-on trouver à imiter servilement la conduite et la manière des danseurs qui ont précédé ? ne se convaincra-t-on jamais que tout leur savoir ne consistait qu'en quelques traditions tyranniques que le talent véritable dédaigne, et que la médiocrité seule regarde comme des lois ?
Les danseurs qui méritent qu'on leur réponde, m'ont opposé 1°. que la danse vive demande quelquefois des efforts qui influent d'une manière desagréable sur le visage du danseur ; 2°. que n'étant pas dans l'usage de danser à visage découvert, on n'a point pris d'enfance, comme les femmes, le soin d'en ajuster les traits avec les grâces qu'elles ont naturellement, et que leur adresse sait proportionner aux différentes entrées de danse qu'elles exécutent.
Ces deux raisons ne sont que des prétextes ; les grâces du visage sont en proportion du sentiment ; et l'expression marquée par les mouvements de ses traits, sont les grâces les plus désirables pour un homme de théâtre. On convient qu'il y a quelques caractères qui exigent le masque ; mais ils sont en petit nombre ; et ce n'est pas à cause des efforts prétendus qu'il faut faire pour les bien danser, que le masque devient nécessaire, mais seulement parce qu'un visage humain y serait un contre-sens ridicule. Tels sont les vents, les satyres, les démons : tous les autres sont ou nobles ou tendres ou gais ; ils gagneraient tous à l'expression que leur prêteraient les traits du visage.
Au surplus, l'art des Laval et des Marcel, qui ont senti l'un et l'autre ce que la Danse devait être, est un aide sur pour la belle nature ; le geste qu'elle anime trouve dans leurs pratiques mille moyens de s'embellir ; ils ont étudié les ressorts secrets de la nature humaine ; ils en connaissent les forces, les possibilités, la liaison. Les routes que peut leur indiquer une pareille connaissance, sont plus que suffisantes pour rendre les différents mouvements du corps, flexibles, rapides, brillans et moèlleux. C'est sous de tels maîtres que la danse française peut acquérir cette expression enchanteresse qui lui donne, sans parler, autant de charmes qu'en étalent la bonne poésie et l'excellente musique. Les pas de deux, surtout de galanterie ou de passion ; les pas seuls de grâce, les beaux développements des bras et des autres parties du corps qui se font sous un masque insensible, recevront enfin quelque jour, par les soins de nos excellents maîtres, la vie qui leur manque, qui peut seule ranimer la Danse et satisfaire pleinement les vrais amateurs. (B)
GESTE, (Déclamation) Le geste au théâtre doit toujours précéder la parole : on sent bien plus tôt que la parole ne peut le dire ; et le geste est beaucoup plus preste qu'elle ; il faut des moments à la parole pour se former et pour frapper l'oreille ; le geste que la sensibilité rend agile, part toujours au moment même où l'âme éprouve le sentiment.
L'acteur qui ne sent point et qui voit des gestes dans les autres, croit les égaler au-moins par des mouvements de bras, par des marches en-avant et par de froids reculements en-arrière ; par ces tours aisifs enfin toujours gauches au théâtre, qui refroidissent l'action et rendent l'acteur insupportable. Jamais dans ces automates fatiguans l'âme ne fait agir les mouvements ; elle reste ensevelie dans un assoupissement profond : la routine et la mémoire sont les chevilles ouvrières de la machine qui agit et qui parle.
Baron avait le geste du rôle qu'il jouait : voilà la seule bonne manière de les adapter sur le théâtre aux différents mouvements du caractère et de la passion. Voyez DECLAMATION.
Nous voyons au théâtre français des gestes et des mouvements qui nous entraînent ; s'ils nous laissaient le temps de réfléchir, nous les trouverions desordonnés, sans grâce, peut-être même desagréables : mais leur feu rapide échauffe, émeut, ravit le spectateur ; ils sont l'ouvrage du désordre de l'âme ; elle se peint dans cette espèce de dégingandage, plus beau, plus frappant que ne pourrait l'être toute l'adresse de l'art : osons le dire, c'est le sublime de l'agitation de l'actrice ; c'est la passion elle-même qui parle, qui me trouble, et qui fait passer dans mon âme tous les sentiments que son beau désordre me peint. (B)
GESTE, (Chant du théâtre) l'opéra français a pour objet de séduire l'esprit, de charmer les sens, de transporter l'âme dans des régions enchantées. Voyez OPERA : si les ressorts de cette aimable séduction sont rudes, gauches, grossiers, l'esprit ne peut être entrainé, le goût l'arrête ; le froid et la distraction succedent rapidement aux premiers moments d'attention et de chaleur.
J'entens des sons mélodieux ; je vois un lieu orné de tout ce qui peut flatter les regards d'un spectateur avide ; le jour qui l'éclaire est celui que j'imagine dans les jardins délicieux de l'Olympe. Mes yeux tombent sur le personnage dont l'apparition, par sa majesté et par ses grâces, doit remplir la première idée qui m'a séduit ; je ne vois qu'une figure rude qui marche d'un pas apprêté, qui remue au hasard deux grands bras qu'un mouvement monotone de pendule agite ; mon attention cesse ; le froid me gagne ; le charme a disparu, et je ne vois plus qu'une charge ridicule d'un dieu ou d'une déesse, à la place de la figure imposante qu'un si beau prélude m'avait promis.
Le contre-sens du geste passe rapidement au théâtre de la comédie ; l'attention y court de pensée en pensée, et l'acteur n'a pas le temps de s'appesantir sur la faute qui lui échappe quelquefois.
Il n'en est pas ainsi au théâtre du chant ; les détails y sont ralentis et répétés par la musique ; et c'est-là que le contre-sens, quand il y est une fois amené, a tout le temps d'assommer le spectateur.
On a déjà dit en parlant de la danse, que les traits du visage formaient les gestes les plus expressifs : ils sont en effet dans l'acteur, lorsqu'ils sont vrais, l'ouvrage sublime de l'art, parce qu'ils paraissent l'image vivante de la nature : mais l'art seul et sans elle, ne peut rien sur cette partie de la figure humaine ; il n'a que l'avantage d'un masque dont l'oeil découvre bientôt l'imposture.
Il faut, pour peindre sur cette toîle animée et changeante, un sentiment juste, le tact fin et prompt, le talent enfin qui seul peut peindre, parce qu'il peut seul exprimer. Ce grand ressort dans l'acteur, qui le possede, pose, détermine, arrange toutes les parties sans que l'art s'en mêle ; les bras, les pieds, le corps, se trouvent d'eux-mêmes dans les places, dans les mouvements où ils doivent être. Tout suit l'ordre avec l'aisance de l'instinct. Voyez GRACE, CHANT.
Mais souvent le talent est égaré par l'esprit ; alors il fait toujours plus mal, pour vouloir mieux faire. Ainsi à ce théâtre il arrive quelquefois que les acteurs les plus estimables abandonnent l'objet qui les amene, pour jouer sur les mots, et pour peindre en contre-sens ce qu'ils chantent. On en a Ve faire murmurer les ruisseaux dans l'orchestre et dans le parterre ; les y suivre des yeux et de la main ; aller chercher les zéphirs et les échos dans les balcons et dans les loges où ils ne pouvaient être ; et laisser tranquillement pendant toute la lente durée de ces beaux chants, les berceaux et l'onde pure qu'offraient les côtés et le fonds du théâtre, sans leur donner le moindre signe de vie. (B)