MUSIQUE
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- Écrit par : Auteur anonyme
La Musique se divise naturellement en spéculative et en pratique.
La musique spéculative est, si on peut parler ainsi, la connaissance de la matière musicale, c'est-à-dire, des différents rapports du grave à l'aigu, et du lent au bref dont la perception est, selon quelques auteurs, la véritable source du plaisir de l'oreille.
La musique pratique est celle qui enseigne comment les principes de la spéculative peuvent être appliqués, c'est-à-dire, à conduire et à disposer les sons par rapport à la succession, à la consonnance, et à la mesure, de telle manière que le ton en plaise à l'oreille. C'est ce qu'on appelle l'art de la composition. Voyez COMPOSITION. A l'égard de la production actuelle des sons par les voix ou par les instruments, qu'on appelle exécution, c'est la partie purement mécanique, qui, supposant la faculté d'entonner juste les intervalles, ne demande d'autre connaissance que celle des caractères de la Musique, et l'habitude de les exprimer.
La musique spéculative se divise en deux parties, savoir, la connaissance du rapport des sons et de la mesure des intervalles, et celle des valeurs ou du temps.
La première est proprement celle que les anciens ont appelée musique harmonique. Elle enseigne en quoi consiste l'harmonie, et en dévoîle les fondements. Elle fait connaître les différentes manières dont les sons affectent l'oreille par rapport à leurs intervalles ; ce qui s'applique également à leur consonnance et à leur succession.
La seconde a été appelée rythmique, parce qu'elle traite des sons, eu égard au temps et à la quantité. Elle contient l'explication des rythmes et des mesures longues et courtes, vives et lentes, des temps et des différentes parties dans lesquelles on les divise, pour y appliquer la succession des tons.
La musique -pratique se divise en deux parties qui répondent aux deux précédentes.
Celle qui répond à la musique harmonique, et que les anciens appelaient melopeia, contient les régles pour produire des chants agréables et harmonieux. Voyez MELOPEE.
La seconde, qui répond à la musique rythmique, et qu'on appelle rhythmopoeia, contient les règles pour l'application des mesures et des temps ; en un mot, pour la pratique du rythme. Voyez RYTHME.
Porphire donne une autre division de la Musique en tant qu'elle a pour objet le mouvement muet ou sonore, et sans la distinguer en spéculative et pratique, il y trouve les six parties suivantes, la rythmique pour les mouvements de la danse ; la métrique, pour la cadence et le nombre ; l'organique, pour la pratique des instruments ; la poétique, pour l'harmonie et la mesure des vers ; l'hypocritique, pour les attitudes des pantomimes ; et l'harmonique, pour le chant.
La Musique se divise aujourd'hui plus simplement en mélodie et en harmonie ; car le rythme est pour nous une étude trop bornée pour en faire une branche particulière.
Par la mélodie on dirige la succession des sons de manière à produire des chants agréables. Voyez MELODIE, MODES, CHANTS, MODULATION.
L'harmonie consiste proprement à savoir unir à chacun des sons d'une succession régulière et mélodieuse deux ou plusieurs autres sons qui, frappant l'oreille en même temps, flattent agréablement les sens. Voyez HARMONIE.
Les anciens écrivains diffèrent beaucoup entre eux sur la nature, l'objet, l'étendue et les parties de la Musique. En général, ils donnaient à ce mot un sens beaucoup plus étendu que celui qui lui reste aujourd'hui. Non-seulement sous le nom de musique ils comprenaient, comme on vient de le voir, la danse, le chant, la poésie ; mais même la collection de toutes les sciences. Hermès définit la musique, la connaissance de l'ordre de toutes choses : c'était aussi la doctrine de l'école de Pythagore, et de celle de Platon, qui enseignaient que tout dans l'univers était musique. Selon Hesychius les Athéniens donnaient à tous les arts le nom de musique.
De-là toutes ces musiques sublimes dont nous parlent les Philosophes : musique divine, musique du monde ; musique céleste ; musique humaine ; musique active ; musique contemplative ; musique énonciative, organique, odicale, etc.
C'est sous ces vastes idées qu'il faut entendre plusieurs passages des anciens sur la musique, qui seraient inintelligibles avec le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot.
Il parait que la Musique a été un des premiers arts. Il est aussi très-vraisemblable que la musique vocale a été trouvée avant l'instrumentale. Car, non-seulement les hommes ont dû faire des observations sur les différents tons de leur propre voix, avant que d'avoir trouvé aucun instrument ; mais ils ont dû apprendre de bonne heure, par le concert naturel des oiseaux, à modifier leur voix et leur gosier d'une manière agréable. On n'a pas tardé non plus à imaginer les instruments à vent : Diodore, comme je l'ai dit, et plusieurs anciens en attribuent l'invention à l'observation du sifflement des vents dans les roseaux, ou autres tuyaux des plantes. C'est aussi le sentiment de Lucrèce.
At liquidas ovium voces imitarier ore
Ante fuit multò, quam levia carmina cantu
Concelebrare homines possint, aureisque juvare,
Et zephyri cava per calamorum sibila primùm
Agresteis docuere cavas inflare cicutas.
A l'égard des autres sortes d'instruments, les cordes sonores sont si communes, que les hommes ont dû observer de bonne heure leurs différents sons : ce qui a donné naissance aux instruments à cordes. Voyez CORDE.
Pour ce qui est des instruments qu'on bat pour en tirer du son, comme les tambours et les tymbales, ils doivent leur origine au bruit sourd que rendent les corps creux quand on les frappe. Voyez TAMBOUR, TYMBALES, etc.
Il est difficîle de sortir de ces généralités pour établir quelque chose de solide sur l'invention de la Musique réduite en art. Plusieurs anciens l'attribuent à Mercure, aussi-bien que celle de la lyre. D'autres veulent que les Grecs en soient rédevables à Cadmus, qui en se sauvant de la cour du roi de Phénicie (Athén. Deipn.), amena en Grèce la musicienne harmonie. Dans un endroit du dialogue de Plutarque sur la Musique, Lysias dit que c'est Amphion qui l'a inventée ; dans un autre, Soterique dit que c'est Apollon ; dans un autre encore, il semble en faire honneur à Olympe. On ne s'accorde guère sur tout cela ; à ces premières inventions succédèrent Chiron, Demodocus, Hermès, Orphée, qui selon quelques-uns, inventa la lyre. Après ceux-là vinrent Phoecinius et Terpandre, contemporains de Lycurgue, et qui donna des règles à la Musique. Quelques personnes lui attribuent l'invention des premiers modes. Enfin, on ajoute Thalès et Thamiris, qu'on dit avoir été les inventeurs de la Musique purement instrumentale.
Ces grands musiciens vivaient avant Homère. D'autres plus modernes sont Lasus, Hermionensis, Melnippides, Philoxene, Thimothée, Phrynnis, Epigonius, Lysandre, Simmicus et Diodore, qui tous ont considérablement perfectionné la Musique.
Lasus est, à ce qu'on prétend, le premier qui ait écrit sur la musique du temps de Darius Hystaspe. Epigonius inventa un instrument de quarante cordes appelé epigonium. Simmicus inventa aussi un instrument de trente-cinq cordes, appelé simmicium.
Diodore perfectionna la flute en y ajoutant de nouveaux trous ; et Thimothée la lyre, en y ajoutant une nouvelle corde, ce qui le fit mettre à l'amende par les Lacédemoniens.
Comme les anciens écrivains s'expliquent fort obscurément sur les inventeurs des instruments de Musique, ils sont aussi fort obscurs sur les instruments mêmes ; à peine en connaissons-nous autre chose que les noms.
Les instruments se divisent généralement en instruments à cordes, instruments à vent, et instruments qu'on frappe. Par instruments à cordes, on entend ceux que les anciens appelaient lyra, psalterium, trigonium, sambuca, cithara, pectis, magas, barbiton, testudo, trigonium, epigonium, simmicium, epandoron, etc. On touchait tous ces instruments avec la main, ou avec le plectrum, espèce d'archet. Voyez ARCHET, etc.
Par instrument à vent, on entend ceux que les anciens nommaient tibia, fistula, tuba, cornua, lituus, et les orgues hydrauliques. Voyez FLUTES, etc.
Les instruments de percussion étaient appelés tympanum, cymbalum, orepitaculum, tintinnabulum, crotalum, sistrum. Voyez TYMPANUM, TYMBALES, etc.
La Musique était dans la plus grande estime chez divers peuples de l'antiquité, et principalement chez les Grecs, et cette estime était proportionnée à la puissance et aux effets surprenans qu'ils lui attribuaient. Leurs auteurs ne croient pas nous en donner une trop grande idée, en nous disant qu'elle était en usage dans le ciel, et qu'elle faisait l'amusement principal des dieux et des âmes des bienheureux. Platon ne craint point de dire, qu'on ne peut faire de changements dans la Musique, qui n'en soit un dans la constitution de l'état ; et il prétend qu'on peut assigner les sons capables de faire naître la bassesse de l'âme, l'insolence et les vertus contraires. Aristote, qui semble n'avoir fait sa politique que pour opposer ses sentiments à ceux de Platon, est pourtant d'accord avec lui touchant la puissance de la Musique sur les mœurs. Le judicieux Polybe nous dit que la Musique était nécessaire pour adoucir les mœurs des Arcades, qui habitaient un pays où l'air est triste et froid ; que ceux de Cynete qui négligèrent la Musique, surpassèrent en cruauté tous les Grecs, et qu'il n'y a point de ville où l'on ait tant Ve de crimes. Athenée nous assure qu'autrefois toutes les lois divines et humaines, les exhortations à la vertu, la connaissance de ce qui concernait les dieux et les hommes, les vies et les actions des personnages illustres, étaient écrites en vers, et chantées publiquement par un chœur au son des instruments. On n'avait point trouvé de moyen plus efficace, pour graver dans l'esprit des hommes les principes de la morale, et la connaissance de leurs devoirs.
La Musique faisait partie de l'étude des anciens Pythagoriciens ; ils s'en servaient pour exciter l'esprit à des actions louables, et pour s'enflammer de l'amour de la vertu. Selon ces philosophes, notre âme n'était, pour ainsi dire, formée que d'harmonie, et ils croyaient faire revivre par le moyen de la Musique, l'harmonie primitive des facultés de l'âme, c'est-à-dire, l'harmonie qui, selon eux, existait en elle avant qu'elle animât nos corps, et lorsqu'elle habitait les cieux. Voyez PREEXISTENCE, PYTHAGORICIENS.
La Musique parait déchue aujourd'hui de ce degré de puissance et de majesté, au point de nous faire douter de la vérité de ces faits, quoiqu'attestés par les plus judicieux historiens et par les plus graves philosophes de l'antiquité. Cependant on retrouve dans l'histoire moderne quelques faits semblables. Si Thimothée excitait les fureurs d'Alexandre par le mode phrygien, et l'adoucissait ensuite jusqu'à l'indolence par le mode lydien, une musique plus moderne renchérissait encore en excitant, dit-on, dans Eric roi de Danemark, une telle fureur, qu'il tuait ses meilleurs domestiques : apparemment ces domestiques-là n'étaient pas si sensibles que leur prince à la Musique, autrement il eut bien pu courir la moitié du danger. D'Aubigné rapporte encore une autre histoire toute pareille à celle de Thimothée. Il dit que du temps d'Henri III, le musicien Glaudin, jouant aux noces du duc de Joyeuse sur le mode phrygien, anima, non le roi, mais un courtisan, qui s'oublia au point de mettre la main aux armes en présence de son souverain ; mais le musicien se hâta de le calmer en prenant le mode sous-phrygien.
Si notre musique exerce peu son pouvoir sur les affections de l'âme, en revanche elle est capable d'agir physiquement sur le corps ; témoin l'histoire de la tarentule, trop connue pour en parler ici. Voyez TARENTULE. Témoin ce chevalier gascon dont parle Boile, lequel au son d'une cornemuse, ne pouvait retenir son urine ; à quoi il faut ajouter ce que raconte le même auteur de ces femmes qui fondaient en larmes lorsqu'elles entendaient un certain ton dont le reste des auditeurs n'étaient point affectés. On lit dans l'histoire de l'académie des sciences de Paris, qu'un musicien fut guéri d'une violente fièvre par un concert qu'on fit dans sa chambre.
Les sons agissent même sur les corps inanimés. Morhof fait mention d'un certain Petter hollandais, qui brisait un verre par le son de sa voix. Kircher parle d'une grande pierre qui frémissait au son d'un certain tuyau d'orgue. Le P. Mersenne parle aussi d'une sorte de carreau que le jeu de l'orgue ébranlait comme aurait pu faire un tremblement de terre. Boîle ajoute que les sièges tremblent souvent au son des orgues ; qu'il les a senti plusieurs fois frémir sous sa main à certains tons de l'orgue ou de la voix, et qu'on l'a assuré que tous ceux qui étaient bien faits frémissaient à chaque ton déterminé. Cette dernière expérience est certaine, et chacun peut la vérifier tous les jours. Tout le monde a ouï parler de ce fameux pilier d'une église de Rheims, (S. Nicaise), qui s'ébranle très-sensiblement au son d'une certaine cloche, tandis que les autres piliers demeurent presque immobiles. Mais ce qui ravit au son l'honneur du merveilleux, c'est que ce pilier s'ébranle également quand on ôte le battant de la cloche.
Tous ces exemples dont la plupart appartiennent plus au son qu'à la Musique, et dont la Physique peut donner quelques explications, ne nous rendent pas plus intelligibles ni plus croyables les effets merveilleux et presque divins que les anciens attribuent à la Musique. Plusieurs auteurs se sont tourmentés pour tâcher d'en rendre raison. Wallis les attribue en partie à la nouveauté de l'art, et les rejette en partie sur l'exagération des anciens ; d'autres en font honneur seulement à la Poésie ; d'autres supposent que les Grecs, plus sensibles que nous par la constitution de leur climat, ou par leur manière de vivre, pouvaient être émus de choses qui ne nous auraient nullement touchés. M. Burette même en adoptant tous ces faits prétend qu'ils ne prouvent point la perfection de la Musique qui les a produits ; il n'y voit rien que des mauvais racleurs de village n'aient pu faire, selon lui, tout aussi-bien que les premiers musiciens du monde. La plupart de ces sentiments sont fondés sur le mépris que nous avons pour la Musique ancienne. Mais ce mépris est-il lui-même aussi-bien fondé que nous le prétendons ? C'est ce qui a été examiné bien des fais, et qui, Ve l'obscurité de la matière, et l'insuffisance des juges, aurait peut-être besoin de l'être encore.
La nature de cet ouvrage, et le peu de lumières qui nous restent sur la musique des Grecs, m'intéressent également de tenter cet examen. Je me contenterai seulement, sur les explications mêmes que nos auteurs, si peu prévenus pour cette ancienne musique, nous en ont donnée, de la comparer en peu de mots avec la nôtre.
Pour nous faire de la musique des anciens l'idée la plus nette qu'il est possible, il faut la considérer dans chacune de ses parties ; systèmes, genres, modes, rythme et melopée. Voyez chacun de ces mots.
Le résultat de cet examen se peut réduire à ceci : 1°. que le grand système des Grecs, c'est-à-dire l'étendue générale qu'ils donnaient du grave à l'aigu à tous les sons de leur musique, n'excédait que d'un ton l'étendue de trois octaves. Voyez les tables grecques que Meibomius a mises à la tête de l'ouvrage d'Alypius.
2°. Que chacun de leurs trois genres, et même chaque espèce d'un genre était composée d'au moins seize sons consécutifs dans l'étendue du diagramme. Que de ces sons il y en avait la moitié d'immobiles qui étaient les mêmes pour tous les genres ; mais que l'accord des autres étant variable et différent dans chaque genre particulier, cela multipliait considérablement le nombre des sons et des intervalles.
3°. Qu'ils avaient au moins sept modes ou tons principaux fondés sur chacun des sept sons du système diatonique, lesquels, outre leurs différences du grave à l'aigu recevaient encore, chacun de sa modification propre, d'autres différences qui en marquaient le caractère.
4°. Que le rythme ou la mesure variait chez eux, non-seulement selon la nature des pieds dont les vers étaient composés, non-seulement selon les divers mélanges de ces mêmes pieds, mais encore selon les divers temps syllabiques, et selon tous les degrés du vite au lent dont ils étaient susceptibles.
5°. Enfin quant au chant ou à la melopée, on peut juger de la varieté qui devait y régner, par le nombre des genres et des modes divers qu'ils lui assignaient, selon le caractère de la poésie, et par la liberté de conjoindre ou diviser dans chaque genre les différents tetracordes, selon que cela convenait à l'expression et au caractère de l'air.
D'un autre côté, le peu de lumières que nous pouvons recueillir de divers passages épars çà-&-là dans les auteurs sur la nature et la construction de leurs instruments, suffisent pour montrer combien ils étaient loin de la perfection des nôtres. Leurs flutes n'avaient que peu de trous, leurs lyres ou cythares n'avaient que peu de cordes. Quand elles en avaient beaucoup, plusieurs de ces cordes étaient montées à l'unisson ou à l'octave, et d'ailleurs la plupart de ces instruments n'ayant pas de touches, on n'en pouvait tirer tout-au-plus qu'autant de sons qu'il y avait de cordes. La figure de leurs cors et de leurs trompettes suffit pour montrer qu'ils ne pouvaient égaler le beau son de ceux d'aujourd'hui : et en général, il faut bien supposer que leur orchestre n'était guère bruyant, pour concevoir comment la cythare, la harpe et d'autres instruments semblables pouvaient s'y faire entendre : soit qu'ils en frappassent les cordes avec le plectrum, comme nous faisons sur nos tympanons, soit qu'ils les pinçassent avec les doigts, comme leur apprit Epigonius ; l'on ne comprend pas bien quel effet cela devait produire dans leur musique, qui se faisait si souvent en plein air. Je ne sai si cent guittares dans un théâtre tel que celui d'Athènes pourraient se faire entendre bien distinctement. En un mot, il est très-certain que l'orgue seule, cet instrument admirable, et digne par sa majesté de l'usage auquel il est destiné, efface absolument tout ce que les anciens ont jamais inventé en ce genre. Tout cela doit se rapporter au caractère de leur musique ; tout occupés de leur divine poésie, ils ne songeaient qu'à la bien exprimer par la musique vocale ; ils n'estimaient l'instrumentale qu'autant qu'elle faisait valoir l'autre ; ils ne souffraient pas qu'elle la couvrit, et sans doute ils étaient bien éloignés du point dont je vois que nous approchons, de ne faire servir les parties chantantes que d'accompagnement à la symphonie.
Il parait encore démontré qu'ils ne connaissaient point la musique à plusieurs parties, le contre-point, en un mot l'harmonie dans le sens que nous lui donnons. S'ils employaient ce mot, ce n'était que pour exprimer une agréable succession de sons. Voyez sur ce sujet les dissertations de M. Burette dans les mém. de l'académie des belles-lettres.
Nous l'emportons donc sur eux de ce côté-là, et c'est un point considérable, puisqu'il est certain que l'harmonie est le vrai fondement de la mélodie et de la modulation. Mais n'abusons-nous point de cet avantage ? c'est un doute qu'on est fort tenté d'avoir quand on entend nos opéra modernes. Quoi ! ce chaos, cette confusion de parties, cette multitude d'instruments différents, qui semblent s'insulter l'un l'autre, ce fracas d'accompagnements qui étouffent la voix sans la soutenir ; tout cela fait-il donc les véritables beautés de la Musique ? Est-ce de-là qu'elle tire sa force et son énergie ? Il faudrait donc que la Musique la plus harmonieuse fût en même-temps la plus touchante. Mais le public a assez appris le contraire. Considérons les Italiens nos contemporains, dont la Musique est la meilleure, ou plutôt la seule bonne de l'univers, au jugement unanime de tous les peuples, excepté des François qui lui préfèrent la leur. Voyez quelle sobriété dans les accords, quel choix dans l'harmonie ! Ces gens-là ne s'avisent point de mesurer au nombre des parties l'estime qu'ils font d'une musique ; proprement leurs opéra ne sont que des duos, et toute l'Europe les admire et les imite. Ce n'est certainement pas à force de multiplier les parties de leur musique que les François parviendront à la faire goûter aux étrangers. L'harmonie est admirable dispensée à propos ; elle a des charmes auxquels tous les hommes sont sensibles ; mais elle ne doit point absorber la mélodie, ni le beau chant. Jamais les plus beaux accords du monde n'intéresseront comme les inflexions touchantes et bien ménagées d'une belle voix ; et quiconque réfléchira sans partialité sur ce qui le touche le plus dans une belle musique bien exécutée, sentira, quoi qu'on en puisse dire, que le véritable empire du cœur appartient à la mélodie.
Enfin, nous l'emportons par l'étendue générale de notre système, qui, n'étant plus renfermé seulement dans quatre ou cinq octaves, n'a désormais d'autres bornes que le caprice des musiciens. Je ne sai toutefois si nous avons tant à nous en féliciter. était-ce donc un si grand malheur dans la musique ancienne de n'avoir à fournir que des sons pleins et harmonieux pris dans un beau medium ? Les voix chantaient sans se forcer, les instruments ne miaulaient point sans cesse aux environs du chevalet ; les sons faux et sourds qu'on tire du démanché, les glapissements d'une voix qui s'excede, sont-ils faits pour émouvoir le cœur ? L'ancienne musique savait l'attendrir en flattant les oreilles ; la nouvelle, en les écorchant, ne fera jamais qu'étonner l'esprit.
Nous avons comme les anciens le genre diatonique et les chromatique ; nous avons même étendu celui-ci : mais comme nos musiciens le mêlent, le confondent avec le premier, presque sans choix et sans discernement, il a perdu une grande partie de son énergie, et ne fait plus que très-peu d'effet. Ce sera bientôt un thème d'écolier que les grands maîtres dédaigneront. Pour l'enharmonique, le tempérament l'a fait évanouir ; et que nous servirait de l'avoir, si nos oreilles n'y sont pas sensibles, et que nos organes ne puissent plus l'exécuter ?
Remarquez d'ailleurs que la diversité des genres n'est point pour notre musique une richesse réelle ; car c'est toujours le même clavier accordé de la même manière ; ce sont dans tous les genres les mêmes sons et les mêmes intervalles. Nous n'avons proprement que douze sons, tous les autres n'en sont que les octaves ; et je ne sai même si nous regagnons par l'étendue du grave à l'aigu, ce que les Grecs gagnaient par la diversité de l'accord.
Nous avons douze tons ; que dis-je ? nous avons vingt-quatre modes. Que de richesses par dessus les Grecs, qui n'en eurent jamais que quinze, lesquels encore furent réduits à sept par Ptolomée ! Mais ces modes avaient chacun un caractère particulier ; le degré du grave à l'aigu faisait la moindre de leurs différences : le caractère du chant, la modification des tétracordes, la situation des semi-tons, tout cela les distinguait bien mieux que la position de leur tonique. En ce sens nous n'avons que deux modes, et les Grecs étaient plus riches que nous.
Quant au rythme, si nous voulons lui comparer la mesure de notre musique, tout l'avantage paraitra encore de notre côté : car sur quatre différents rythmes qu'ils pratiquaient, nous avons au-moins douze sortes de mesures ; mais si leurs quatre rythmes faisaient réellement autant de genres différents, nous en saurions dire autant de nos douze mesures, qui ne sont réellement que des modifications de durée de deux seuls genres de mouvement, savoir à deux et à trois temps. Ce n'est pas que notre musique n'en put admettre autant que celle des Grecs ; mais si l'on fait attention au génie des professeurs de cet art, on connaitra aisément que tout moyen de perfectionner la Musique, qui en a plus besoin qu'on ne pense, est désormais entièrement impossible.
Nous joignons ici un morceau de chant dans la mesure sesquialtère, c'est-à-dire à deux temps inégaux, dont le rapport est de deux à trois ; mesure certainement aussi bonne et aussi naturelle que plusieurs de celles qui sont en usage, mais que les Musiciens n'adopteront jamais, car leur maître ne la leur a pas apprise. Voyez les Pl. de Musique.
Le grand vice de notre mesure, qui est peut-être un peu celui de la langue, est de n'avoir pas assez de rapport aux paroles. La mesure de nos vers est une chose, celle de notre musique en est une autre tout à fait différente, et souvent contraire. Comme la prosodie de la langue française n'est pas aussi sensible que l'était celle de la langue grecque, et que nos musiciens la tête uniquement pleine de sons ne s'embarrassent point d'autre chose, il n'y a pas plus de rapport de leur musique aux paroles, quant au nombre et à la mesure, qu'il y en a quant au sens et à l'expression. Ce n'est pas qu'ils ne sachent bien faire une tenue aux mots calmer ou repos ; qu'ils ne soient fort attentifs à exprimer le mot ciel par des sons hauts, les mots terre ou enfer par des sons bas, à rouler sur foudre et tonnerre, à faire élancer un monstre furieux par vingt élancements de voix, et d'autres semblables puérilités. Mais pour embrasser l'ordonnance d'un ouvrage, pour exprimer la situation de l'âme plutôt que de s'amuser au sens particulier de chaque mot ; pour rendre l'harmonie des vers, pour imiter, en un mot, tout le charme de la poésie par une musique convenable et relative, c'est ce qu'ils entendent si peu, qu'ils demandent à leurs poètes de petits vers coupés, prosaïques, irréguliers, sans nombre, sans harmonie, parsemés de petits mots lyriques coulez, volez, gloire, murmure, écho, ramage, sur lesquels ils épuisent toute leur science harmonique ; ils commencent même par faire leurs airs, et y font ensuite ajuster des paroles par le versificateur : la Musique gouverne, la Poésie est la servante, et servante si subordonnée, qu'on ne s'aperçoit pas seulement à l'opéra que c'est des vers qu'on entend.
L'ancienne musique, toujours attachée à la Poésie, la suivait pas-à-pas, en exprimait exactement le nombre et la mesure, et ne s'appliquait qu'à lui donner plus d'éclat et de majesté. Quelle impression ne devait pas faire sur un auditeur sensible une excellente poésie ainsi rendue ? Si la simple déclamation nous arrache des larmes, quelle énergie n'y doit pas ajouter tout le charme de l'harmonie, quand il l'embellit sans l'étouffer ! Pourquoi la vieille musique de Lully nous intéresse-t-elle tant ? pourquoi tous ses émules sont-ils restés si loin derrière lui ? c'est que nul d'entr'eux n'a entendu comme lui l'art d'assortir la musique aux paroles ; c'est que son récitatif est celui de tous qui approche le plus du ton de la nature et de la bonne déclamation. Mais qu'on l'en trouverait encore loin si on voulait l'examiner de près ! Ne jugeons donc pas des effets de la musique ancienne par ceux de la nôtre, puisqu'elle ne nous offre plus rien de semblable.
La partie de notre musique qui répond à la melopée des Grecs, est le chant ou la mélodie ; et je ne sais qui doit l'emporter de ce côté-là ; car si nous avons plus d'intervalles, ils en avaient, en vertu de la diversité des genres, de plus variés que les nôtres. De plus, la modulation étant uniforme dans tous nos tons, c'est une nécessité que le chant y soit semblable ; car l'harmonie qui le produit a ses routes prescrites, et ces routes sont par-tout les mêmes. Ainsi les combinaisons des chants que cette harmonie comporte, ne peuvent être que très-bonnes : aussi tous ces chants procedent-ils toujours de la même manière. Dans tous les tons, dans tous les modes, toujours les mêmes traits, toujours les mêmes chutes ; on n'aperçoit aucune variété à cet égard ni pour le genre ni pour le caractère. Quoi ! vous traitez de la même manière le tendre, le gracieux, le gai, l'impétueux, le grave, le modéré ? votre mélodie est la même pour tous ces genres, et vous vous vantez de la perfection de votre musique ? Que devaient donc dire les Grecs, qui avaient des modes, des règles pour tous ces caractères, et qui parlà les exprimaient à leur volonté ? Me dira-t-on que nous les exprimons aussi ? nous y tâchons du-moins ; mais à parler franchement, je ne vois pas que le succès réponde aux efforts de nos musiciens. D'ailleurs, et ceci s'adresse particulièrement à la musique française, quels moyens employons-nous pour cela ? un seul, c'est le mouvement : on le ralentit dans les airs graves : on le presse dans les airs gais. Faites un air quelconque ; le voulez-vous tendre ? chantez-le lentement, respirez fort, criez ; le voulez-vous gai ? chantez-le vite, en marquant la mesure ; voulez-vous du furieux ? courez à perte d'haleine. Le sieur Jeliotte a mis à la mode des airs plats et triviaux du pont-neuf ; il en a fait des airs tendres et pathétiques, en les chantant lentement avec le goût qu'on lui connait. Au contraire, j'ai Ve une musette fort tendre des talents lyriques devenir insensiblement un assez joli menuet. Tel est le caractère de la musique française ; variez les mouvements, vous en ferez ce qu'il vous plaira, Fiet avis, et cum volet, arbor. Mais les anciens avaient aussi cette diversité de mouvements, et ils avaient de plus pour tous les caractères, des règles particulières dont l'effet se faisait sentir dans la melopée.
Que veux-je conclure de tout cela ? que l'ancienne musique était plus parfaite que la nôtre ? nullement. Je crois au contraire que la nôtre est sans comparaison plus savante et plus agréable ; mais je crois que celle des Grecs était plus expressive et plus énergique. La nôtre est plus conforme à la nature du chant : la leur approchait plus de la déclamation ; ils ne cherchaient qu'à remuer l'âme, et nous ne voulons que plaire à l'oreille. En un mot, l'abus même que nous faisons de notre musique ne vient que de sa richesse ; et peut-être sans les bornes où l'imperfection de celle des Grecs la tenait renfermée, n'aurait-elle pas produit tous les effets merveilleux qu'on nous en rapporte.
On a beaucoup souhaité de voir quelques fragments de l'ancienne musique, le P. Kircher et M. Burette ont travaillé à satisfaire là-dessus la curiosité du public. On trouvera dans nos Pl. de Musique deux morceaux de musique grecque traduits sur nos notes par ces auteurs. Mais quelqu'un aurait-il l'injustice de vouloir juger de l'ancienne musique sur de tels échantillons ? Je les suppose fidèles, je veux même que ceux qui en voudraient juger connaissent suffisamment le génie de la langue grecque ; qu'ils réfléchissent pourtant qu'un italien est juge incompétent d'un air français, et qu'ils comparent les temps et les lieux. On a ajouté dans la même Planche, un air chinois tiré du père du Halde ; et dans une autre Planche, un air persan tiré du chevalier Chardin ; et ailleurs, deux chansons des sauvages de l'Amérique, tirées du P. Mersenne. On trouvera dans tous ces morceaux une conformité de modulation avec notre musique, qui pourra faire admirer aux uns la bonté et l'universalité de nos règles, et peut-être rendre suspecte à d'autres la fidélité ou l'intelligence de ceux qui ont transmis ces airs.
La manière dont les anciens notaient leur musique était établie sur un fondement très-simple, qui était les rapports des sons exprimés par des chiffres, ou, ce qui est la même chose, par les lettres de leur alphabet. Mais au lieu de se prévaloir de cette idée pour se borner à un petit nombre de caractères faciles à concevoir, ils se perdirent dans une multitude de signes différents, dont ils embrouillèrent gratuitement leur musique. Boèce prit dans l'alphabet latin des caractères correspondants à ceux des Grecs ; Grégoire le grand perfectionna sa méthode. En 1024 Guy d'Arezzo, bénédictin, introduisit l'usage des portées (voyez PORTEES), sur les lignes desquelles il marqua les notes en forme de points, désignant par leur position l'élévation ou l'abaissement de la voix. Kircher cependant prétend que cette invention était connue avant Guy : celui-ci inventa encore la gamme, et appliqua aux notes de l'échelle les noms tirés de l'hymne de saint Jean-Baptiste, qu'elle conserve encore aujourd'hui. Enfin cet homme, né pour la Musique, inventa, dit-on, différents instruments appelés polyplectra, tels que le clavecin, l'épinette, etc. Voyez NOTES, GAMME.
Les signes de la Musique ont reçu leur dernière augmentation considérable en 1330, selon l'opinion commune. Jean Muria, ou de Muris, ou de Meurs, docteur de Paris, ou l'Anglais, selon Gesner, inventa alors les différentes figures des notes qui désignent la durée ou la quantité, et que nous appelons aujourd'hui rondes, blanches, noires, etc. Voyez MESURE, VALEUR DES NOTES.
Lasus est, comme nous l'avons dit, le premier qui ait écrit sur la musique ; mais son ouvrage est perdu, aussi bien que plusieurs autres livres des Grecs et des Romains sur la même matière. Aristoxene, disciple d'Aristote, est le plus ancien écrivain qui nous reste sur cette science. Après lui vient Euclide, connu par ses éléments de Géométrie. Aristide Quintilien écrivait après Cicéron : Alypius vint ensuite ; après lui Gaudentius le philosophe, Nicomaque le pythagoricien, et Bacchius.
Marc Meibomius nous a donné une belle édition de ces sept auteurs grecs, avec une traduction latine et des notes.
Plutarque a écrit un dialogue de la Musique. Ptolomée, célèbre mathématicien, écrivit en grec les principes de l'harmonie, vers le temps de l'empereur Antonin le pieux. Cet auteur garde un milieu entre les Pythagoriciens et les Aristoxéniens. Long-temps après, Manuel Bryennius écrivit aussi sur le même sujet.
Parmi les Latins, Boèce a écrit du temps de Théodoric ; et vers les mêmes temps, un certain Cassiodore, Martian, et saint Augustin.
Parmi les modernes, nous avons Zarlin, Salinas, Nalgulio, Vincent Galilée, Doni, Kircher, Banchieri, Mersenne, Parran, Perrault, Wallis, Descartes, Holder, Mengoli, Malcolm, Burette, et enfin le célèbre M. Rameau, dont les écrits ont ceci de singulier, qu'ils ont fait une grande fortune sans avoir été lus de personne.
Nous avons encore plus récemment des principes d'acoustique d'un géomètre, qui nous montrent jusqu'à quel point pourrait aller la Géométrie dans de bonnes mains, pour l'invention et la solution des plus difficiles théorèmes de la musique spéculative. (S)
MUSIQUE DES HEBREUX, (Critique sacrée) les anciens hébreux aimaient la Musique, et avaient plusieurs instruments de Musique. Ils s'en servaient dans les cérémonies de religion, dans les réjouissances publiques et particulières, dans leurs festins et même dans leurs deuils. Laban se plaint que Jacob son gendre l'ait quitté brusquement, sans lui donner le loisir de le conduire au chant des cantiques et au son des tambours et des cythares. Moyse fit faire des trompettes d'argent pour en sonner dans les sacrifices solennels, et dans les festins sacrés. David destina une grande partie des lévites à chanter et à jouer des instruments dans le temple. Asoph, Iléman et Idithun étaient les chefs de la musique du tabernacle sous ce prince, et du temple sous Salomon. Le premier avait quatre fils, le second quatorze, et le troisième six. Ces vingt-quatre lévites étaient à la tête de vingt-quatre bandes de musiciens qui servaient tour-à-tour.
On ne peut douter que David ne sçut très-bien jouer de la harpe, car il dissipa par ce moyen la mélancholie de Saul : cependant la musique des Hébreux et leurs instruments de musique, nous sont entièrement inconnus. Tout ce que l'on en peut conjecturer, c'est que ces instruments se réduisaient à trois classes ; les instruments à corde, les instruments à vent, et les différentes espèces de tambours. Les premiers sont le nable, le psaltérion, le cimor, la symphonie ancienne, le sambuque. Il serait difficîle de donner la figure des diverses sortes de trompettes que l'on remarque dans l'Ecriture : le plus connu de ces instruments est l'orgue ancien, nommé en hébreu huggals. Ils avaient plusieurs espèces de tambours ; le tuph, le zazelim, le schalischrim et le mezilothaim, rendus dans la vulgate par tympana, cymbala, sistra et tintinnabula. (D.J.)
MUSIQUE, PRIX DE, (Antiquité grecque) récompense honorable introduite dans les jeux de la Grèce, pour encourager et perfectionner l'étude de cet art. Athènes donnait un prix de musique pendant les Bacchanales ; ce prix était un trépié, et les dix tribus le disputaient à l'envi. Chacune avait son chœur des musiciens, son chorege, c'est-à-dire son intendant du chœur et son poète. On gravait sur le trépié le nom de la tribu victorieuse, celui de son poète et celui de son chorege. Voici les termes d'une de ces inscriptions, tirés de Plutarque. " La tribu Antiochide remporta le prix ; Aristide chorege, fit les frais des jeux ; et le poète Archistrate composa les comédies ".
Je ne dois pas oublier de remarquer que les jeux où l'on disputait les prix de la musique, avaient leurs lois particulières dont on ne pouvait s'écarter impunément. Un musicien, par exemple, quelque fatigué qu'il fût, n'avait pas la liberté de s'asseoir : il n'osait essuyer la sueur de son visage qu'avec un bout de sa robe : il ne lui était pas permis de cracher à terre, etc. Tacite, ann. lib. XVI. nous réprésente l'empereur Néron soumis à ces lois sur le théâtre, et affectant une véritable crainte de les violer. Ingreditur theatrum, cunctis cytharae legibus obtemperants, ne fessus resideret, ne sudorem nisi eâ quam indutui gerebat veste detergeret, ut nulla oris aut narium excrementa viderentur ; postremo flexus genu, et caetum illum manu veneratus, sententias judicum opperebiatur, ficto pavore. (D.J.)
MUSIQUE, EFFET DE LA, (Méd. Diete, Gymnast. Thérapeut.) l'action de la Musique sur les hommes est si forte, et surtout si sensible, qu'il parait absolument superflu d'entasser des preuves pour en constater la possibilité. L'expérience journalière la démontre à ceux qui peuvent sentir ; et quant à ces personnes mal organisées qui, plongées en conséquence dans une insensibilité maladive, sont malheureusement dans le cas d'exiger ces preuves, elles n'en seraient à-coup-sur nullement convaincues. Que peuvent en effet, les raisons les plus justes, où le sentiment ne fait aucune impression ? Qu'on transporte l'homme le plus incrédule, par conséquent le moins connaisseur, mais possédant une dose ordinaire de sensibilité, dans ces palais enchantés, dans ces académies de musique, où l'on voit l'art le disputer et se montrer supérieur à la nature ; qu'il y écoute les déclamations harmonieuses de cette actrice inimitable, soutenue par l'accompagnement exact et proportionné de ces instruments si parfaits, pourra-t-il s'empêcher de partager les sentiments, les passions, les situations exprimées avec tant d'ame et de vérité et pour me servir des paroles énergiques d'un écrivain du siècle passé, son âme dépourvue de toute idée étrangère, perdant tout autre sentiment, ne volera-t-elle pas toute entière sur ses oreilles ? son âme seule ne sera pas émue, son corps recevra des impressions aussi vives, un frémissement machinal involontaire s'emparera de lui, ses cheveux se dresseront doucement sur sa tête, et il éprouvera malgré lui une secrète horreur, une espèce de resserrement dans la peau ; pourra-t-il ne pas croire, quand il sentira si vivement ?
Parcourons les histoires anciennes et modernes, ouvrons les fastes de la Médecine, nous verrons partout les effets surprenans opérés par la Musique. L'antiquité la plus reculée nous offre des faits prodigieux ; mais ils sont ou déguisés ou grossis par les fables que les Poètes y ont mélées, ou enveloppés dans les mystères obscurs de la Magie, sous les apparences de laquelle les anciens charlatants cachaient les véritables effets de la Musique, pour séduire plus surement les peuples, en donnant un air de mystère et de divin aux faits les plus naturels, produits des causes ordinaires : expédient qui a souvent été renouvellé, presque toujours accrédité par l'ignorance, et démasqué par les Philosophes ; mais jamais épuisé. Il y a lieu de présumer, dit fort judicieusement le savant médecin Boerhaave, que tous les prodiges qui sont racontés des enchantements, et des vers dans la guérison des maladies, doivent être rapportés à la Musique, (lib. impet. faciens, pag. 262. n °. 412.) partie dans laquelle excellaient les anciens médecins ". Pyndare nous apprend qu'Esculape, ce héros fameux pour la guérison de toutes sortes de maladies, , en traitait quelques-unes par des chansons molles, agréables, voluptueuses, ou suivant quelques interpretes, par de doux enchantements, ce qui dans le cas présent reviendrait au même :