sub. f. (Ordre encyclopédique, Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la nature, Cosmologie) Ce mot, qui est formé de deux mots grecs, , monde, et , discours, signifie à la lettre science qui discourt sur le monde, c'est-à-dire qui raisonne sur cet univers que nous habitons, et tel qu'il existe actuellement. C'est en quoi elle diffère de la Cosmographie et de la Cosmogonie. Voyez ces mots.
La Cosmologie est donc proprement une Physique générale et raisonnée, qui, sans entrer dans les détails trop circonstanciés des faits, examine du côté métaphysique les résultats de ces faits mêmes, fait voir l'analogie et l'union qu'ils ont entr'eux, et tâche par-là de découvrir une partie des lois générales par lesquelles l'Univers est gouverné. Tout est lié dans la Nature ; tous les êtres se tiennent par une chaîne dont nous apercevons quelques parties continues, quoique dans un plus grand nombre d'endroits la continuité nous échappe. L'art du Philosophe ne consiste pas, comme il ne lui arrive que trop souvent, à rapprocher de force les parties éloignées pour renouer la chaîne mal-à-propos dans les endroits où elle est interrompue ; car par un tel effort on ne fait que séparer les parties qui se tenaient, ou les éloigner davantage de celles dont elles étaient déjà éloignées, par l'autre bout opposé à celui qu'on rapproche ; l'art du philosophe consiste à ajouter de nouveaux chainons aux parties séparées, afin de les rendre le moins distantes qu'il est possible : mais il ne doit pas se flatter qu'il ne restera point toujours de vides en beaucoup d'endroits. Pour former les chainons dont nous parlons, il faut avoir égard à deux choses ; aux faits observés qui forment la matière des chainons, et aux lois générales de la Nature qui en forment le lien. J'appelle lois générales, celles qui paraissent s'observer dans un grand nombre de phénomènes ; car je me garde bien de dire dans tous. Telles sont les lois du mouvement, qui sont une suite de l'impénétrabilité des corps, et la source de plusieurs des effets que nous observons dans la Nature. Figure et mouvement (j'entends le mouvement qui vient de l'impulsion), voilà une grande partie des principes sur lesquels roule la Cosmologie. Il ne faut pas s'en écarter sans nécessité, mais aussi il ne faut pas trop affirmer qu'ils soient les seuls : nous ne connaissons pas tous les faits, comment pourrions-nous donc assurer qu'ils s'expliqueront tous par une seule et unique loi ? cette assertion serait d'autant plus téméraire, que parmi les faits mêmes que nous connaissons, il en est que les lois de l'impulsion n'ont pu expliquer jusqu'aujourd'hui. Voyez ATTRACTION. Peut-être y parviendra-t-on un jour ; mais en attendant cette grande découverte, suspendons notre jugement sur l'universalité de ces lais. Peut-être (& cela est du moins aussi vraisemblable) y a-t-il une loi générale qui nous est et qui nous sera toujours inconnue, dont nous ne voyons que les conséquences particulières, obscures, et limitées ; conséquences que nous ne laissons pas d'appeler lois générales. Cette conjecture est très-conforme à l'idée que nous devons nous former de l'unité et de la simplicité de la Nature. Voyez NATURE. Au reste si nous réfléchissons sur la faiblesse de notre esprit, nous serons plus étonnés encore de ce qu'il a découvert, que de ce qui lui reste caché.
Mais l'utilité principale que nous devons retirer de la Cosmologie, c'est de nous élever par les lois générales de la Nature, à la connaissance de son auteur, dont la sagesse a établi ces lais, nous en a laissé voir ce qu'il nous était nécessaire d'en connaître pour notre utilité ou pour notre amusement, et nous a caché le reste pour nous apprendre à douter. Ainsi la Cosmologie est la science du monde ou de l'Univers considéré en général, entant qu'il est un être composé, et pourtant simple par l'union et l'harmonie de ses parties ; un tout, qui est gouverné par une intelligence suprême, et dont les ressorts sont combinés, mis en jeu et modifiés par cette intelligence.
" Avant M. Wolf, dit M. Formey dans un article qu'il nous a communiqué, " ce nom était inconnu dans les écoles, c'est-à-dire qu'il n'y avait aucune partie distincte du cours de Philosophie qui fût ainsi appelé. Aucun métaphysicien ne semblait même avoir pensé à cette partie, et tant d'énormes volumes écrits sur la Métaphysique, ne disaient rien sur la Cosmologie. Enfin M. Wolf nous a donné un ouvrage sous ce titre : Cosmologia generalis, methodo scientifica pertractata, quâ ad solidam, imprimis Dei atque naturae, cognitionem via sternitur. Francof. et Lips. in -4°. 1731. Il y en a eu une nouvelle édition en 1737. Il donna cet ouvrage immédiatement après l'Ontologie, et comme la seconde partie de sa métaphysique, parce qu'il y établit des principes, qui lui servent dans la théologie naturelle à démontrer l'existance et les attributs de Dieu par la contingence de l'Univers et par l'ordre de la nature. Il l'appelle Cosmologie générale ou transcendante, parce qu'elle ne renferme qu'une théorie abstraite, qui est, par rapport à la physique, ce qu'est l'Ontologie à l'égard du reste de la Philosophie.
Les notions de cette science se dérivent de l'Ontologie ; car il s'agit d'appliquer au monde la théorie générale de l'être et de l'être composé. A cette considération du Monde, à priori ; on joint le secours des observations et de l'expérience. De sorte qu'on peut dire qu'il y a une double Cosmologie ; Cosmologie scientifique, et Cosmologie expérimentale.
De ces deux Cosmologies, M. Wolf s'est proprement borné à la première, comme le titre de son ouvrage l'indique ; mais il n'a pas négligé néanmoins les secours que l'expérience a pu lui donner pour la confirmation de ses principes.
L'une et l'autre fournissent des principes, qui servent à démontrer l'existance et les attributs de Dieu. Les principales matières qu'embrasse la Cosmologie générale, se réduisent à expliquer comment le Monde résulte de l'assemblage des substances simples, et à développer les principes généraux de la modification des choses matérielles.
C'est là le fruit le plus précieux de la Cosmologie ; il suffit seul pour en faire sentir le prix, et pour engager à la cultiver, n'en produisit-elle aucun autre. C'est ainsi qu'on parvient à démontrer que la contemplation du monde visible nous mène à la connaissance de l'être invisible qui en est l'auteur. M. Wolf parait extrêmement persuadé de l'utilité et de la certitude de cette nouvelle route qu'il s'est frayée, et voici comment il s'exprime là dessus ". In honorem Dei, confiteri cogor, me de cognitione Dei methodo scientificâ tradendâ plurimùm sollicitum, non reperisse viam aliam, quâ ad scopum perveniri datur, quam eam quam propositio praesens monstrat, nec reperisse philosophum qui eandem rite calcaverit, etsi laude sitâ defraudandi non sint, qui nostris praesertim temporibus theologiae naturali methodum demonstrativam applicare conati fuerint. Wolf, Cosmolog. prolegom. §. 6. in schol.
M. de Maupertuis nous a donné il y a quelques années, un essai de Cosmologie, qui parait fait d'après les principes et suivant les vues que nous avons exposées plus haut. Il croit que nous n'avons ni assez de faits ni assez de principes pour embrasser la Nature sous un seul point de vue. Il se contente d'exposer le système de l'Univers ; il se propose d'en donner les lois générales, et il en tire une démonstration nouvelle de l'existance de Dieu. Cet ouvrage ayant excité, en 1752, une dispute très-vive, je vais placer ici quelques réflexions qui pourront servir à éclaircir la matière. J'y serai le plus court qu'il me sera possible, et j'espère y être impartial.
La loi générale de M. de Maupertuis est celle de la moindre quantité d'action, voyez-en la définition et l'exposé au mot ACTION : nous ajouterons ici les remarques suivantes.
Leibnitz s'étant formé une idée particulière de la force des corps en mouvement, dont nous parlerons au mot FORCE, l'a appelée force vive, et a prétendu qu'elle était le produit de la masse par le carré de la vitesse, ou ce qui revient au même, qu'elle était comme le carré de la vitesse en prenant la masse pour l'unité. M. Wolf. dans les Mém. de Petersbourg, tom. I. a imaginé de multiplier la force vive par le temps, et il a appelé ce produit action, supposant apparemment que l'action d'un corps est le résultat de toutes les forces qu'il exerce à chaque instant, et par conséquent la somme de toutes les forces vives instantanées. On pourrait demander aux Leibnitiens, dont M. Wolf est regardé comme le chef, pourquoi ils ont imaginé cette distinction métaphysique entre l'action et la force vive ; distinction qu'ils ne devraient peut-être pas mettre entr'elles, du moins suivant l'idée qu'ils se forment de la force vive ; mais ce n'est pas de quoi il s'agit ici, et nous en pourrons parler au mot FORCE. Nous pouvons en attendant admettre comme une définition de nom arbitraire cette idée de l'action ; et nous remarquerons d'abord qu'elle revient au même que celle de M. de Maupertuis. Car le produit de l'espace par la vitesse, est la même chose que le produit du carré de la vitesse par le temps. M. de Maupertuis, dans les ouvrages que nous avons cités au mot ACTION, ne nous dit point s'il avait connaissance de la définition de M. Wolf ; il y a apparence que non : pour nous, nous l'ignorions quand nous écrivions ce dernier article, et nous voulons ici rendre scrupuleusement à chacun ce qui lui appartient. Au reste il importe peu que M. de Maupertuis ait pris cette idée de M. Wolf, ou qu'il se soit seulement rencontré avec lui ; car il s'agit ici uniquement des conséquences qu'il en a tirées, et auxquelles M. Wolf n'a aucune part. M. de Maupertuis est constamment le premier qui ait fait voir que dans la réfraction la quantité d'action est un minimum : il n'est pas moins constant, 1°. que ce principe est tout différent de celui-ci, que la Nature agit toujours par la voie la plus simple ; car ce dernier principe est un principe vague, dont on peut faire cent applications toutes différentes, selon la définition qu'on voudra donner de ce qu'on regarde comme la voie la plus simple de la Nature, c'est-à-dire selon qu'on voudra faire consister la simplicité de la Nature et sa voie la plus courte, ou dans la direction rectiligne, c'est-à-dire dans la briéveté de la direction, ou dans la briéveté du temps, ou dans le minimum de la quantité de mouvement, ou dans le minimum de la force vive, ou dans celui de l'action, etc. Le principe de M. de Maupertuis n'est donc point le principe de la voie la plus simple pris vaguement, mais un exposé précis de ce qu'il croit être la voie la plus simple de la Nature.
2°. Nous avons fait voir que ce principe est très-différent de celui de Leibnitz, voyez ACTION : et il serait assez singulier, si Leibnitz a eu connaissance du principe de M. de Maupertuis comme on la prétendu, que ce philosophe n'eut pas songé à l'appliquer à la réfraction, mais nous traiterons plus bas la question de fait.
3°. Il n'est pas moins constant que ce principe de M. de Maupertuis appliqué à la réfraction, concilie les causes finales avec la mécanique, du moins dans ce cas-là, ce que personne n'avait encore fait. On s'intéressera plus ou moins à cette conciliation, selon qu'on prendra plus ou moins d'intérêt aux causes finales ; voyez ce mot. Mais les Leibnitiens du moins doivent en être fort satisfaits. De plus, M. Euler a fait voir que ce principe avait lieu dans les courbes que décrit un corps attiré ou poussé vers un point fixe : cette belle proposition étend le principe de M. de Maupertuis à la petite courbe même que décrit le corpuscule de lumière, en passant d'un milieu dans un autre ; de manière qu'à cet égard le principe se trouve vrai généralement, et sans restriction. M. Euler, dans les Mém. de l'acad. des scienc. de Prusse, de 1751, a montré encore plusieurs autres cas où le principe s'applique avec élégance et avec facilité.
4°. Ce principe est différent de celui de la nullité de force vive, par deux raisons ; parce qu'il s'agit dans le principe de M. de Maupertuis non de la nullité, mais de la minimité ; et de plus, parce que dans l'action on fait entrer le temps qui n'entre point dans la force vive. Ce n'est pas que le principe de la nullité de la force vive n'ait lieu aussi dans plusieurs cas, ce n'est pas même qu'on ne puisse tirer de la nullité de la force vive plusieurs choses qu'on tire de la minimité d'action ; mais cela ne prouve pas l'identité des deux principes, parce que l'on peut parvenir à la même conclusion par des voies différentes.
5°. Nous avons Ve à l'article CAUSES FINALES, que le principe de la minimité du temps est en défaut dans la réflexion sur les miroirs concaves. Il parait qu'il en est de même de la minimité d'action ; car alors le chemin du rayon de lumière est un maximum, et l'action est aussi un maximum. Il est vrai qu'on pourrait faire quadrer ici le principe, en rapportant toujours la réflexion à des surfaces planes ; mais peut-être les adversaires des causes finales ne goûteront pas cette réponse ; il vaut mieux dire, ce me semble, que l'action est ici un maximum, et dans les autres cas un minimum. Il n'y en aura pas moins de mérite à avoir appliqué le premier ce principe à la réfraction, et il en sera comme du principe de la conservation des forces vives qui s'applique au choc des corps élastiques, et qui n'a point lieu dans les corps durs.
6°. M. de Maupertuis a appliqué cette même loi de la minimité d'action au choc des corps, et il a déterminé le premier par un seul et même principe, les lois du choc des corps durs et des corps élastiques. Il est vrai que l'application est ici un peu plus compliquée, plus détournée, moins simple, et peut-être moins rigoureuse que dans le cas de la réfraction.
Ce que nous disons ici ne sera point désavantageux dans le fond à M. de Maupertuis, quand nous l'aurons expliqué. Il suppose que deux corps durs A, B, se meuvent dans la même direction, l'un avec la vitesse a, l'autre avec la vitesse b, et que leur vitesse commune après le choc soit x ; il est certain, dit-il, que le changement arrivé dans la Nature est que le corps A a perdu la vitesse a - Xe et que le corps B a gagné la vitesse x - b ; donc la quantité d'action nécessaire pour produire ce changement, et qu'il faut faire égale à un minimum, est A (a - x)2 + B (x - b)2, ce qui donne la formule ordinaire du choc des corps durs x = (A a + B b)/(A + B). Tout cela est fort juste. Mais tout dépend aussi de l'idée qu'on voudra attacher aux mots de changement arrivé dans la Nature : car ne pourrait-on pas dire que le changement arrivé consiste en ce que le corps A qui, avant le choc, a la quantité d'action ou de force A a a, la change après le choc en la quantité A x Xe et de même du corps B ; qu'ainsi A a a - A x Xe est le changement arrivé dans l'état du corps B, et B x x - B b b, le changement arrivé dans le corps B ? de sorte que la quantité d'action qui a opéré ce changement, est A a a - A x x + B x x - B b b. Or cette quantité égalée à un minimum ne donne plus la loi ci-dessus du choc des corps durs. C'est une objection que l'on peut faire à M. de Maupertuis, qu'on lui a même faite à peu-près ; avec cette différence que l'on a supposé A x x + B x x - A a a - B b b, égale à un minimum, en retranchant la quantité A a a - A x x de la quantité B x x - B b b, au lieu de la lui ajouter, comme il semble qu'on l'aurait aussi pu faire : car les deux quantités A a a - A x x et B x x - B b b, quoique l'une doive être retranchée de A a a, l'autre ajoutée à B b b, sont réelles, et peuvent être ajoutées ensemble, sans égard au sens dans lequel elles agissent. Quoi qu'il en sait, il semble qu'on pourrait concilier ou éviter toute difficulté à cet égard, en substituant aux mots changement dans la Nature, qui se trouvent dans l'énoncé de la proposition de M. de Maupertuis, les mots changement dans la vitesse : alors l'équivoque vraie ou prétendue ne subsistera plus.
On abjecte aussi que la quantité d'action, dans le calcul de M. de Maupertuis, se confond en ce cas avec la quantité de force vive : cela doit être en effet ; car le temps étant supposé le même, comme il l'est ici, ces deux quantités sont proportionnelles l'une à l'autre, et on pourrait dire que la quantité d'action ne doit jamais être confondue avec la force vive, attendu que le temps, suivant la définition de M. de Maupertuis, entre dans la quantité d'action, et que d'ailleurs, dans le cas des corps durs, le changement se faisant dans un instant indivisible, le temps est = 0, et par conséquent l'action nulle. On peut répondre à cette objection, que dès qu'un corps se meut ou tend à se mouvoir avec une vitesse quelconque, il y a toujours une quantité d'action réelle ou possible, qui répondrait à son mouvement, s'il se mouvait uniformément pendant un temps quelconque avec cette vitesse ; ainsi au lieu de ces mots, la quantité d'action nécessaire POUR PRODUIRE ce changement, on pourrait substituer ceux-ci, la quantité d'action QUI REPOND à ce changement, etc. et énoncer ainsi la règle de M de Maupertuis : Dans le changement qui arrive par le choc à la VITESSE des corps, la quantité d'action QUI REPONDRA à ce changement, le temps étant supposé constant, est la moindre qu'il est possible. Nous disons, le temps étant supposé constant ; cette modification, et limitation même si l'on veut, est nécessaire pour deux raisons : 1°. parce que dans le choc des corps durs, où à la rigueur le temps est = 0, la supposition du temps constant ou du temps variable, sont deux suppositions également arbitraires, qu'il faut par conséquent énoncer l'une des deux : 2°. parce que dans le choc des corps élastiques, le changement se fait pendant un temps fini, quoique très-court, que ce temps n'est pas le même dans tous les chocs, qu'au moins cela est fort douteux ; et qu'ainsi il est encore plus nécessaire d'énoncer ici la supposition dont il s'agit : en effet le temps qu'on suppose ici constant est un temps pris à volonté, et totalement indépendant de celui pendant lequel se fait la communication du mouvement ; et l'on pourrait prendre pour la vraie quantité d'action employée au changement arrivé, la somme des petites quantités d'action consumées, pendant le temps que le ressort se bande et se débande. On dira peut-être qu'en ce cas M. de Maupertuis aurait dû ici se servir du mot de force vive, au lieu de celui d'action, puisque le temps n'entre plus ici proprement pour rien. A cela il répondra sans-doute, qu'il a cru pouvoir lier cette loi par une expression commune, à celle qu'il a trouvée sur la réfraction. Mais quand on substituerait ici le mot de force vive à celui d'action, il serait toujours vrai que M. de Maupertuis aurait le premier réduit le choc des corps durs et celui des corps élastiques, à une même loi ; ce qui est le point capital : et son theorème sur la réfraction n'y perdrait rien d'ailleurs.
Il est vrai qu'on a trouvé les lois du mouvement sans ce principe : mais il peut être utîle d'avoir montré comment il s'y applique. Il est encore vrai que ce principe ainsi appliqué ne sera et ne peut être que quelqu'autre principe connu, présenté différemment. Mais il en est ainsi de toutes les vérités mathématiques ; au fond elles ne sont que la traduction les unes des autres. Voyez le Discours préliminaire, pag. VIIIe Le principe de la conservation des forces vives, par exemple, n'est en effet que le principe des anciens sur l'équilibre, comme je l'ai fait voir dans ma Dynamique, II. part. chap. IVe cela n'empêche pas que le principe de la conservation des forces vives ne soit très-utile, et ne fasse honneur à ses inventeurs.
7°. L'auteur applique encore son principe à l'équilibre dans le levier ; mais il faut pour cela faire certaines suppositions, entr'autres que la vitesse est toujours proportionnelle à la distance du point d'appui, et que le temps est constant, comme dans le cas du choc des corps ; il faut supposer encore que la longueur du levier est donnée, et que c'est le point d'appui qu'on cherche : car si le point d'appui et un des bras était donné, et qu'on cherchât l'autre, on trouverait par le principe de l'action que ce bras est égal à zéro. Au reste les suppositions que fait ici M. de Maupertuis, sont permises ; il suffit de les énoncer pour être hors d'atteinte, et toute autre supposition devrait de même être énoncée. L'application et l'usage du principe ne comporte pas une généralité plus grande. A l'égard de la supposition qu'il fait, que les pesanteurs sont comme les masses ; cette supposition est donnée par la Nature même, et elle a lieu dans tous les théorêmes sur le centre de gravité des corps, qui n'en sont pas regardés pour cela comme moins généraux.
Il résulte de tout ce que nous venons de dire, que le principe de la minimité d'action a lieu dans un grand nombre de phénomènes de la nature, qu'il y en a auxquels il s'applique avec beaucoup de facilité, comme la réfraction, et le cas des orbites des planètes, ainsi que beaucoup d'autres, examinés par M. Euler. Voyez les Mém. acad. de Berlin, 1751. et l'article ACTION ; que ce principe s'applique à plusieurs autres cas, avec quelques modifications plus ou moins arbitraires, mais qu'il est toujours utîle en lui-même à la Mécanique, et pourrait faciliter la solution de différents problèmes.
On a contesté à M. de Maupertuis la proprieté de ce principe. M. Koenig avait d'abord avancé pour le prouver un passage de Leibnitz, tiré d'une lettre manuscrite de ce philosophe. Ce passage imprimé dans les actes de Léipsic, Mai 1751, contenait une erreur grossière ; que M. Koenig assure être une faute d'impression : il l'a corrigée, et en effet ce passage réformé est du moins en partie le principe de la moindre action. Quand la lettre de Leibnitz serait réelle (ce que nous ne décidons point), cette lettre n'ayant jamais été publique, le principe tel qu'il est n'en appartiendrait pas moins à M. de Maupertuis ; et M. Koenig semble l'avouer dans son Appel au public, du jugement que l'académie des Sciences de Prusse a prononcé contre la réalité de ce fragment. M. Koenig avait d'abord cité la lettre dont il s'agit, comme écrite à M. Herman ; mais il a reconnu depuis qu'il ne savait à qui elle avait été écrite : il a produit dans son appel cette lettre toute entière, qu'on peut y lire ; elle est fort longue, datée d'Hanovre le 16 Octobre 1707 ; et sans examiner l'authenticité du total, il s'agit seulement de savoir si celui qui l'a donnée à M. Koenig, a ajouté ou altéré le fragment en question. M. Koenig dit avoir reçu cette lettre des mains de M. Henzy, décapité à Berne il y a quelques années. Il assure qu'il a entre les mains plusieurs autres lettres de Leibnitz, que ce même M. Henzy lui a données ; plusieurs sont écrites, selon M. Koenig, de la main de M. Henzy. A l'egard de la lettre dont il s'agit, M. Koenig ne nous dit point de quelle main elle est ; il dit seulement qu'il en a plusieurs autres écrites de cette même main, et qu'une de ces dernières se trouve dans le recueil imprimé in -4°. et il transcrit dans son appel ces lettres. M. Koenig ne nous dit point non plus s'il a Ve l'original de cette lettre, écrit de la main de Leibnitz. Voilà les faits, sur lesquels c'est au public à juger si le fragment cité est authentique, ou s'il ne l'est pas.
Nous devons avertir aussi que M. Koenig, dans les act. de Leips. donne un théoreme sur les forces vives, absolument le même que celui de M. de Courtivron, imprimé dans les Mémoir. de l'acad. de 1748, pag. 304. et que M. de Courtivron avait lu à l'académie avant la publication du mémoire de M. Koenig. Voyez ce théoreme au mot CENTRE D'EQUILIBRE.
Il ne nous reste plus qu'à dire un mot de l'usage métaphysique que M. de Maupertuis a fait de son principe. Nous pensons, comme nous l'avons déjà insinué plus haut, que la définition de la quantité d'action est une définition de nom purement mathématique et arbitraire. On pourrait appeler action, le produit de la masse par la vitesse ou par son carré, ou par une fonction quelconque de l'espace et du temps ; l'espace et le temps sont les deux seuls objets que nous voyons clairement dans le mouvement des corps : on peut faire tant de combinaisons mathématiques qu'on voudra de ces deux choses, et on peut appeler tout cela action ; mais l'idée primitive et métaphysique du mot action n'en sera pas plus claire. En général tous les théoremes sur l'action définie comme on voudra, sur la conservation des forces vives, sur le mouvement nul ou uniforme du centre de gravité, et sur d'autres lois semblables, ne sont que des théoremes mathématiques plus ou moins généraux, et non des principes philosophiques. Par exemple, quand de deux corps attachés à un levier l'un monte et l'autre descend, on trouve, si l'on veut, comme M. Koenig, que la somme des forces vives est nulle ; parce que l'on ajoute, avec des signes contraires, des quantités qui ont des directions contraires : mais c'est-là une proposition de Géométrie, et non une vérité de Métaphysique ; car au fond ces forces vives pour avoir des directions contraires, n'en sont pas moins réelles, et on pourrait nier dans un autre sens la nullité de ces forces. C'est comme si on disait qu'il n'y a point de mouvement dans un système de corps, quand les mouvements de même part sont nuls, c'est-à-dire quand les quantités de mouvement sont égales et de signes contraires, quoique réelles.
Le principe de M. de Maupertuis n'est donc, comme tous les autres, qu'un principe mathématique ; et nous croyons qu'il n'est pas fort éloigné de cette idée, d'autant plus qu'il n'a pris aucun parti dans la question métaphysique des forces vives, à laquelle tient celle de l'action. Voyez la page 15 et 16 de ses œuvres, imprimées à Dresde, 1752. in -4°. Il est vrai qu'il a déduit l'existance de Dieu de son principe : mais on peut déduire l'existance de Dieu d'un principe purement mathématique, lorsqu'on reconnait ou qu'on croit que ce principe s'observe dans la nature. D'ailleurs il n'a donné cette démonstration de l'existance de Dieu que comme un exemple de démonstration tirée des lois générales de l'Univers ; exemple auquel il ne prétend pas donner une force exclusive, ni supérieure à d'autres preuves. Il prétend seulement avec raison que l'on doit s'appliquer surtout à prouver l'existance de Dieu par les phénomènes généraux, et ne pas se borner à la déduire des phénomènes particuliers, quoiqu'il avoue que cette déduction a aussi son utilité. Voyez, sur ce sujet, la préface de son ouvrage, où il s'est pleinement justifié des imputations calomnieuses que des critiques ignorants ou de mauvaise foi lui ont faites à ce sujet ; car rien n'est plus à la mode aujourd'hui, que l'accusation d'athéisme intentée à tort et à-travers contre les philosophes, par ceux qui ne le sont pas. Voyez aussi, sur cet article Cosmologie, les actes de Leipsic de Mai 1751, l'appel de M. Koenig au public, les mémoires de Berlin 1750 et 1751 (dont quelques exemplaires portent mal-à-propos 1752) ; et dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris de 1749, un écrit de M. d'Arcy sur ce sujet. Voilà quelles sont (au moins jusqu'ici, c'est-à-dire en Février 1754) les pièces véritablement nécessaires du procès, parce qu'on y a traité la question, et que ceux qui l'ont traitée sont au fait de la matière. Nous devons ajouter que M. de Maupertuis n'a jamais rien répondu aux injures qu'on a vomies contre lui à cette occasion, et dont nous dirons : nec nominetur in vobis, sicut decet philosophos. Cette querelle de l'action, s'il nous est permis de le dire, a ressemblé à certaines disputes de religion, par l'aigreur qu'on y a mise, et par la quantité de gens qui en ont parlé sans y rien entendre. (O)