S. f. (Philosophie et Logique) nous trouvons en nous la faculté de recevoir des idées, d'apercevoir les choses, de se les représenter. L'idée ou la perception est le sentiment qu'a l'âme de l'état où elle se trouve.
Cet article, un des plus importants de la Philosophie, pourrait comprendre toute cette science que nous connaissons sous le nom de Logique. Les idées sont les premiers degrés de nos connaissances, toutes nos facultés en dépendent. Nos jugements, nos raisonnements, la méthode que nous présente la Logique, n'ont proprement pour objet que nos idées. Il serait aisé de s'étendre sur un sujet aussi vaste, mais il est plus à propos ici de se resserrer dans de justes bornes ; et en indiquant seulement ce qui est essentiel, renvoyer aux traités et aux livres de Logique, aux essais sur l'entendement humain, aux recherches de la vérité, à tant d'ouvrages de Philosophie qui se sont multipliés de nos jours, et qui se trouvent entre les mains de tout le monde.
Nous nous représentons, ou ce qui se passe en nous mêmes, ou ce qui est hors de nous, soit qu'il soit présent ou absent ; nous pouvons aussi nous représenter nos perceptions elles-mêmes.
La perception d'un objet à l'occasion de l'impression qu'il a fait sur nos organes, se nomme sensation.
Celle d'un objet absent qui se représente sous une image corporelle, porte le nom d'imagination.
Et la perception d'une chose qui ne tombe pas sous les sens, ou même d'un objet sensible, quand on ne se le représente pas sous une image corporelle, s'appelle idée intellectuelle.
Voilà les différentes perceptions qui s'allient et se combinent d'une infinité de manières ; il n'est pas besoin de dire que nous prenons le mot d'idée ou de perception dans le sens le plus étendu, comme comprenant et la sensation et l'idée proprement dite.
Réduisons à trois chefs ce que nous avons à dire sur les idées ; 1°. par rapport à leur origine, 2°. par rapport aux objets qu'elles représentent, 3°. par rapport à la manière dont elles représentent ces objets.
1°. Il se présente d'abord une grande question sur la manière dont les qualités des objets produisent en nous des idées ou des sensations ; et c'est sur celles-ci principalement que tombe la difficulté. Car pour les idées que l'âme aperçoit en elle-même, la cause en est l'intelligence, ou la faculté de penser, ou si l'on veut encore, sa manière d'exister ; et quant à celles que nous acquérons en comparant d'autres idées, elles ont pour causes les idées elles-mêmes, et la comparaison que l'âme en fait. Restent donc les idées que nous acquérons par le moyen des sens ; sur quoi l'on demande comment les objets produisant seulement un mouvement dans les nerfs, peuvent imprimer des idées dans notre âme ? Pour résoudre cette question, il faudrait connaître à fond la nature de l'âme et du corps, ne pas s'en tenir seulement à ce que nous présentent leurs facultés et leurs propriétés, mais pénétrer dans ce mystère inexplicable, qui fait l'union merveilleuse de ces deux substances.
Remonter à la première cause, en disant que la faculté de penser a été accordée à l'homme par le Créateur, ou avancer simplement que toutes nos idées viennent des sens ; ce n'est pas assez, et c'est même ne rien dire sur la question : outre qu'il s'en faut de beaucoup que nos idées soient dans nos sens, telles qu'elles sont dans notre esprit, et c'est là la question. Comment à l'occasion d'une impression de l'objet sur l'organe, la perception se forme-t-elle dans l'âme ?
Admettre une influence réciproque d'une des substances sur l'autre, c'est encore ne rien expliquer.
Prétendre que l'âme forme elle-même ses idées, indépendamment du mouvement ou de l'impression de l'objet, et qu'elle se représente les objets desquels par le seul moyen des idées elle acquiert la connaissance, c'est une chose plus difficîle encore à concevoir, et c'est ôter toute relation entre la cause et l'effet.
Recourir aux idées innées, ou avancer que notre âme a été créée avec toutes ses idées, c'est se servir de termes vagues qui ne signifient rien ; c'est anéantir en quelque sorte toutes nos sensations, ce qui est bien contraire à l'expérience ; c'est confondre ce qui peut être vrai à certains égards, des principes, avec ce qui ne l'est pas des idées dont il est ici question ; et c'est renouveller des disputes qui ont été amplement discutées dans l'excellent ouvrage sur l'entendement humain.
Assurer que l'âme a toujours des idées, qu'il ne faut point chercher d'autre cause que sa manière d'être, qu'elle pense lors même qu'elle ne s'en aperçoit pas, c'est dire qu'elle pense sans penser, assertion dont, par cela même qu'on n'en a ni le sentiment ni le souvenir, l'on ne peut donner de preuve.
Pourrait-on supposer avec Malebranche, qu'il ne saurait y avoir aucune autre preuve de nos idées, que les idées mêmes dans l'être souverainement intelligent, et conclure que nous acquérons nos idées dans l'instant que notre âme les aperçoit en Dieu ? Ce roman métaphysique ne semble-t-il pas dégrader l'intelligence suprême ? La fausseté des autres systèmes suffit-elle pour le rendre vraisemblable ? et n'est-ce pas jeter une nouvelle obscurité sur une question déjà très-obscure par elle-même ?
A la suite de tant d'opinions différentes sur l'origine des idées, l'on ne peut se dispenser d'indiquer celle de Leibnitz, qui se lie en quelque sorte avec les idées innées ; ce qui semble déjà former un préjugé contre ce système. De la simplicité de l'âme humaine il en conclut, qu'aucune chose créée ne peut agir sur elle ; que tous les changements qu'elle éprouve dépendent d'un principe interne ; que ce principe est la constitution même de l'âme, qui est formée de manière, qu'elle a en elle différentes perceptions, les unes distinctes, plusieurs confuses, et un très-grand nombre de si obscures, qu'à peine l'âme les aperçoit-elle. Que toutes ces idées ensemble forment le tableau de l'univers ; que suivant la différente relation de chaque âme avec cet univers, ou avec certaines parties de l'univers, elle a le sentiment des idées distinctes, plus ou moins, suivant le plus ou moins de relation. Tout d'ailleurs étant lié dans l'univers, chaque partie étant une suite des autres parties ; de même l'idée représentative a une liaison si nécessaire avec la représentation du tout, qu'elle ne saurait en être séparée. D'où il suit que, comme les choses qui arrivent dans l'univers se succedent suivant certaines lais, de même dans l'âme, les idées deviennent successivement distinctes, suivant d'autres lois adaptées à la nature de l'intelligence. Ainsi ce n'est ni le mouvement, ni l'impression sur l'organe, qui excite des sensations ou des perceptions dans l'âme ; je vois la lumière, j'entends un son, dans le même instant les perceptions représentatives de la lumière et du son s'excitent dans mon âme par sa constitution, et par une harmonie nécessaire, d'un côté entre toutes les parties de l'univers, de l'autre entre les idées de mon âme, qui d'obscures qu'elles étaient, deviennent successivement distinctes.
Telle est l'exposition la plus simple de la partie du système de Leibnitz, qui regarde l'origine des idées. Tout y dépend d'une connexion nécessaire entre une idée distincte que nous avons, et toutes les idées obscures qui peuvent avoir quelque rapport avec elle, qui se trouvent nécessairement dans notre âme. Or, l'on n'aperçoit point, et l'expérience semble être contraire à cette liaison entre les idées qui se succedent ; mais ce n'est pas là la seule difficulté que l'on pourrait élever contre ce système, et contre tous ceux qui vont à expliquer une chose qui vraisemblablement nous sera toujours inconnue.
Que notre âme ait des perceptions dont elle ne prend jamais connaissance, dont elle n'a pas la conscience (pour me servir du terme introduit par M. Locke) ou que l'âme n'ait point d'autres idées que celles qu'elle aperçoit, en sorte que la perception soit le sentiment même, ou la conscience qui avertit l'âme de ce qui se passe en elle ; l'un ou l'autre système, auxquels se réduisent proprement tous ceux que nous avons indiqués, n'explique point la manière dont le corps agit sur l'âme, et celle-ci réciproquement. Ce sont deux substances trop différentes ; nous ne connaissons l'âme que par ses facultés, et ces facultés que par leurs effets : ces effets se manifestent à nous par l'intervention du corps. Nous voyons par-là l'influence de l'âme sur le corps, et réciproquement celle du corps sur l'âme ; mais nous ne pouvons pénétrer au-delà. Le voîle restant sur la nature de l'âme, nous ne pouvons savoir ce qu'est une idée considérée dans l'âme, ni comment elle s'y produit ; c'est un fait, le comment est encore dans l'obscurité, et sera sans-doute toujours livré aux conjectures.
2°. Passons aux objets de nos idées. Ou ce sont des être réels, et qui existent hors de nous et dans nous, soit que nous y pensions, soit que nous n'y pensions pas ; tels sont les corps, les esprits, l'être suprême. Ou ce sont des êtres qui n'existent que dans nos idées, des productions de notre esprit qui joint diverses idées. Alors ces êtres ou ces objets de nos idées, n'ont qu'une existence idéale ; ce sont ou des êtres de raison, des manières de penser qui nous servent à imaginer, à composer, à retenir, à expliquer plus facilement ce que nous concevons ; telles sont les relations, les privations, les signes, les idées universelles, etc. Ou ce sont des fictions distinguées des êtres de raison, en ce qu'elles sont formées par la réunion ou la séparation de plusieurs idées simples, et sont plutôt un effet de ce pouvoir ou de cette faculté que nous avons d'agir sur nos idées, et qui, pour l'ordinaire est désignée par le mot d'imagination. Voyez IMAGINATION. Tel est un palais de diamant, une montagne d'or, et cent autres chimères, que nous ne prenons que trop souvent pour des réalités. Enfin, nous avons, pour objet de nos idées, des êtres qui n'ont ni existence réelle, ni idéale, qui n'existent que dans nos discours, et pour cela on leur donne simplement une existence verbale. Tel est un cercle carré, le plus grand de tous les nombres, et si l'on voulait en donner d'autres exemples, on les trouverait aisément dans les idées contradictoires, que les hommes et même les philosophes joignent ensemble, sans avoir produit autre chose que des mots dénués de sens et de réalité. Ce serait trop entreprendre que de parcourir dans quelque détail, les idées que nous avons sur ces différents objets ; disons seulement un mot sur la manière dont les êtres extérieurs et réels se présentent à nous au moyen des idées ; et c'est une observation générale qui se lie à la question de l'origine des idées. Ne confondons pas ici la perception qui est dans l'esprit avec les qualités du corps qui produisent cette perception. Ne nous figurons pas que nos idées soient des images ou des ressemblances parfaites de ce qu'il y a dans le sujet qui les produit ; entre la plupart de nos sensations et leurs causes, il n'y a pas plus de ressemblance, qu'entre ces mêmes idées et leurs noms ; mais pour éclaircir ceci, faisons une distinction.
Les qualités des objets, ou tout ce qui est dans un objet, se trouve propre à exciter en nous une idée. Ces qualités sont premières et essentielles, c'est-à-dire, indépendantes de toutes rélations de cet objet avec les autres êtres, et telles qu'il les conserverait, quand même il existerait seul. Ou elles sont des qualités secondes, qui ne consistent que dans les relations que l'objet a avec d'autres, dans la puissance qu'il a d'agir sur d'autres, d'en changer l'état, ou de changer lui-même d'état, étant appliqué à un autre objet ; si c'est sur nous qu'il agit, nous appelons ces qualités sensibles ; si c'est sur d'autres, nous les appelons puissances ou facultés. Ainsi la propriété qu'a le feu de nous échauffer, de nous éclairer, sont des qualités sensibles, qui ne seraient rien s'il n'y avait des êtres sensibles, chez lesquels ce corps peut exciter ces idées ou sensations ; de même la puissance qu'il a de fondre le plomb par exemple, lorsqu'il lui est appliqué, est une qualité seconde du feu, qui excite chez nous de nouvelles idées, qui nous auraient été absolument inconnues, si l'on n'avait jamais fait l'essai de cette puissance du feu sur le plomb.
Disons que les idées des qualités premières des objets représentent parfaitement leurs objets ; que les originaux de ces idées existent réellement ; qu'ainsi l'idée que vous vous formez de l'étendue, est véritablement conforme à l'étendue qui existe. Je pense qu'il en est de même des puissances du corps, ou du pouvoir qu'il a en vertu de ses qualités premières et originales de changer l'état d'un autre, ou d'en être changé. Quand le feu consume le bois, je crois que la plupart des hommes conçoivent le feu, comme un amas de particules en mouvement, ou comme autant de petits coins qui coupent, séparent les parties solides du bois, qui laissent échapper les plus subtiles et les plus légères pour s'élever en fumée, tandis que les plus grossières tombent en forme de cendre.
Mais, pour ce qui est des qualités sensibles, le commun des hommes s'y trompe beaucoup. Ces qualités ne sont point réelles, elles ne sont point semblables aux idées que l'on s'en forme ; ce qui influe pour l'ordinaire, sur le jugement qu'on porte des puissances et des qualités premières. Cela peut venir de ce que l'on n'aperçoit pas par les sens, les qualités originales dans les élements dont les corps sont composés ; de ce que les idées des qualités sensibles, qui sont effectivement toutes spirituelles, ne nous paraissent tenir rien de la grosseur, de la figure, ou des autres qualités corporelles ; et enfin de ce que nous ne pouvons pas concevoir, comment ces qualités peuvent produire les idées et les sensations des couleurs, des odeurs, et des autres qualités sensibles, suite du mystère inexplicable qui règne, comme nous l'avons dit, sur la liaison de l'âme et du corps. Mais, pour cela, le fait n'en est pas moins vrai ; et si nous en cherchons les raisons, nous verrons que l'on en a plus d'attribuer au feu, par exemple, de la chaleur, ou de croire que cette qualité du feu que nous appelons la chaleur, nous est fidèlement représentée par la sensation à laquelle nous donnons ce nom, que l'on en a de donner à une aiguille qui me pique, la douleur qu'elle me cause ; si ce n'est que nous voyons distinctement l'impression que l'aiguille produit chez moi, en s'insinuant dans ma chair, au lieu que nous n'apercevons pas la même chose à l'égard du feu ; mais cette différence, fondée uniquement sur la portée de nos sens, n'a rien d'essentiel. Autre preuve encore du peu de réalité des qualités sensibles, et de leur conformité à nos idées, ou sensations ; c'est que la même qualité nous est représentée par des sensations très-différentes, de douleur ou de plaisir suivant les temps et les circonstances. L'expérience montre d'ailleurs en plusieurs cas, que ces qualités que les sens nous font apercevoir dans les objets, ne s'y trouvent réellement pas. D'où nous nous croyons fondés à conclure que les qualités originelles des corps sont des qualités réelles, qui existent réellement dans les corps, soit que nous y pensions, soit que nous n'y pensions pas, et que les perceptions que nous en avons, peuvent être conformes à leurs objets ; mais que les qualités sensibles n'y sont pas plus réellement que la douleur dans une aiguille ; qu'il y a dans les corps quelques qualités premières, qui sont les sources et les principes des qualités secondes, ou sensibles, lesquelles n'ont rien de semblable avec celles-ci qui en dérivent, et que nous prêtons aux corps.
Faites que vos yeux ne voient ni lumière ni couleur, que vos oreilles ne soient frappées d'aucun son, que votre nez ne sente aucune odeur ; dès-lors toutes ces couleurs, ces sons, et ces odeurs s'évanouiront et cesseront d'exister. Elles rentreront dans les causes qui les ont produites, et ne seront plus ce qu'elles sont réellement, une figure, un mouvement, une situation de partie : aussi un aveugle n'a-t-il aucune perception de la lumière, des couleurs.
Cette distinction bien établie pourrait nous mener à la question de l'essence et des qualités essentielles des êtres, à faire voir le peu d'exactitude des idées que nous nous formons des êtres extérieurs ; à ce que nous connaissons des substances, et à ce qui nous en restera toujours inconnu, aux modes ou aux manières d'être, et à ce qui en fait le principe ; mais outre que cela nous menerait trop loin, on trouvera ces sujets traités dans les articles relatifs. Contentons-nous d'avoir indiqué cette distinction sur la manière de connaître les qualités premières, et les qualités sensibles d'un objet, et passons aux êtres qui n'ont qu'une existence idéale. Pour les faire connaître, nous choisissons, comme ayant un rapport distinct à nos perceptions, ceux que notre esprit considère d'une manière générale, et dont il se forme ce que l'on appelle idées universelles.
Si je me représente un être réel, et que je pense en même temps à toutes les qualités qui lui sont particulières, alors l'idée que je me fais de cet individu, est une idée singulière ; mais, si écartant toutes ces idées particulières, je m'arrête seulement à quelques qualités de cet être, qui soient communes à tous ceux de la même espèce, je forme par-là une idée universelle, générale.
Nos premiéres idées sont visiblement singulières. Je me fais d'abord une idée particulière de mon père, de ma nourrice ; j'observe ensuite d'autres êtres qui ressemblent à ce père, à cette femme, par la forme, par le langage, par d'autres qualités. Je remarque cette ressemblance, j'y donne mon attention, je la détourne des qualités par lesquelles mon père, ma nourrice, sont distingués de ces êtres ; ainsi je me forme une idée à laquelle tous ces êtres participent également ; je juge ensuite par ce que j'entends dire, que cette idée se trouve chez ceux qui m'environnent, et qu'elle est désignée par le mot d'hommes. Je me fais donc une idée générale, c'est-à-dire, j'écarte de plusieurs idées singulières, ce qu'il y a de particulier à chacune, et je ne retiens que ce qu'il y a de commun à toutes : c'est donc à l'abstraction que ces sortes d'idées doivent leur naissance. Voyez ABSTRACTION.
Nous avons raison de les ranger dans la classe des êtres de raison, puisqu'elles ne sont que des manières de penser, et que leurs objets qui sont des êtres universels, n'ont qu'une existence idéale, qui néanmoins a son fondement dans la nature des choses, ou dans la ressemblance des individus ; d'où il suit qu'en observant cette ressemblance des idées singulières, on se forme des idées générales ; qu'en retenant la ressemblance des idées générales, on vient à s'en former de plus générales encore ; ainsi l'on construit une sorte d'échelle ou de pyramide qui monte par degrés, depuis les individus jusqu'à l'idée de toutes, la plus générale, qui est celle de l'être.
Chaque degré de cette pyramide, à l'exception du plus haut et du plus bas, sont en même temps espèce et genre ; espèce, relativement au degré supérieur ; genre, par rapport à l'inferieur. La ressemblance entre plusieurs personnages de différentes nations, leur fait donner le nom d'hommes. Certains rapports entre les hommes et les bêtes, les fait ranger sous une même classe, désignée sous le nom d'animaux. Les animaux ont plusieurs qualités communes avec les plantes, on les renferme sous le nom d'êtres vivants ; l'on peut aisément ajouter des degrés à cette échelle. Si on la borne là, elle présente l'être vivant, pour le genre, ayant sous lui deux espèces, les animaux et les plantes, qui, relativement à des degrés inférieurs, deviennent à leur tour des genres.
Sur cette exposition des idées universelles, qui ne sont telles, que parce qu'elles ont moins de parties, moins d'idées particulières, il semble qu'elles devraient être d'autant plus à la portée de notre esprit. Cependant l'expérience fait voir que plus les idées sont abstraites, et plus on a de peine à les saisir et à les retenir, à moins qu'on ne les fixe dans son esprit par un nom particulier, et dans sa mémoire, par un emploi fréquent de ce nom ; c'est que ces idées abstraites ne tombent ni sous les sens, ni sous l'imagination, qui sont les deux facultés de notre âme, dont nous aimons le plus à faire usage. Que pour produire ces idées universelles ou abstraites, il faut entrer dans le détail de toutes les qualités des êtres, observer et retenir celles qui sont communes, écarter celles qui sont propres à chaque individu ; ce qui ne se fait pas sans un travail d'esprit, pénible pour le commun des hommes et qui devient difficile, si l'on n'appelle les sens et l'imagination au secours de l'esprit, en fixant ces idées par des noms ; mais, ainsi déterminées, elles deviennent les plus familières et les plus communes. L'étude et l'usage des langues nous apprennent que presque tous les mots, qui sont des signes de nos idées, sont des termes généraux, d'où l'on peut conclure, que presque toutes les idées des hommes sont des idées générales, et qu'il est beaucoup plus aisé et plus commode de penser ainsi d'une manière universelle. Qui pourrait en effet imaginer et retenir des noms propres pour tous les êtres que nous connaissons ? A quoi aboutirait cette multitude de noms singuliers ? Nos connaissances, il est vrai, sont fondées sur les existences particulières, mais elles ne deviennent utiles que par des conceptions générales des choses, rangées pour cela sous certaines espèces, et appelées d'un même nom.
Ce que nous venons de dire sur les idées universelles, peut s'étendre à tous les objets de nos perceptions, dont l'existence n'est qu'idéale : passons à la manière dont elles nous peignent ces objets.
3°. A cet égard on distingue les idées, en idées claires ou obscures, appliquant par analogie à la vue de l'esprit, les mêmes termes dont on se sert pour le sens de la vue. C'est ainsi que nous disons qu'une idée est claire, quand elle est telle, qu'elle suffit pour nous faire connaître ce qu'elle représente, dès que l'objet vient à s'offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet, est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur ; mais bien des gens n'ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, et les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, le couleur de cerise pour le couleur de rose. Celui-là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer surement une action vertueuse d'une qui ne l'est pas ; mais c'est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.
La clarté et l'obscurité des idées peuvent avoir divers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L'idée d'une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres ; obscure pour ceux-ci, très-obscure à ceux-là ; de même elles peuvent être obscures dans un temps, et devenir très-claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être subdivisée en idée distincte et confuse. Distincte, quand nous pouvons detailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnaître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d'autres à peu-près semblables ; mais on doit appeler une idée confuse, lorsqu'étant claire, c'est-à-dire distinguée de toute autre, on n'est pas en état d'entrer dans le détail de ses parties.
Il en est encore ici comme du sens de la vue. Tout objet Ve clairement ne l'est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, et qui pourrait le voir distinctement à moins que d'affoiblir son éclat ? des exemples diront mieux que les définitions. L'idée de la couleur rouge est une idée claire, car l'on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur ; mais si l'on demande à quelqu'un, à quoi donc il reconnait la couleur rouge, il ne saura que repondre. Cette idée claire est donc confuse pour lui, et je crois qu'on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d'un tableau, qui guidés par un goût juste et sur, n'hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. demandez-leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, et ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu'ils n'ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire, et une idée distincte ; c'est que celui qui n'a qu'une idée claire d'une chose, ne saurait la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n'a qu'une idée claire, mais confuse de la beauté d'un poème, il vous dira que c'est l'Iliade, l'Enéide, ou il ajoutera quelques synonymes ; c'est un poème qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante ; des mots tant que vous voudrez, mais des idées, n'en attendez pas de lui.
Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connaissances, et qui par-là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, et nous jettent cependant dans l'erreur ; ce qui mérite que l'on s'y arrête pour faire voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela une idée distincte doit être complete , c'est-à-dire qu'elle doit renfermer les marques propres à faire reconnaître son objet en tout temps et en toutes circonstances. Un fou, dit-on, est un homme qui allie des idées incompatibles ; voilà peut-être une idée distincte, mais fournit-elle des marques pour distinguer en tout temps un fou d'un homme sage ?
Outre cela les idées distinctes doivent être ce qu'on appelle dans l'école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques même qui distinguent cette idée ; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c'est l'habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n'est ni complete ment distincte, ni adéquate, quand on ne sait que d'une manière confuse ce que c'est que l'habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c'est qu'une action libre. Mais elle devient complete et adéquate, quand on se dit qu'une habitude est une facilité d'agir, qui s'acquiert par un fréquent exercice ; que conformer ses actions à une loi, c'est choisir entre plusieurs manières d'agir également possibles, celle qui suit la loi ; que la loi naturelle est la volonté du Législateur suprême qu'il a fait connaître aux hommes par la raison et par la conscience ; qu'enfin les actions libres sont celles qui dépendent du seul acte de notre volonté.
Ainsi l'idée de vertu emporte tout ceci, une facilité acquise par un fréquent exercice, de choisir entre plusieurs manières d'agir, que nous pouvons exécuter par le seul acte de notre volonté, celle qui s'accommode le mieux à ce que la raison et la conscience nous représentent, comme conformes à la volonté de Dieu ; et cette idée de la vertu est non-seulement distincte, mais adéquate au premier degré. Pour la rendre plus distincte encore, on pourrait pousser cette analyse plus loin, et en cherchant les idées distinctes de tout ce qui entre dans l'idée de vertu, on serait surpris combien ce mot embrasse de choses, auxquelles la plupart de ceux qui l'emploient, ne pensent gueres. Il convient même de s'arrêter quand on est parvenu à des idées claires, mais confuses que l'on ne peut plus résoudre ; aller au-de-là ce serait manquer son but, qui ne peut être que de former un raisonnement pour s'éclairer soi-même, ou pour communiquer aux autres ce que nous avons dans l'esprit. Dans le second cas nous remplissons nos vues, lorsque nous nous faisons entendre de celui à qui nous parlons : au premier il suffit d'être parvenu à des principes assez certains, pour que nous puissions y donner notre assentiment.
De-là on peut conclure l'importance de ne pas se contenter d'idées confuses dans les cas où l'on peut s'en procurer de distinctes ; c'est ce qui donne cette netteté d'esprit qui en fait toute la justice. Pour cela il faut s'exercer de bonne heure et assidument sur les objets les plus simples, les plus familiers, en les considérant avec attention sous toutes leurs faces, et sous toutes les relations qu'ils peuvent avoir en les comparant ensemble, en ayant égard aux moindres différences, et en observant l'ordre et la liaison qu'elles ont entr'elles.
Passant ensuite à des objets plus composés, on les observera avec la même exactitude, et l'on se fera par-là une habitude d'avoir presque sans travail et sans peine des idées distinctes, et même de discerner toutes les idées particulières qui entrent dans la composition de l'idée principale. C'est ainsi qu'en analysant les idées de plusieurs objets, l'on parviendra à acquérir cette qualité d'esprit qu'on désigne par le mot profondeur. Au contraire en négligeant cette attention, l'on n'aura jamais qu'un esprit superficiel qui se contente des idées claires, et qui n'aspire point à s'en former de distinctes ; qui donne beaucoup à l'imagination, peu au jugement, qui ne saisit les choses que par ce qu'elles ont de sensible, ne voulant ou ne pouvant avoir d'idées de ce quelles ont d'abstrait et de spirituel ; esprit qui peut se faire écouter, mais qui pour l'ordinaire est un fort mauvais guide.
C'est surtout le manque d'attention à examiner les objets de nos idées, à nous les rendre familiers, qui fait que nous n'en avons que des idées obscures ; et comme nous ne pouvons pas toujours conserver présents les objets dont nous avons acquis même des idées distinctes, la mémoire vient à notre secours pour nous les retracer ; mais, si alors nous ne donnons pas la même attention à cette faculté de notre âme, l'expérience fait voir que les idées s'effaçent autant, et par les mêmes degrés par lesquels elles ont été acquises et se sont gravées dans l'âme, en sorte que nous ne pouvons plus nous représenter l'objet quand il est absent, ni le reconnaître quand il est présent : des idées légérement saisies, imparfaitement digérées, quoique distinctes, ne seront bientôt plus que claires, ensuite confuses, puis obscures, et deviendront si obscures qu'elles se réduisent à rien. L'exemple de la manière dont un jeune homme transporté en pays étranger, vient à oublier sa langue maternelle apprise par routine, en serait une preuve, si l'on n'en avait une infinité d'autres.
La manière de voir, d'envisager un objet, de le considérer avec attention sous toutes ses faces, de l'étudier, de ranger dans son esprit sous un certain ordre les idées particulières qui en dépendent, de s'appliquer à se rendre familiers les premiers principes et les propositions générales, de se les rappeler souvent, de ne pas s'occuper de trop d'objets à la fais, ni d'objets qui ayant trop de rapports peuvent se confondre ; de ne point passer d'un objet à l'autre qu'on ne s'en soit fait une idée distincte s'il est possible. Tout cela forme une méthode de se représenter les objets, de connaître, d'étudier, sur laquelle on ne peut prescrire ici toutes les règles, que l'on trouvera dans un traité de logique bien fait.
Convenons cependant qu'il est des choses, dont avec toute l'attention et la disposition possible, on ne peut parvenir à se faire des idées distinctes, soit parce que l'objet est trop composé, soit parce que les parties de cet objet diffèrent trop peu entr'elles pour que nous puissions les demêler et en saisir les différences, soit qu'elles nous échappent par leur peu de proportion avec nos organes, ou par leur éloignement, soit que l'essentiel d'une idée, ce qui la distingue de toute autre, se trouve enveloppé de plusieurs circonstances étrangères qui les dérobent à notre pénétration. Toute machine trop composée, le corps humain, par exemple, est tellement combiné dans toutes ses parties, que la sagacité des plus habiles n'y peut voir la millième partie de ce qu'il y aurait à connaître, pour s'en former une idée complete ment distincte. Le microscope, le télescope nous ont donné à la vérité des idées plus distinctes sur des objets, qui avant ces découvertes, étaient dans le second cas, c'est-à-dire très-obscures par la petitesse ou l'éloignement de ces objets, et encore combien sommes-nous éloignés d'en avoir des idées nettes ! La plupart des hommes n'ont qu'une idée assez obscure de ce qu'ils entendent par le mot de cause, parce que dans la production d'un effet la cause se trouve ordinairement enveloppée, et tellement jointe à diverses choses, qu'il leur est difficîle de discerner en quoi elle consiste.
Cet exemple même nous indique un obstacle à nous procurer des idées distinctes, c'est l'imperfection et l'abus des mots comme signes représentatifs, mais signes arbitraires de nos idées. Voyez MOTS, SYNTAXE. Il n'est que trop fréquent, et l'expérience nous montre tous les jours que l'on est dans l'habitude d'employer des mots sans y joindre d'idées précises, ou même aucune idée, de les employer tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ou de les lier à d'autres, qui en rendent la signification indéterminée, et de supposer toujours comme on le fait, que les mots excitent chez les autres les mêmes idées que nous y avons attachées. Comment se faire des idées distinctes avec des signes aussi équivoques ? Le meilleur conseil que l'on puisse donner contre cet abus, c'est qu'après s'être appliqué à n'avoir que des idées bien nettes et bien terminées, nous n'employons jamais, ou du moins le plus rarement qu'il nous sera possible, de mots qui ne nous donnent du moins une idée claire, que nous tâchions de fixer la signification de ces mots ; qu'en cela nous suivions autant qu'on le pourra, l'usage commun, et qu'enfin nous évitions de prendre le même mot en deux sens différents. Si cette règle générale dictée par le bon sens, était suivie et observée dans tous ses détails avec quelque soin, les mots bien loin d'être un obstacle, deviendraient un aide, un secours infini à la recherche de la vérité, par le moyen des idées distinctes, dont ils doivent être les signes. C'est à l'article des définitions et à tant d'autres, sur la partie philosophique de la Grammaire que nous renvoyons.
Quelque étendue que l'on ait donné à cet article, il y aurait encore bien des choses à dire sur nos idées, considérées relativement aux facultés de notre âme, sur leurs usages, comme étant les sources de nos jugements, et les principes de nos connaissances. Mais tout cela a été dit, et se trouve dans un si grand nombre de bons ouvrages sur l'art de penser et de communiquer nos pensées, qu'il serait superflu de s'y arrêter davantage. Quiconque voudra méditer sur ce qui se passe en lui, lorsqu'il s'applique à la recherche de quelque vérité, s'instruira mieux par lui-même de la nature des idées, de leurs objets, et de leur utilité.
IDEE, s. f. (Antiquité grecque et romaine) Idaea, surnom de Cybele, qu'on adorait particulièrement sur le mont Ida ; par la même raison ses ministres les dactyles, ou les corybantes, étaient appelés Idéens, mais ils ne tenaient cette qualification que de l'honneur qu'ils avaient de servir la mère des dieux ; on la nommait par excellence Idaea magna mater, et c'est elle que regardent les inscriptions avec ces trois lettres I. M. M. Idaeae magnae matri. On célébrait solennellement dans toute la Phrygie la fête sacrée de la mère Idéenne, par des sacrifices et des jeux, et on promenait sa statue au son de la flute et du tympanon.
Les Romains lui sacrifièrent à leur tour, et instituèrent des jeux à sa gloire, avec les cérémonies romaines ; mais ils y employèrent des Phrygiens et des Phrygiennes, qui portaient par la ville la statue de Cybele, en sautant, dansant, battant de leurs tambours, et jouant de leurs crotales. Denys d'Halycarnasse remarque qu'il n'y avait aucun citoyen de Rome qui se mêlât avec ces Phrygiens, et qui fût initié dans les mystères de la déesse. (D.J.)