Secte. (Histoire, Philosophie) L'histoire de la philosophie des Grecs se divise en fabuleuse, politique et sectaire ; et la sectaire en Ionique et en Pythagorique. Thalès est à la tête de la secte Ionique, et c'est de son école que sont sortis les Philosophes Ioniens, Socrate avec la foule de ses disciples, les Académiciens, les Cyrénaïques, les Eristiques, les Péripatéticiens, les Cyniques et les Stoïciens. On l'appelle secte Ionique de la patrie de son fondateur Milet en Ionie. Pythagore fonda la secte appelée de son nom la Pythagorique, et celle-ci donna naissance à l'Eléatique, à l'Héraclitique, à l'Epicurienne et à la Pyrrhonienne. Voyez à l'article GRECS, PHILOSOPHIE DES GRECS ; et l'histoire de chacune de ses sectes, à leurs noms.
Thalès naquit à Milet, d'Examias et de Cléobuline, de la famille des Thalides, une des plus distinguées de la Phoenicie, la première année de la trente-cinquième olympiade. L'état de ses parents, les soins qu'on prit de son éducation, ses talents, l'élévation de son âme, et une infinité de circonstances heureuses le portèrent à l'administration des affaires publiques. Cependant sa vie fut d'abord privée ; il passa quelque temps sous Thrasibule, homme d'un génie peu commun, et d'une expérience consommée. Il y en a qui le marient ; d'autres le retiennent dans le célibat, et lui donnent pour héritier le fils de sa sœur, et la vraisemblance est pour ces derniers. Quand on lui demandait pourquoi il refusait à la nature le tribut que tout homme lui doit, en se remplaçant dans l'espèce par un certain nombre d'enfants : je ne veux point avoir d'enfants, répondait-il, parce que je les aime ; les soins qu'ils exigent, les événements auxquels ils sont exposés, rendent la vie trop pénible et trop agitée. Le législateur Solon, qui regardait la propagation de l'espèce d'un oeil politique, n'approuvait pas cette façon de penser, et Thalès qui ne l'ignorait pas, se proposa d'amener Solon à son sentiment par un moyen aussi ingénieux que cruel. Un jour il envoye à Solon un messager lui porter la nouvelle de la mort de son fils, ce père tendre en est aussi-tôt plongé dans la douleur la plus profonde : alors Thalès vient à lui, et lui dit en l'abordant d'un air riant, eh bien, trouvez-vous encore qu'il soit fort doux d'avoir des enfants ? La tyrannie n'eut point d'ennemis plus déclarés. Il crut que les conseils d'un particulier auraient plus de poids dans la société que les ordres d'un magistrat, et il n'imita point les sept Sages qui l'avaient précédé, et qui tous avaient été à la tête du gouvernement. Mais son goût pour la Philosophie naturelle et l'étude des Mathématiques, l'arracha de bonne heure aux affaires. Le désir de s'instruire de la Religion et de ses mystères le fit passer en Crète ; il espérait démêler dans le culte et la théogonie de ces peuples ce que les temps les plus reculés avaient pensé de la naissance du monde et de ses révolutions. De la Crète il alla en Asie. Il vit les Phéniciens, si célèbres alors par leurs connaissances astronomiques. Il voulut dans sa vieillesse converser avec les prêtres de l'Egypte. Il apprit à ceux qu'il allait interroger, à mesurer la hauteur de leurs pyramides, par son ombre et par celle d'un bâton. Qu'était-ce donc que ces Géomètres Egyptiens ? De retour de ses voyages, les grands que la curiosité et l'amour-propre appellent toujours autour des Philosophes, recherchèrent son intimité ; mais il préféra l'étude, la retraite et le repos à tous les avantages de leur commerce. C'est de lui dont il est question dans la vieille et ridicule fable de cet astronome qui regarde aux astres, et qui n'aperçoit pas une fosse qui est à ses pieds. Bien ou mal imaginée, il fallait en étendre la moralité en l'appliquant aux grandes vues de l'homme et à la courte durée de sa vie ; il projette dans l'avenir, et il a un tombeau ouvert à côté de lui. Thalès atteignit l'âge de quatre-vingt-dix ans. S'étant imprudemment engagé dans la foule que les jeux olympiques attiraient, il y périt de chaleur et de soif. On raconte de lui que, pour montrer à ses concitoyens combien il était facîle au philosophe de s'enrichir, il acheta tout le produit des oliviers de Milet et de Chio, sur la connaissance que l'Astronomie lui avait donnée d'une récolte abondante. Il ne fut pas seulement philosophe, il fut aussi poète. Les uns lui attribuent un Traité de la nature des choses, un autre de l'Astronomie nautique et des points tropiques et équinoxiaux. Mais ceux qui assurent que Thalès n'a rien laissé, paraissent avoir raison. Il ne faut pas confondre le philosophe de Milet avec le législateur et le poète de la Crète. Il eut pour disciple Anaximandre.
Il y a plusieurs circonstances qui rendent l'histoire de la secte Ionienne difficîle à suivre. Peu d'écrits et de disciples ; le mystère, la crainte du ridicule, le mépris du peuple, l'effroi de la superstition, la double doctrine, la vanité qui laisse les autres dans l'ignorance, le goût général pour la Morale, l'éloignement des esprits de l'étude des Sciences naturelles, l'autorité de Socrate qui les avait abandonnées, l'inexactitude de Platon qui ramenant tout à ses idées, corrompait tout ; la briéveté et l'infidélité d'Aristote qui mutile, altère et tronque ce qu'il touche ; les révolutions des temps qui défigurent les opinions, et ne les laissent jamais passer intactes aux bons esprit qui auraient pu les exposer nettement, s'ils avaient paru plus tôt ; la fureur de dépouiller les contemporains, qui recule autant qu'elle peut l'origine des découvertes ; que sais-je encore ? et après cela quel fonds pouvons-nous faire sur ce que nous allons exposer de la doctrine de Thalès ?
De la naissance des choses. L'eau est le principe de tout : tout en vient et tout s'y résout.
Il n'y a qu'un monde ; il est l'ouvrage d'un Dieu : donc il est très-parfait.
Dieu est l'âme du monde.
Le monde est dans le lieu, la chose la plus vaste qui sait.
Il n'y a point de vide.
Tout est en vicissitude, et l'état des choses est momentané.
La matière se divise sans-cesse ; mais cette division a sa limite.
La nuit exista la première.
Le mélange nait de la composition des éléments.
Les étoiles sont d'une nature terrestre, mais enflammée.
La lune est éclairée par le soleil.
C'est l'interposition de la lune qui nous éclipse le soleil.
Il n'y a qu'une terre ; elle est au centre du monde.
Ce sont des vents étésiens qui soufflant contre le cours du Nil, le retardent, et causent ses inondations.
Des choses spirituelles. Il y a un premier Dieu, le plus ancien ; il n'a point eu de commencement, il n'aura point de fin.
Ce Dieu est incompréhensible. Rien ne lui est caché ; il voit au fond de nos cœurs.
Il y a des démons ou génies et des héros.
Les héros sont nos âmes séparées de nos corps. Ils sont bons, si les âmes ont été bonnes ; mécans, si elles ont été mauvaises.
L'ame humaine se meut toujours et d'elle-même.
Les choses inanimées ne sont pas sans sentiment ni sans âme.
L'ame est immortelle.
C'est la nécessité qui gouverne tout.
La nécessité est la puissance immuable et la volonté constante de la Providence.
Géométrie de Thalès. Elle se réduit à quelques propositions élémentaires sur les lignes, les angles et les triangles ; son astronomie à quelques observations sur le lever et le coucher des étoiles, et autres phénomènes.
Mais il faut observer à l'honneur de ce philosophe que la Philosophie naturelle était alors au berceau, et qu'elle a sait ses premiers pas avec lui.
Quant aux axiomes de sa morale, voici ce que Démétrius de Phalere nous en a transmis. Il faut se rappeler son ami, quand il est absent. C'est l'âme et non le corps qu'il faut soigner. Avoir pour ses pères les égards qu'on exige de ses enfants. L'intempérance en tout est nuisible. L'ignorant est insupportable. Apprendre aux autres ce qu'on sait de mieux. Il y a un milieu à tout. Ne pas accorder sa confiance sans choix.
Interrogé sur l'art de bien vivre, il répondit : ne faites point ce que vous blâmeriez en un autre. Vous serez heureux, si vous êtes sain, riche et bien né. Il est difficîle de se connaître, mais cela est essentiel. Sans cela, comment conformer sa conduite aux lois de la nature ?
Anaximandre marcha sur les traces de Thalès. Il naquit à Milet dans la quarante-deuxième olympiade. Il passa toute sa vie dans l'école. Le temps de sa mort est incertain. On prétend qu'il n'a vécu que 74 ans.
Il passe pour avoir porté les Mathématiques fort au-delà du point où Thalès les avait laissées. Il mesura le diamètre de la terre et le tour de la mer. Il inventa le gnomon. Il fixa les points des équinoxes et des solstices. Il construisit une sphère. Il eut aussi sa physiologie.
Selon lui, le principe des choses était infini, non en nombre, mais en grandeur ; immuable dans le tout, variable dans les parties ; tout en émanait, tout s'y resolvait.
Le ciel est un composé de froid et de chaud.
Il y a une infinité de mondes qui naissent, périssent, et rentrent dans l'infini.
Les étoiles sont des receptacles de feu qu'elles aspirent et exspirent : elles sont rondes ; elles sont entrainées dans leur mouvement par celui des sphères.
Les astres sont des dieux.
Le soleil est au lieu le plus haut, la lune plus bas ; après la lune, les étoiles fixes et les étoiles errantes.
L'orbe du soleil est vingt-huit fois plus grand que celui de la terre ; il répand le feu dans l'univers, comme la poussière serait dispersée de dessus une roue creuse et trouée, emportée sur elle-même avec vitesse.
L'orbe de la lune est à celui de la terre comme 1 à 19.
Il attribue les éclipses à l'obstruction des orifices des trous par lesquels la lumière s'échappe.
Le vent est un mouvement de l'air ; les éclairs et le tonnerre, des effets de sa compression dans une nue, et de la rupture de la nue.
La terre est au centre ; elle est ronde ; rien ne la soutient ; elle y reste par sa distance égale de tous les corps.
Cosmogonie d'Anaximandre. L'infini a produit des orbes et des mondes : la révolution perpétuelle est la cause de la génération et de la destruction ; la terre est un cylindre dont la hauteur n'est que le tiers du diamètre : un atmosphère de parties froides et chaudes, forma autour de la terre une enveloppe qui la féconda. Cette enveloppe s'étant rompue, ses pièces formèrent le soleil, la lune, les étoiles, et la lumière.
Quant aux animaux, il les tire tous de l'eau, d'abord hérissés d'épines, puis sechés, puis morts : il fait naître l'homme dans le corps des poissons.
Anaximene, disciple d'Anaximandre, et son compatriote, naquit entre la 55e et la 58e olympiade : il suivit les opinions de son maître, y ajoutant et y changeant ce qu'il jugea à propos.
Celui-ci veut que l'air soit le principe et la fin de tous les êtres ; il est éternel et toujours mu ; c'est un dieu ; il est infini. Il y a d'autres dieux subalternes, tous également enfants de l'air : une grande portion de cet élément échappe à nos yeux ; mais elle se manifeste par le froid et le chaud, l'humidité et le mouvement ; elle se condense et se raréfie ; elle ne garde jamais une même forme.
L'air dissous, au dernier degré, c'est du feu ; à un degré moyen, c'est l'atmosphère ; à un moindre encore, c'est l'eau ; plus condensé, c'est la terre ; plus dense, les pierres, etc.
Le froid et le chaud sont les causes opposées de la génération, les instruments de la destruction.
La surface extérieure du ciel est terrestre.
La terre est une grande surface plane, soutenue sur l'air ; il en est ainsi de la lune, du soleil, et de tous les astres.
La terre a donné l'existence aux astres par ses vapeurs qui se sont enflammées en s'atténuant.
Les vapeurs atténuées, enflammées, et portées à des distances plus grandes, ont formé les astres.
Les astres tournent autour de la terre, mais ne s'abaissent point au-dessous : si nous cessons de voir le soleil, c'est qu'il est caché par des régions élevées, ou porté à de trop grandes distances.
C'est un air condensé qui meut les plantes, et qui les retient.
Le soleil est une plaque ardente.
Les éclipses se font dans son système, comme dans celui d'Anaximandre.
Il ne nous reste de sa morale que quelques sentences décousues, sur la vieillesse, sur la volupté, sur l'étude, sur la richesse, et sur la pauvreté, qui toutes paraissent tirées de sa propre expérience. Il se maria, il était pauvre ; il eut des enfants, il fut plus pauvre encore ; il devint vieux, et connut tout ce que la misere, cette maîtresse cruelle, a coutume d'apprendre aux hommes.
Anaxagoras étudia sous Anaximene ; il naquit à Clazomene, dans la 70e olympiade. Eubule son père est connu par ses richesses et plus encore par son avarice. Son fils en fit peu de cas ; il négligea la fortune que son père lui avait laissée, voyagea, et regardant à son retour d'un oeil assez froid le desastre que son absence avait introduit dans ses terres, il disait, non essem ego salvus, nisi istae perissent. Il n'ambitionna aucune des dignités auxquelles sa naissance l'avait destiné ; et il répondit à quelqu'un qui lui reprochait que sa patrie ne lui était de rien ; ma patrie, en montrant le ciel de la main, elle m'est tout : il vint à Athènes à l'âge de vingt ans. Il n'y avait point encore, à proprement parler, d'écoles de Philosophie. A peine eut-il connu Anaximene, qu'il s'écria dans l'enthousiasme, je sens que je suis né pour regarder la lune, le ciel, le soleil, et les astres. Ses succès ne furent point au-dessous de ses espérances ; il alla dans sa patrie interroger Hermotime ; il était venu la première fois à Athènes pour apprendre, il y reparut pour enseigner ; il eut pour auditeurs Périclès, Euripide le Tragique, Socrate même, Thémistocle.
Mais l'envie ne lui accorda pas longtemps du repos ; il fut accusé d'impiété, pour avoir dit que le soleil n'était qu'une lame ardente ; mis en prison, et prêt à être condamné, l'éloquence et l'autorité de Périclès le sauvèrent de la fureur des prêtres. Le mot qu'il dit dans ces circonstances fâcheuses, marque la fermeté de son âme. Comme on lui annonçait qu'il serait condamné à mort lui et ses enfants, il répondit : il y a longtemps que la nature a prononcé cette sentence contr'eux et contre moi ; je n'ignorais pas que je suis mortel, et que mes enfants sont nés de moi.
Il sortit d'Athènes après un séjour de trente ans ; il s'en alla à Lampsaque passer ce qui lui restait de jours à vivre ; il se laissa mourir de faim.
Philosophie d'Anaxagoras. Il ne se fait rien de rien.
Dans le commencement tout était, mais en confusion et sans mouvement.
Il n'y a qu'un principe de tout, mais divisé en parties infinies, similaires, contiguès, opposées, se touchant, se soutenant les unes hors des autres. Voyez HOMOIOMERIE.
Les parties similaires de la matière étant sans mouvement et sans vie, il y a eu de toute éternité un principe infini, intelligent, incorporel, hors de la masse, mu de lui-même, et la cause du mouvement dans le reste.
Il a tout fait avec les parties similaires de la matière, unissant les homogènes aux homogènes.
Les contrées supérieures du monde sont pleines de feu, ou d'un air très-subtil, mu d'un mouvement très-rapide, et d'une nature divine.
Il a enlevé des masses arrachées de la terre, et les a entrainées dans sa révolution rapide là où elles forment des étoiles.
C'est cet art qui entretient leurs révolutions d'un pôle à l'autre ; le soleil ajoute encore à sa force par son action et sa compression.
Le soleil est une masse ardente plus grande que le Péloponese, dont le mouvement n'a pas d'autre cause que celui des étoiles.
La lune et le soleil sont placés au-dessous des astres ; c'est la grande distance qui nous empêche de sentir la chaleur des astres.
La lune est un corps opaque que le soleil éclaire ; elle est semblable à la terre ; elle a ses montagnes, ses vallées, ses eaux, et peut-être ses habitants.
La voie lactée est un effet de la lumière réfléchie du soleil, qui se fait apercevoir par l'absence de tout astre.
Les cometes sont des astres errants qui paraissent plusieurs ensemble, par un concours fortuit qui les a réunis ; leur lumière est un effet commun de leur union.
Le soleil, la lune et les autres astres, ne sont ni des intelligences divines, ni des êtres qu'il faille adorer.
La terre est plane ; la mer formée de vapeurs raréfiées par le soleil, se soutient à sa surface.
La sphère du monde a d'abord été droite ; elle s'est ensuite inclinée.
Il n'y a point de vide.
Les animaux formés par la chaleur et l'humidité, sont sortis de la terre, mâles et femelles.
L'ame est le principe du mouvement, elle est aérienne.
Le sommeil est une affection du corps et non de l'âme.
La mort est une dissolution égale du corps et de l'âme.
L'action du soleil raréfiant ou atténuant l'air, cause les vents.
Le mouvement rapide de la terre empêchant la libre sortie des vents renfermés dans les cavités de la terre, en excite les tremblements.
Si une nue est opposée au soleil comme un miroir, et que sa lumière la rencontre et s'y fixe, l'arc-en-ciel sera produit.
Si la terre sépare la lune du soleil, la lune sera éclipsée ; la même chose arrivera au soleil, si la lune se trouve entre la terre et cet astre.
Je n'entens rien à son explication des solstices, ni aux retours fréquents de la lune ; il emploie à l'explication de l'un de ces phénomènes le mouvement ou plutôt l'éloignement de la lune et du soleil, et à l'autre le défaut de chaleur.
Si le chaud s'approche des nues qui sont froides, cette rencontre occasionnera des tonnerres et des éclairs ; la foudre est une condensation du feu.
Diogène l'Apolloniate fut disciple d'Anaximene, et condisciple d'Anaxagore. Celui-ci fut orateur et philosophe ; ses principes sont fort analogues à ceux de son maître.
Rien ne se fait de rien ; rien ne se corrompt, ou il n'est pas ; l'air est le principe de tout ; une intelligence divine le meut et l'anime ; il est toujours en action ; il forme des mondes à l'infini, en se condensant ; la terre est une sphère allongée ; elle est au centre ; c'est le froid environnant qui fait sa consistance ; c'est le froid qui a fait sa solidité première ; la sphère était droite, elle s'inclina après la formation des animaux ; les étoiles sont des exhalaisons du monde ; l'âme est dans le cœur ; le son est un retentissement de l'air contenu dans la tête, et frappé ; les animaux naissent chauds, mais inanimés ; la brute a quelque portion d'air et de raison ; mais cet air est embarrassé d'humeur ; cette raison est bornée ; ils sont dans l'état des imbéciles ; si le sang et l'air se portent vers les régions gastriques, le sommeil nait ; la mort, si le sang et l'air s'échappent.
Archélaus de Milet succéda à Anaxagoras ; l'étude de la Physique cessa dans Athènes après celui-ci ; la superstition la rendit périlleuse, et la doctrine de Socrate la rendit méprisable : Archélaus commença à disputer des lais, de l'honnête, et du juste.
Selon lui, l'air et l'infini sont les deux principes des choses ; et la séparation du froid et du chaud, la cause du mouvement ; le chaud est en action, le froid en repos ; le froid liquéfié forme l'eau ; resserré par le chaud, il forme la terre ; le chaud s'éleve, la terre demeure ; les astres sont des terres brulées ; le soleil est le plus grand des corps célestes : après le soleil, c'est la lune ; la grandeur des autres est variable ; le ciel étendu sur la terre, l'éclaire et la seche ; la terre était d'abord marécageuse ; elle est ronde à la surface, et creuse au centre ; ronde, puisque le soleil ne se lève pas et ne se couche pas en un même instant pour toutes ses contrées ; la chaleur et le limon ont produit tous les animaux, sans en excepter l'homme ; ils sont également animés ; les tremblements de la terre ont pour causes des vents qui se portent dans ses cavités qui en sont déjà pleines ; la voix n'est qu'un air frappé ; il n'y a rien de juste ni d'injuste, de décent, ni d'indécent en soi ; c'est la loi qui fait cette distinction.
Voilà tout ce que l'antiquité nous a transmis de la secte ionique qui s'éteignit à Socrate, pour ne renaître qu'à Guillelmet de Bérigard, qui naquit à Moulins en 1598.
Bérigard étudia d'abord les lettres grecques et latines, et ne négligea pas les Mathématiques ; il avait fait un assez long séjour à Paris, lorsqu'il fut appelé à Pise. Il s'attacha à Catherine de Lorraine, femme du grand duc de Toscane, en qualité de médecin ; ce qui prouve qu'il avait apparemment tourné son application du côté de l'art de guérir ; Catherine lui procura la protection des Médicis ; il professa les Mathématiques et la Botanique ; les Vénitiens lui proposèrent une chaire à Padoue qu'il accepta, et qu'il garda jusqu'à sa mort, qui arriva en 1663 ; son ouvrage intitulé Cursus Pisani, n'est ni sans réputation, ni sans mérite ; il commença à philosopher dans un temps où le Péripatétisme ébranlé perdait un peu de son crédit, en dépit des decrets des facultés attachées à leur vieille idole. Quoiqu'il vécut dans un pays où l'on ne peut être trop circonspect, et qu'il eut sous ses yeux l'exemple de Galilée, jeté dans des prisons pour avoir démontré le mouvement de la terre et l'immobilité du soleil, il osa avancer qu'on devait aussi peu d'égards à ce que les Théologiens pensaient dans les sciences naturelles, que les Théologiens à ce que les Philosophes avaient avancé dans les sciences divines. Quel progrès sous cet homme rare la science n'aurait-elle pas fait, s'il eut été abandonné à toute la force de son génie ? mais il avait des préjugés populaires à respecter, des protecteurs à ménager, des ennemis à craindre, des envieux à apaiser, des sentences de philosophie accréditées à attaquer sourdement, des fanatiques à tromper, des intolérants à surprendre ; en un mot, tous les obstacles qu'il est possible d'imaginer à surmonter. Il en vint à bout ; il renversa Aristote, en exposant toute l'impiété de sa doctrine ; il le combattit en dévoilant les conséquences dangereuses où ses principes avaient entrainé Campanella, et une infinité d'autres. Il hasarda à cette occasion quelques idées sur une meilleure manière de philosopher ; il ressuscita peu-à-peu l'Ionisme.
Malgré toutes ses précautions, il n'échappa pas à la calomnie ; il fut accusé d'irréligion et même d'athéïsme ; mais heureusement il n'était plus. Nous avouerons toutefois que ses ouvrages en dialogues où il s'est personnifié sous le nom d'Aristée, demandent un lecteur instruit et circonspect.
IONIQUE TRANSMIGRATION, la transmigration ionique était autrefois une époque célèbre ; c'est la retraite des colonies athéniennes, qui après la mort de Codrus, s'en allèrent sous la conduite de Nelée son fils, fonder les douze villes de l'Ionie en Asie. Voyez EPOQUE. Ces colonies s'établirent, selon Eratosthene, 50 ans après le retour des Héraclides ; &, selon le chevalier Marsham, 77 ans après la prise de Troie.
La secte ionique était la première des trois plus anciennes sectes des Philosophes ; les deux autres étaient l'Italique et l'Eleatique. Voyez PHILOSOPHIE.
Le fondateur de cette secte était Thalès, natif de Milet en Ionie ; ce qui obligea ses disciples à en prendre le nom.
La principale doctrine de cette secte était que l'eau est le principe de toutes choses. Voyez EAU, PRINCIPE, etc. C'est à quoi Pindare fait allusion au commencement de la première ode de ses Olympiennes, lorsqu'il dit, que rien n'est si excellent que l'eau ; pensée froide et commune si on la prend à la lettre comme faisait M. Perrault ; mais qui présente un sens noble, si remontant aux idées de la philosophie de Thalès, on imagine l'eau comme le premier principe de tous les autres êtres.
IONIQUE (ORDRE), Architecture c'est un des cinq ordres d'Architecture : il tire son nom de l'Ionie, province soumise aux Athéniens ; et c'est pour cela qu'on l'appelle quelquefois ordre attique. Mais les Ioniens s'en attribuèrent l'invention. Rivaux des Doriens, ils imaginèrent avec esprit, des changements dans la proportion et dans les ornements des colonnes doriques, et s'étudièrent à augmenter la facilité de l'exécution.
Cet ordre tient un juste milieu entre la manière solide et la délicate ; la colonne prise en-bas, y compris la base et le chapiteau, est de neuf diamètres de hauteur ; son chapiteau est orné de volutes, sa corniche de denticules, et le fust des colonnes est cannelé. Il est bon de nous expliquer un peu plus au long.
Nous avons dit que dans cet ordre, les colonnes avec le chapiteau et la base, ont neuf diamètres de la colonne prise en-bas ; nous devons ajouter que cela n'était pas ainsi, lorsque cet ordre fut inventé ; car alors les colonnes n'avaient que huit modules ou diamètres de haut. Ensuite les anciens voulant rendre cet ordre plus agréable que le dorique, augmentèrent la hauteur des colonnes, en y ajoutant une base, qui n'était point en usage dans l'ordre dorique.
L'entablement a une cinquième partie de la hauteur de la colonne, dont la base a un demi-diamètre, et le chapiteau un peu plus d'un tiers.
Le chapiteau est principalement composé de volutes, qui le rendent différent de tous les autres ordres.
Les colonnes ioniques, sont ordinairement cannelées de vingt-quatre cannelures ; il y en a qui ne sont creuses et concaves, que jusqu'à la troisième partie au-bas de la colonne ; et cette troisième partie a ses cannelures remplies de baguettes ou bâtons ronds, à la différence du surplus du haut, qui demeure cannelé en creux, et entièrement vide : celles qui sont ainsi, s'appellent rudentées.
Enfin, le piédestal a de haut deux diamètres, et deux tiers ou environ.
On ne peut guère s'empêcher d'ajouter une remarque de Vitruve sur cet ordre. De peur, dit cet habîle homme, qu'on ne soit trop passionné en faveur de l'ordre ionique, à cause de la préférence qu'il a eu dans un siècle où l'Architecture fleurissait le plus, et chez une nation dont les productions ont été si longtemps la règle du bon gout, qu'elles ont en quelque sorte acquis le droit d'influer sur le jugement qu'on peut porter sur cette matière ; il est bon de faire la réfléxion suivante ; c'est qu'il n'y a point de doute, que les Ioniens n'eussent de la partialité pour l'ordre qu'ils prétendaient avoir inventé. Cependant ils auraient préféré le dorique en plusieurs occasions, si leur ordre propre n'eut été plus aisé à exécuter, et si l'architecte, pour donner plus de carrière à son imagination, ne se fût pas mieux accommodé de l'ordre ionique, que du dorique, où l'esprit est retenu par une attention continuelle, à la distribution convenable des métopes et des triglyphes. Hermogènes, continue Vitruve, avait dessein de faire dorique le fameux temple de Bacchus à Téos ; et ce fut seulement par la dernière raison qu'on vient de donner, qu'il changea son plan, et fit son temple ionique.
Quoique cette observation du prince des Architectes de Rome soit très judicieuse, il n'en est pas moins vrai que l'ordre ionique eut constamment dans la Grèce la préférence sur tout autre ordre, pour la construction de leurs célèbres édifices ; et ce serait assez de citer à sa gloire le temple admirable de Diane à Ephese. (D.J.)