Suivant le système de Physique établi par Newton, et reçu maintenant par un grand nombre de philosophes, chaque particule de matière pese ou gravite vers chaque autre particule. Voyez NEWTONIANISME.
Ce que nous appelons gravitation par rapport à un corps A, qui pese vers un autre corps B, Newton l'appelle attraction par rapport au corps B vers lequel le corps A pese : ou, ce qui revient au même, l'attraction que le corps B exerce sur le corps A, est ce qui fait que le corps A a une gravitation vers B ; l'attraction est la cause inconnue et la gravitation l'effet. Voyez ATTRACTION.
Selon Newton, les planètes, tant premières que secondaires, aussi-bien que les cometes, pesent ou tendent toutes vers le soleil, et pesent outre cela les unes vers les autres, comme le soleil pese et tend vers elles ; et la gravitation d'une planète quelconque C vers une autre planète D, est en raison directe de la quantité de matière qui se trouve dans la planète D, et en raison inverse du carré de la distance de la planète C à la planète D. Voyez PLANETE, COMETE, SOLEIL, TERRE, LUNE, etc.
Mais ce ne sont pas seulement les corps célestes qui s'attirent mutuellement. Newton ajoute que toutes les parties de la matière ont cette propriété réciproque les unes par rapport aux autres ; et c'est ce qu'il appelle la gravitation universelle. On peut voir aux mots ATTRACTION et GRAVITE, les preuves de ce système et l'usage que Newton en a fait, ainsi que les réflexions que nous avons faites sur ces preuves et sur cet usage. A ces réflexions nous en joindrons ici quelques-unes.
I. Réflexions philosophiques sur le système de la gravitation universelle. Les observations astronomiques démontrent que les planètes se meuvent, ou dans le vide, ou au-moins dans un milieu fort rare, ou enfin, comme l'ont prétendu quelques philosophes, dans un milieu fort dense qui ne résiste point, ce qui serait néanmoins plus difficîle à concevoir que l'attraction même. Mais quelque parti qu'on prenne sur la nature du milieu dans lequel les planètes se meuvent, la loi de Kepler démontre au-moins qu'elles tendent vers le soleil. Voyez LOI DE KEPLER et GRAVITE. Ainsi la gravitation des planètes vers le soleil, quelle qu'en soit la cause, est un fait qu'on doit regarder comme démontré, ou rien ne l'est en Physique.
La gravitation des planètes secondaires ou satellites vers leurs planètes principales, est un second fait évident et démontré par les mêmes raisons et par les mêmes faits.
Les preuves de la gravitation des planètes principales vers leurs satellites ne sont pas en aussi grand nombre ; mais elles suffisent cependant pour nous faire reconnaître cette gravitation. Les phénomènes du flux et reflux de la mer, et surtout la théorie de la nutation de l'axe de la terre et de la précession des équinoxes, si bien d'accord avec les observations, prouvent invinciblement que la terre tend vers la lune ; voyez FLUX et REFLUX, MAREE, NUTATION, PRECESSION. Nous n'avons pas de semblables preuves pour les autres satellites. Mais l'analogie seule ne suffit-elle pas pour nous faire conclure que l'action entre les planètes et leurs satellites est réciproque ? Je n'ignore pas l'abus qu'on peut faire de cette manière de raisonner, pour tirer en Physique des conclusions trop générales ; mais il me semble, ou qu'il faut entièrement renoncer à l'analogie, ou que tout concourt ici pour nous engager à en faire usage.
Si l'action est réciproque entre chaque planète et ses satellites, elle ne parait pas l'être moins entre les planètes premières. Indépendamment des raisons tirées de l'analogie, qui ont à la vérité moins de force ici que dans le cas précédent, mais qui pourtant en ont encore, il est certain que Saturne éprouve dans son mouvement des variations sensibles, et il est fort vraisemblable que Jupiter est la principale cause de ces variations. Le temps seul, il est vrai, pourra nous éclairer pleinement sur ce point, les Géomètres et les Astronomes n'ayant encore ni des observations assez complete s sur les mouvements de Saturne, ni une théorie assez exacte des dérangements que Jupiter lui cause. Mais il y a beaucoup d'apparence que Jupiter, qui est sans comparaison la plus grosse de toutes les planètes et la plus proche de Saturne, entre au-moins pour beaucoup dans la cause de ces dérangements : je dis pour beaucoup, et non pour tout ; car outre une cause dont nous parlerons dans un moment, l'action des cinq satellites de Saturne pourrait encore produire quelque dérangement dans cette planète ; et peut-être sera-t-il nécessaire d'avoir égard à l'action des satellites pour déterminer entièrement et avec exactitude toutes les inégalités du mouvement de Saturne, aussi-bien que celles de Jupiter.
Si les satellites agissent sur les planètes principales ; et si celles-ci agissent les unes sur les autres, elles agissent donc aussi sur le soleil : c'est une conséquence assez naturelle. Mais jusqu'ici les faits nous manquent encore pour la vérifier. Le moyen le plus infaillible de décider cette question, est d'examiner les inégalités de Saturne ; car si Jupiter agit sur le Soleil en même temps que Saturne, il est nécessaire de transporter à Saturne, en sens contraire, l'action de Jupiter sur le Soleil, pour avoir le mouvement de Saturne par rapport à cet astre ; et entr'autres inégalités cette action doit produire dans le mouvement de Saturne une variation proportionnelle au sinus de la distance entre le lieu de Jupiter et celui de Saturne. C'est aux Astronomes à s'assurer si cette variation existe, et si elle est telle que la théorie la donne. Voyez SATURNE.
On peut voir par ce détail quels sont les différents degrés de certitude que nous avons jusqu'ici sur les principaux points du système de la gravitation universelle, et quelle nuance, pour ainsi dire, observent ces degrés. Ce sera la même chose quand on voudra transporter, comme fait Newton, le système général de la gravitation des corps célestes à celle des corps terrestres ou sublunaires. Nous remarquerons en premier lieu que cette attraction ou gravitation générale s'y manifeste moins en détail dans toutes les parties de la matière, qu'elle ne fait, pour ainsi dire, en total dans les différents globes qui composent le système du monde ; nous remarquerons de plus qu'elle se manifeste dans quelques-uns des corps qui nous environnent plus que dans les autres ; qu'elle parait agir ici par impulsion, là par une mécanique inconnue, ici suivant une loi, là suivant une autre ; enfin plus nous généraliserons et étendrons en quelque manière la gravitation, plus ses effets nous paraitront variés, et plus nous la trouverons obscure, et en quelque manière informe dans les phénomènes qui en résultent, ou que nous lui attribuons. Soyons donc très-réservés sur cette généralisation, aussi-bien que sur la nature de la force qui produit la gravitation des planètes ; reconnaissons seulement que les effets de cette force n'ont pu se réduire, du-moins jusqu'ici, à aucune des lois connues de la mécanique ; n'emprisonnons point la nature dans les limites étroites de notre intelligence ; approfondissons assez l'idée que nous avons de la matière, pour être circonspects sur les propriétés que nous lui attribuons ou que nous lui refusons ; et n'imitons pas le grand nombre des philosophes modernes, qui en affectant un doute raisonné sur les objets qui les intéressent le plus, semblent vouloir se dédommager de ce doute par des assertions prématurées sur les questions qui les touchent le moins.
II. Loi générale de la gravitation. Si on appelle la force de la gravitation d'un point vers un autre, e l'espace que cette force fait parcourir pendant le temps t, on aura d d e = d t2, ou plus exactement d d e = , comme on l'a Ve au mot FORCE, page 118 de ce Volume, en appelant a l'espace que la pesanteur p fait parcourir pendant un temps
. M. Euler, dans sa pièce sur le mouvement de Saturne, qui a remporté le prix de l'académie des Sciences en 1748, prend pour équation, non pas d d e = d t2, mais d d e = 1/2 d t2. Comme cette manière de présenter l'équation des forces accélératrices a causé de la difficulté à plusieurs personnes, je dirai ici qu'elle ne me parait point exacte. En effet supposons = p, c'est-à-dire égale à la pesanteur naturelle, on aurait donc, suivant M. Euler, à d e = , et e = ou t = 2 ; cependant toutes les formules reçues jusqu'ici donnent la vitesse à la fin de l'espace e = , et le temps = = ; ce qui est fort différent de l'expression de t qui résulte de la formule de M. Euler. Il est vrai que l'équation, peu exacte en elle-même, d d e = 1/2 d t2, dont M. Euler se sert, n'influe point sur le reste de sa pièce, parce qu'il corrige cette erreur par une autre, en substituant dans la suite de la pièce, à la place de
le soleil ; au lieu qu'en nous servant de la formule d d e = d t2, nous eussions substitué cette quantité , non à la place de
III. Manière de trouver la gravitation d'un corps vers un autre. Newton dans le livre I. de ses principes, a donné pour cela une méthode qui a été commentée et étendue depuis par différents auteurs. Voyez les mémoires de l'acad. 1732. le commentaire des PP. le Sueur et Jaquier ; les mémoires de Petersbourg, etc. Cette méthode a principalement pour objet l'attraction que les corps sphériques, elliptiques et cylindriques, ou regardés comme tels, exercent sur un point donné. Nous avons donné les premiers la méthode de trouver l'attraction qu'un solide peu différent d'une sphère, elliptique ou non, sphéroïde ou non, exerce sur un point placé, soit au-dedans, soit au-dehors de lui. Voyez la seconde et la troisième partie de nos recherches sur le système général du monde, Paris 1754 et 1756 ; voyez aussi l'article FIGURE DE LA TERRE. De plus une remarque singulière que nous avons faite à ce sujet, et que nous croyons nouvelle, c'est que quand un corpuscule est au-dehors d'une surface sphérique et très-près de cette surface, l'attraction que cette surface exerce sur ce corpuscule, est à-peu-près double de celle qu'elle exerce, si le corpuscule est placé sur la surface même. On peut voir dans la III. partie de nos recherches sur le système du monde, 1756, pp. 198 et 199. la preuve et le dénouement de cette espèce de paradoxe. Mais pour faire sentir aux commençans comment le calcul donne ce paradoxe, représentons-nous la différentielle de l'attraction d'une surface sphérique, r étant le rayon, 2 le rapport de la circonférence au rayon, n la distance du corpuscule à la surface sphérique, et x une abscisse quelconque ; nous trouverons aisément par les méthodes connues que l'intégrale de cette différentielle est x + 2r x . Voyez INTEGRAL, TRANSFORMATION, et la II. partie de mes recherches sur le système du monde, page 284. Or, soit que n soit = 0, ou non, la seconde partie de cette intégrale, savoir 2 r devient = , quand x = 2r. A l'égard de la première partie, elle est évidemment toujours nulle, quand n = 0, puisque n en multiplie tous les termes ; mais quand n n'est pas = 0, elle devient, lorsque x = 2r, = , comme la précédente à laquelle elle s'ajoute pour lors. Ainsi quand n = 0, l'attraction n'est que ; et quand n n'est pas zéro, elle est que + . Voilà la raison analytique du paradoxe.
IV. Usage du système de la gravitation pour trouver les masses des planètes. Saient deux planètes, dont les masses soient M, m, qui aient des satellites qui tournent autour d'elles à la distance A, a, et qui fassent leurs révolutions dans les temps T, t, les forces centripetes de ces satellites seront M/A2, m/a2, puisque la gravitation est en raison directe de la masse du corps attirant, et inverse du carré de la distance : de plus ces forces centripetes seront égales aux forces centrifuges ; et en considérant les orbites des satellites comme des cercles, les forces centrifuges seront entr'elles comme A/T2 : a/t2. Voyez FORCE CENTRALE au mot CENTRAL. Donc on aura M/A2 : m/a2 : : A/T : a/t2. Donc si on connait le rapport de A avec a et celui de T avec t, on connaitra le rapport de M à m. Par-là on peut connaître le rapport de la masse du Soleil, de Jupiter et de Saturne, à celle de la Terre ; car toutes ces planètes (en y comprenant le Soleil) ont des satellites, dont on connait le rapport des distances à leurs planètes principales, et les temps des révolutions. Voyez PLANETE. (O)