S. f. en Perspective et en Peinture, se dit d'une projection monstrueuse, ou d'une représentation défigurée de quelque image, qui est faite sur un plan ou sur une surface courbe, et qui néanmoins à un certain point de vue, parait régulière et faite avec de justes proportions. Voyez PROJECTION. Ce mot est grec ; il est composé d’άνα, rursum, derechef, et μόρφωσις, formation, qui vient de μορφή, forme.



Pour faire une anamorphose, ou une projection monstrueuse sur un plan, tracez le carré A B C D, (Pl. de Perspect. fig. 19. n°. 1.) d'une grandeur à volonté, et subdivisez-le en aréoles ou en petits carrés. Dans ce carré ou cette espèce de réseau, que l'on appelle prototype craticulaire, tracez au naturel l'image dont l'apparence doit être monstrueuse : tirez ensuite la ligne a b (fig. 19. n°. 2.) égale à A B, et divisez-la dans le même nombre de parties égales que le côté du prototype A B : au point du milieu E, élevez la perpendiculaire E V, et menez V S perpendiculaire à E V, en faisant la ligne E V d'autant plus longue, et la ligne V S d'autant plus courte, que vous avez dessein d'avoir une image plus difforme. De chaque point de division tirez au point V des lignes droites, et joignez les points b, S, par la ligne droite b, S. Par les points c, e, f, g, etc. tirez des lignes droites parallèles à a b : alors a b c d sera l'espace où l'on doit tracer la projection monstrueuse ; et c'est ce que l'on appelle l'ectype craticulaire.

Enfin dans chaque aréole ou petit trapeze de l'espace a b c d, dessinez ce que vous voyez tracé dans l'aréole correspondante du carré A B C D ; par ce moyen vous aurez une image difforme, qui paraitra néanmoins dans ses justes proportions, si l'oeil est placé de manière qu'il en soit éloigné de la longueur E V, et élevé au-dessus à la hauteur de V S.

Le spectacle sera beaucoup plus agréable, si l'image défigurée ne représente pas un pur cahos, mais quelqu'autre apparence : ainsi l'on a Ve une rivière avec des soldats, des chariots, etc. marchants sur l'une de ses rives, représentée avec un tel artifice, que quand elle était regardée au point S, il semblait que ce fût le visage d'un satyre. Mais on ne peut donner facilement des règles pour cette partie, qui dépend principalement de l'industrie et de l'adresse de l'artiste.

On peut aussi faire mécaniquement une anamorphose de la manière suivante : on percera de part en part le prototype à coups d'aiguille dans son contour, et dans plusieurs autres points ; ensuite on l'exposera à la lumière d'une bougie ou d'une lampe, et on marquera bien exactement les endroits où tombent sur un plan, ou sur une surface courbe, les rayons qui passent à-travers ces petits trous, car ils donneront les points correspondants de l'image difforme, par le moyen desquels on peut achever la déformation.

Faire une anamorphose sur la surface convexe d'un cone. Il parait assez par le problème précédent, qu'il ne s'agit que de faire un ectype craticulaire sur la surface d'un cone qui paraisse égal au prototype craticulaire, l'oeil étant placé à une distance convenable au-dessus du sommet du cone.

C'est pourquoi, soit la base A B C D du cone (fig. 20.) divisée par des diamètres en un nombre quelconque de parties égales ; ou, ce qui revient au même, soit divisée la circonférence de cette base en tel nombre qu'on voudra de parties égales, et soient tirées par les points de division des lignes droites au centre. Sait aussi divisé un rayon en quelques parties égales ; par chaque point de division décrivez des cercles concentriques ; par ce moyen vous aurez tracé le prototype craticulaire A, le double du diamètre A B, comme rayon ; décrivez le quart de cercle E G (fig. 21.) afin que l'arc E G soit égal à la circonférence entière, et pliez ce quart de cercle, de manière qu'il forme la surface d'un cone, dont la base soit le cercle A B C D ; divisez l'arc E G dans le même nombre de parties égales que le prototype craticulaire est divisé, et tirez des rayons de chacun des points de division ; prolongez G F en I, jusque à ce que F I = F G : du centre I, et du rayon I F, décrivez le quart de cercle F K H ; et du point I au point E, tirez la droite I E ; divisez l'arc K F dans le même nombre de parties égales que le rayon du prototype craticulaire ; et du centre I par chaque point de division, tirez des rayons qui rencontrent E F aux points 1, 2, 3, etc. enfin du centre F, et des rayons F 1, F 2, F 3, décrivez des arcs concentriques. De cette manière vous aurez l'ectype craticulaire, dont les aréoles paraitront égales entr'elles.

Ainsi en transportant dans les aréoles de l'ectype craticulaire, ce qui est dessiné dans chaque aréole du prototype craticulaire, vous aurez une image monstrueuse qui paraitra néanmoins dans ses justes proportions, si l'oeil est élevé au-dessus du sommet du cone, d'une quantité égale à la distance de ce sommet à la base.

Si l'on tire dans le prototype craticulaire les cordes des quarts de cercle, et dans l'ectype craticulaire les cordes de chacun de ses quarts, toutes choses d'ailleurs restant les mêmes, on aura l'ectype craticulaire dans une pyramide quadrangulaire.

Il sera donc aisé de dessiner une image monstrueuse sur toute pyramide, dont la base est un polygone régulier quelconque.

Comme l'illusion est plus parfaite quand on ne peut pas juger, par les objets contigus, de la distance des parties de l'image monstrueuse, il est mieux de ne regarder ces sortes d'images que par un petit trou.

On voit à Paris, dans le cloitre des Minimes de la Place Royale, deux anamorphoses tracées sur deux des côtés du cloitre ; l'une représente la Madeleine ; l'autre S. Jean écrivant son évangile. Elles sont telles que quand on les regarde directement, on ne voit qu'une espèce de paysage, et que quand on les regarde d'un certain point de vue, elles représentent des figures humaines très-distinctes. Ces deux figures sont l'ouvrage du père Niceron, Minime, qui a fait sur ce même sujet un traité latin, intitulé, Thaumaturgus opticus, Optique miraculeuse, dans lequel il traite de plusieurs phénomènes curieux d'Optique, et donne fort au long les méthodes de tracer ces sortes d'anamorphoses sur des surfaces quelconques. Le P. Emmanuel Maignan, Minime, a aussi traité cette même matière dans un ouvrage latin, intitulé, Perspectiva horaria, imprimé à Rome en 1648. Voyez la proposition 77 de la Catoptrique horaire de ce dernier ouvrage, page 438.

Comme les mirais cylindriques, coniques et pyramidaux ont la propriété de rendre difformes les objets qu'on leur expose, et que par conséquent ils peuvent faire paraitre naturels des objets difformes, on donne aussi dans l'Optique des moyens de tracer sur le papier des objets difformes, qui étant vus par ces sortes de miroirs, paraissent de leur figure naturelle.

Par exemple, si on veut tracer une image difforme, qui paraisse de sa figure naturelle, étant vue dans un miroir cylindrique, on commencera (figure 14. Perspect.) par décrire un cercle H B C égal à la base du cylindre ; ensuite supposant que O soit le point où tombe la perpendiculaire menée de l'oeil, on tirera les tangentes O C et O B. On joindra les points d'attouchement C et B par la droite C B ; on divisera cette ligne C B en tant de parties égales qu'on voudra, et par les points de division on tirera des lignes au point O ; on supposera que les rayons O H, O I, se réfléchissent en F et en G ; ensuite (fig. 15. Persp.) sur une droite indéfinie M Q, on élevera la perpendiculaire M P égale à la hauteur de l'oeil ; on fera M Q égale à O H de la fig. 14. et au point Q on élevera la perpendiculaire Q R égale à C B, et divisée en autant de parties que C B ; par les points de division on tirera des lignes au point P, qui étant prolongées jusqu'à la ligne M N, donneront les points I, III, etc. et les distances Q I, III, IIIII, etc. qu'il faudra transporter dans la fig. 14. de I en I, de I en II, de II en III, etc. de cette manière les points F, G, de la fig. 14. répondront au point N ou IV de la fig. 15. Par ces points F, G, et par le point K tel que K H = I G, on tracera un arc de cercle jusqu'en S et en T, c'est-à-dire jusqu'à la rencontre des tangentes O S, O T, et on fera de même pour les points III, II, etc. ensuite on dessinera une figure quelconque dans un carré ; dont les côtés soient égaux à C B ou Q R, et soient divisés en autant de parties qu'on a divisé ces lignes ; en sorte que le carré dont il s'agit, soit partagé lui-même en autant de petits carrés. On dessinera après cela dans la figure S F G T une image difforme, dont les parties soient situées dans les parties de cette figure, correspondantes aux parties du carré. Cette image étant approchée d'un miroir cylindrique dont H B C soit la base, et l'oeil étant élevé au-dessus du point O à une hauteur égale à M P, on verra dans le miroir cylindrique la figure naturelle qui avait été tracée dans le petit carré.

On a aussi des méthodes assez semblables à la précédente pour tracer des images difformes, qui soient rétablies dans leur figure naturelle, par des miroirs coniques ou pyramidaux. On peut voir une idée de ces méthodes dans la Catoptrique de M. Wolf. Nous nous bornerons ici à ce qui regarde les miroirs cylindriques, comme étant les plus communs. On trouve dans les actes de Leipsic de 1712, la description d'une machine anamorphotique de M. Jacques Léopold, par le moyen de laquelle on peut décrire mécaniquement et assez exactement des images difformes qui soient rétablies dans leur état naturel par des miroirs cylindriques ou coniques.

On fait aussi dans la Dioptrique des anamorphoses. Elles consistent en des figures difformes, qui sont tracées sur un papier, et qui paraissent dans leur état naturel lorsqu'on les regarde à-travers un verre polyhedre, c'est-à-dire à plusieurs faces. Et voici de quelle manière elles se font.

Sur une table horizontale A B C D, on élève à angles droits (fig. 11. Persp.) une planche A F E D ; on pratique dans chacune de ces deux planches ou tables deux coulisses, telles que l'appui B H C puisse se mouvoir entre les coulisses de la table horizontale, et qu'on puisse faire couler un papier entre les coulisses de la planche verticale ; on adapte à l'appui B H C un tuyau I K, garni en I d'un verre polyhedre, plan convexe, composé de 24 plans triangulaires disposés à-peu-près suivant la courbure d'une parabole. Le tuyau est percé en K d'un petit trou, qui doit être un peu au-delà du foyer du verre ; on éloigne l'appui B H C de la planche verticale, et on l'en éloigne d'autant plus que l'image difforme doit être plus grande.

On met au-devant du trou K une lampe ; on marque avec du crayon les aréoles ou points lumineux que sa lumière forme sur la planche A D E F ; et pour ne se point tromper en les marquant, il faut avoir soin de regarder par le trou si en effet ces aréoles ne forment qu'une seule image.

On tracera ensuite dans chacune de ces aréoles des parties d'un objet, qui étant vues par le trou K, ne paraitront former qu'un seul tout ; et on aura soin de regarder par le trou K en faisant cette opération, pour voir si toutes ces parties forment en effet une seule image. A l'égard des espaces intermédiaires, on les remplira de tout ce qu'on voudra ; et pour rendre le phénomène plus curieux, on aura soin même d'y tracer des choses toutes différentes de celle qu'on doit voir par le trou ; alors regardant par le trou K, on ne verra qu'une image distincte, fort différente de celle qui paraissait sur le papier à la vue simple.

On voit à Paris dans la bibliothèque des Minimes de la Place Royale, deux anamorphoses de cette espèce ; elles sont l'ouvrage du P. Niceron, dont nous avons déjà parlé : et on trouve aussi dans le tome IV. des Mémoires de l'académie impériale de Petersbourg, la description d'une anamorphose semblable, faite par M. Leutman, membre de cette académie, en l'honneur de Pierre II. empereur de Russie : cet auteur expose la méthode qu'il a suivie pour cela, et fait des remarques utiles sur cette matière. Voyez sur cet article la Catoptrique et la Dioptrique de M. Wolf, déjà citées. (O)