(Histoire ancienne et moderne, et Jurisprudence) sont l'assemblée des députés des différents ordres de citoyens qui composent une nation, une province, ou une ville. On appelle états généraux, l'assemblée des députés des différents ordres de toute une nation. Les états particuliers sont l'assemblée des députés des différents ordres d'une province, ou d'une ville seulement.

Ces assemblées sont nommées états, parce qu'elles représentent les différents états ou ordres de la nation ; province ou ville dont les députés sont assemblés.



Il n'y a guère de nations policées chez lesquelles il n'y ait eu des assemblées, soit de tout le peuple ou des principaux de la nation ; mais ces assemblées ont reçu divers noms, selon les temps et les pays ; et leur forme n'a pas été réglée par-tout de la même manière.

Il y avait chez les Romains trois ordres ; savoir les sénateurs, les chevaliers, et le bas peuple, appelé plebs. Les prêtres formaient bien entr'eux différents colléges, mais ils ne composaient point un ordre à part : on les tirait des trois autres ordres indifféremment. Le peuple avait droit de suffrage, de même que les deux autres ordres. Lorsque l'on assemblait les comices ou l'on élisait les nouveaux magistrats, on y proposait aussi les nouvelles lais, et l'on y délibérait de toutes les affaires publiques. Le peuple était divisé en trente curies ; et comme il eut été trop long de prendre toutes les voix en détail et l'une après l'autre ; on prenait seulement la voix de chaque curie. Les suffrages se donnaient d'abord verbalement ; mais vers l'an 614 de Rome il fut réglé qu'on les donnerait par écrit. Servius Tullius ayant partagé le peuple en six classes qu'il subdivisa en 193 centuries, on prenait la voix de chaque centurie. Il en fut de même lorsque le peuple eut été divisé par tribus ; chaque tribu opinait, et l'on décidait à la pluralité. Dans la suite les empereurs s'étant attribué seuls le pouvoir de faire des lais, de créer des magistrats, et de faire la paix et la guerre, les comices cessèrent d'avoir lieu ; le peuple perdit par-là son droit de suffrage, le sénat fut le seul ordre qui conserva une grande autorité.

L'usage d'assembler les états ou différents ordres, a néanmoins subsisté dans plusieurs pays, et ces assemblées y reçoivent différents noms. En Pologne on les appelle dietes ; en Angleterre, parlements ; et en d'autres pays, états.

Dans quelques pays il n'y a que deux ordres ou états, du moins qui soient admis aux assemblées générales, comme en Pologne, où la noblesse et le clergé forment seuls les états qu'on appelle dietes, les paysans y étant tous esclaves. Des nobles sont exclus de ces assemblées.

En Suède au contraire on distingue quatre états ou ordres différents de citoyens ; savoir la noblesse, le clergé, les bourgeois, et les paysans.

Dans la plupart des autres pays on distingue trois états ; le clergé, la noblesse, et le tiers-état ou troisième ordre, composé des magistrats municipaux, des notables bourgeois, et du peuple. Telle est la division qui subsiste présentement en France ; mais les choses n'ont pas été toujours réglées de même à cet égard.

Avant la conquête des Gaules par Jules César, il n'y avait que deux ordres : celui des druides, et celui des chevaliers : le peuple était dans une espèce d'esclavage, et n'était admis à aucune délibération. Lorsque les Francs jetèrent les fondements de la monarchie française, ils ne reconnaissaient qu'un seul ordre dans l'état, qui était celui des nobles ou libres ; en quoi ils conservèrent quelque temps les mœurs des Germains dont ils tiraient leur origine. Dans la suite le clergé forma un ordre à part, et obtint même le premier rang dans les assemblées de la nation. Le tiers-état ne se forma que longtemps après sous la troisième race.

Quelques historiens modernes ont qualifié très-improprement d'états, les assemblées de la nation qui, sous la première race, se tenaient au mois de Mars ; et sous la seconde, au mois de Mai : d'où elles furent appelées champ de Mars et champ de Mai. On leur donnait encore divers autres noms, tels que ceux de colloquium, concilium, judicium Francorum, placitum Mallum ; et sous le règne de Pepin elles commencèrent à prendre le nom de parlements. Ces anciens parlements, dont celui de Paris et tous les autres tirent successivement leur origine, n'étaient pas une simple assemblée d'états, dans le sens que ce terme se prend aujourd'hui ; c'était le conseil du roi et le premier tribunal de la nation, où se traitaient toutes les grandes affaires. Le roi présidait à cette assemblée, ou quelqu'autre personne par lui commise à cet effet. On y délibérait de la paix et de la guerre, de la police publique et administration du royaume ; on y faisait les lois ; on y jugeait les crimes publics, et tout ce qui touchait la dignité et la sûreté du roi, et la liberté des peuples.

Ces parlements n'étaient d'abord composés que des nobles, et ils furent ensuite réduits aux seuls grands du royaume, et aux magistrats qui leur furent associés. Le clergé ne formait point encore un ordre à part, de sorte que les prélats ne furent admis à ces parlements qu'en qualité de grands vassaux de la couronne. On ne connaissait point encore de tiers-état ; ainsi ces anciens parlements ne peuvent être considérés comme une assemblée des trois états. Il s'en faut d'ailleurs beaucoup que les assemblées d'états aient jamais eu le même objet ni la même autorité, ainsi qu'on le reconnaitra sans peine en considérant la manière dont les états ont été convoqués, et dont les affaires y ont été traitées.

On ne connut pendant longtemps dans le royaume que deux ordres, la noblesse et le clergé.

Le tiers-état, composé du peuple, était alors presque tout serf ; il ne commença à se former que sous Louis-le-Gros, par l'affranchissement des serfs, lesquels par ce moyen devinrent bourgeois du roi, ou des seigneurs qui les avaient affranchis.

Le peuple ainsi devenu libre, et admis à posséder propriétairement ses biens, chercha les moyens de s'élever, et eut bientôt l'ambition d'avoir quelque part au gouvernement de l'état. Nos rois l'élevèrent par degrés en l'admettant aux charges, et en communiquant la noblesse à plusieurs roturiers ; ce qu'ils firent sans-doute pour balancer le crédit des deux autres ordres, qui étaient devenus trop puissants.

Il n'y eut cependant, jusqu'au temps de Philippe-le-Bel, point d'autre assemblée représentative de la nation, que le parlement, lequel était alors composé seulement des grands vassaux de la couronne, et des magistrats, que l'on choisissait ordinairement entre les nobles.

Philippe-le-Bel fut le premier qui convoqua une assemblée des trois états ou ordres du royaume, en la forme qui a été usitée depuis.

La première assemblée d'états généraux fut convoquée par des lettres du 23 Mars 1301, que l'on comptait à Rome 1302. Ces lettres ne subsistent plus, mais on les connait par la réponse qu'y fit le clergé, elles furent adressées aux barons, archevêques, évêques et prélats ; aux églises cathédrales, universités, chapitres et colléges, pour y faire trouver leurs députés ; et aux baillis royaux, pour faire élire par les villes des syndics ou procureurs.

Ce fut à la persuasion d'Enguerrand de Marigny son ministre, que Philippe-le-Bel assembla de cette manière les trois états ; pour parvenir plus facilement à lever sur les peuples une imposition pour soutenir la guerre de Flandres, qui continuait toujours, et pour fournir aux autres dépenses de Philippe-le-Bel, qui étaient excessives. Le roi cherchait par-là à apaiser le peuple et à gagner les esprits, surtout à cause de ses démêlés avec Boniface VIII. qui commençaient à éclater.

Ces états tinrent plusieurs séances, depuis la mi-carême jusqu'au 10 Avril qu'ils s'assemblèrent dans l'église de Notre-Dame de Paris. Philippe-le-Bel y assista en personne : Pierre Flotte son chancelier y exposa les desseins que le roi avait de réprimer plusieurs abus, notamment les entreprises de Boniface VIII. sur le temporel du royaume. Il représenta aussi les dépenses que le roi était obligé de faire pour la guerre, et les secours qu'il attendait de ses sujets ; que si l'état populaire ne contribuait pas en personne au service militaire, il devait fournir des secours d'argent. Le roi demanda lui-même que chaque corps formât sa résolution, et la déclarât publiquement par forme de conseil.

La noblesse s'étant retirée pour délibérer, et ayant ensuite repris ses places, assura le roi de la résolution où elle était de le servir de sa personne et de ses biens.

Les ecclésiastiques demandèrent un délai pour délibérer amplement, ce qui leur fut refusé. Cependant sur les interrogations que le roi leur fit lui-même, savoir de qui ils tenaient leurs biens temporels, et de ce qu'ils pensaient être obligés de faire en conséquence, ils reconnurent qu'ils tenaient leurs biens de lui et de sa couronne ; qu'ils devaient défendre sa personne, ses enfants et ses proches, et la liberté du royaume ; qu'ils s'y étaient engagés par leur serment, en prenant possession des grands fiefs dont la plupart étaient revêtus ; et que les autres y étaient obligés par fidélité. Ils demandèrent en même temps permission de se rendre auprès du pape pour un concile, ce qui leur fut encore refusé, Ve que la bulle d'indication annonçait que c'était pour procéder contre le roi.

Le tiers-état s'expliqua par une requête qu'il présenta à genoux, suppliant le roi de conserver la franchise du royaume. Quelques auteurs mal informés ont cru que c'était une distinction humiliante pour le tiers-état, de présenter ainsi ses cahiers à genoux ; mais ils n'ont pas fait attention que c'était autrefois l'usage observé par les trois ordres du royaume : et en effet ils présentèrent ainsi leurs cahiers en 1576. La preuve de ce fait se trouve fol. 19 v°. 47 v°. 58 v°. d'un recueil sommaire des propositions et conclusions faites en la chambre ecclésiastique des états tenus à Blais en 1576, dressé par M. Guillaume de Taix, doyen de l'église de Troie.. Cet ouvrage fait partie d'un recueil en plusieurs cahiers imprimés, et donnés en 1619 sous le titre de Mêlange historique, ou recueil de plusieurs actes, traités, lettres missives, et autres mémoires qui peuvent servir à la déduction de l'histoire depuis l'an 1390 jusqu'en 1580. On trouve aussi dans le recueil de l'assemblée des états de 1615, rédigé par Florimond Rapine, et imprimé en 1651 avec privilège du Roi, page 465. que le président Miron, en présentant à genoux les cahiers du tiers-état, dit au roi que la conduite qu'avaient tenue le clergé et la noblesse, de n'avoir pas présenté ses cahiers à genoux, était une entreprise contre la respectueuse coutume de toute ancienneté pratiquée par les plus grands du royaume, voire par les princes et par les évêques, de ne se présenter devant le roi qu'en mettant un genou en terre ; soit parce qu'en général le peuple n'est point retenu, comme la noblesse et le clergé, par l'appas des honneurs et des récompenses ; soit parce qu'alors le menu peuple était moins policé qu'il ne l'est aujourd'hui.

Tels furent les objets que l'on traita dans ces premiers états ; par où l'on voit que ces sortes d'assemblées n'étaient point une suite des champs de Mars et de Mai ; qu'ils ne furent point établis sur le même modèle ni sur les mêmes principes. Ils n'avaient pas non plus les mêmes droits ni la même autorité ; n'ayant jamais eu droit de suffrage en matière de législation, ni aucune juridiction, même sur leurs égaux : aussi est-il bien constant que c'est le parlement de Paris qui tire son origine de ces anciens parlements, et non pas les états, dont l'établissement ne remonte qu'à Philippe-le-Bel, et n'avait d'autre objet que d'obtenir le consentement de la nation par l'organe de ses députés, lorsqu'on voulait mettre quelques impôts.

On n'entreprendra pas de donner ici une chronologie exacte de tous les états généraux et particuliers qui ont été tenus depuis Philippe-le-Bel jusqu'à présent ; outre que ce détail menerait trop loin, les historiens ne sont souvent pas d'accord sur les temps de la tenue de plusieurs de ces états, ni sur la durée de leurs séances : quelques-uns ont pris des états particuliers pour des états généraux : d'autres ont confondu avec les états, de simples assemblées de notables, des lits de justice ; des parlements, des conseils nombreux tenus par le roi.

On se contentera donc de parler des états généraux les plus connus, de rapporter ce qui s'y est passé de plus mémorable, de marquer comment ces états s'arrogèrent peu-à-peu une certaine autorité, et de quelle manière elle fut ensuite réduite.

Une observation qui est commune à tous ces états, c'est que dans l'ordre de la noblesse étaient compris alors tous les nobles d'extraction, soit qu'ils fussent de robe ou d'épée, pourvu qu'ils ne fussent pas magistrats députés du peuple : le tiers-état n'était autre chose que le peuple, représenté par ces magistrats députés.

Depuis les premiers états de 1301, Philippe-le-Bel en convoqua encore plusieurs autres : les plus connus sont ceux de 1313, que quelques-uns placent en 1314. Le ministre ne trouva d'autre ressource pour fournir aux dépenses du roi, que de continuer l'impôt du cinquième des revenus et du centième des meubles, même d'étendre ces impôts sur la noblesse et le clergé ; et pour y réussir, on crut qu'il fallait tâcher d'obtenir le consentement des états. L'assemblée fut convoquée le 29 Juin : elle ne commença pourtant que le premier Aout. Mezeray dit que ce fut dans la salle du palais, d'autres disent dans la cour. On avait dressé un échafaud pour le roi, la noblesse et le clergé ; le tiers-état devait rester debout au pied de l'échafaud.

Après une harangue véhémente du ministre, le roi se leva de son trône et s'approcha du bord de l'échafaud, pour voir ceux qui lui accorderaient l'aide qui était demandée. Etienne Barbette prevôt des marchands, suivi de plusieurs bourgeois de Paris, promit de donner une aide suffisante, ou de suivre le roi en personne à la guerre. Les députés des autres communautés firent les mêmes offres ; et là-dessus l'assemblée s'étant séparée sans qu'il y eut de délibération formée en règle, il parut une ordonnance pour la levée de six deniers pour livre de toutes marchandises qui seraient vendues dans le royaume.

Il en fut à-peu-près de même de toutes les autres assemblées d'états ; les principaux députés, dont on avait gagné les suffrages, décidaient ordinairement, sans que l'on eut pris l'avis de chacun en particulier ; ce qui fait voir combien ces assemblées étaient illusoires.

On y arrêta cependant, presque dans le moment où elles furent établies, un point extrêmement important ; savoir, qu'on ne leverait point de tailles sans le consentement des trois états. Savaron et Mezeray placent ce règlement en 1314, sous Louis Hutin ; Boulainvilliers dans son Histoire de France, tome II. p. 468. prétend que ce règlement ne fut fait que sous Philippe de Valais : du reste ces auteurs sont d'accord entr'eux sur le point de fait.

Quoi qu'il en soit de cette époque, il parait que Louis Hutin n'osant hasarder une assemblée générale, en fit tenir en 1315 de provinciales par bailliages et sénéchaussées, où il fit demander par ses commissaires un secours d'argent. Cette négociation eut peu de succès ; de sorte que la cour mécontente des communes, essaya de gagner la noblesse, en convoquant un parlement de barons et de prélats à Pontaise pour le mois d'Avril suivant, ce qui ne produisit cependant aucune ressource pour la finance.

Philippe V. dit le Long, ayant mis, sans consulter les états, une imposition générale du cinquième des revenus et du centième des meubles sur toutes sortes de personnes sans exception, dès que cette ordonnance parut, tous les ordres s'émurent ; il y eut même quelques particuliers qui en interjettèrent appel au jugement des états généraux, qu'ils supposaient avoir seuls le pouvoir de mettre des impositions.

Le roi convoqua les états, dans l'espérance d'y lever facilement ces oppositions, et que le suffrage de la ville de Paris entraînerait les autres. L'assemblée se tint au mois de Juin 1321 ; mais le clergé, mécontent à cause des décimes que le roi levait déjà sur lui ; éluda la décision de l'affaire, en représentant qu'elle se traiterait mieux dans des assemblées provinciales ; ce qui ne fut pas exécuté, Philippe V. étant mort peu de temps après.

Charles IV. son successeur, ayant donné une déclaration pour la réduction des monnaies, des poids et des mesures, le clergé et la noblesse lui remontrèrent qu'il ne pouvait faire ces règlements que pour les terres de son domaine, et non dans celles des barons. Le roi permit de tenir à ce sujet de nouvelles assemblées provinciales ; mais on ne voit pas quelle en fut la suite.

Les états de Normandie députèrent vers le roi Philippe de Valais, et obtinrent de lui la confirmation de la charte de Louis Hutin, appelée la charte aux Normands, avec déclaration expresse qu'il ne serait jamais rien imposé sur la province, sans le consentement des états ; mais on a soin dans tous les édits qui concernent la Normandie, de déroger expressément à cette charte.

Le privilège que leur accorda Philippe de Valais, n'était même pas particulier à cette province ; car les historiens disent qu'en 1338 et 1339 il fut arrêté dans l'assemblée des états généraux, en présence du roi, que l'on ne pourrait imposer ni lever tailles en France sur le peuple, même en cas de nécessité ou utilité, que de l'octroi des états.

Ceux qui furent assemblés en 1343, accordèrent à Philippe-de-Valais un droit sur les boissons et sur le sel pendant le temps de la guerre. Il y avait eu des avant 1338 une gabelle imposée sur le sel ; mais ces impositions ne duraient que pendant la guerre, et l'on ne voit point si les premières furent faites en conséquence d'un consentement des états. Pour ce qui est de l'imposition faite en 1343, on était alors si agité qu'on ne parla point de l'emploi qui devait être fait ; ce que les états n'avaient point encore omis.

Aucun prince n'assembla si souvent les états que le roi Jean ; car sous son règne il y en eut presque tous les ans ; soit de généraux ou de particuliers, jusqu'à la bataille de Poitiers.

L'objet de toutes ces assemblées était toujours de la part du prince de demander quelque aide ou autre subside pour la guerre ; et de la part des états, de prendre les arrangements convenables à ce sujet. Ils prenaient aussi souvent de-là occasion de faire diverses représentations pour la réformation de la justice, des finances, et autres parties du gouvernement ; après la séance des états il paraissait communément une ordonnance pour régler l'aide qui avait été accordée, et les autres objets sur lesquels les états avaient délibéré, supposé que le roi jugeât à-propos d'y faire droit.

Il y eut à Paris le 13 Février 1350 une assemblée générale des états tant de la Languedoil que de la Languedoc, c'est-à-dire des deux parties qui faisaient alors la division du royaume ; on croit neanmoins que les députés de chaque partie s'assemblèrent séparément.

Les prélats accordèrent sur le champ le subside qui était demandé ; mais les nobles et la plupart des députés des villes qui n'avaient pas de pouvoir suffisant, furent renvoyés dans leur province pour y délibérer. Le roi y indiqua des assemblées provinciales, et y envoya des commissaires qui accordèrent quelques-unes des demandes ; et sur les autres, il fut député pardevers le roi. Quelques provinces accordèrent un subside de six deniers ; d'autres seulement de quatre.

Il parait que sous le règne du roi Jean on n'assembla plus en même temps et dans un même lieu les états de la Languedoil et ceux de la Languedoc, et que l'on tint seulement des assemblées provinciales d'états. Il y eut entre autres ceux du Limousin en 1355, où l'on trouve l'origine des cahiers que les états présentent au roi pour exposer leurs demandes. Ceux du Limousin en présentèrent un, qui est qualifié en plusieurs endroits de cédule.

Suivant les pièces qui nous restent de ces differentes assemblées, on voit que le roi nommait d'abord des commissaires qui étaient ordinairement choisis parmi les magistrats, auxquels il donnait pouvoir de convoquer ces assemblées, et d'y assister en son nom ; qu'il leur accordait même quelquefois la faculté de substituer quelqu'un à la place de l'un deux.

Ces commissaires avaient la liberté d'assembler les trois états dans un même lieu, ou chaque ordre séparément, et de les convoquer tous ensemble, ou en des jours différents.

Les trois ordres, quoique convoqués dans un même lieu ; s'assemblaient en plusieurs chambres ; ils formaient aussi leurs délibérations, et présentaient leurs requêtes séparément ; c'est pourquoi le roi à la fin de ces assemblées confirmait par ses lettres tout ce qui avait été conclu par chaque ordre, ou même par quelques députés d'un des ordres en particulier.

On appelait états généraux du royaume ceux qui étaient composés des députés de toutes les provinces : on donnait aussi le titre d'états généraux, à l'assemblée des députés des trois ordres de la Languedoil ou de la Languedoc ; parce que ces assemblées étaient composées des députés de toutes les provinces que comprenaient chacune de ces deux parties du royaume ; de sorte que les états particuliers ou provinciaux étaient seulement ceux d'une seule province, et quelquefois d'un seul bailliage ou sénéchaussée.

Les états généraux de la Languedoil ou pays coutumier, furent assemblés en la chambre du parlement en 1355. Le chancelier leur ayant demandé une aide, ils eurent permission de se consulter entre eux ; ensuite ils se présentèrent devant le roi en la même chambre, et offrirent d'entretenir 30000 hommes d'armes à leurs frais. Cette dépense fut estimée 50000 liv. et pour y subvenir, les états accordèrent la levée d'une imposition.

L'ordonnance qui fut rendue à cette occasion le 28 Décembre 1355, fait connaître quel était alors le pouvoir que les états s'étaient attribué. Ils commencèrent, par la permission du roi, à délibérer 1°, sur le nombre des troupes nécessaires pour la guerre ; 2°. sur les sommes nécessaires pour soudoyer l'armée ; 3°. sur les moyens de lever cette somme, et sur la régie et emploi des deniers ; ils furent même autorisés à nommer des généraux des aides pour en avoir la sur-intendance, et des élus dans chaque diocèse pour faire l'imposition et levée des deniers, usages qui ont subsisté jusqu'à ce que le roi se réserva la nomination des généraux, et qu'il érigea les élus en titre d'office ; il fut aussi arrêté que le compte de la levée et emploi des deniers serait rendu en présence des états, qui se rassembleraient pour cet effet dans le temps marqué.

Les états avaient aussi demandé que l'on réformât plusieurs abus qui s'étaient glissés dans le gouvernement ; et le roi considérant la clameur de son peuple, fit plusieurs règlements sur les monnaies, sur les prises de vivres et provisions qui se faisaient pour le roi et pour sa maison, sur les prêts forcés d'argent, sur la juridiction des juges ordinaires, enfin sur plusieurs choses qui concernaient la discipline des troupes.

Lorsque le roi Jean fut pris par les Anglais, le dauphin encore jeune croyant devoir ménager tous les différents ordres du royaume dans une conjoncture si fâcheuse, assembla les états à Paris au mois de Mai 1356, dans la salle du parlement, pour lui donner aide et conseil, tant pour procurer la prompte délivrance du roi, que pour gouverner le royaume et conduire la guerre pendant son absence. Il se crut d'autant plus obligé d'en user ainsi, qu'il ne prenait encore d'autre qualité que celle de lieutenant général du royaume, dont la régence ne lui fut formellement déférée qu'un an après par le parlement.

Les députés ayant obtenu un délai pour délibérer entr'eux, tinrent des assemblées particulières dans le couvent des Cordeliers ; s'étant plaints au dauphin que la présence des commissaires du roi gênait la liberté des délibérations, ces commissaires furent rappelés. On convint de cinquante députés des trois ordres pour dresser un projet de réformation : on délibéra aussi sur ce qui touchait la guerre et la finance.

Le dauphin étant venu à leur assemblée : ils lui demandèrent le secret, à quoi il ne voulut pas s'obliger. Les députés au lieu de s'occuper à chercher les moyens de délivrer le roi qui était prisonnier à Londres, firent des plaintes sur le gouvernement et voulurent profiter des circonstances, pour abaisser injustement l'autorité royale. Ils firent des demandes excessives qui choquèrent tellement le dauphin, qu'il éluda longtemps de leur rendre réponse : mais enfin il se trouva forcé par les circonstances de leur accorder tout ce qu'ils demandaient.

Le roi qui avait déjà pris des arrangements avec les Anglais, fit publier à Paris des défenses pour lever l'aide accordée par les états, et à eux de se rassembler. Cependant comme les receveurs des états étaient maîtres de l'argent, le dauphin fut obligé de consentir à une assemblée. Il y en eut encore deux autres en 1357, où la noblesse ne parut point étant gagnée par le dauphin, qui d'un autre côté mit les villes en défiance contre la noblesse, pour les empêcher de s'unir.

Depuis que le dauphin eut été nommé régent du royaume, il ne laissa pas de convoquer encore en différentes années plusieurs états, tant généraux que particuliers : mais l'indécence avec laquelle se conduisirent les états à Paris en 1358, fut l'écueil où se brisa la puissance que les états s'étaient attribuée dans des temps de trouble. Depuis ce temps ils furent assemblés moins fréquemment ; et lorsqu'on les assembla ; ils n'eurent plus que la voix de simple remontrance.

Ceux de la sénéchaussée de Beaucaire et de Nimes tenus en 1363, présentèrent au roi un cahier ou mémoire de leurs demandes : c'est la première fais, à ce qu'il parait, que les états se soient servi du terme de cahier pour désigner leurs demandes ; car dans les précédents états on a Ve que ces sortes de mémoires étaient qualifiés de cédule, apparemment parce que l'on n'avait pas encore l'usage d'écrire les actes en forme de cahier. Au reste il était libre au roi de faire ou ne pas faire droit sur leurs cahiers ; mais il fut toujours nécessaire que l'ordonnance qu'il rendait sur les cahiers des états généraux, fût vérifiée au parlement qui représente seul le corps de la nation.

Les états généraux ne furent assemblés que deux fois sous le règne de Charles V. en l'année 1369. La première de ces deux assemblées se tint en la grand-chambre du parlement, le roi séant en son lit de justice ; le tiers état était hors l'enceinte du parquet et en si grand nombre, que la chambre en était remplie. Il ne fut point question pour cette fois de subside, mais seulement de délibérer sur l'exécution du traité de Bretigny, et sur la guerre qu'il s'agissait d'entreprendre. Les autres états furent tenus pour avoir un subside. Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces deux assemblées, est que l'on n'y parla point de réformation comme les états avaient coutume de faire, tant on était persuadé de la sagesse du gouvernement.

La faiblesse du règne de Charles VI. donna lieu à de fréquentes assemblées des états. Il y en eut à Compiègne, à Paris, et dans plusieurs autres villes. Le détail de ce qui s'y passa, aussi bien que dans ceux tenus sous le roi Jean, se trouve fort au long dans des préfaces de M. Secousse, sur les tomes III. et suiv. des ordonnances de la troisième race.

Les guerres continuelles que Charles VII. eut à soutenir contre les Anglais, furent cause qu'il assembla rarement les états ; il y en eut cependant à Melun-sur-Yèvre, à Tours, et à Orléans.

Celui de tous nos rois qui sut tirer le meilleur parti des états, fut le roi Louis XI. quand il voulut s'en servir, comme il fit en 1467, pour régler l'apanage de son frère ; ce qui fut moins l'effet du pouvoir des états, qu'un trait de politique de Louis XI. car il y avait déjà longtemps que ces assemblées avaient perdu leur crédit. Il s'agissait d'ailleurs en cette occasion d'un objet qui ne concernait point les états, et pour lequel il n'avait pas besoin de leur consentement.

Depuis l'année 1483, époque du commencement du règne de Charles VIII. il n'y eut point d'états jusqu'en 1506, qu'on en tint à Tours sous Louis XII. à l'occasion du mariage de la fille ainée du roi.

Il n'y en eut point du tout sous François premier.

Du règne d'Henri II. il n'y en eut point avant 1558. Savaron en date pourtant d'autres de 1549 : mais c'était un lit de justice.

Les états généraux tenus du temps de Charles IX. donnèrent lieu à trois célèbres ordonnances, qui furent faites sur les plaintes et doléances des trois états ; savoir les états d'Orléans à l'ordonnance de 1560, pour la réformation du royaume, appelée l'ordonnance d'Orléans ; et à celle de Roussillon de l'année 1563, portant règlement sur le fait de la justice, pour satisfaire au surplus des cahiers des états, comme le roi l'avait réservé par la première ordonnance. Les états de Moulins donnèrent lieu à l'ordonnance de 1566, pour la réformation de la justice, appelée l'ordonnance de Moulins.

Les états généraux tenus à Blais sous Henri III. en 1576, donnèrent aussi lieu à l'ordonnance de 1579, laquelle, quoique datée de Paris et publiée trois ans après les états de Blais, a été appelée ordonnance de Blais ; parce qu'elle fut dressée sur les cahiers de ces états. Il y en eut aussi à Blais en 1588 ; et l'insolence des demandes qu'ils firent, avança le desastre des Guises.

Le duc de Mayenne assembla à Paris en 1593 de prétendus états généraux, où l'on proposa vainement d'abolir la loi salique. Comme entre les trois ordres il n'y avait que celui de la noblesse qui fût dévoué au duc, et qu'il y avait peu de noblesse considérable à cette assemblée, il proposa pour fortifier son parti d'ajouter deux nouveaux ordres aux trois autres, savoir celui des seigneurs, et celui des gens de robe et du parlement ; ce qui fut rejeté. Ces états furent cassés par arrêt du parlement du 30 Mai 1594.

Les derniers états généraux sont ceux qui se tinrent à Paris en 1614. Le roi avait ordonné que le clergé s'assemblât aux Augustins, la noblesse aux Cordeliers, et le tiers-état dans l'hôtel de ville ; mais la noblesse et le tiers-état demandèrent permission de s'assembler aussi aux Augustins, afin que les trois ordres pussent conférer ensemble : ce qui leur fut accordé.

La chambre du clergé était composée de cent quarante personnes, dont cinq cardinaux, sept archevêques, et quarante-sept évêques.

Cent trente-deux gentilshommes composaient la chambre de la noblesse.

Celle du tiers-état où présidait le prevôt des marchands, était composée de cent quatre-vingt-deux députés, tous officiers de justice ou de finance.

L'ouverture des états se fit le 27 Octobre, après un jeune public de trois jours et une procession solennelle ; que l'on avait ordonné pour implorer l'assistance du ciel.

L'assemblée se tint au Louvre dans la grande salle de l'hôtel de Bourbon ; le roi y siégea sous un dais de velours violet semé de fleurs-de-lis d'or, ayant à sa droite la reine sa mère assise dans une chaise à dos, et près d'elle Elisabeth première fille de France, promise au prince d'Espagne, et la reine Marguerite.

A la gauche du roi était monsieur, son frère unique, et Christine seconde fille de France.

Le grand-chambellan était aux pieds de sa majesté ; le grand-maître et le chancelier à l'extrémité du marche-pié ; le maréchal de Souvré, les capitaines des gardes et plusieurs autres personnes, étaient derrière joignant leurs majestés.

Les princes, les cardinaux, les ducs, étaient placés des deux côtés.

Aux pieds du trône était la table des secrétaires d'état.

A leur droite étaient les conseillers d'état de robe longue, et les maîtres des requêtes ; à leur gauche, les conseillers de robe courte ; et tout de suite les bancs des députés des trois ordres : les ecclésiastiques occupaient le côté droit, la noblesse le côté gauche, le tiers-état était derrière eux.

Le roi dit en peu de mots, que son but était d'écouter les plaintes de ses sujets, et de pourvoir à leurs griefs.

Le chancelier parla ensuite de la situation des affaires ; puis ayant pris l'ordre du roi, il dit aux députés que sa majesté leur permettait de dresser le cahier de leurs plaintes et demandes, et qu'elle promettait d'y répondre favorablement.

Les trois ordres firent chacun leur harangue, les députés du clergé et de la noblesse debout et découverts, le prevôt des marchands à genoux pour le tiers-état ; après quoi cette première séance fut terminée.

Dans l'intervalle de temps qui s'écoula jusqu'à la séance suivante, la cour prit des mesures pour diviser les députés des différents ordres, en les engageant à proposer chacun des articles de réformation, que l'on prévoyait qui seraient contredits par les députés des autres ordres ; on s'attacha surtout à écarter les demandes du tiers-état, que l'on regardait comme le plus difficîle à gagner.

On se rassembla le 4 Novembre suivant ; le clergé demanda la publication du concîle de Trente, la noblesse demanda l'abolition de la paulette, le tiers-état le retranchement des tailles et la diminution des pensions.

L'université de Paris qui voulait avoir séance dans la chambre des députés du clergé, donna à cet effet son cahier ; mais il fut rejette comme n'étant pas fait de concert entre les quatre facultés qui étaient divisées entr'elles.

La noblesse et le clergé prirent de-là occasion de demander la réformation des universités, et que les Jésuites fussent admis dans celle de Paris, à condition, entr'autres choses, de se soumettre aux statuts de cette université ; mais cela demeura sans effet, les Jésuites n'ayant pas voulu se soumettre aux conditions que l'on exigeait d'eux.

On demanda ensuite l'accomplissement du mariage du roi avec l'infante, et celui de madame Elisabeth de France avec le prince d'Espagne.

Les trois ordres qui étaient divisés sur plusieurs objets, se réunirent tous pour un, qui fut de demander l'établissement d'une chambre pour la recherche des malversations commises dans les finances ; mais la reine éluda cette proposition.

Il y en eut une autre bien plus importante qui fut faite par les députés du tiers-état, pour arrêter le cours d'une doctrine pernicieuse qui paraissait se répandre depuis quelque temps, tendante à attaquer l'indépendance des rois par rapport à leur temporel.

L'article proposé par le tiers-état portait que le roi serait supplié de faire arrêter en l'assemblée des états généraux, comme une loi inviolable et fondamentale du royaume, que le roi étant reconnu souverain en France, et ne tenant son autorité que de Dieu seul, il n'y a sur la terre aucune puissance spirituelle ou temporelle qui ait droit de le priver de son royaume, ni de dispenser ou d'absoudre ses sujets pour quelque cause que ce sait, de la fidélité et de l'obéissance qu'ils lui doivent ; que tous les François généralement tiendraient cette loi pour sainte, véritable, et conforme à la parole de Dieu, sans nulle distinction équivoque ou limitation ; qu'elle serait jurée par tous les députés aux états généraux, et désormais par tous les bénéficiers et magistrats du royaume, avant que d'entrer en possession de leurs bénéfices ou de leurs charges : que l'opinion contraire, aussi bien que celle qui permet de tuer ou de déposer les souverains, et de se révolter contr'eux pour quelque raison que ce sait, seraient déclarées fausses, impies, détestables, et contraires à l'établissement de la monarchie française, qui dépend immédiatement de Dieu seul ; que tous les livres qui enseigneraient cette mauvaise doctrine, seraient regardés comme séditieux et damnables, etc. enfin que cette loi serait lue dans les cours souveraines et dans les tribunaux subalternes, afin qu'elle fût connue et religieusement observée.

Les partisans de la doctrine pernicieuse que cet article avait pour objet de condamner, se donnèrent tant de mouvements, qu'ils engagèrent les députés du clergé et de la noblesse à s'opposer à la réception de cet article sous différents prétextes frivoles ; comme de dire, que si l'on publiait cet article, il semblerait que l'on eut jusqu'alors révoqué en doute l'indépendance de la couronne, que c'était chercher à altérer l'union qui était entre le roi et le saint père, et que cela était capable de causer un schisme.

Le cardinal du Perron qui fut député du clergé pour aller débattre cet article en la chambre du tiers-état, poussa les choses encore plus loin ; il accordait à la vérité que pour telle cause que ce soit il n'est pas permis de tuer les rais, et que nos rois ont tout droit de souveraineté temporelle en leur royaume : mais il prétendait que la proposition qu'il n'y a nul cas auquel les sujets puissent être absous du serment de fidélité qu'ils ont fait à leur prince, ne pouvait être reçue que comme problématique.

Le président Miron pour le tiers-état défendit la proposition attaquée par le cardinal.

Cependant les députés des deux autres ordres parvinrent à faire ôter du cahier l'article qui avait été proposé par le tiers-état ; et au lieu de cet article ils en firent insérer un autre, portant seulement que le clergé abhorrait les entreprises faites pour quelque cause ou prétexte que ce sait, contre les personnes sacrées des rois ; et que pour dissiper la mauvaise doctrine dont on a parlé, le roi serait supplié de faire publier en son royaume la quinzième session du concîle de Constance.

Les manœuvres qui avaient été pratiquées pour faire ôter du cahier l'article proposé par le tiers-état, excitèrent le zèle du parlement. Les gens du roi remontrèrent dans leur requisitoire, que c'était une maxime de tout temps en France, que le roi ne reconnait aucun supérieur au temporel de son royaume, sinon Dieu seul ; que nulle puissance n'a droit de dispenser les sujets de sa majesté de leur serment de fidélité et d'obéissance, ni de la suspendre, priver, ou dépouiller de son royaume, encore moins d'attenter ou de faire attenter par autorité, soit publique ou privée, sur les personnes sacrées des souverains : ils requirent en conséquence que les précédents arrêts intervenus à ce sujet, fussent derechef publiés en tous les siéges, afin de maintenir ces maximes ; sur quoi la cour rendit un arrêt conforme au requisitoire des gens du roi.

Les divisions que cette affaire occasionna entre les députés des états, firent presser la présentation des cahiers, afin de rompre l'assemblée. La clôture en fut faite le 23 Février 1615, avec la même pompe que l'ouverture avait été faite.

Depuis ces derniers états généraux il y a eu quelques assemblées de notables, entr'autres celle qui se tint à Paris au mois de Décembre 1626 jusqu'au 23 Février 1627, où le duc d'Orléans présidait. Quelques historiens qualifient cette assemblée d'états, mais improprement ; et en tout cas ce n'aurait été que des états particuliers, et non des états généraux ; et dans l'usage elle est connue sous le nom d'assemblée des notables.

Il parait aussi qu'en 1651 la noblesse se donna de grands mouvements pour faire convoquer les états généraux ; que le roi avait résolu qu'on les tiendrait à Tours, mais que ces états n'eurent pas lieu : en effet on trouve dans les registres de la chambre des comptes un arrêté fait par cette chambre, portant qu'elle ne députerait point à ces états.

On tient encore de temps en temps des états particuliers dans quelques provinces, qu'on appelle par cette raison pays d'états ; tels que les états d'Artais, ceux de Bourgogne, de Bretagne, etc. et autres, dont on parlera dans les subdivisions suivantes.

Quelques personnes peu au fait des principes de cette matière, croient que toute la robe indistinctement doit être comprise dans le tiers-état ; ce qui est une erreur facîle à réfuter.

Il est vrai que les gens de robe qui ne sont pas nobles, soit de naissance ou autrement, ne peuvent être placés que dans le tiers-état ; mais ceux qui jouissent du titre et des prérogatives de noblesse, soit d'extraction ou en vertu de quelque office auquel la noblesse est attachée, ou en vertu de lettres particulières d'annoblissement, ne doivent point être confondus dans le tiers-état ; on ne peut leur contester le droit d'être compris dans l'ordre ou état de la noblesse, de même que les autres nobles de quelque profession qu'ils soient, et de quelque cause que procede leur noblesse.

On entend par ordre ou état de la noblesse, la classe de ceux qui sont nobles ; de même que par tiers-état on entend un troisième ordre distinct et séparé de ceux du clergé et de la noblesse, qui comprend tous les roturiers, bourgeois, ou paysans, lesquels ne sont pas ecclésiastiques.

Chez les Romains la noblesse ne résidait que dans l'ordre des sénateurs, qui était l'état de la robe. L'ordre des chevaliers n'avait de rang qu'après celui des sénateurs, et ne jouissait point d'une noblesse parfaite, mais seulement de quelques marques d'honneur.

En France anciennement tous ceux qui portaient les armes étaient réputés nobles ; et il est certain que cette profession fut la première source de la noblesse ; que sous les deux premières races de nos rais, ce fut le seul moyen d'acquérir la noblesse ; mais il faut aussi observer qu'alors il n'y avait point de gens de robe, ou plutôt que la robe ne faisait point un état différent de l'épée. C'étaient les nobles qui rendaient alors seuls la justice : dans les premiers temps ils siégeaient avec leurs armes ; dans la suite ils rendirent la justice sans armes et en habit long, selon la mode et l'usage de ces temps-là, comme font présentement les gens de robe.

Sous la troisième race il est survenu deux changements considérables, par rapport à la cause productive de la noblesse.

L'un est que le privilège de noblesse dont jouissaient auparavant tous ceux qui faisaient profession des armes, a été restreint pour l'avenir à certains grades militaires, et n'a été accordé que sous certaines conditions ; en sorte que ceux qui portent les armes sans avoir encore acquis la noblesse, sont compris dans le tiers-état, de même que les gens de robe non-nobles.

L'autre changement est qu'outre les grades militaires qui communiquent la noblesse, nos rois ont établi trois autres voies pour l'acquérir ; savoir la possession des grands fiefs qui annoblissait autrefois les roturiers, auxquels on permettait de posséder fiefs ; l'annoblissement par lettres du prince ; et enfin l'exercice de certains offices d'épée, de judicature, ou de finance, auxquels le roi attache le privilège de noblesse.

Ceux qui ont acquis la noblesse par l'une ou l'autre de ces différentes voies, ou qui sont nés de ceux qui ont été ainsi annoblis, sont tous également nobles, car on ne connait point parmi nous deux sortes de noblesse. Si l'on distingue la noblesse de robe de celle d'épée, ce n'est que pour indiquer les différentes causes qui ont produit l'une et l'autre, et non pour établir entre ces nobles aucune distinction. Les honneurs et privilèges attachés à la qualité de nobles, sont les mêmes pour tous les nobles, de quelque cause que procede leur noblesse.

On distingue à la vérité plusieurs degrés dans la noblesse ; savoir celui des simples gentilshommes nobles ou écuyers ; celui de la haute noblesse, qui comprend les chevaliers, comtes, barons, et autres seigneurs ; et le plus élevé de tous, qui est celui des princes. Le degré de la haute noblesse peut encore recevoir plusieurs subdivisions pour le rang : mais encore une fois il n'y a point de distinction entre les nobles par rapport aux différentes causes dont peut procéder leur noblesse. On ne connait d'autres distinctions parmi la noblesse, que celles qui viennent de l'ancienneté, ou de l'illustration, ou de la puissance que les nobles peuvent avoir à cause de quelque office dont ils seraient revêtus : tels que sont les offices de judicature, qui confèrent au pourvu l'exercice d'une partie de la puissance publique.

Ce qui a pu faire croire à quelques-uns que toute la robe était indistinctement dans le tiers-état, est sans-doute que dans le dénombrement des gens de cet état, on trouve ordinairement en tête certains magistrats ou officiers municipaux, tels que les prevôts des marchands, les maires et échevins, capitouls, jurats, consuls, et autres semblables officiers ; parce qu'ils sont établis pour représenter le peuple, qu'ils sont à la tête des députés du tiers-état pour lequel ils portent la parole. On comprend aussi dans le tiers-état tous les officiers de judicature et autres gens de robe non nobles ; et même quelques-uns qui sont nobles, soit d'extraction ou par leur charge, lorsqu'en leur qualité ils stipulent pour quelque portion du tiers-état.

Il ne s'ensuit pas de-là que toute la robe indistinctement soit comprise dans le tiers-état ; les gens de robe qui sont nobles, soit de naissance, ou à cause de leur office, ou autrement, doivent de leur chef être compris dans l'état de la noblesse, de même que les autres nobles.

Prétendrait-on que les emplois de la robe sont incompatibles avec la noblesse, ou que des maisons dont l'origine est toute militaire et d'ancienne chevalerie, aient perdu une partie de l'éclat de leur noblesse pour être entrées dans la magistrature, comme il y en a beaucoup dans plusieurs cours souveraines, et principalement dans les parlements de Rennes, d'Aix, et de Grenoble ? ce serait avoir une idée bien fausse de la justice, et connaître bien mal l'honneur qui est attaché à un si noble emploi.

L'administration de la justice est le premier devoir des souverains. Nos rois se font encore honneur de la rendre en personne dans leur conseil et dans leur parlement : tous les juges la rendent en leur nom ; c'est pourquoi l'habit royal avec lequel on les représente, n'est pas un habillement de guerre, mais la toge ou robe longue avec la main de justice, qu'ils regardent comme un de leurs plus beaux attributs.

Les barons ou grands du royaume tenaient autrefois seuls le parlement ; et dans les provinces la justice était rendue par des ducs, des comtes, des vicomtes, et autres officiers militaires qui étaient tous réputés nobles, et siégeaient avec leur habit de guerre et leurs armes.

Les princes du sang et les ducs et pairs concourent encore à l'administration de la justice au parlement. Ils y venaient autrefois en habit long et sans épée ; ce ne fut qu'en 1551 qu'ils commencèrent à en user autrement, malgré les remontrances du parlement, qui représenta que de toute ancienneté cela était réservé au roi seul. Avant M. de Harlai, lequel sous Louis XIV. retrancha une phrase de la formule du serment des ducs et pairs, ils juraient de se comporter comme de bons et sages conseillers au parlement.

Les gouverneurs de certaines provinces sont conseillers nés dans les cours souveraines du chef-lieu de leur gouvernement.

Les maréchaux de France, qui sont les premiers officiers militaires, sont les juges de la noblesse dans les affaires d'honneur.

Les autres officiers militaires font tous la fonction de juges dans les conseils de guerre.

Nos rois ont aussi établi dans leurs conseils des conseillers d'épée, qui prennent rang et séance avec les conseillers de robe du jour de leur réception.

Ils ont pareillement établi des chevaliers d'honneur dans les cours souveraines, pour représenter les anciens barons ou chevaliers qui rendaient autrefois la justice.

Enfin les baillis et sénéchaux qui sont à la tête des juridictions des bailliages et sénéchaussées, non-seulement sont des officiers d'épée, mais ils doivent être nobles. Ils siègent l'épée au côté, avec la toque garnie de plumes, comme les ducs et pairs ; ce sont eux qui ont l'honneur de conduire la noblesse à l'armée, lorsque le ban et l'arriere-ban sont convoqués pour le service du roi. Ils peuvent outre cet office, remplir en même temps quelque place militaire, comme on en voit en effet plusieurs.

Pourrait-on après cela prétendre que l'administration de la justice fût une fonction au-dessous de la noblesse ?

L'ignorance des barons qui ne savaient la plupart ni lire ni écrire, fut cause qu'on leur associa des gens de loi dans le parlement ; ce qui ne diminua rien de la dignité de cette cour. Ces gens de loi furent d'abord appelés les premiers sénateurs, maîtres du parlement, et ensuite présidents et conseillers. Telle fut l'origine des gens de robe, qui furent ensuite multipliés dans tous les tribunaux.

Depuis que l'administration de la justice fut confiée principalement à des gens de loi, les barons ou chevaliers s'adonnèrent indifféremment, les uns à cet emploi, d'autres à la profession des armes ; les premiers étaient appelés chevaliers en lois ; les autres, chevaliers d'armes. Simon de Bucy premier président du parlement en 1344, est qualifié de chevalier en lois ; et dans le même temps Jean le Jay président aux enquêtes, était qualifié de chevalier. Les présidents du parlement qui ont succédé dans cette fonction aux barons, ont encore retenu de-là le titre et l'ancien habillement de chevalier.

Non-seulement aucun office de judicature ne fait décheoir de l'état de noblesse, mais plusieurs de ces offices communiquent la noblesse à ceux qui ne l'ont pas, et à toute leur postérité.

Le titre même de chevalier qui distingue la plus haute noblesse, a été accordé aux premiers magistrats.

Ils peuvent posséder des comtés, marquisats, baronies ; et le roi en érige pour eux de même que pour les autres nobles : ils peuvent en prendre le titre non-seulement dans les actes qu'ils passent, mais se faire appeler du titre de ces seigneuries. Cet usage est commun dans plusieurs provinces, et cela n'est pas sans exemple à Paris : le chancelier de Chiverni se faisait appeler ordinairement le comte de Chiverni ; et si cela n'est pas plus commun parmi nous, c'est que nos magistrats préfèrent avec raison de se faire appeler d'un titre qui annonce la puissance publique dont ils sont revêtus, plutôt que de porter le titre d'une simple seigneurie.

Louis XIV. ordonna en 1665 qu'il y aurait dans son ordre de S. Michel six chevaliers de robe.

Enfin le duché-pairie de Villemor fut érigé pour le chancelier Séguier, et n'a été éteint que faute d'hoirs mâles.

Tout cela prouve bien que la noblesse de robe ne forme qu'un seul et même ordre avec la noblesse d'épée. Quelques auteurs regardent même la première comme la principale : mais sans entrer dans cette discussion, il suffit d'avoir prouvé qu'elles tiennent l'une et l'autre le même rang, et qu'elles participent aux mêmes honneurs, aux mêmes privilèges, pour que l'on ne puisse renvoyer toute la robe dans le tiers-état.

M. de Voltaire en son histoire universelle, tom. II. pag. 240, en parlant du mépris que les nobles d'armes font de la noblesse de robe, et du refus que l'on fait dans les chapitres d'Allemagne, d'y recevoir cette noblesse de robe, dit que c'est un reste de l'ancienne barbarie d'attacher de l'avilissement à la plus belle fonction de l'humanité, celle de rendre la justice.

Ceux qui seraient en état de prouver qu'ils descendent de ces anciens Francs qui formèrent la première noblesse, tiendraient sans contredit le premier rang dans l'ordre de la noblesse. Mais combien y a-t-il aujourd'hui de maisons qui puissent prouver une filiation suivie au-dessus de XIIe ou XIIIe siècles ?

L'origine de la noblesse d'épée est à la vérité plus ancienne que celle de la noblesse de robe : mais tous les nobles d'épée ne sont pas pour cela plus anciens que les nobles de la robe. S'il y a quelques maisons d'épée plus anciennes que certaines maisons de robe, il y a aussi des maisons de robe plus anciennes que beaucoup de maisons d'épée.

Il y a même aujourd'hui nombre de maisons des plus illustres dans l'épée qui tirent leur origine de la robe, et dans quelques-unes les ainés sont demeurés dans leur premier état, tandis que les cadets ont pris le parti des armes, dirait-on que la noblesse de ceux-ci vaille mieux que celle de leurs ainés ?

Enfin quand la noblesse d'épée en général tiendrait par rapport à son ancienneté le premier rang dans l'ordre de la noblesse, cela n'empêcherait pas que la noblesse de robe ne fût comprise dans le même ordre ; et il serait absurde qu'une portion de la noblesse aussi distinguée qu'est celle-ci, qui jouit de tous les mêmes honneurs et privilèges que les autres nobles, fut exceptée du rôle de la noblesse, qui n'est qu'une suite de la qualité de nobles, et qu'on la renvoyât dans le tiers-état, qui est la classe des roturiers, précisément à cause d'un emploi qui donne la noblesse, ou du moins qui est compatible avec la noblesse déjà acquise.

Si la magistrature était dans le tiers-état, elle serait du moins à la tête ; au lieu que ce corps a toujours été représenté par les officiers municipaux seulement.

Qu'on ouvre les procès-verbaux de nos coutumes, on verra par-tout que les gens de robe qui étaient nobles par leurs charges ou autrement, sont dénommés entre ceux qui composaient l'état de noblesse, et que l'on n'a compris dans le tiers-état que les officiers municipaux ou autres officiers de judicature qui n'étaient pas nobles, soit par leurs charges ou autrement.

Pour ce qui est des états, il est vrai que les magistrats ne s'y trouvent pas ordinairement, soit pour éviter les discussions qui pourraient survenir entre eux et les nobles d'épée pour le rang et la préséance, soit pour conserver la supériorité que les cours ont sur les états.

Il y eut en 1558 une assemblée de notables, tenue en une chambre du parlement. La magistrature y prit pour la première fois séance ; elle n'y fut point confondue dans le tiers-état ; elle formait un quatrième ordre distingué des trois autres, et qui n'était point inférieur à celui de la noblesse. Mais cet arrangement n'était point dans les principes, n'y ayant en France que trois ordres ou états, et qu'un seul ordre de noblesse : aussi ne trouve-t-on point d'autre exemple, que la magistrature ait paru à de telles assemblées ; elle n'assista ni aux états de Blais, ni à ceux de Paris. (A)