(Géographie ancienne) ville de Grèce, dont il importe de parler avec plus d'étendue que de coutume.
La ville de Mégare était située dans l'Achaïe. Elle était la capitale du pays connu sous le nom de la Mégarique, ou Mégaride, Megaris, au fond du golfe Saronique, entre Athènes et Corinthe, à 20 milles d'Athènes, à 40 de Thespies, ville de la Béotie, et à 12 d'Eleusis, ville de l'Attique. Son territoire était bas, enfoncé, et abondant en pâturages.
La Mégarique ou Mégaride s'étendait entre le golfe Saronique, au levant, et celui de Corinthe à l'occident, et jusqu'à l'isthme de Corinthe. Les Latins, tant poètes qu'historiens, qui ont suivi les Grecs, appellent la ville Megara au singulier féminin, ou Megara au neutre pluriel.
Il faut d'abord observer avec les anciens géographes, qu'il y avait une ville de Mégare en Syrie, une au Péloponnèse, une en Thessalie, une dans le Pont, une dans l'Illyrie, une enfin dans la Molosside.
Nous n'entrerons dans aucun détail sur la fondation et les révolutions de la ville de Mégare en Sicile, qui fut bâtie par une colonie des Mégariens de l'Achaïe, sur les ruines de la ville d'Hybla, fameuse par l'excellence de son miel. Nous dirons seulement que s'il se trouve dans le cabinet des antiquaires des médailles, avec l'inscription (Angeloni et Goltzius en rapportent chacun une), qui soient antérieures aux temps des empereurs romains ; elles sont de la colonie de Mégare en Sicile, qui porte une ancre pour revers, comme Mégare de l'Achaïe. Les habitants de cette dernière étaient surnommés Nissaei, et Théocrite les distingue de ceux de Sicile, en disant d'eux qu'ils étaient maîtres en l'art de naviger.
Les Historiens, suivant leur coutume ordinaire, ne sont point d'accord sur l'origine du nom de la ville de Mégare en Achaïe, ni sur celle de son fondateur ; mais peu nous importe de savoir si ce sont les Héraclides qui du temps de Codrus bâtirent Mégare ; si c'est Megarus fils de Neptune, et protecteur de Nisus ; ou bien encore Mégarée fils d'Apollon. Selon Pausanias, c'est Apollon lui-même qui prêta son ministère à la construction des murailles de cette ville. Elles ont été plus souvent renversées et détruites que celles de Troie qui se vantait du même honneur. Je pense que Pausanias ne croyait pas plus que nous qu'Apollon eut bâti Mégare, quoiqu'on l'engagea pour le lui persuader, à observer le rocher sur lequel ce Dieu déposait sa lyre, pendant le temps de son travail, et qui rendait, disait-on, un son harmonieux, lorsqu'on le frappait d'un caillou.
Il y a plus d'apparence que le nom de Mégare fut donné à cette ville, à cause de son premier temple bâti par Car, fils de Phoronée, à l'honneur de Cérès. Eustathe nous apprend que les temples de cette déesse étaient simplement appelés . Ce temple attirait une si grande quantité de pélerins, que l'on fut obligé d'établir des habitations pour leur servir de retraite et de reposoir, dans les temps qu'ils y apportaient leurs offrandes. C'est ce temple dédié à Cérès, sous la protection de laquelle étaient les troupeaux de moutons dont Diogène fait mention, quand il dit qu'il aimerait mieux être bélier d'un troupeau d'un mégarien, que d'être son fils ; parce que ce peuple négligeait de garantir ses propres enfants des injures de l'air, pendant qu'il avait grand soin de couvrir les moutons, pour rendre leur laine plus fine et plus aisée à mettre en œuvre. Du-moins Plutarque fait ce reproche aux Mégariens de son siècle.
La ville de Mégare était encore célèbre par son temple de Diane surnommée la protectrice, dont Pausanias vous fera l'histoire, à laquelle selon les apparences il n'ajoutait pas grand foi.
On assure que le royaume de Mégaride fut gouverné par douze rais, depuis Clison, fils de Lélex, roi de Lélégie, jusqu'à Ajax, fils de Télamon, qui mourut au siege de Troie, de sa propre main, et de l'épée fatale dont Hector lui avait fait présent, en considération de sa valeur.
Après cet événement, ce royaume devint un état libre et démocratique, jusqu'au temps que les Athéniens s'en rendirent les maîtres. Ensuite les Héraclides enlevèrent aux Athéniens cette conquête, et établirent le gouvernement aristocratique.
Alors les Mégariens presque toujours occupés à se défendre contre des voisins plus puissants qu'eux, devenaient troupes auxiliaires des peuples auxquels leur intérêt les attachait, tantôt d'Athènes, tantôt de Lacédémone, et tantôt de Corinthe, ce qui ne manqua pas de les mettre aux prises alternativement avec les uns ou les autres.
Enfin les Athéniens outrés de l'ingratitude des Mégariens, dont ils avaient pris la défense contre Corinthe et Lacédémone, leur interdirent l'entrée des ports et du pays de l'Attique, et ce decret fulminant alluma la guerre du Péloponnèse.
Pausanias dit que le héraut d'Athènes étant allé sommer les Mégariens de s'abstenir de la culture d'une terre consacrée aux déesses Cérès et Proserpine, on massacra le héraut pour toute réponse. L'intérêt des Dieux, ajoute Plutarque, servit aux Athéniens de prétexte, mais la fameuse Aspasie de Milet, que Périclès aimait éperduement, fut la véritable cause de la rupture des Athéniens avec Mégare. L'anecdote est bien singulière.
Les Mégariens par représailles de ce qu'une troupe de jeunes Athéniens ivres avaient enlevé chez eux Séméthé courtisanne célèbre dans Athènes, enlevèrent deux courtisannes de la suite d'Aspasie. Une folle passion, lorsqu'elle possède les grandes âmes, ne leur inspire que les plus grandes faiblesses. Périclès épousa la querelle d'Aspasie outragée, et avec le pouvoir qu'il avait en main, il vint facilement à-bout de persuader ce qui lui plut. On publia contre les Mégariens, un decret foudroyant. On défendit tout commerce avec eux, sous peine de la vie, et l'on dressa un nouveau formulaire de serment, par lequel tous les généraux s'engageaient à ravager deux fois chaque année les terres de Mégare. Ce decret jeta les premières étincelles, qui peu-à-peu allumèrent la guerre du Péloponnèse. Elle fut l'ouvrage de trois courtisannes. Les plus grands événements ont quelquefois une origine assez honteuse ; j'en pourrais citer des exemples modernes, mais il est encore de trop bonne heure pour oser le hasarder.
Enfin il parait que la ville de Mégare n'eut de consistance décidée, qu'après qu'elle fut devenue colonie romaine par la conquête qu'en fit Quintus Cecilius Metellus, surnommé le Macédonien, lorsque Alcamène fut obligé de retirer les troupes auxiliaires qu'il avait amenées à Mégare, et qu'il les transporta de cette ville à Corinthe. Passons aux idées qu'on nous a laissées des Mégariens.
Ils n'étaient pas estimés ; les auteurs grecs s'entendent beaucoup à peindre leur mauvaise foi ; leur goût de plaisanterie avait passé en proverbe, et il s'appliquait à ces hommes si communs parmi nous, qui sacrifient un bon ami à un bon mot : illusion de l'esprit qui cherche à briller aux dépens du cœur ! On comparait aussi les belles promesses des Mégariens aux barillets de terre de leurs manufactures ; ils imposaient à la vue par leur élégance, mais on ne s'en servait point, et on les mettait en réserve dans les cabinets des curieux, parce qu'ils étaient aussi minces que fragiles. Les larmes des Mégariens, furent encore regardées comme exprimées par force, et non par de vrais sentiments de douleur, d'où vient qu'on en attribuait la cause à l'ail et à l'oignon de leur pays.
Les femmes et les filles de Mégare n'étaient pas plus considérées par leur vertu, que les hommes par leur probité ; leur nom servait dans la Grèce à désigner les femmes de mauvaise vie.
L'imprécation usitée chez les peuples voisins, que personne ne devienne plus sage que les Mégariens, n'est vraisemblablement qu'une dérision, ou qu'une déclaration de l'opinion qu'on avait du peu de mérite de ce peuple. Je crois cependant qu'il entrait dans tous ces jugements beaucoup de partialité, parce que la politique des Mégariens les avait obligé d'être très-inconstants dans leurs alliances avec les divers peuples de la Grèce.
Cependant je ne tirerais pas la défense de leur piété et de leur religion, du nombre et de la magnificence des temples, et des monuments qu'ils avaient élevés à l'honneur des dieux et des héros, quoique Pausanias seul m'en fournit de grandes preuves. Il faudrait même copier plusieurs pages de ce célèbre historien, pour avoir une idée des belles choses en ce genre, qui se voyaient encore de son temps à Mégare ; mais lui-même n'a pu s'empêcher de rabattre souvent la vanité des Mégariens, par la critique judicieuse de la plus grande partie des monuments qu'ils affectaient de faire voir. Il en démontre même quelquefois la fausseté, par des preuves tirées des anachronismes, ou du peu de vraisemblance, en comparant leurs traditions avec les monuments historiques.
Quoiqu'il en sait, les Mégariens ne négligèrent jamais la culture des beaux arts et de la Philosophie. D'abord il est sur que la Peinture et la Sculpture étaient chez eux en grande considération. Théocosme qui avait acquis un nom célèbre en Sculpture, était de cette ville. Il travailla conjointement avec Phidias, aux ornements du temple de Jupiter Olympien.
La Poésie n'était pas moins honorée à Mégare. Théognis né dans cette ville, et qui fleurissait 548 ans avant J. C. peut servir de preuve. Le temps nous a conservé quelques-uns de ses ouvrages. Henri Etienne les a recueillis avec ceux des autres poètes, dans son édition de 1566.
Mais c'est Euclide, fondateur de la secte Mégarique, qui fit le plus d'honneur à sa patrie. Il vivait 390 ans avant l'ère chrétienne, et près de cent ans avant le grand géomètre du même nom, qui était natif d'Alexandrie. Euclide le mégarien avait tant d'amour pour Socrate dont il était disciple, qu'il se déguisait en femme, et se rendait presque toutes les nuits de Mégare à Athènes, pour voir et pour entretenir ce philosophe, malgré les peines décernées par les Athéniens, contre tout citoyen de Mégare qui mettrait le pied dans leur ville.
On rapporte un mot de lui, qui peint une âme tendre et sensible. Entendant son frère qui lui disait dans sa colere : " Que je meure si je ne me vange ! Et moi, repliqua-t-il, je mourrai à la peine, si je ne puis calmer votre transport, et faire en sorte que vous m'aimiez encore plus que vous n'avez fait jusqu'ici ".
Eubulide son successeur, était aussi de Mégare. Il eut la gloire d'attirer à lui Démosthène, de le former, de l'exercer, et de lui apprendre à prononcer la lettre R, que la conformation de ses organes de la voix, et la négligence de son éducation, l'avaient empêché d'articuler jusqu'alors.
Enfin Stilpon qui fleurissait vers la 120 Olympiade, ou 314 ans avant J. C. était natif de Mégare. Son éloquence entraina presque toute la Grèce dans la secte Mégarique. C'est de lui que Cicéron dit à l'honneur de la Philosophie, qu'étant porté par son tempérament à l'amour du vin et des femmes, elle lui avait appris à dompter ces deux passions. Ptolomée Soter s'étant emparé de Mégare, fit tous ses efforts pour l'emmener en Egypte, et lui remit une grosse somme d'argent, pour le dédommager de la perte qu'il pouvait avoir faite dans le siege de la ville. Stilpon renvoya la plus grande partie du présent, et resta dans sa patrie. C'est dommage qu'une secte qui eut pour chefs de si grands maîtres, ait enfin dégénéré en disputes frivoles.
Mais, me demandera peut-être quelqu'un, qu'est devenue votre ville de Mégare qui produisait des artistes, des poètes, et des philosophes illustres dans le temps même qu'elle était si fort en bute au mépris et aux traits satyriques de ses voisins, qui l'ont tant de fois saccagée et renversée ? Je réponds que Mégare conserve toujours son nom, avec une légère altération : on la nomme aujourd'hui Mégra, espèce de village habité seulement par deux ou trois cent malheureux grecs. Ce village est situé à l'est du duché d'Athènes, dans une vallée, au fond de la baie du golfe de Corinthe, qui se nomme à-présent Livadostro, et au sud-est du golfe Saronique, qu'on appelle le golfe Engia.
On y trouve encore quelques inscriptions et restes d'antiquités. Son territoire est assez fertîle dix lieues à la ronde. Il y a une tour dans cet endroit, où logeait ci-devant un vayvode que des corsaires prirent, et depuis lors aucun turc n'en a voulu. Les pauvres grecs de Mégra craignent eux-mêmes tellement les pirates, qu'à la vue de la moindre barque, ils plient bagage, et se sauvent dans les montagnes. Ils gagnent leur vie à labourer la terre, et les Turcs à qui elle appartient en propre, leur donnent la moitié de la récolte. Long. 41. 27. lat. 38. 10. (D.J.)
MEGARE, Pierre de, (Histoire naturelle) lapis megaricus, nom donné par quelques naturalistes à des pierres entièrement composées d'un amas de coquilles.