S. f. (Logique) la méthode est l'ordre qu'on suit pour trouver la vérité, ou pour l'enseigner. La méthode de trouver la vérité s'appelle analyse ; celle de l'enseigner, synthèse. Il faut consulter ces deux articles.

La méthode est essentielle à toutes les sciences, mais surtout à la Philosophie. Elle demande 1°. que les termes soient exactement définis, car c'est du sens des termes que dépend celui des propositions, et c'est de celui des propositions que dépend la démonstration. Il est évident qu'on ne saurait démontrer une thèse avant que son sens ait été déterminé. Le but de la Philosophie est la certitude ; or il est impossible d'y arriver tant qu'on raisonne sur des termes vagues. 2°. Que tous les principes soient suffisamment prouvés : toute science repose sur certains principes. La Philosophie est une science, donc elle a des principes. C'est de la certitude et de l'évidence de ces principes que dépend la réalité de la Philosophie. Y introduire des principes douteux, les faire entrer dans le fil des démonstrations, c'est renoncer à la certitude. Toutes les conséquences ressemblent nécessairement aux principes dont elles découlent. De l'incertain ne peut naître que l'incertain, et l'erreur est toujours mère féconde d'autres erreurs. Rien donc de plus essentiel à la saine méthode que la démonstration des principes. 3°. Que toutes les propositions découlent, par voie de conséquence légitime, de principes démontrés : il ne saurait entrer dans la démonstration aucune proposition, qui, si elle n'est pas dans le cas des axiomes, ne doive être démontrée par les propositions précédentes, et en être un résultat nécessaire. C'est la logique qui enseigne à s'assurer de la validité des conséquences. 4°. Que les termes qui suivent s'expliquent par les précédents : il y a deux cas possibles ; ou bien l'on avance des termes sans les expliquer, ou l'on ne les explique que dans la suite. Le premier cas peche contre la première règle de la méthode ; le second est condamné par celle-ci. Se servir d'un terme et renvoyer son explication plus bas, c'est jeter volontairement le lecteur dans l'embarras, et le retenir dans l'incertitude jusqu'à ce qu'il ait trouvé l'explication désirée. 5°. Que les propositions qui suivent se démontrent par les précédentes : on peut raisonner ici de cette façon. On vous avance des propositions dont la preuve ne se trouve nulle part, et alors votre démonstration est un édifice en l'air ; on vous renvoie la preuve de ces propositions à d'autres endroits postérieurs, et alors vous construisez un édifice irrégulier et incommode. Le véritable ordre des propositions est donc de les enchainer, de les faire naître l'une de l'autre ; de manière que celles qui précèdent servent à l'intelligence de celles qui suivent : c'est le même ordre que suit notre âme dans le progrès de ses connaissances. 6°. Que la condition sous laquelle l'attribut convient au sujet soit exactement déterminée : le but et l'occupation perpétuelle de la Philosophie, c'est de rendre raison de l'existence des possibles, d'expliquer pourquoi telle proposition doit être affirmée, telle autre doit être niée. Or cette raison étant contenue ou dans la définition même du sujet, ou dans quelque condition qui lui est ajoutée, c'est au philosophe à montrer comment l'attribut convient au sujet, ou en vertu de sa définition, ou à cause de quelqu'autre condition ; et dans ce dernier cas, la condition doit être exactement déterminée. Sans cette précaution vous demeurez en suspens, vous ne savez si l'attribut convient au sujet en tout temps et sans condition, ou si l'existence de l'attribut suppose quelque condition, et quelle elle est. 7°. Que les probabilités ne soient données que pour telles, et par conséquent que les hypothèses ne prennent point la place des thèses. Si la Philosophie était réduite aux seules propositions d'une certitude incontestable, elle serait renfermée dans des limites trop étroites. Ainsi il est bon qu'elle embrasse diverses suppositions apparentes qui approchent plus ou moins de la vérité, et qui tiennent sa place en attendant qu'on la trouve : c'est ce qu'on appelle des hypothèses. Mais en les admettant il est essentiel de ne les donner que pour ce qu'elles valent, et de n'en déduire jamais de conséquence pour la produire ensuite comme une proposition certaine. Le danger des hypothèses ne vient que de ce qu'on les érige en thèses ; mais tant qu'elles ne passent pas pour ainsi dire, les bornes de leur état, elles sont extrêmement utiles dans la Philosophie. Voyez cet article.



Toutes ces différentes règles peuvent être regardées comme comprises dans la maxime générale, qu'il faut constamment faire précéder ce qui sert à l'intelligence et à la démonstration de ce qui suit. La méthode dont nous venons de prescrire les règles est la même que celle des Mathématiciens. On a semblé croire pendant longtemps que leur méthode leur appartenait tellement, qu'on ne pouvait la transporter à aucune autre science. M. Wolf a dissipé ce préjugé, et a fait voir dans la théorie, mais surtout dans la pratique, et dans la composition de tous ses ouvrages, que la méthode mathématique était celle de toutes les sciences, celle qui est naturelle à l'esprit humain, celle qui fait découvrir les vérités de tout genre. N'y eut-il jamais eu de sciences mathématiques, cette méthode n'en serait pas moins réelle, et applicable par-tout ailleurs. Les Mathématiciens s'en étaient mis en possession, parce qu'ayant à manier de pures abstractions, dont les idées peuvent toujours être déterminées d'une manière exacte et complete , ils n'avaient rencontré aucun de ces obstacles à l'évidence, qui arrêtent ceux qui se livrent à d'autres idées, de-là un second préjugé, suite du premier ; c'est que la certitude ne se trouve que dans les Mathématiques. Mais en transportant la méthode mathématique à la Philosophie, on trouvera que la vérité et la certitude se manifestent également à quiconque sait ramener tout à la forme régulière des démonstrations.

METHODE, on appelle ainsi en Mathématique, la route que l'on suit pour résoudre un probleme ; mais cette expression s'applique plus particulièrement à la route trouvée et expliquée par un géomètre pour résoudre plusieurs questions du même genre, et qui sont renfermées comme dans une même classe ; plus cette classe est étendue, plus la méthode a de mérite. Les méthodes générales pour résoudre à-la-fais par un même moyen un grand nombre de questions, sont infiniment préférables aux méthodes bornées et particulières pour résoudre des questions isolées. Cependant il est facîle quelquefois de généraliser une méthode particulière, et alors le principal, ou même le seul mérite de l'invention, est dans cette dernière méthode. Voyez FORMULE et DECOUVERTE. (O)

METHODE, (Grammaire) ce mot vient du grec, , composé de , trants ou per, et du nom , via. Une méthode est donc la manière d'arriver à un but par la voie la plus convenable : appliquez ce mot à l'étude des langues ; c'est l'art d'y introduire les commençans par les moyens les plus lumineux et les plus expéditifs. De-là vient le nom de méthode, donné à plusieurs des livres élémentaires destinés à l'étude des langues. Tout le monde connait les méthodes estimées de P. R. pour apprendre la langue grecque, la latine, l'italienne, et l'espagnole ; et l'on ne connait que trop les méthodes de toute espèce dont on accable sans fruit la jeunesse qui fréquente les collèges.

Pour se faire des idées nettes et précises de la méthode que les maîtres doivent employer dans l'enseignement des langues, il me semble qu'il est essentiel de distinguer 1°. entre les langues vivantes et les langues mortes ; 2°. entre les langues analogues et les langues transpositives.

I. 1°. Les langues vivantes, comme le français, l'italien, l'espagnol, l'allemand, l'anglais, etc. se parlent aujourd'hui chez les nations dont elles portent le nom : et nous avons, pour les apprendre, tous les secours que l'on peut souhaiter ; des maîtres habiles qui en connaissent le mécanisme et les finesses, parce qu'elles en sont les idiomes naturels ; des livres écrits dans ces langues, et des interpretes surs qui nous en distinguent avec certitude l'excellent, le bon, le médiocre, et le mauvais : ces langues peuvent nous entrer dans la tête par les oreilles et par les yeux tout-à-la-fais. Voilà le fondement de la méthode qui convient aux langues vivantes, décidé d'une manière indubitable. Prenons pour les apprendre, des maîtres nationaux : qu'ils nous instruisent des principes les plus généraux du mécanisme et de l'analogie de leur langue ; qu'ils nous la parlent ensuite et nous la fassent parler ; ajoutons à cela l'étude des observations grammaticales, et la lecture raisonnée des meilleurs livres écrits dans la langue que nous étudions. La raison de ce procédé est simple : les langues vivantes s'apprennent pour être parlées, puisqu'on les parle ; on n'apprend à parler que par l'exercice fréquent de la parole ; et l'on n'apprend à le bien faire, qu'en suivant l'usage, qui, par rapport aux langues vivantes, ne peut se constater que par deux témoignages inséparables, je veux dire, le langage de ceux qui par leur éducation et & leur état sont justement présumés les mieux instruits dans leur langue, et les écrits des auteurs que l'unanimité des suffrages de la nation caractérise comme les plus distingués.

2°. Il en est tout autrement dans les langues mortes, comme l'hébreu, l'ancien grec, le latin. Aucune nation ne parle aujourd'hui ces langues ; et nous n'avons, pour les apprendre, que les livres qui nous en restent. Ces livres même ne peuvent pas nous être aussi utiles que ceux d'une langue vivante ; parce que nous n'avons pas, pour nous les faire entendre, des interprêtes aussi surs et aussi autorisés, et que s'ils nous laissent des doutes, nous ne pouvons en trouver ailleurs l'éclaircissement. Est-il donc raisonnable d'employer ici la même méthode que pour les langues vivantes ? Après l'étude des principes généraux du mécanisme et de l'analogie d'une langue morte, débuterons-nous par composer en cette langue, soit de vive voix, soit par écrit ? Ce procédé est d'une absurdité évidente : à quoi bon parler une langue qu'on ne parle plus ? Et comment prétend-on venir à bout de la parler seul, sans en avoir étudié l'usage dans ses sources, ou sans avoir présent un moniteur instruit qui le connaisse avec certitude, et qui nous le montre en parlant le premier ? Jugez par-là ce que vous devez penser de la méthode ordinaire, qui fait de la composition des thèmes son premier, son principal, et presque son unique moyen. Voyez ETUDE, et la Méch. des langues, liv. II. §. j. C'est aussi par-là que l'on peut apprécier l'idée que l'on proposa dans le siècle dernier, et que M. de Maupertuis a réchauffée de nos jours, de fonder une ville dont tous les habitants, hommes et femmes, magistrats et artisans ne parleraient que la langue latine. Qu'avons-nous affaire de savoir parler cette langue ? Est-ce à la parler que doivent tendre nos études ?

Quand je m'occupe de la langue italienne, ou de telle autre qui est actuellement vivante, je dois apprendre à la parler, puisqu'on la parle ; c'est mon objet : et si je lis alors les lettres du cardinal d'Ossat, la Jérusalem délivrée, l'énéïde d'Annibal Caro, ce n'est pas pour me mettre au fait des affaires politiques dont traite le prélat, ou des aventures qui constituent la fable des deux poèmes ; c'est pour apprendre comment se sont énoncés les auteurs de ces ouvrages. En un mot, j'étudie l'italien pour le parler, et je cherche dans les livres comment on le parle. Mais quand je m'occupe d'hébreu, de grec, de latin, ce ne peut ni ne doit être pour parler ces langues, puisqu'on ne les parle plus ; c'est pour étudier dans leurs sources l'histoire du peuple de Dieu, l'histoire ancienne ou la romaine, la Mythologie, les Belles-Lettres, etc. La Littérature ancienne, ou l'étude de la Religion, est mon objet : et si je m'applique alors à quelque langue morte, c'est qu'elle est la clé nécessaire pour entrer dans les recherches qui m'occupent. En un mot, j'étudie l'Histoire dans Hérodote, la Mythologie dans Homère, la Morale dans Platon ; et je cherche dans les grammaires, dans les lexiques, l'intelligence de leur langue, pour parvenir à celle de leurs pensées.

On doit donc étudier les langues vivantes, comme fin, si je puis parler ainsi ; et les langues mortes, comme moyen. Ce n'est pas au reste que je prétende que les langues vivantes ne puissent ou ne doivent être regardées comme des moyens propres à acquérir ensuite des lumières plus importantes : je m'en suis expliqué tout autrement au mot LANGUE ; et quiconque n'a pas à voyager chez les étrangers, ne doit les étudier que dans cette vue. Mais je veux dire que la considération des secours que nous avons pour ces langues doit en diriger l'étude, comme si l'on ne se proposait que de les savoir parler ; parce que cela est possible, que personne n'entend si bien une langue que ceux qui la savent parler, et qu'on ne saurait trop bien entendre celle dont on prétend faire un moyen pour d'autres études. Au contraire nous n'avons pas assez de secours pour apprendre à parler les langues mortes dans toutes les occasions ; le langage qui résulterait de nos efforts pour les parler ne servirait de rien à l'intelligence des ouvrages que nous nous proposerions de lire, parce que nous n'y parlerions guère que notre langue avec les mots de la langue morte ; par conséquent nos efforts seraient en pure perte pour la seule fin que l'on doit se proposer dans l'étude des langues anciennes.

II. De la distinction des langues en analogues et transpositives, il doit naître encore des différences dans la méthode de les enseigner, aussi marquées que celle du génie de ces langues.

1°. Les langues analogues suivent, ou exactement ou de fort près, l'ordre analytique, qui est, comme je l'ai dit ailleurs, (voyez INVERSION et LANGUE) le lien naturel, et le seul lien commun de tous les idiomes. La nature, chez tous les hommes, a donc déjà bien avancé l'ouvrage par rapport aux langues analogues, puisqu'il n'y a en quelque sorte à apprendre que ce l'on appelle la Grammaire et le Vocabulaire, que le tour de la phrase ne s'écarte que peu ou point de l'ordre analytique, que les inversions y sont rares ou legeres, et que les ellipses y sont ou peu fréquentes ou faciles à suppléer. Le degré de facilité est bien plus grand encore, si la langue naturelle de celui qui commence cette étude, est elle-même analogue. Quelle est donc la méthode qui convient à ces langues ? Mettez dans la tête de vos élèves une connaissance suffisante des principes grammaticaux propres à cette langue, qui se réduisent à-peu-près à la distinction des genres et des nombres pour les noms, les pronoms, et les adjectifs, et à la conjugaison des verbes. Parlez-leur ensuite sans délai, et faites-les parler, si la langue que vous leur enseignez est vivante ; faites-leur traduire beaucoup, premièrement de votre langue dans la leur, puis de la leur dans la vôtre : c'est le vrai moyen de leur apprendre promptement et surement le sens propre et le sens figuré de vos mots, vos tropes, vos anomalies, vos licences, vos idiotismes de toute espèce. Si la langue analogue que vous leur enseignez, est une langue morte, comme l'hébreu, votre provision de principes grammaticaux une fois faite, expliquez vos auteurs, et faites-les expliquer avec soin, en y appliquant vos principes fréquemment et scrupuleusement : vous n'avez que ce moyen pour arriver, ou plutôt pour mener utilement à la connaissance des idiotismes, où gissent toujours les plus grandes difficultés des langues. Mais renoncez à tout désir de parler ou de faire parler hébreu ; c'est un travail inutîle ou même nuisible, que vous épargnerez à votre éleve.

2°. Pour ce qui est des langues transpositives, la méthode de les enseigner doit demander quelque chose de plus ; parce que leurs écarts de l'ordre analytique, qui est la règle commune de tous les idiomes, doivent y ajouter quelque difficulté, pour ceux principalement dont la langue naturelle est analogue : car c'est autre chose à l'égard de ceux dont l'idiome maternel est également transpositif ; la difficulté qui peut naître de ce caractère des langues est beaucoup moindre, et peut-être nulle à leur égard. C'est précisément le cas où se trouvaient les Romains qui étudiaient le grec, quoique M. Pluche ait jugé qu'il n'y avait entre leur langue et celle d'Athènes aucune affinité.

" Il était cependant naturel, dit-il dans la préface de la Mécanique des Langues, page VIIe qu'il en coutât davantage aux Romains pour apprendre le grec, qu'à nous pour apprendre le latin : car nos langues française, italienne, espagnole, et toutes celles qu'on parle dans le midi de l'Europe, étant sorties, comme elles le sont pour la plupart, de l'ancienne langue romaine ; nous y retrouvons bien des traits de celle qui leur a donné naissance : la latine au contraire ne tenait à la langue d'Athènes par aucun degré de parenté ou de ressemblance, qui en rendit l'accès plus aisé ".

Comment peut-on croire que le latin n'avait avec le grec aucune affinité ? A-t-on donc oublié qu'une partie considérable de l'Italie avait reçu le nom de grande Grèce, magna Graecia, à cause de l'origine commune des peuplades qui étaient venues s'y établir ? Ignore-t-on ce que Priscien nous apprend, lib. V. de casibus, que l'ablatif est un cas propre aux Romains, nouvellement introduit dans leur langue, et placé pour cette raison après tous les autres dans la déclinaison ? Ablativus proprius est Romanorum, &.... quia novus videtur à Latinis inventus, vetustati reliquorum casuum concessit. Ainsi la langue latine au berceau avait précisément les mêmes cas que la langue grecque ; et peut-être l'ablatif ne s'est-il introduit insensiblement, que parce qu'on prononçait un peu différemment la finale du datif, selon qu'il était ou qu'il n'était pas complément d'une préposition. Cette conjecture se fortifie par plusieurs observations particulières : 1°. le datif et l'ablatif pluriels sont toujours semblables : 2°. ces deux cas sont encore semblables au singulier dans la seconde déclinaison : 3°. on trouve morte au datif dans l'épitaphe de Plaute, rapportée par Aulu-Gelle, Noct. Att. I. xxiv. et au contraire on trouve dans Plaute lui-même, oneri, furfuri, etc. à l'ablatif ; parce qu'il y a peu de différence entre les voyelles e et i, d'où vient même que plusieurs noms de cette déclinaison ont l'ablatif terminé des deux manières : 4°. le datif de la quatrième était anciennement en u, comme l'ablatif, et Aulu-Gelle, IV. XVIe nous apprend que César lui-même dans ses livres de l'Analogie, pensait que c'était ainsi qu'il devait se terminer : 5°. le datif de la cinquième fut autrefois en e, comme il parait par ce passage de Plaute, Mercat. I. j. 4. Amatores, qui aut nocti, aut die, aut soli, aut lunae miserias narrant suas : 6°. enfin l'ablatif en â long de la première, pourrait bien n'être long, que parce qu'il vient de la diphtongue ae du datif. La déclinaison latine offre encore bien d'autres traits d'imitation et d'affinité avec la déclinaison grecque. Voyez GENITIF, n. I.

Pour ce qui concerne les étymologies grecques de quantité de mots latins, il n'est pas possible de résister à la preuve que nous fournit l'excellent ouvrage de Vossius le père, etymologicon linguae latinae ; et je suis persuadé que de la comparaison détaillée des articles de ce livre avec ceux du Dictionnaire étymologique de la langue française par Ménage, il s'ensuivrait qu'à cet égard l'affinité du latin avec le grec est plus grande que celle du français avec le latin.

Je dirais donc au contraire qu'il doit naturellement nous en couter davantage pour apprendre le latin, qu'aux Romains pour apprendre le grec : car outre que la langue de Rome trouvait dans celle d'Athènes les radicaux d'une grande partie de ses mots, la marche de l'une et de l'autre était également transpositive ; les noms, les pronoms, les adjectifs, s'y déclinaient également par cas ; le tour de la phrase y était également elliptique, également pathétique, également harmonieux ; la prosodie en était également marquée, et presque d'après les mêmes principes ; et d'ailleurs le grec était pour les Romains une langue vivante qui pouvait leur être inculquée et par l'exercice de la parole, et par la lecture des bons ouvrages. Au contraire nos langues, française, Italienne, espagnole, etc. ne tiennent à celle de Rome, que par quelques racines qu'elles y ont empruntées ; mais elles n'ont au surplus avec cette langue ancienne aucune affinité qui leur en rende l'accès plus facîle ; leur construction usuelle est analytique ou très-approchante ; le tour de la phrase n'y souffre ni transposition considérable, ni ellipse hardie ; elles ont une prosodie moins marquée dans leurs détails ; et d'ailleurs le latin est pour nous une langue morte, pour laquelle nous n'avons pas autant de secours que les Romains en avaient dans leur temps pour le grec.

Nous devons donc mettre en œuvre tout ce que notre industrie peut nous suggérer de plus propre à donner aux commençans l'intelligence du latin et du grec ; et j'ai prouvé, article INVERSION, que le moyen le plus lumineux, le plus raisonnable, et le plus autorisé par les auteurs mêmes à qui la langue latine était naturelle, c'est de ramener la phrase latine ou grecque à l'ordre et à la plénitude de construction analytique. Je n'avais que cela à prouver dans cet article : j'ajoute dans celui-ci, qu'il faut donner aux commençans des principes qui les mettent en état le plus promptement qu'il est possible d'analyser seuls et par eux-mêmes ; ce qui ne peut être le fruit que d'un exercice suivi pendant quelque temps, et fondé sur des notions justes, précises, et invariables. Ceci demande d'être développé.

Personne n'ignore que la tradition purement orale des principes qu'il est indispensable de donner aux enfants, ne ferait en quelque sorte qu'effleurer leur âme : la légèreté de leur âge, le peu ou le point d'habitude qu'ils ont d'occuper leur esprit, le manque d'idées acquises qui puissent servir comme d'attaches à celles qu'on veut leur donner ; tout cela et mille autres causes justifient la nécessité de leur mettre entre les mains des livres élémentaires qui puissent fixer leur attention pendant la leçon, les occuper utilement après, et leur rendre en tout temps plus facîle et plus prompte l'acquisition des connaissances qui leur conviennent. C'est surtout ici que se vérifie la maxime d'Horace, Art poét. 180.

Segniùs irritant animos demissa per aures,

Quàm quae sunt oculis subjecta fidelibus.

On pourrait m'objecter que j'insiste mal-à-propos sur la nécessité des livres élémentaires, puisqu'il en existe une quantité prodigieuse de toute espèce, et qu'il n'y a d'embarras que sur le choix. Il est vrai que grâce à la prodigieuse fécondité des faiseurs de rudiments, de particules, de méthodes, les enfants que l'on veut initier au latin ne manquent pas d'être occupés ; mais le sont-ils d'une manière raisonnable, le sont-ils avec fruit ? Je ne prendrai pas sur moi de répondre à cette question ; je me contenterai d'observer que presque tous ces livres ont été faits pour enseigner aux commençans la fabrique du latin, et la composition des thèmes ; que la méthode des thèmes tombe de jour en jour dans un plus grand discrédit, par l'effet des réflexions sages répandues dans les livres excellents des instituteurs les plus habiles, et des écrivains les plus respectables, M. le Fèvre de Saumur, Vossius le père, M. Rollin, M. Pluche, M. Chompré, etc. Qu'il est à désirer que ce discrédit augmente, et qu'on se tourne entièrement du côté de la version, tant de vive-voix que par écrit ; que l'un des moyens les plus propres à amener dans la méthode de l'institution publique cette heureuse révolution, c'est de poser les fondements de la nouvelle méthode, en publiant les livres élémentaires dans la forme qu'elle suppose et qu'elle exige ; et qu'aucun de ceux qu'on a publiés jusqu'à-présent, ou du-moins qui sont parvenus à ma connaissance, ne peut servir à cette fin.

Dans l'intention de prévenir, s'il est possible, une fécondité toujours nuisible à la bonté des fruits, j'ajoute que les livres élémentaires, dans quelque genre d'étude que ce puisse être, sont peut-être les plus difficîle à bien faire, et ceux dans lesquels on a le moins réussi. Deux causes y contribuent : d'une part, la réalité de cette difficulté intrinseque, dont on Ve voir les raisons dans un moment ; et de l'autre, une apparence toute contraire, qui est pour les plus novices un encouragement à s'en mêler, et pour les plus habiles, un véritable piège qui les fait échouer.

Il faut que ces éléments soient réduits aux notions les plus générales, et au nécessaire le plus étroit, parce que, comme le remarque très-judicieusement M. Pluche, il faut que les jeunes commençans voient la fin d'une tâche qui n'est pas de nature à les réjouir, et qu'ils n'en seront que plus disposés à apprendre le tout parfaitement. Ces notions cependant doivent être en assez grande quantité pour servir de fondement à toute la science grammaticale, de solution à toutes les difficultés de l'analyse, d'explication à toutes les irrégularités apparentes ; quoiqu'il faille tout-à-la-fais les rédiger avec assez de précision, de justesse, et de vérité, pour en déduire facilement et avec clarté, en temps et lieu, les développements convenables, et les applications nécessaires, sans surcharger ni dégoûter les commençans.

L'exposition de ces éléments doit être claire et débarrassée de tout raisonnement abstrait ou métaphysique, parce qu'il n'y a que des esprits déjà formés et vigoureux qui puissent en atteindre la hauteur, en saisir le fil, en suivre l'enchainement, et qu'il s'agit ici de se mettre à la portée des enfants, esprits encore faibles et délicats, qu'il faut soutenir dans leur marche, et conduire au but par une rampe douce et presque insensible. Cependant l'ouvrage doit être le fruit d'une métaphysique profonde, et d'une logique rigoureuse, sinon les idées fondamentales auront été mal vues ; les définitions seront obscures ou diffuses, ou fausses ; les principes seront mal digérés ou mal présentés ; on aura omis des choses essentielles, ou l'on en aura introduit de superflues ; l'ensemble n'aura pas le mérite de l'ordre, qui répand la lumière sur toutes les parties, en en fixant la correspondance, qui les fait retenir l'une par l'autre en les enchainant, qui les féconde en en facilitant l'application. Peut-être même faut-il à l'auteur une dose de métaphysique d'autant plus forte, que les enfants ne doivent pas en trouver la moindre teinte dans son ouvrage.

Ce n'est pas assez pour réussir dans ce genre de travail, d'avoir Ve les principes un à un ; il faut les avoir vus en corps, et les avoir comparés. Ce n'est pas assez de les avoir envisagés dans un état d'abstraction, et d'avoir, si l'on veut, imaginé le système le plus parfait en apparence ; il faut avoir essayé le tout par la pratique : la théorie ne montre les principes que dans un état de mort ; c'est la pratique qui les vivifie en quelque sorte ; c'est l'expérience qui les justifie. Il ne faut donc regarder les principes grammaticaux comme certains, comme nécessaires, comme admissibles dans nos éléments, qu'après s'être assuré qu'en effet ils fondent les usages qui y ont trait, et qu'ils doivent servir à les expliquer.

Afin d'indiquer à-peu-près l'espèce de principes qui peut convenir à la méthode analytique dont je conseille l'usage, qu'il me soit permis d'insérer ici un essai d'analyse, conformément aux vues que j'insinue dans cet article, et dans l'article INVERSION, et dont on trouvera les principes répandus et développés en divers endroits de cet ouvrage. On y verra l'application d'une méthode que j'ai pratiquée avec succès, et que toutes sortes de raisons me portent à croire la meilleure que l'on puisse suivre à l'égard des langues transpositives ; je ne la propose cependant au public que comme une matière qui peut donner lieu à des expériences intéressantes pour la religion et pour la patrie, puisqu'elles tendront à perfectionner une partie nécessaire de l'éducation.

Quelques lecteurs délicats trouveront peut-être mauvais que j'ose les occuper de pareilles minuties, et d'observations pédantesques : mais ceux qui peuvent être dans ces dispositions, n'ont pas même entamé la lecture de cet article. Je puis continuer sans conséquence pour eux ; les autres qui seraient venus jusqu'ici, et qui seraient insensibles au motif que je viens de leur présenter, je les plains de cette insensibilité ; qu'ils me plaignent, qu'ils me blâment, s'ils veulent, de celle que j'ai pour leur délicatesse ; mais qu'ils ne s'offensent point, si traitant un point de grammaire, j'emprunte le langage qui y convient, et descens dans un détail minutieux, si l'on veut, mais important, puisqu'il est fondamental.

Je reprents le discours de la mère de Sp. Carvilius à son fils, dont j'avais entamé l'explication (article INVERSION) d'après les principes de M. Pluche.

Quin prodis, mi Spuri, ut quotiescumque gradum facies,

Toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem.

Quin est un adverbe conjonctif et négatif. Quin, par apocope, pour quine, qui est composé de l'ablatif commun qui, et de la négation ne ; et cet ablatif qui est le complément de la préposition sous-entendue pro pour ; ainsi quin est équivalent à pro qui ne, pour quoi ne ou ne pas ; quin est donc un adverbe ; puisqu'il équivaut à la préposition pro avec son complément qui ; et cet adverbe est lui-même le complément circonstanciel de cause du verbe prodis. Voyez REGIME. Quin est conjonctif, puisqu'il renferme dans sa signification le mot conjonctif qui ; et en cette qualité il sert à joindre la proposition incidente dont il s'agit (voyez INCIDENTE) avec un antécédent qui est ici sous-entendu, et dont nous ferons la recherche en temps et lieu : enfin quin est négatif, puisqu'il renferme encore dans sa signification la négation ne qui tombe ici sur prodis.

Prodis (tu vas publiquement) est à la seconde personne du singulier du présent indéfini (voyez PRESENT) de l'indicatif du verbe prodire, prodeo, is, ivi, et par syncope ii, itum, verbe absolu actif, (voyez VERBE) et irrégulier, de la quatrième conjugaison : ce verbe est composé du verbe ire, aller, et de la particule pro, qui dans la composition signifie publiquement ou en public, parce qu'on suppose à la préposition pro le complément ore omnium, pro ore omnium (devant la face de tous) le d a été inséré entre les deux racines par euphonie (voyez EUPHONIE) pour empêcher l'hiatus : prodis est à la seconde personne du singulier, pour s'accorder en nombre et en personne avec son sujet naturel, mi Spuri. Voyez SUJET.

Mi (mon) est au vocatif singulier masculin de meus, a, um, adjectif hétéroclite, de la première déclinaison. Voyez PARADIGME. Mi est au vocatif singulier masculin, pour s'accorder en cas, en nombre et en genre avec le nom propre Spuri, auquel il a un rapport d'identité. Voyez CONCORDANCE et IDENTITE.

Spuri (Spurius) est au vocatif singulier de Spurius, ii, nom propre, masculin et hétéroclite, de la deuxième déclinaison : Spuri est au vocatif, parce que c'est le sujet grammatical de la seconde personne, ou auquel le discours est adressé. Voyez VOCATIF.

Mi Spuri (mon Spurius) est le sujet logique de la seconde personne.

Ut (que) est une conjonction déterminative, dont l'office est ici de réunir à l'antécédent sous-entendu hunc finem, la proposition incidente déterminative, quotiescumque gradum facies, toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem.

Quotiescumque (combien de fais) est un adverbe conjonctif ; comme adverbe, c'est le complément circonstanciel de temps du verbe facies ; comme conjonctif, il sert à joindre à l'antécédent toties la proposition incidente déterminative gradum facies.

Gradum (un pas) est à l'accusatif singulier de gradus, us, nom masculin de la quatrième déclinaison ; gradum est à l'accusatif, parce qu'il est le complément objectif du verbe facies ; et par conséquent il doit être après facies dans la construction analytique.

Facies (tu feras) est à la seconde personne du singulier du présent postérieur, voyez PRESENT, de l'indicatif actif du verbe facère (faire) cio, cis, feci, factum, verbe relatif, actif et irrégulier, de la troisième conjugaison : facies est à la seconde personne du singulier, pour s'accorder en personne et en nombre avec son sujet naturel mi Spuri.

Quotiescumque facies gradum (combien de fois tu feras un pas) est la totalité de la proposition incidente déterminative de l'antécédent toties ; et par conséquent l'ordre analytique lui assigne sa place après toties.

Toties (autant de fais) est un adverbe, complément circonstanciel de temps du verbe veniat.

Toties quotiescumque facies gradum (autant de fois combien de fois tu feras un pas) est la totalité du complément circonstanciel de temps du verbe veniat ; et doit par conséquent venir après veniat dans la construction analytique.

Tibi (à toi) est au datif singulier masculin de tu, pronom de la seconde personne : tibi est au datif, parce qu'il est le complément relatif du verbe veniat ; après lequel il doit donc être placé dans la construction analytique : tibi est au singulier masculin pour s'accorder en nombre et en genre avec son co-relatif Spurius. Voyez PRONOM.

Tuarum (tiennes) est au génitif pluriel feminin de tuus, a, um, adj. de la première déclinaison, pour s'accorder en genre, en nombre et en cas avec le nom virtutum, auquel il a un rapport d'identité, et qu'il doit suivre dans la construction analytique.

Virtutum (des vaillances) est au génitif pluriel de virtus, tutis, nom feminin de la troisième déclinaison, employé ici par une métonymie de la cause pour l'effet, de même que le mot français vaillance pour action vaillante : virtutum est au génitif, parce qu'il est le complément déterminatif grammatical du nom appelatif sous-entendu recordatio. Voyez GENITIF.

Virtutum tuarum (des vaillances tiennes) est le complément déterminatif logique du nom appelatif sous-entendu recordatio, et doit par conséquent suivre recordatio dans l'ordre analytique.

Il y a donc de sous-entendu recordatio (le souvenir), qui est le nominatif singulier de recordatio onis, nom feminin de la troisième déclinaison : recordatio est au nominatif, parce qu'il est le sujet grammatical du verbe veniat.

Recordatio virtutum tuarum (le souvenir des vaillances tiennes) est le sujet logique du verbe veniat, et doit conséquemment précéder ce verbe dans la construction analytique.

Veniat (vienne) est à la troisième personne du singulier du présent indéfini du subjonctif du verbe venire (venir) io, is, i, tum, verbe absolu, actif, de la quatrième conjugaison : veniat est à la troisième personne du singulier, pour s'accorder en nombre et en personne avec son sujet grammatical sous-entendu recordatio : veniat est au subjonctif, à cause de la conjonction ut qui doit être suivie du subjonctif, quand elle lie une proposition qui énonce une fin à laquelle on tend.

In (dans) est une préposition dont le complément doit être à l'accusatif, quand elle exprime un rapport de tendance vers un terme, soit physique, soit moral ; au lieu que le complément doit être à l'ablatif, quand cette préposition exprime un rapport d'adhésion à ce terme physique ou moral.

Mentem (l'esprit) est à l'accusatif singulier de ments, tis, nom feminin de la troisième déclinaison : mentem est à l'accusatif, parce qu'il est le complément de la préposition in.

In mentem (dans l'esprit) est la totalité du complément circonstanciel de terme du verbe veniat, qui doit par conséquent précéder in mentem dans l'ordre analytique.

Voilà donc trois compléments du verbe veniat : le complément circonstanciel du temps, toties quotiescumque facies gradum ; le complément relatif tibi, et le complément circonstanciel de terme, in mentem : tous trois doivent être après veniat dans la construction analytique ; mais dans quel ordre ? Le complément relatif tibi doit être le premier, parce qu'il est le plus court ; le complément circonstanciel de terme in mentem doit être le second, parce qu'il est encore plus court que le complément circonstanciel de temps toties quotiescumque facies gradum ; celui-ci doit être le dernier, comme le plus long. La raison de cet arrangement est que tout complément, dans l'ordre analytique, doit être le plus près qu'il est possible du mot qu'il complete : mais quand un même mot a plusieurs compléments, Ve qu'alors ils ne peuvent pas tous être immédiatement après le mot completté ; on place les plus courts les premiers, afin que le dernier en soit le moins éloigné qu'il est possible.

Ainsi, ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum (que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l'esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas), c'est la totalité de la préposition incidente déterminative de l'antécédente sous-entendu hunc finem : elle doit donc, dans l'ordre analytique, être à la suite de l'antécédent hunc finem.

Il y a donc de sous-entendu hunc finem. Hunc (cette) est à l'accusatif singulier masculin de hic, haec, hoc, adjectif de la seconde espèce de la troisième déclinaison. Voyez PARADIGME. Hunc est à l'accusatif singulier masculin pour s'accorder en cas, en nombre et en genre avec le nom finem, auquel il a un rapport d'identité. Finem (fin) est à l'accusatif singulier masculin de finis, is, nom douteux de la troisième déclinaison. Voyez GENRE, n. IV. Finem est à l'accusatif, parce qu'il est le complément grammatical de la préposition sous-entendue in : finem est aussi l'antécédent grammatical de la proposition incidente déterminative, ut recordatio tuarum virtutum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum ; et hunc finem (cette fin) en est l'antécédent logique.

Hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum (cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l'esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas) ; c'est le complément logique de la préposition sous-entendue in, qui doit être après in par cette raison.

Il y a donc de sous-entendu in (à ou pour), qui est une préposition dont le complément est ici à l'accusatif, parce qu'elle exprime un rapport de tendance vers un terme moral.

In hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum (à cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l'esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas) ; c'est la totalité du complement circonstanciel de fin du verbe prodis ; donc l'ordre analytique doit mettre ce complément après prodis.

Quid prodis, in hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum (pour quoi tu ne vas pas publiquement, à cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l'esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas) ; c'est la totalité de la proposition incidente déterminative de l'antécédent sous-entendu causam, et doit conséquemment suivre l'antécédent causam dans l'ordre analytique.

Il y a donc de sous-entendu causam (la cause), qui est à l'accusatif singulier de causa, ae, nom feminin de la première déclinaison ; causam est à l'accusatif, parce qu'il est le complément objectif grammatical du verbe interrogatif sous-entendu dic.

Causam quin prodis, in hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum (la cause pourquoi tu ne vas pas publiquement, à cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l'esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas) ; c'est le complément objectif logique du verbe interrogatif sous-entendu dic ; et doit par conséquent être après ce verbe dans la construction analytique.

Il y a donc de sous-entendu dic (dis) qui est à la seconde personne du singulier du présent postérieur de l'impératif actif du verbe dicère (dire) co, cis, xi, ctum, verbe, relatif, actif, de la troisième conjugaison ; dic est à la seconde personne du singulier pour s'accorder en personne et en nombre avec son sujet grammatical Spuri : dic est à l'impératif, parce que la mère de Spurius lui demande de dire la cause pourquoi il ne Ve pas en public, qu'elle l'interroge ; et dic est le seul mot qui puisse ici marquer l'interrogation désignée par le point interrogatif, et par la position de quin adverbe conjonctif à la tête de la proposition écrite. Dic, au lieu de dice, par un apocope qui a tellement prévalu dans le latin, que dice n'y est plus usité, ni dans le verbe simple, ni dans ses composés.

Spuri, que l'on a déjà dit le sujet grammatical de la seconde personne, est donc le sujet grammatical du verbe sous-entendu dic ; et par conséquent mi Spuri (mon Spurius) en est le sujet logique : donc mi Spuri doit précéder dic dans l'ordre analytique.

Voici donc enfin la construction analytique et pleine de toute la proposition : mi Spuri, dic causam quin prodis, in hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum.

En voici la traduction littérale qu'il faut faire faire à son élève mot-à-mot, en cette manière : mi Spuri (mon Spurius), dic (dis) causam (la cause) quin prodis (pourquoi tu ne vas pas publiquement), in hunc finem (à cette fin) ut (que) recordatio (le souvenir) virtutum tuarum (des vaillances tiennes) veniat (vienne) tibi (à toi) in mentem (dans l'esprit) toties (autant de fais) quotiescumque (combien de fais) facies (tu feras) gradum (un pas) ?

En reprenant tout de suite cette traduction littérale, l'élève dira : mon Spurius, dis la cause pourquoi tu ne vas pas publiquement, à cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l'esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas ?

Pour faire ensuite passer le commençant, de cette traduction littérale à une traduction raisonnable et conforme au génie de notre langue, il faut l'y préparer par quelques remarques. Par exemple, 1°. que nous imitons les Latins dans nos tours interrogatifs, en supprimant, comme eux, le verbe interrogatif et l'antécédent du mot conjonctif par lequel nous débutons, voyez INTERROGATIF ; qu'ici par conséquent nous pouvons remplacer leur quin par que ne, et que nous le devons, tant pour suivre le génie de notre langue, que pour nous rapprocher davantage de l'original, dont notre version doit être une copie fidèle : 2°. qu'aller publiquement ne se dit point en français, mais que nous devons dire paraitre, se montrer en public : 3°. que comme il serait indécent d'appeler nos enfants mon Jacques, mon Pierre, mon Joseph, il serait indécent de traduire mon Spurius ; que nous devons dire comme nous dirions à nos enfants, mon fils, mon enfant, mon cher fils, mon cher enfant, ou du moins mon cher Spurius : 4°. qu'au lieu de à cette fin que, nous disions autrefois à icelle fin que, à celle fin que ; mais qu'aujourd'hui nous disons afin que ; 5°. que nous ne sommes plus dans l'usage d'employer les adjectifs mien, tien, sien avec le nom auquel ils ont rapport, comme nous faisions autrefois, et comme font encore aujourd'hui les Italiens, qui disent il mio libro, la mia casa (le mien livre, la mienne maison) ; mais que nous employons sans article les adjectifs possessifs prépositifs mon, ton, son, notre, votre, leur ; qu'ainsi au lieu de dire, des vaillances tiennes, nous devons dire de tes vaillances : 6°. que la métonymie de vaillances pour actions courageuses, n'est d'usage que dans le langage populaire, et que si nous voulons conserver la métonymie de l'original, nous devons mettre le mot au singulier, et dire de ta vaillance, de ton courage, de ta bravoure, comme a fait M. l'abbé d'Olivet, Pens. de Cic. chap. XIIe pag. 359. 7°. que quand le souvenir de quelque chose nous vient dans l'esprit par une cause qui précède notre attention, et qui est indépendante de notre choix, il nous en souvient ; et que c'est précisément le tour que nous devons préférer comme plus court, et par-là plus énergique ; ce qui remplacera la valeur et la briéveté de l'ellipse latine.

De pareilles réflexions ameneront l'enfant à dire comme de lui-même : que ne parais-tu, mon cher enfant, afin qu'à chaque pas que tu feras, il te souvienne de ta bravoure ?

Cette méthode d'explication suppose, comme on voit, que le jeune élève a déjà les notions dont on y fait usage ; qu'il connait les différentes parties de l'oraison, et celles de la proposition ; qu'il a des principes sur les métaplasmes, sur les tropes, sur les figures de construction, et à plus forte raison sur les règles générales et communes de la syntaxe. Cette provision Ve paraitre immense à ceux qui sont paisiblement accoutumés à voir les enfants faire du latin sans l'avoir appris ; à ceux qui voulant recueillir sans avoir semé, n'approuvent que les procédés qui ont des apparences éclatantes, même aux dépens de la solidité des progrès ; et à ceux enfin qui avec les intentions les plus droites et les talents les plus décidés, sont encore arrêtés par un préjugé qui n'est que trop répandu, savoir que les enfants ne sont point en état de raisonner, qu'ils n'ont que de la mémoire, et qu'on ne doit faire fonds que sur cette faculté à leur égard.

Je réponds aux premiers, 1°. que la multitude prodigieuse de règles et d'exceptions de toute espèce qu'il faut mettre dans la tête de ceux que l'on introduit au latin par la composition des thèmes, surpasse de beaucoup la provision de principes raisonnables qu'exige la méthode analytique. 2°. Que leurs rudiments sont beaucoup plus difficiles à apprendre et à retenir, que les livres élementaires nécessaires à cette méthode ; parce qu'il n'y a d'une part que désordre, que fausseté, qu'inconséquence, que prolixité ; et que de l'autre tout est en ordre, tout est vrai, tout est lié, tout est nécessaire et précis. 3°. Que l'application des règles quelconques, bonnes ou mauvaises, à la composition des thèmes, est épineuse, fatigante, captieuse, démentie par mille et mille exceptions, et déshonorée non seulement par les plaintes des savants les plus respectables et des maîtres les plus habiles, mais même par ses propres succès, qui n'aboutissent enfin qu'à la structure mécanique d'un jargon qui n'est pas la langue que l'on voulait apprendre ; puisque, comme l'observe judicieusement Quintilien, aliud est grammaticè, aliud latinè loqui : au lieu que l'application de la méthode analytique aux ouvrages qui nous restent du bon siècle de la langue latine, est uniforme et par conséquent sans embarras ; qu'elle est dirigée par le discours même qu'on a sous les yeux, et conséquemment exempte des travaux pénibles de la production, j'ai presque dit de l'enfantement ; enfin, que tendant directement à l'intelligence de la langue telle qu'on l'écrivait, elle nous mène sans détour au vrai, au seul but que nous devions nous proposer en nous en occupant.

Je réponds aux seconds, à ceux qui veulent retrancher du nécessaire, afin de recueillir plutôt les fruits du peu qu'ils auront semé ; sans même attendre le temps naturel de la maturité, que l'on affoiblit ces plantes et qu'on les détruit en hâtant leur fécondité contre nature ; que les fruits précoces qu'on en retire n'ont jamais la même saveur ni la même salubrité que les autres, si l'on a recours à cette culture forcée et meurtrière ; et que la seule culture raisonnable est celle qui ne néglige aucune des attentions exigées par la qualité des sujets et des circonstances, mais qui attend patiemment les fruits spontanés de la nature secondée avec intelligence, pour les recueillir ensuite avec gratitude.

Je réponds aux derniers, qui s'imaginent que les enfants en général ne sont guère que des automates, qu'ils sont dans une erreur capitale et démentie par mille expériences contraires. Je ne leur citerai aucun exemple particulier ; mais je me contenterai de les inviter à jeter les yeux sur les diverses conditions qui composent la société. Les enfants de la populace, des manœuvres, des malheureux de toute espèce qui n'ont que le temps d'échanger leur sueur contre leur pain, demeurent ignorants et quelquefois stupides avec des dispositions de meilleur augure ; toute culture leur manque. Les enfants de ce que l'on appelle la bourgeoisie honnête dans les provinces, acquièrent les lumières qui tiennent au système d'institution qui y a cours ; les uns se développent plutôt, les autres plus tard, autant dans la proportion de l'empressement qu'on a eu à les cultiver que dans celle des dispositions naturelles. Entrez chez les grands, chez les princes : des enfants qui balbutient encore y sont des prodiges, sinon de raison, du moins de raisonnement ; et ce n'est point une exagération toute pure de la flatterie, c'est un phénomène réel dont tout le monde s'assure par soi-même, et dont les témoins deviennent souvent jaloux, sans vouloir faire les frais nécessaires pour le faire voir dans leur famille : c'est qu'on raisonne sans cesse avec ces embryons de l'humanité que leur naissance fait déjà regarder comme des demi-dieux ; et l'humeur singeresse, pour me servir du vieux mais excellent mot de Montagne, l'humeur singeresse, qui dans les plus petits individus de l'espèce humaine ne demande que des exemples pour s'évertuer, développe aussi-tôt le germe de raison qui tient essentiellement à la nature de l'espèce. Passez de là à Paris, cette ville imitatrice de tout ce qu'elle voit à la cour, et dans laquelle, comme dit La Fontaine, fab. III.

Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,

Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages :

Vous y verrez les enfants des bourgeois raisonner beaucoup plutôt que ceux de la province, parce que dans toutes les familles honnêtes on a l'ambition de se modèler sur les gens de la première qualité que l'on a sous les yeux. Il est vrai que l'on observe aussi, qu'après avoir montré les premices les plus flatteuses, et donné les plus grandes espérances, les jeunes parisiens retombent communément dans une sorte d'inertie, dont l'idée se grossit encore par la comparaison sourde que l'on en fait avec le début : c'est que les facultés de leurs parents les forcent de les livrer, à un certain âge, au train de l'institution commune, ce qui peut faire dans ces tendres intelligences une disparate dangereuse ; et que d'ailleurs on continue, parce que la chose ne coute rien, d'imiter par air les vices des grands, la mollesse, la paresse, la suffisance, l'orgueil, compagnes ordinaires de l'opulence, et ennemies décidées de la raison. Il y a peu de personnes au reste qui n'ait par-devers soi quelque exemple connu du succès des soins que l'on donne à la culture de la raison naissante des enfants ; et j'en ai, de mon côté, qui ont un rapport immédiat à l'utilité de la méthode analytique telle que je la propose ici. J'ai Ve par mon expérience, qu'en supposant même qu'il ne fallut faire fonds que sur la mémoire des enfants, il vaut encore mieux la meubler de principes généraux et féconds par eux-mêmes, qui ne manquent pas de produire des fruits dès les premiers développements de la raison, que d'y jeter, sans choix et sans mesure, des idées isolées et stériles, ou des mots dépouillés de sens.

Je réponds enfin à tous, que la provision des principes qui nous sont nécessaires, n'est pas absolument si grande qu'elle peut le paraitre au premier coup d'oeil, pourvu qu'ils soient digérés par une personne intelligente, qui sache choisir, ordonner, et écrire avec précision, et qu'on ne veuille recueillir qu'après avoir semé ; c'est une idée sur laquelle j'insiste, parce que je la crois fondamentale.

Me permettra-t-on d'esquisser ici les livres élémentaires que je suppose nécessairement la méthode analytique ? Je dis d'abord les livres élémentaires, parce que je crois essentiel de réduire à plusieurs petits volumes la tâche des enfants, plutôt que de la renfermer dans un seul, dont la taille pourrait les effrayer : le goût de la nouveauté, qui est très-vif dans l'enfance, se trouvera flatté par les changements fréquents de livres et de titres ; le changement de volume est en effet une espèce de délassement physique, ou du moins une illusion aussi utîle ; le changement de titre est un aiguillon pour l'amour-propre, qui se trouve déjà fondé à se dire, je sai ceci, qui voit de la facilité à pouvoir se dire bientôt, je sai encore cela, ce qui est peut-être l'encouragement le plus efficace. Je réduirais donc à quatre les livres élémentaires dont nous avons besoin.

1°. Eléments de la grammaire générale appliquée à la langue française. Il ne s'agit pas de grossir ce volume des recherches profondes et des raisonnements abstraits des Philosophes sur les fondements de l'art de parler ; piscis hic non est omnium. Mais il faut qu'à partir des mêmes points de vue, on y expose les résultats fondamentaux de ces recherches, et qu'on y trouve détaillées avec justesse, avec précision, avec choix, et en bon ordre, les notions des parties nécessaires de la parole ; ce qui se réduit aux éléments de la voix, aux éléments de l'oraison, et aux éléments de la proposition.

J'entends par les éléments de la voix, prononcée ou écrite, les principes fondamentaux qui concernent les parties élémentaires et intégrantes des mots, considérés matériellement comme des productions de la voix : ce sont donc les sons et les articulations, les voyelles, et les consonnes, qu'il est nécessaire de bien distinguer ; mais qu'il ne faut pas séparer ici, parce que les signes extérieurs aident les notions intellectuelles ; et enfin les syllabes, qui sont, dans la parole prononcée, des sons simples ou articulés ; et dans l'écriture des voyelles seules ou accompagnées de consonnes. Voyez LETTRE, CONSONNE, DIPHTONGUE, VOYELLE, HIATUS, etc. et les articles de chacune des lettres. La matière que je présente parait bien vaste ; mais il faut choisir et réduire ; il ne faut ici que les games des idées générales, et tout ce premier traité ne doit occuper que cinq ou six pages in -12. Cependant il faut y mettre les principaux fondements de l'étymologie, de la prosodie, des métaplasmes, de l'orthographe ; mais peut-être que ces noms-là mêmes ne doivent pas y paraitre.

J'entends par les éléments de l'oraison, ce qu'on en appelle communément les parties, ou les différentes espèces de mots distinguées par les différentes idées spécifiques de leur signification ; savoir, le nom, le pronom, l'adjectif, le verbe, la préposition, l'adverbe, la conjonction et l'interjection. Il ne s'agit ici que de faire connaître par des définitions justes chacune de ces parties d'oraison, et leurs espèces subalternes. Mais il faut en écarter les idées de genres, de nombres, de cas, de déclinaisons, des personnes, de modes : toutes ces choses ne tiennent à la grammaire, que par les besoins de la syntaxe, et ne peuvent être expliquées sans allusion à ses principes, ni par conséquent être entendues que quand on en connait les fondements. Il n'en est pas de même des temps du verbe, considérés avec abstraction des personnes, des nombres et des modes ; ce sont des variations qui sortent du fond même de la nature du verbe, et des besoins de l'énonciation, indépendamment de toute syntaxe : ainsi il sera d'autant plus utîle d'en mettre ici les notions, qu'elles sont en grammaire de la plus grande importance ; et quoiqu'il faille en écarter les idées de personnes, on citera pourtant les exemples de la première, mais sans en avertir. On voit bien qu'il sera utîle d'ajouter un chapitre sur la formation des mots, où l'on parlera des primitifs et des dérivés ; des simples et des composés ; des mots radicaux, et des particules radicales ; de l'insertion des particules euphoniques ; des verbes auxiliaires ; de l'analogie des formations, dont on verra l'exemple dans celle des temps, et l'utilité dans le système qui en facilitera l'intelligence et la mémoire. Je crois qu'en effet c'est ici la place de ce chapitre, parce que dans la génération des mots, on n'en modifie le matériel que relativement à la signification. Au reste, ce que j'ai déjà dit à l'égard du premier traité, je le dis à l'égard de celui-ci : choisissez, rédigez, n'épargnez rien pour être tout-à-la-fais précis et clair. Voyez MOTS, et tous les articles des différentes espèces de mots ; voyez aussi TEMS, PARTICULE, EUPHONIE, FORMATION, AUXILIAIRE, etc.

J'entends enfin par les éléments de la proposition, tout ce qui appartient à l'ensemble des mots réunis pour l'expression d'une pensée ; ce qui comprend les parties, les espèces et la forme de la proposition. Les parties, soit logiques soit grammaticales, sont les sujets, l'attribut, lesquels peuvent être simples ou composés, incomplexes ou complexes ; et toutes les sortes de compléments des mots susceptibles de quelque détermination. Les espèces de propositions nécessaires à connaître, et suffisantes dans ce traité, sont les propositions simples, composées, incomplexes et complexes, dont la nature tient à celle de leur sujet ou de leur attribut, ou de tous deux à la fais, avec les propositions principales, et les incidentes, soit explicatives, soit déterminatives. La forme de la proposition comprend la syntaxe et la construction. La syntaxe règle les inflexions des mots qui entrent dans la proposition, en les assujettissant aux lois de la concordance qui émanent du principe d'identité, ou aux lois du régime qui portent sur le principe de la diversité : c'est donc ici le lieu de traiter des accidents des mots déclinables, les genres, les nombres, les cas pour certaines langues, et tout ce qui appartient aux déclinaisons ; les personnes, les modes, et tout ce qui constitue les conjugaisons ; les raisons et la destination de toutes ces formes seront alors intelligibles, et conséquemment elles seront plus aisées à concevoir et à retenir : l'explication claire et précise de chacune de ces formes accidentelles, en en indiquant l'usage, formera le code le plus clair et le plus précis de la syntaxe. La construction fixe la place des mots dans l'ensemble de la proposition ; elle est analogue ou inverse : la construction analogue a des règles fixes qu'il faut détailler ; ce sont celles qui règlent l'analyse de la proposition : la construction inverse en a de deux sortes, les unes générales qui découlent de l'analyse de la proposition, les autres particulières, qui dépendent uniquement des usages de chaque langue. Le champ de ce troisième traité est plus vaste que le précédent ; mais quoiqu'il comprenne tout ce qui entre ordinairement dans nos grammaires françaises, et même quelque chose de plus, si l'on saisit bien les points généraux, qui sont suffisans pour les vues que j'indique, je suis assuré que le tout occupera un assez petit espace, relativement à l'étendue de la matière, et que tout ce premier volume ne sera qu'un in -12 très-mince. Voyez PROPOSITION, INCIDENTE, SYNTAXE, REGIME, INFLEXION, GENRE, NOMBRE, CAS, et les articles particuliers, PERSONNES, MODES et les articles des différents modes, DECLINAISON, CONJUGAISON, PARADIGME, CONCORDANCE, IDENTITE, CONSTRUCTION, INVERSION, etc.

Si je dis que ces éléments de la grammaire générale doivent être appliqués à la langue française ; c'est que j'écris principalement pour mes compatriotes : je dirais à Rome qu'il faut les appliquer à la langue italienne ; à Madrid, j'indiquerais la langue espagnole ; à Lisbonne, la portugaise ; à Vienne l'allemande ; à Londres, l'anglaise ; par-tout, la langue maternelle des enfants. C'est que les généralités sont toujours les résultats des vues particulières, et même individuelles ; qu'elles sont toujours très-loin de la plupart des esprits ; et plus loin encore de ceux des enfants ; et il n'y a que des exemples familiers et connus qui puissent les en rapprocher. Mais la méthode de descendre des généralités aux cas particuliers est beaucoup plus expéditive que celle de remonter des cas particuliers sans fruit pour la fin, puisqu'elle est inconnue, et que dans celle-là au contraire on envisage toujours le terme d'où l'on est parti.

Je conviens qu'il faut beaucoup d'exemples pour affermir l'idée générale, et que notre livre élémentaire n'en comprendra pas assez : c'est pourquoi je suis d'avis que dès que les élèves auront appris, par exemple, le premier traité des éléments de la voix, on les exerce beaucoup à appliquer ces premiers principes dans toutes les lectures qu'on leur fera faire, pendant qu'ils apprendront le second traité des éléments de l'oraison ; que celui-ci appris on leur en fasse pareillement faire l'application dans leurs lectures, en leur y faisant reconnaître les différentes sortes de mots, les divers temps des verbes, etc. sans négliger de leur faire remarquer de fois à autre ce qui tient au premier traité ; enfin que quand ils auront appris le troisième, des éléments de la proposition, on les occupe quelque temps à en reconnaître les parties, les espèces, et la forme dans quelque livre français.

Cette pratique a deux avantages : 1°. celui de mettre dans la tête des enfants les principes raisonnés de leur propre langue, la langue qu'il leur importe le plus de savoir, et que communément on néglige le plus malgré les réclamations des plus sages, malgré l'exemple des anciens qu'on estime le plus, et malgré les expériences réitérées du danger qu'il y a à négliger une partie si essentielle ; 2°. celui de préparer les jeunes élèves à l'étude des langues étrangères, par la connaissance des principes qui sont communs à toutes, et par l'habitude d'en faire l'application raisonnée. Il ne faudra donc point regarder comme perdu le temps qu'ils emploieront à ce premier objet, quoiqu'on ne puisse pas encore en tirer de latin : ce n'est point un détour ; c'est une autre route où ils apprennent des choses essentielles qui ne se trouvent point sur la route ordinaire : ce n'est point une perte ; c'est un retard utile, qui leur épargne une fatigue superflue et dangereuse, pour les mettre en état d'aller ensuite plus aisément, plus surement, et plus vite quand ils entreront dans l'étude du latin, et qu'ils passeront pour cela au second livre élémentaire.

2°. Eléments de la langue latine. Ce second volume supposera toutes les notions générales comprises dans le premier, et se bornera à ce qui est propre à la langue latine. Ces différences propres naissent du génie de cette langue, qui a admis trois genres, et dont la construction usuelle est transpositive ; ce qui y a introduit l'usage des cas et des déclinaisons dans les noms, les pronoms et les adjectifs : il faut les exposer de suite avec des paradigmes bien nets pour servir d'exemples aux principes généraux des déclinaisons, et ajouter ensuite des mots latins avec leur traduction, pour être déclinés comme le paradigme : on joindra aux déclinaisons grammaticales des adjectifs la formation des degrés de signification, qui en est comme la déclinaison philosophique. L'usage des cas dans la syntaxe latine doit être expliqué immédiatement après ; 1°. par rapport aux adjectifs, qui se revêtent de ces formes, ainsi que de celles des genres et des nombres, par la loi de concordance ; 2°. par rapport aux noms et aux pronoms qui prennent tantôt un cas, et tantôt un autre, selon l'exigence du régime : et ceci, comme on voit, amenera naturellement, à propos de l'accusatif et de l'ablatif, les principaux usages des prépositions. Viendront ensuite les conjugaisons des verbes, dont les paradigmes, rendus les plus clairs qu'il sera possible, seront également précédés des règles de formation les plus générales, et suivis des verbes latins traduits pour être conjugués comme le paradigme auquel ils sont rapportés. Les conjugaisons seront suivies de quelques remarques générales sur les usages propres de l'infinitif, des gérondifs, des supins, et sur quelques autres latinismes analogues. Par-tout on aura soin d'indiquer les exceptions les plus considérables ; mais il faut attendre de l'usage la connaissance des autres. Voilà toute la matière de ce second ouvrage élémentaire, qui sera, comme on voit d'un volume peu considérable. Voyez ceux des articles déjà cités qui conviennent ici, et spécialement SUPERLATIF, INFINITIF, GERONDIF, SUPIN.

On doit bien juger qu'il en doit être de ce livre, comme du précédent, qu'à mesure que l'enfant en aura appris les différents articles, il faudra lui en faire faire l'application sur du latin ; l'accoutumer à y reconnaître les cas, les nombres, les genres, à remonter d'un cas oblique qui se présente au nominatif, et de-là à la déclinaison, d'un comparatif ou d'un superlatif au positif : puis quand il aura appris les conjugaisons, les lui faire reconnaître de la même manière, et se hâter enfin de l'amener à l'analyse telle qu'on l'a vue ci-devant ; car cette provision de principes est suffisante, pourvu qu'on ne fasse analyser que des phrases choisies exprès. Mais j'avoue qu'on ne peut pas encore aller bien loin, parce qu'il est rare de trouver du latin sans figures, ou de diction ou de construction, et sans tropes, et que, pour bien entendre le sens d'un écrit, il saut au moins être en état d'entendre les observations qu'un maître intelligent peut faire sur ces matières. C'est pourquoi il est bon, pendant ces exercices préliminaires sur les principes généraux, de faire apprendre au jeune élève les fondements du discours figuré dans le livre qui suit.

3°. Eléments grammaticaux du discours figuré, ou traité élémentaire des métaplasmes, des tropes, et des figures de construction. Ce livre élémentaire se partage naturellement en trois parties analogues et correspondantes à celles du premier ; et il appartient, comme le premier, à la grammaire générale : mais on en prendra les exemples dans les deux langues. Le traité des métaplasmes sera très-court, voyez METAPLASME : les deux autres demandent un peu plus de développement, quoiqu'il faille encore s'attacher à y réduire la matière au moindre nombre de cas, et aux cas les plus généraux qu'il sera possible. Les définitions doivent en être claires, justes, et précises : les usages des figures doivent y être indiqués avec goût et intelligence : les exemples doivent être choisis avec circonspection, non-seulement par rapport à la forme, qui est ici l'objet immédiat, mais encore par rapport au fonds, qui doit toujours être l'objet principal. On trouvera d'excellentes choses dans le bon ouvrage de M. du Marsais sur les tropes ; et sur l'ellipse en particulier, qui est la principale clé des langues, mais surtout du latin ; il faut consulter avec soin, et pourtant avec quelque précaution, la Minerve de Sanctius, et si l'on veut, le traité des ellipses de M. Grimm, imprimé en 1743 à Francfort et à Léipsic : j'observerai seulement que l'un et l'autre de ces auteurs donne à-peu-près une liste alphabétique des mots supprimés par ellipses dans les livres latins ; et que j'aimerais beaucoup mieux qu'on exposât des règles générales pour reconnaître l'ellipse, et le supplément, ce qui me parait très-possible en suivant à-peu-près l'ordre des parties de l'oraison avec attention aux lois générales de la syntaxe. V oyez TROPES et les articles de chacun en particulier, CONSTRUCTION, FIGURE, etc.

Je suis persuadé qu'enfin avec cette dernière provision de principes, il n'y a plus guère à ménager que la progression naturelle des difficultés ; mais que cette attention même ne sera pas longtemps nécessaire : tout embarras doit disparaitre, parce qu'on a la clé de tout. La seule chose donc que je crois nécessaire, c'est de commencer les premières applications de ces derniers principes sur la langue maternelle, et peut-être d'avoir pour le latin un premier livre préparé exprès pour le début de notre méthode : voici ma pensée.

4°. Selectae è probatissimis scriptoribus eclogae. Ce titre annonce des phrases détachées ; elles peuvent donc être choisies et disposées de manière que les difficultés grammaticales ne s'y présentent que successivement. Ainsi on n'y trouverait d'abord que des phrases très-simples et très-courtes ; puis d'autres aussi simples, mais plus longues ; ensuite des phrases complexes qui en renfermeraient d'incidentes ; et enfin des périodes ménagées avec la même gradation de complexité. Il faudrait y présenter les tours elliptiques avec la même discrétion, et ne pas montrer d'abord les grandes ellipses où il faut suppléer plusieurs mots.

Malgré toutes les précautions que j'insinue, qu'on n'aille pas croire que j'approuvasse un latin factice, où il serait aisé de préparer cette gradation de difficultés. Le titre même de l'ouvrage que je propose me justifie pleinement de ce soupçon : j'entends que le tout serait tiré des meilleures sources, et sans aucune altération ; et la raison en est simple. Je l'ai déjà dit ; nous n'étudions le latin que pour nous mettre en état d'entendre les bons ouvrages qui nous restent en cette langue, c'est le seul but où doivent tendre nos efforts : c'est donc le latin de ces ouvrages mêmes qui doit nous occuper, et non un langage que nous n'y rencontrerons pas ; nos premières tentatives doivent entamer notre tâche, et l'abréger d'autant. Ainsi il n'y doit entrer que ce que l'on pourra copier fidèlement dans les auteurs de la plus pure latinité, sans toucher le moins du monde à leur texte ; et cela est d'autant plus facile, que le champ est vaste au prix de l'étendue que doit avoir ce volume élémentaire, qui, tout considéré, ne doit pas excéder quatre à cinq feuilles d'impression, afin de mettre les commençans, aussi-tôt après aux sources mêmes.

Du reste, comme je voudrais que les enfants apprissent ce livre par cœur à mesure qu'ils l'entendraient, afin de meubler leur mémoire de mots et de tours latins ; il me semble qu'avec un peu d'art dans la tête du compilateur, il ne lui serait pas impossible de faire de ce petit recueil un livre utîle par le fonds autant que par la forme : il ne s'agirait que d'en faire une suite de maximes intéressantes, qui avec le temps pourraient germer dans les jeunes esprits où on les aurait jetées sous un autre prétexte, s'y développer, et y produire d'excellents fruits. Et quand je dis des maximes, ce n'est pas pour donner une préférence exclusive au style purement dogmatique : les bonnes maximes se peuvent présenter sous toutes les formes ; une fable, un trait historique, une épigramme, tout est bon pour cette fin : la morale qui plait est la meilleure.

Quel mal y aurait-il à accompagner ce recueil d'une traduction élégante, mais fidèle vis-à-vis du texte ? L'intelligence de celui-ci n'en serait que plus facîle ; et il est aisé de sentir que l'étude analytique du latin empêcherait l'abus qui résulte communément des traductions dans la méthode ordinaire. On pourrait aussi, et peut-être serait-ce le mieux, imprimer à part cette traduction, pour être le sujet des premières applications de la Grammaire générale à la langue française : cette traduction n'en serait que plus utîle quand elle se retrouverait vis-à-vis de l'original : il serait plutôt conçu ; la correspondance en serait plutôt sentie ; et les différences des deux langues en seraient saisies et justifiées plus aisément. Mais dans ce cas le texte devrait aussi être imprimé à part, afin d'éviter une multiplication superflue.

J'ose croire qu'au moyen de cette méthode, et en n'adoptant que des principes de Grammaire lumineux et véritablement généraux et raisonnés, on menera les enfants au but par une voie sure et débarrassée non-seulement des épines et des peines inséparables de la méthode ordinaire, mais encore de quantité de difficultés qui n'ont dans les livres d'autre réalité que celle qu'ils tirent de l'inéxactitude de nos principes, et de notre paresse à les discuter. Qu'il me soit permis pour justifier cette dernière reflexion, de rappeler ici un texte de Virgile que j'ai cité à l'article INVERSION, et dont j'ai donné la construction telle que nous l'a laissée Servius, et d'après lui saint Isidore de Séville, Aenéïd. II. 348. Voici d'abord ce passage avec la ponctuation ordinaire.

Juvenes, fortissima frustrà,

Pectora, si vobis, audentem extrema, cupido est

Certa sequi ; (quae sit rebus fortuna videtis :

Excessêre omnes, adytis arisque relictis,

Di quibus imperium hoc steterat :) succurritis urbi

Incensae : moriamur, et in media arma ruamus.

On prétend que l'adverbe frustrâ, mis entre deux virgules dans les premiers vers, tombe sur le verbe succurritis du cinquième vers ; et la construction d'Isidore et de Servius nous donne à entendre que le second vers avec les deux premiers mots du troisième, sont liés avec ce qu'on lit dans le sixième, moriamur et in media arma ruamus. Mais, j'ose le dire hardiment : si Virgile l'avait entendu ainsi, il se serait mépris grossièrement ; ni la construction analytique ni la construction usuelle du latin ou de quelque langue que ce sait, n'autorisent ni ne peuvent autoriser de pareils entrelacements, sous prétexte même de l'agitation la plus violente, ou de l'enthousiasme le plus irrésistible : ce ne serait jamais qu'un verbiage répréhensible, et pour me servir des termes de Quintilien, Inst. VIII. 2. pejor est mistura verborum. Mais rendons plus de justice à ce grand poète : il savait très-bien ce qui convenait dans la bouche d'Enée au moment actuel : que des discours suivis, raisonnés et froids par conséquent, ne pouvaient pas être le langage d'un prince courageux qui voyait sa patrie subjuguée, la ville livrée aux flammes, au pillage, à la fureur de l'ennemi victorieux, sa famille exposée à des insultes de toute espèce ; mais il savait aussi que les passions les plus vives n'amènent point le phebus et le verbiage dans l'élocution : qu'elles interrompent souvent les propos commencés, parce qu'elles présentent rapidement à l'esprit des torrents, pour ainsi dire, d'idées détachées qui se succedent sans continuité, et qui s'associent sans liaison ; mais qu'elles ne laissent jamais assez de phlegme pour renouer les propos interrompus. Cherchons donc à interprêter Virgile sans tordre en quelque manière son texte, et suivons sans résistance le cours des idées qu'il présente naturellement. J'en ferais ainsi la construction analytique d'après mes principes. (Je mets en parenthèse et en caractères différents les mots qui suppléent les ellipses.)

Juvenes pectora fortissima frustrà, (dicite) si cupido certa sequi (me) audentem (tentare pericula) extrema est vobis ? videtis quae fortuna sit rebus ; omnes di (à) quibus hoc imperium steterat, excessêre (ex) adytis, que (ex) aris relictis : (dicite igitur in quem finem) succurritis urbi incensae ? (hoc negotium unum, ut) moriamur et (proinde ut) ruamus in arma media, (decet nos.)

Je conviens que cette construction fait disparaitre toutes les beautés et toute l'énergie de l'original ; mais quand il s'agit de reconnaître le sens grammatical d'un texte, il n'est pas question d'en observer les beautés oratoires ou poétiques ; j'ajoute que l'on manquera le second point si l'on n'est d'abord assuré du premier, parce qu'il arrive souvent que l'énergie, la force, les images et les beautés d'un discours tiennent uniquement à la violation des lois minutieuses de la Grammaire, et qu'elles deviennent ainsi le motif et l'excuse de cette transgression. Comment donc parviendra-t-on à sentir ses beautés, si l'on ne commence par reconnaître le procédé simple dont elles doivent s'écarter ? Je n'irai pas me défier des lecteurs jusqu'à faire sur le texte de Virgile l'application du principe que je pose ici : il n'y en a point qui ne puisse la faire aisément ; mais je ferai trois remarques qui me semblent nécessaires.

La première concerne trois suppléments que j'ai introduits dans le texte pour le construire ; 1°. (dicite) si cupido, etc. Je ne puis suppléer dicite qu'en supposant que si peut quelquefois, et spécialement ici, avoir le même sens que an (voyez INTERROGATIF) ; or cela n'est pas douteux, et en voici la preuve : an marque proprement l'incertitude, et si désigne la supposition, mais il est certain que quand on connait tout avec certitude, il n'y a point de supposition à faire, et que la supposition tient nécessairement à l'incertitude : c'est pourquoi l'un de ces deux mots peut entrer comme l'autre dans une phrase interrogative ; et nous trouvons effectivement dans l'Evangile, Matth. XIIe 10, cette question : Si licet sabbatis curare ? (est-il permis de guérir les jours de sabbat). Et encore, Luc xxij. 49. Domine si percutimus in gladio ? (Seigneur, frappons-nous de l'épée ?) Et dans saint Marc, Xe 2. Si licet viro uxorem dimittère ? (est-il permis à un homme de renvoyer son épouse ?) Ce que l'auteur de la traduction vulgate a surement imité d'un tour qui lui était connu, sans quoi il aurait employé an, dont il a fait usage ailleurs. Ajoutez qu'il n'y a ici que le tour interrogatif qui puisse lier cette proposition au reste, puisque nous avons Ve que l'explication ordinaire introduisait un véritable galimathias. 2°. (Dicite igitur in quem finem) succurritis urbi incensae ? C'est encore ici le besoin évident de parler raison, qui oblige à regarder comme interrogative une phrase qui ne peut tenir au reste que par là ; mais en la supposant interrogative, le supplément est donné tel ou à-peu-près tel que je l'indique ici. 3°. (Hoc negotium unum ut,) moriamur et (proinde ut) ruamus in arma media, (decet nos) : les subjonctifs moriamur et ruamus supposent ut, et ut suppose un antécédent (Voyez INCIDENTE et SUBJONCTIF), lequel ne peut guère être que hoc negotium ou hoc negotium unum ; et cela même combiné avec le sens général de ce qui précède, nous conduit au supplément decet nos.

La seconde remarque, c'est qu'il s'ensuit de cette construction qu'il est important de corriger la ponctuation du texte de Virgile en cette manière :

Juvenes, fortissima frustrà

Pectora, si vobis, audentem extrema, cupido est

Certa sequi ? Quae sit rebus, fortuna videtis :

Excessêre omnes adytis arisque relictis

Di quibus imperium hoc steterat. Succurritis urbi

Incensae ? moriamur et in media arma ruamus.

La troisième remarque est la conclusion même que j'ai annoncée en amenant sur la scène ce passage de Virgile, c'est que l'analyse exacte est un moyen infaillible de faire disparaitre toutes les difficultés qui ne sont que grammaticales, pourvu que cette analyse porte en effet sur des principes solides et avoués par la raison et par l'usage connu de la langue latine. C'est donc le moyen le plus sur pour saisir exactement le sens de l'auteur, non-seulement d'une manière générale et vague, mais dans le détail le plus grand et avec la justesse la plus précise.

Le petit échantillon que j'ai donné pour essai de cette méthode, doit prévenir apparemment l'objection que l'on pourrait me faire, que l'examen trop scrupuleux de chaque mot, de sa correspondance, de sa position, peut conduire les jeunes gens à traduire d'une manière contrainte et servile, en un mot, à parler latin avec des mots français. C'est en effet les défauts que l'on remarque d'une manière frappante dans un auteur anonyme qui nous donna en 1750 (à Paris chez Mouchet, 2 vol. in-12) un ouvrage intitulé : Recherches sur la langue latine, principalement par rapport au verbe, et de la manière de le bien traduire. On y trouve de bonnes observations sur les verbes et sur d'autres parties d'oraison : mais l'auteur, prévenu qu'Horace sans doute s'est trompé quand il a dit, art. poèt. 133, Nec verbum verbo curabis reddere, fidus interpres, rend par-tout avec un scrupule insoutenable, la valeur numérique de chaque mot, et le tour latin le plus éloigné de la phrase française : ce qui parait avoir influé sur sa diction, lors même qu'il énonce ses propres pensées : on y sent le latinisme tout pur : et l'habitude de fabriquer des termes rélatifs à ses vues pour la traduction, le jette souvent dans le barbarisme. Je trouve, par exemple, à la dernière ligne de la page 780, tome II. on ne les expose à tomber en des défigurements du texte original ou même en des écarts du vrai sens ; et vers la fin de la page suivante : En effet, après avoir proposé pour exemple dans son traité des études, et qu'il y a beaucoup exalté cette traduction.

On pourrait penser que ceci serait échappé à l'auteur par inadvertance ; mais il y a peu de pages, dans plus de mille qui forment les deux volumes, où l'on ne puisse trouver plusieurs exemples de pareils écarts, et c'est par système qu'il défigure notre langue : il en fait une profession expresse dès la page 7 de son épitre qui sert de préface, dans une note très-longue, qu'il augmente dans son errata, page 859, de ce mot de Furetière : Les délicats improuvent plusieurs mots par caprice, qui sont bien français et nécessaires dans la langue, au mot improuver ; et il a pour ce système, surtout dans ses traductions, la fidélité la plus religieuse : c'est qu'il est si attaché au sens le plus littéral, qu'il n'y a point de sacrifices qu'il ne fasse, et qu'il ne soit prêt de faire pour en conserver toute l'intégrité.

Il me semble au contraire que je n'ai montré la traduction littérale qui résulte de l'analyse de la phrase, que comme un moyen de parvenir et à l'intelligence du sens, et à la connaissance du génie propre du latin : car loin de regarder cette interprétation littérale, comme le dernier terme où aboutit la méthode analytique, je ramène ensuite le tout au génie de notre langue, par le secours des observations qui conviennent à notre idiome.

On peut m'objecter encore la longueur de mes procédés : ils exigent qu'on repasse vingt fois sur les mêmes mots, afin de n'omettre aucun des aspects sous lesquels on peut les envisager : de sorte que pendant que j'explique une page à mes élèves, un autre en expliquerait au-moins une douzaine à ceux qu'il conduit avec moins d'appareil. Je conviens volontiers de cette différence, pourvu que l'on me permette d'en ajouter quelques autres.

1°. Quand les élèves de la méthode analytique ont Ve douze pages de latin, ils les savent bien et très-bien, supposé qu'ils y aient donné l'attention convenable ; au lieu que les élèves de la méthode ordinaire, après avoir expliqué douze pages, n'en savent pas profondément la valeur d'une seule, par la raison simple qu'ils n'ont rien approfondi, même avec les plus grands efforts de l'attention dont ils sont capables.

2°. Les premiers voyant sans cesse la raison de tous les procédés des deux langues, la méthode analytique est pour eux une logique utîle qui les accoutume à voir juste, à voir profondément, à ne rien laisser au hazard. Ceux au contraire qui sont conduits par la méthode ordinaire, sont dans une voie ténébreuse, où ils n'ont pour guide que des éclairs passagers, que des lueurs obscures ou illusoires, où ils marchent perpétuellement à tâtons, et où, pour tout dire, leur intelligence s'abâtardit au lieu de se perfectionner, parce qu'on les accoutume à ne pas voir ou à voir mal superficiellement.

3°. C'est pour ceux-ci une allure uniforme et toujours la même ; et par conséquent c'est dans tous les temps la même mesure de progrès, aux différences près qui peuvent naître ou des développements naturels et spontanés de l'esprit ou de l'habitude d'aller. Mais il n'en est pas ainsi de la méthode analytique, outre qu'elle doit aider et accélérer les développements de l'intelligence, et qu'une habitude contractée à la lumière est bien plus sure et plus forte que celle qui nait dans les ténèbres, elle dispose les jeunes gens par degrés à voir tout d'un coup l'ordre analytique, sans entrer perpétuellement dans le détail de l'analyse de chaque mot ; et enfin à se contenter de l'apercevoir mentalement, sans déranger l'ordre usuel de la phrase latine pour en connaître le sens. Ceci demande sur l'usage de cette méthode quelques observations qui en feront connaître la pratique d'une manière plus nette et plus explicite ; et qui répandront plus de lumière sur ce qui vient d'être dit à l'avantage de la méthode même.

C'est le maître qui dans les commencements fait aux élèves l'analyse de la phrase de la manière dont j'ai présenté ci-devant un modèle sur un petit passage de Cicéron : il la fait répéter ensuite à ses auditeurs, dont il doit relever les fautes, en leur en expliquant bien clairement l'inconvénient et la nécessité de la règle qui doit les redresser. Cette première besogne Ve lentement les premiers jours, et la chose n'est pas surprenante ; mais la patience du maître n'est pas exposée à une longue épreuve : il verra bientôt croitre la facilité à retenir et à repéter avec intelligence : il sentira ensuite qu'il peut augmenter un peu la tâche ; mais il le fera avec discrétion, pour ne pas rebuter ses disciples : il se contentera de peu tant qu'il sera nécessaire, se souvenant toujours que ce peu est beaucoup, puisqu'il est solide et qu'il peut devenir fécond ; et il ne renoncera à parler le premier qu'au bout de plusieurs semaines, quand il verra que les répétitions d'après lui ne coutent plus rien ou presque rien, ou quand il retrouvera quelques phrases de la simplicité des premières par où il aura débuté, et sur lesquelles il pourra essayer les élèves en leur en faisant faire l'analyse les premiers, après leur en avoir préparé les moyens par la construction.

C'est ici comme le second degré par où il doit les conduire quand ils ont acquis une certaine force. Il doit leur faire la construction analytique, l'explication litérale, et la version exacte du texte ; puis quand ils ont répété le tout, exiger qu'ils rendent d'eux-mêmes les raisons analytiques de chaque mot : ils hésiteront quelquefois, mais bientôt ils trouveront peu de difficulté, à-moins qu'ils ne rencontrent quelques cas extraordinaires ; et je réponds hardiment que le nombre de ceux que l'analyse ne peut expliquer est très-petit.

Les élèves fortifiés par ce second degré, pourront passer au troisième, qui consiste à préparer eux-mêmes le tout, pour faire seuls ce que le maître faisait au commencement, l'analyse, la construction, l'explication littérale, et la version exacte. Mais ici, ils auraient besoin, pour marcher plus surement, d'un dictionnaire latin-français qui leur présentât uniquement le sens propre de chaque mot, ou qui ne leur assignât aucun sens figuré sans en avertir et sans en expliquer l'origine et le fondement. Cet ouvrage n'existe pas, et il serait nécessaire à l'exécution entière des vues que l'on propose ici ; et l'entreprise en est d'autant plus digne de l'attention des bons citoyens, qu'il ne peut qu'être très-utîle à toutes les méthodes ; il serait bon qu'on y assignât les radicaux latins des derivés et des composés, le sens propre en est plus sensible.

Exercés quelque temps de cette manière, les jeunes gens arriveront au point de ne plus faire que la construction pour expliquer littéralement et traduire ensuite avec correction, sans analyser préalablement les phrases. Alors ils seront au niveau de la marche ordinaire ; mais quelle différence entr'eux et les enfants qui suivent la méthode vulgaire ! Sans entrer dans aucun détail analytique, ils verront pourtant la raison de tout par l'habitude qu'ils auront contractée de ne rien entendre que par raison : certains tours, qui sont essentiellement pour les autres des difficultés très-grandes et quelquefois insolubles, ou ne les arrêtent point du tout, ou ne les arrêtent que l'instant qu'il leur faudra pour les analyser : tout ce qu'ils expliqueront, ils le sauront bien, et c'est ici le grand avantage qu'ils auront sur les autres, pour qui il reste toujours mille obscurités dans les textes qu'ils ont expliqués le plus soigneusement, et des obscurités d'autant plus invincibles et plus nuisibles, qu'on n'en a pas même le soupçon : ajoutez-y que désormais ils iront plus vite que l'on ne peut aller par la route ordinaire, et que par conséquent ils regagneront en célérité ce qu'ils paraissent perdre dans les commencements ; ce qui assure à la méthode analytique la supériorité la plus décidée, puisqu'elle donne aux progrès des élèves une solidité qui ne peut se trouver dans la méthode vulgaire, sans rien perdre en effet des avantages que l'on peut supposer à celle-ci.

Je ne voudrais pourtant pas que, pour le prétendu avantage de faire voir bien des choses aux jeunes gens, on abandonnât tout-à-coup l'analyse pour ne plus y revenir : il convient, je crois, de les y exercer encore pendant quelque temps de fois à autre, en réduisant, par exemple, cet exercice à une fois par semaine dans les commencements, puis insensiblement à une seule fois par quinzaine, par mois, etc. jusqu'à ce que l'on sente que l'on peut essayer de faire traduire correctement du premier coup sur la simple lecture du texte : c'est le dernier point où l'on amenera ses disciples, et où il ne s'agira plus que de les arrêter un peu pour leur procurer la facilité requise, et les disposer à saisir ensuite les observations qui peuvent être d'un autre ressort que de celui de la Grammaire, et dont je dois par cette raison m'abstenir de parler ici.

Je ne dois pas davantage examiner quels sont les auteurs que l'on doit lire par préférence, ni dans quel ordre il convient de les avoir : c'est un point déjà examiné et décidé par plusieurs bons littérateurs, après lesquels mon avis serait superflu ; et d'ailleurs ceci n'appartient pas à la méthode mécanique d'étudier ou d'enseigner les langues, qui est le seul objet de cet article. Il n'en est pas de même des vues proposées par M. du Marsais et par M. Pluche, lesquelles ont directement trait à ce mécanisme.

La méthode de M. du Marsais a deux parties, qu'il appelle la routine et la raison. Par la routine il apprend à son disciple la signification des mots tout simplement ; il leur met sous les yeux la construction analytique toute faite avec les suppléments des ellipses ; il met au-dessous la traduction littérale de chaque mot, qu'il appelle traduction interlinéaire : tout cela est sur la page à droite ; et sur celle qui est à gauche, on voit en haut le texte tel qu'il est sorti des mains de l'auteur, et au dessous la traduction exacte de ce texte. Il ne rend dans tout ceci aucune raison grammaticale à son disciple, il ne l'a pas même préparé à s'en douter ; s'il rencontre consilio, il apprend qu'il signifie conseil, mais il ne s'attend ni ne peut s'attendre qu'il trouvera quelque jour la même idée rendue par consilium, consilii, consilio, consiliorum, consiliis : c'est la même chose à l'égard des autres mots déclinables ; l'auteur veut que l'on mène ainsi son éleve, jusqu'à ce que frappé lui-même de la diversité des terminaisons des mêmes mots qu'il aura rencontrés, et des diverses significations qui en auront été les suites, il force le maître par ses questions à lui révéler le mystère des déclinaisons, des conjugaisons, de la syntaxe, qu'il ne lui a encore fait connaître que par instinct. C'est alors qu'a lieu la seconde partie de la méthode qu'il nomme la raison, et qui rentre à-peu-près dans l'esprit de celle que j'ai exposée : ainsi nous ne différons M. du Marsais et moi, que par la routine, dont il regarde l'exercice comme indispensablement préliminaire aux procédés raisonnés par lesquels je débute.

Cette différence vient premièrement de ce que M. du Marsais pense que dans les enfants, l'organe, pour ainsi dire, de la raison n'est pas plus proportionné pour suivre les raisonnements de la méthode analytique, que ne le sont leurs bras pour élever certains fardeaux : ce sont à-peu-près ses termes, (meth. p. 11.) quand il parle de la méthode ordinaire, mais qui ne peuvent plus être appliqués à la méthode analytique préparée selon les vues et par les moyens que j'ai détaillés. Je ne présente aux enfants aucun principe qui tienne à des idées qu'ils n'ont pas encore acquises ; mais je leur expose en ordre toutes celles dont je prévais pour eux le besoin, sans attendre qu'elles naissent fortuitement dans leur esprit à l'occasion des secousses, si je puis le dire d'un instinct aveugle : ce qu'ils connaissent par l'usage non raisonné de leur langue maternelle me suffit pour fonder tout l'édifice de leur instruction ; et en partant de-là, le premier pas que je leur fais faire en les menant comme par la main, tend déjà au point le plus élevé ; mais c'est par une rampe douce et insensible, telle qu'elle est nécessaire à la faiblesse de leur âge. M. du Marsais veut encore qu'ils acquiérent un certain usage non raisonné de la langue latine, et il veut qu'on les retienne dans cet exercice aveugles jusqu'à ce qu'ils reconnaissent le sens d'un mot à sa terminaison (pag. 32). Il me semble que c'est les faire marcher longtemps autour de la montagne dont on veut leur faire atteindre le sommet, avant que de leur faire faire un pas qui les y conduise ; et pour parler sans allégorie, c'est accoutumer leur esprit à procéder sans raison.

Au reste, je ne désapprouverais pas que l'on cherchât à mettre dans la tête des enfants bon nombre de mots latins, et par conséquent les idées qui y sont attachées ; mais ce ne doit être que par une simple nomenclature, telle à-peu-près qu'est l'indiculus universalis du père Pomey, ou telle autre dont on s'aviserait, pourvu que la propriété des termes y fût bien observée. Mais, je le répete, je ne crois les explications non raisonnées des phrases bonnes qu'à abâtardir l'esprit ; et ceux qui craient les enfants incapables de raisonner, doivent pour cela même les faire raisonner beaucoup, parce qu'il ne manque en effet que de l'exercice à la faculté de raisonner qu'ils ont essentiellement, et qu'on ne peut leur contester. Les succès de ceux qui réussissent dans la composition des thèmes, en sont une preuve presque prodigieuse.

C'est principalement pour les forcer à faire usage de leur raison que je ne voudrais pas qu'on leur mit sous les yeux, ni la construction analytique, ni la traduction littérale ; ils doivent trouver tout cela en raisonnant : mais s'il est dans leurs mains, soyez sur que les portes des sens demeureront fermées, et que les distractions de toute espèce, si naturelles à cet âge, rendront inutîle tout l'appareil de la traduction interlinéaire. J'ajoute que pour ceux-mêmes qui seront les plus attentifs, il y aurait à craindre un autre inconvénient ; je veux dire qu'ils ne contractent l'habitude de ne raisonner que par le secours des moyens extérieurs et sensibles, ce qui est d'une grande conséquence. J'avoue que dans la routine de M. du Marsais, la traduction interlinéaire et la construction analytique doivent être mises sous les yeux : mais en suivant la route que j'ai tracée, ces moyens deviennent superflus et même nuisibles.

Je n'insisterai pas ici sur la méthode de M. Pluche : outre ce qu'elle peut avoir de commun avec celle de M. du Marsais, je crois avoir suffisamment discuté ailleurs ce qui lui est propre. Voyez INVERSION. B. E. R. M.

METHODE, division méthodique des différentes productions de la nature, animaux, végétaux, minéraux, en classes, genres, espèces, voyez CLASSE, GENRE, ESPECE. Dès que l'on veut distinguer les productions de la nature avant de les connaître, il faut nécessairement avoir une méthode. Au défaut de la connaissance des choses, qui ne s'acquiert qu'en les voyant souvent, et en les observant avec exactitude, on tâche de s'instruire par anticipation sans avoir Ve ni observé : on supplée à l'inspection des objets réels par l'énoncé de quelques-unes de leurs qualités. Les différences et les ressemblances qui se trouvent entre divers objets étant combinées, constituent des caractères distinctifs qui doivent les faire connaître, on en compose une méthode, une sorte de gamme pour donner une idée des propriétés essentielles à chaque objet, et présenter les rapports et les contrastes qui sont entre les différentes productions de la nature, en les réunissant plusieurs ensemble dans une même classe en raison de leurs ressemblances, ou en les distribuant en plusieurs classes en raison de leurs différences. Par exemple, les animaux quadrupedes se ressemblent les uns aux autres, et sont réunis en une classe distinguée, selon M. Linnœus, de celle des oiseaux, des amphibies, des poissons, des insectes, et des vers, en ce que les quadrupedes ont du poil, que leurs pieds sont au nombre de quatre, que les femelles sont vivipares, et qu'elles ont du lait. Les oiseaux sont dans une classe différente de celle des quadrupedes, des amphibies, des poissons, des insectes, et des vers, parce qu'ils ont des plumes, deux pieds, deux ailes, un bec osseux, et que les femelles sont ovipares, etc.

La division d'une classe en genres et en espèces ne serait pas suffisante pour faire distinguer tous les caractères différents des animaux compris dans cette classe, et pour descendre successivement depuis les caractères généraux qui constituent la classe jusqu'aux caractères particuliers des espèces. On est donc obligé de former des divisions intermédiaires entre la classe et le genre ; par exemple, on divise la classe en plusieurs ordres, chaque ordre en plusieurs familles ou tribus, légions, cohortes, etc. chaque famille en genres, et le genre en espèces. Les caractères de chaque ordre sont moins généraux que ceux de la classe, puisqu'ils n'appartiennent qu'à un certain nombre des animaux compris dans cette classe, et réunis dans un des ordres qui en dérivent. Au contraire, ces mêmes caractères d'un ordre sont plus généraux que ceux d'une des familles dans lesquelles cet ordre est divisé, puisqu'ils ne conviennent qu'aux animaux de cette famille : il en est ainsi des caractères, des genres et des espèces.

Plus il y a de division dans une distribution méthodique, plus elle est facîle dans l'usage, parce qu'il y a d'autant moins de branches à chaque division. Par exemple, en supposant que la classe des animaux quadrupedes comprenne deux cent quarante espèces, si elle n'était divisée qu'en deux genres, il y aurait cent vingt espèces dans chacun de ces genres, il faudrait retenir de mémoire cent vingt caractères différents pour distinguer chaque espèce, ce qui serait difficîle ; au contraire en divisant la classe en deux ordres, et chaque ordre en deux genres, il n'y aura plus que soixante espèces dans chaque genre : ce serait encore trop. Mais si la classe était divisée en deux ordres, chacun de ces ordres en trois ou quatre familles, chaque famille en trois genres, il n'y aurait que dix espèces dans chaque genre, plus ou moins, parce que le nombre des branches ne se trouve pas toujours égal dans chaque division. Dans une classe ainsi divisée, les caractères spécifiques ne sont pas assez nombreux dans chaque genre pour surcharger la mémoire et pour jeter de la confusion dans l'énumération des espèces. Par exemple, M. Klin a divisé les quadrupedes en deux ordres, dont l'un comprend les animaux qui ont de la corne à l'extrémité des pieds, et l'autre ceux qui ont des doigts et des ongles ; chacun de ces ordres est soudivisé en quatre familles ; la première de l'ordre des animaux qui ont de la corne à l'extrémité des pieds est composée de ceux qui n'ont de la corne que d'une seule pièce à chaque pied, et que l'on appelle solidipedes ; les animaux qui ont la corne des pieds divisée en deux pièces, et que l'on appelle animaux à pieds fourchus, sont dans la seconde famille ; le rhinocéros est dans la troisième, parce que son pied est divisé en trois pièces ; et l'éléphant dans la quatrième, parce qu'il a le pied divisé en quatre pièces : la plus nombreuse de ces familles est celle des pieds fourchus, elle est soudivisée en cinq genres.

On voit par ces exemples de quelle utilité les distributions méthodiques peuvent être pour les gens qui commencent à étudier l'Histoire naturelle, et même pour ceux qui ont déjà acquis des connaissances dans cette science. Pour les premiers, une méthode est un fil qui les guide dans quelques routes d'un labyrinthe fort compliqué ; et pour les autres, c'est un tableau représentant quelques faits qui peuvent leur en rappeler d'autres s'ils les savent d'ailleurs.

Les objets de l'Histoire naturelle sont plus nombreux que les objets d'aucune autre science ; la durée complete de la vie d'un homme ne suffirait pas pour observer en détail les différentes productions de la nature ; d'ailleurs pour les voir toutes il faudrait parcourir toute la terre. Mais supposant qu'un seul homme soit parvenu à voir, à observer, et à connaître toutes les diverses productions de la nature ; comment retiendra-t-il dans sa mémoire tant de faits sans tomber dans l'incertitude, qui fait attribuer à une chose ce qui appartient à une autre ? Il faudra nécessairement qu'il établisse un ordre de rapports et d'analogies, qui simplifie et qui abrège le détail en les généralisant. Cet ordre est la vraie méthode par laquelle on peut distinguer les productions de la nature les unes des autres, sans confusion et sans erreur : mais elle suppose une connaissance de chaque objet en entier, une connaissance complete de ses qualités et de ses propriétés. Elle suppose par conséquent la science de l'Histoire naturelle parvenue à son point de perfection. Quoiqu'elle en soit encore bien éloignée, on veut néanmoins se faire des méthodes avec le peu de connaissances que l'on a, et on croit pouvoir, par le moyen de ces méthodes, suppléer en quelque façon les connaissances qui manquent.

Pour juger des ressemblances et des différences de conformation qui sont entre les animaux quadrupedes, il faudrait avoir observé les parties renfermées dans l'intérieur de leur corps comme celles qui sont à l'extérieur, et après avoir combiné tous les faits particuliers, on en retirerait peut-être des résultats généraux dont on pourrait faire des caractères de classes, d'ordres, de genres, etc. pour une distribution méthodique des animaux ; mais au défaut d'une connaissance exacte de toutes les parties internes et externes, les Méthodistes se sont contentés d'observer seulement quelques-unes des parties externes. M. Linnœus a établi la partie de sa méthode (Systêma naturae), qui a rapport aux animaux quadrupedes, par des observations faites sur les dents, les mamelles, les doigts ; de sorte qu'en combinant la position et la forme de ces différentes parties dans chaque espèce d'animaux quadrupedes, il trouve des caractères pour les distribuer en six ordres, et chaque ordre en plusieurs genres. Avant de proposer une telle division il aurait fallu prouver que les animaux qui se ressemblent les uns aux autres par les dents, les mamelles et les doigts, se ressemblent aussi à tout autre égard, et que par conséquent la ressemblance qui se trouve dans ces parties entre plusieurs espèces d'animaux est un indice certain d'analogie entre ces mêmes animaux : mais il est aisé de prouver au contraire que cet indice est très-fautif. Pour s'en convaincre il suffit de jeter les yeux sur la division du premier ordre de la méthode de M. Linnœus en trois genres, " qui ont pour caractères communs quatre dents incisives dans chaque mâchoire, et les mamelles sur la poitrine. Je suis toujours surpris de trouver l'homme dans le premier genre, immédiatement au-dessus de la dénomination générale de quadrupedes, qui fait le titre de la classe : l'étrange place pour l'homme ! quelle injuste distribution, quelle fausse méthode met l'homme au rang des bêtes à quatre pieds ! Voici le raisonnement sur lequel elle est fondée. L'homme a du poil sur le corps et quatre pieds, la femme met au monde des enfants vivants et non pas des œufs, et porte du lait dans ses mamelles ; donc les hommes et les femmes ont quatre dents incisives dans chaque mâchoire et les mamelles sur la poitrine ; donc les hommes et les femmes doivent être mis dans le même ordre, c'est-à-dire au même rang, avec les singes et les guenons, et avec les mâles et les femelles des animaux appelés paresseux. Voilà des rapports que l'auteur a singulièrement combinés pour acquérir le droit de se confondre avec tout le genre humain dans la classe des quadrupedes, et de s'associer les singes et les paresseux pour faire plusieurs genres du même ordre. C'est ici que l'on voit bien clairement que le méthodiste oublie les caractères essentiels, pour suivre aveuglément les conditions arbitraires de sa méthode ; car quoi qu'il en soit des dents, des poils, des mamelles, du lait et du foetus, il est certain que l'homme, par sa nature, ne doit pas être confondu avec aucune espèce d'animal, et que par conséquent il ne faut pas le renfermer dans une classe de quadrupedes, ni le comprendre dans le même ordre avec les singes et les paresseux, qui composent le second et le troisième genre du premier ordre de la classe des quadrupedes dans la méthode dont il s'agit ". Histoire naturelle gen. et part. exp. des méth. tom. IV.

On voit par cet exemple, à quel point l'abus des distributions méthodiques peut être porté ; mais en parcourant plusieurs de ces méthodes, on reconnait facilement que leurs principes sont arbitraires, puisqu'elles ne sont pas d'accord les unes avec les autres. L'élephant que M. Klein range dans un même ordre avec les solipedes et les animaux à pied fourchu, qui tous ont un ou plusieurs sabots à chaque pied, se trouvent dans la méthode de Rai, avec les animaux qui ont des doigts et des ongles. Et dans la méthode de M. Linnaeus, l'élephant a plus de rapport avec le lamantin, le paresseux, le tamandua et le lézard écailleux, qu'avec tout autre animal. L'auteur donne pour preuve de cette analogie le défaut de dents incisives à l'une ou l'autre des mâchoires, et la démarche difficîle qui sont des caractères communs à tous ces animaux. Mais pourquoi l'auteur a-t-il donné la préference à de tels caractères, tandis qu'il s'en présentait tant d'autres, plus apparents et plus importants entre des animaux si differents les uns des autres ? C'est parce qu'il a fait dépendre sa méthode, principalement du nombre et de la position des dents, et qu'en consequence de ce principe, il suffit qu'un animal ait quelque rapport à un autre par les dents, pour qu'il soit placé dans le même ordre.

Ces inconvénients viennent de ce que les méthodes ne sont établies que sur des caractères qui n'ont pour objet que quelques-unes des qualités ou des propriétés de chaque animal. Il vient encore de ce vice de principe une erreur presqu'inévitable, tant elle est séduisante. Plus une méthode semble abreger le temps de l'étude en applanissant les obstacles, et satisfaire la curiosité en présentant un grand nombre d'objets à la fais, plus on lui donne de préference et de confiance. Les distributions méthodiques des productions de la nature, telles qu'elles sont employées dans l'étude de l'histoire naturelle, ont tous ces attraits ; non-seulement elles font apercevoir d'un coup d'oeil les différents objets de cette science, mais elles semblent déterminer les rapports qu'ils ont entr'eux, et donner des moyens aussi surs que faciles pour les distinguer les unes des autres et pour les connaître chacun en particulier. On se livre volontiers à ces apparences trompeuses ; loin de méditer sur la validité des principes de ces méthodes, on se livre aveuglement à ces guides infidèles, et on croit être parvenu à une connaissance exacte et complete des productions de la nature, lorsque l'on n'a encore qu'une idée très-imparfaite de quelques-unes de leurs qualités ou de leurs propriétés, souvent les plus vaines ou les moins importantes. Dans cette prévention on néglige le vrai moyen de s'instruire, qui est d'observer chaque chose dans toutes ses parties, d'examiner autant qu'il est possible toutes ces qualités et toutes ses proprietés. Voyez BOTANIQUE.

METHODE, s. f. (Arts et Sciences) en grec , c'est-à-dire ordre, règle, arrangement. La méthode dans un ouvrage, dans un discours, est l'art de disposer ses pensées dans un ordre propre à les prouver aux autres, ou à les leur faire comprendre avec facilité. La méthode est comme l'architecture des Sciences ; elle fixe l'étendue et les limites de chacune, afin qu'elles n'empiétent pas sur leur terrain respectif ; car ce sont comme des fleuves qui ont leur rivage, leur source, et leur embouchure.

Il y a des méthodes profondes et abrégées pour les enfants de génie, qui les introduisent tout-d'un-coup dans le sanctuaire, et lèvent à leurs yeux le voîle qui dérobe les mystères au peuple. Les méthodes classiques sont pour les esprits communs qui ne savent pas aller seuls. On dirait, à voir la marche qu'on suit dans la plupart des écoles, que les maîtres et les disciples ont conspiré contre les Sciences. L'un rend des oracles avant qu'on le consulte ; ceux-ci demandent qu'on les expédie. Le maître, par une fausse vanité, cache son art ; et le disciple par indolence n'ose pas le sonder ; s'il cherchait le fil, il le trouverait par lui-même, marcherait à pas de géant, et sortirait du labyrinthe dont on lui cache les détours : tant il importe de découvrir une bonne methode pour réussir dans les Sciences.

Elle est un ornement non-seulement essentiel, mais absolument nécessaire aux discours les plus fleuris et aux plus beaux ouvrages. Lorsque je lis, dit Adisson, un auteur plein de génie, qui écrit sans méthode, il me semble que je suis dans un bois rempli de quantité de magnifiques objets qui s'élèvent l'un parmi l'autre dans la plus grande confusion du monde. Lorsque je lis un discours méthodique, je me trouve, pour ainsi dire, dans un lieu planté d'arbres en échiquier, où, placé dans ses différents centres, je puis voir toutes les lignes et les allées qui en partent. Dans l'un on peut roder une journée entière, et découvrir à tout moment quelque chose de nouveau ; mais après avoir bien couru, il ne vous reste que l'idée confuse du total. Dans l'autre, l'oeil embrasse toute la perspective, et vous en donne une idée si exacte, qu'il n'est pas facîle d'en perdre le souvenir.

Le manque de méthode n'est pardonnable que dans les hommes d'un grand savoir ou d'un beau génie, qui d'ordinaire abondent trop en pensées pour être exacts, et qui, à cause de cela même, aiment mieux jeter leurs perles à pleines mains devant un lecteur, que de se donner la peine de les enfiler.

La méthode est avantageuse dans un ouvrage, et pour l'écrivain et pour son lecteur. A l'égard du premier, elle est d'un grand secours à son invention. Lorsqu'un homme a formé le plan de son discours, il trouve quantité de pensées qui naissent de chacun de ses points capitaux, et qui ne s'étaient pas offertes à son esprit, lorsqu'il n'avait jamais examiné son sujet qu'en gros. D'ailleurs, ses pensées mises dans tout leur jour et dans un ordre naturel, les unes à la suite des autres, en deviennent plus intelligibles, et découvrent mieux le but où elles tendent, que jetées sur le papier sans ordre et sans liaison. Il y a toujours de l'obscurité dans la confusion ; et la même période qui, placée dans un endroit, aurait servi à éclairer l'esprit du lecteur, l'embarrasse lorsqu'elle est mise dans un autre.

Il en est à-peu-près des pensées dans un discours méthodique, comme des figures d'un tableau, qui reçoivent de nouvelles grâces par la situation où elles se trouvent. En un mot, les avantages qui reviennent d'un tel discours au lecteur, répondent à ceux que l'écrivain en retire. Il conçoit aisément chaque chose, il y observe tout avec plaisir, et l'impression en est de longue durée.

Mais quelques louanges que nous donnions à la méthode, nous n'approuvons pas ces auteurs, et surtout ces orateurs méthodiques à l'excès, qui dès l'entrée d'un discours, n'oublient jamais d'en exposer l'ordre, la symmetrie, les divisions et les sous-divisions. On doit éviter, dit Quintilien, un partage trop détaillé. Il en résulte un composé de pièces et de morceaux, plutôt que de membres et de parties. Pour faire parade d'un esprit fécond, on se jette dans la superfluité, on multiplie ce qui est unique par la nature, on donne dans un appareil inutile, plus propre à brouiller les idées qu'à y répandre de la lumière. L'arrangement doit se faire sentir à mesure que le discours avance. Si l'ordre y est regulièrement observé, il n'échappera point aux personnes intelligentes.

Les savants de Rome et d'Athènes, ces grands modèles dans tous les genres, ne manquaient certainement pas de méthode, comme il parait par une lecture réflechie de ceux de leurs ouvrages qui sont venus jusqu'à nous ; cependant ils n'entraient point en matière par une analyse détaillée du sujet qu'ils allaient traiter. Ils auraient cru acheter trop cher quelques degrés de clarté de plus, s'ils avaient été obligés de sacrifier à cet avantage, les finesses de l'art, toujours d'autant plus estimable, qu'il est plus caché. Suivant ce principe, loin d'étaler avec emphase l'économie de leurs discours, ils s'étudiaient plutôt à en rendre le fil comme imperceptible, tant la matière de leurs écrits était ingénieusement distribuée, les differentes parties bien assorties ensemble, et les liaisons habilement ménagées : ils déguisaient encore leur méthode par la forme qu'ils donnaient à leurs ouvrages ; c'était tantôt le style épistolaire, plus souvent l'usage du dialogue, quelquefois la fable et l'allégorie. Il faut convenir à la gloire de quelques modernes, qu'ils ont imité avec beaucoup de succès, ces tours ingénieux des anciens, et cette habileté délicate à conduire un lecteur où l'on veut, sans qu'il s'aperçoive presque de la route qu'on lui fait tenir. (D.J.)

METHODE CURATIVE, (Médecine) ou traitement méthodique des maladies ; c'est-là l'objet précis d'une des cinq parties de la Médecine ; savoir de la Thérapeutique. Voyez THERAPEUTIQUE.