Parmi ceux qui embrassèrent l'espèce de philosophie dont il s'agit ici, il y en eut qui ne confondant pas tout à fait les limites de la raison et de la foi, se contentèrent d'éclairer quelques points de l'Ecriture, en y appliquant les découvertes des Philosophes. Ils ne s'apercevaient pas que le peu de service qu'ils rendaient à la Religion, même dans les cas où leur travail était heureux, ne pouvait jamais compenser le danger du mauvais exemple qu'ils donnaient. Si l'on en était plus disposé à croire le petit nombre de vérités sur lesquelles l'histoire sainte se conciliait avec les phénomènes naturels, ne prenait-on pas une pente toute contraire dans le grand nombre de cas où l'expérience et la révélation semblaient parler diversement ? C'est-là en effet tout le fruit qui résulte des ouvrages de Severlin, d'Alstedius, de Glassius, de Zusold, de Valais, de Bochart, de Maius, d'Ursin, de Scheuchzer, de Grabovius, et d'une infinité d'autres qui se sont efforcés de trouver dans les saintes Ecritures tout ce que les Philosophes ont écrit de la Logique, de la Morale, de la Métaphysique, de la Physique, de la Chimie, de l'Histoire Naturelle, de la Politique. Il me semble qu'ils auraient dû imiter les Philosophes dans leur précaution. Ceux-ci n'ont point publié de systèmes, sans prouver d'abord qu'ils n'avaient rien de contraire à la Religion : ceux-là n'auraient jamais dû rapporter les systèmes des Philosophes à l'Ecriture-sainte, sans s'être bien assurés auparavant qu'ils ne contenaient rien de contraire à la vérité. Négliger ce préalable, n'était-ce pas s'exposer à faire dire beaucoup de sottises à l'esprit saint ? Les réveries de Robert Fulde n'honoraient-elles pas beaucoup Moïse ? Et quelle satyre plus indécente et plus cruelle pourrait-on faire de cet auteur sublime, que d'établir une concorde exacte entre ses idées et celles de plusieurs physiciens que je pourrais citer ?

Laissons donc-là les ouvrages de Bigot, de Fromond, de Casmann, de Pfeffer, de Bayer, d'Aslach, de Danée, de Dickinson, et lisons Moïse, sans chercher dans sa Genèse des découvertes qui n'étaient pas de son temps, et dont il ne se proposa jamais de nous instruire.

Alstedius, Glassius et Zuzold ont cherché à concilier la Logique des Philosophes avec celle des Théologiens ; belle entreprise !

Valais, Bochard, Maius, Ursin, Scheuchzer ont Ve dans Moïse tout ce que nos philosophes, nos naturalistes, nos mathématiciens même ont découvert.

Budée vous donnera le catalogue de ceux qui ont démontré que la dialectique et la métaphysique d'Aristote est la même que celle de Jesus-Christ.

Parcourez Rudiger, Wucherer et Wolf, et vous les verrez se tourmentant pour attribuer aux auteurs révélés tout ce que nos philosophes ont écrit de la nature, et tout ce qu'ils ont révé de ses causes et de sa fin.

Je ne sais ce que Bigot a prétendu, mais Fromond veut absolument que la terre soit immobile. On a de cet auteur deux traités sur l'âme et sur les météores, moitié philosophiques, moitié chrétiens.

Casmann a publié une biographie naturelle, morale et économique, d'où il déduit une morale et une politique théosophique : celui-ci pourtant n'asservissait pas tellement la Philosophie à la révélation, ni la révélation à la Philosophie, qu'il ne prononçât très-nettement qu'il ne valut mieux s'en tenir aux saintes Ecritures sur les préceptes de la vie, qu'à Aristote et aux philosophes anciens ; et à Aristote et aux philosophes anciens sur les choses naturelles, qu'à la Bible et à l'ancien Testament. Cependant il défend l'âme du monde d'Aristote contre Platon ; et il promet une grammaire, une rhétorique, une logique, une arithmétique, une géométrie, une optique et une musique chrétienne. Voilà les extravagances où l'on est conduit par un zèle aveugle de tout christi aniser.

Alstedius, malgré son savoir, prétendit aussi qu'il allait conformer la Philosophie aux saintes Ecritures, et il en fit un essai sur la Jurisprudence et la Médecine, où l'on a bien de la peine à retrouver le jugement de cet auteur.

Bayer encouragé par les tentatives du chancelier Bacon, publia l'ouvrage intitulé, le fil du labyrinthe ; ce ne sont pas des spéculations frivoles ; plusieurs auteurs ont suivi le fil de Bayer, et sont arrivés à des découvertes importantes sur la nature, mais cet homme n'est pas exempt de la folie de son temps.

Aslach aurait un nom bien mérité parmi les Philosophes, si le même défaut n'eut défiguré ses écrits ; il avait étudié, il avait vu, il avait voyagé ; il savait, mais il était philosophe et théologien ; et il n'a jamais pu se résoudre à séparer ces deux caractères. Sa religion est philosophique, et sa physique est chrétienne.

Il faut porter le même jugement de Lambert Danée.

Dickinson n'a pas été plus sage. Si vous en croyez celui-ci, Moïse a donné en six pages tout ce qu'on a dit et tout ce qu'on dira de bonne cosmologie.

Il y a deux mondes, le supérieur immatériel, l'inférieur ou le matériel. Dieu, les anges et les esprits bienheureux, habitent le premier ; le second est le nôtre, dont il explique la formation par le concours des atomes que le Tout-puissant a mus et dirigés. Adam a tout su. Les connaissances du premier homme ont passé à Abraham, et d'Abraham à Moïse. Les théogonies des anciens ne sont que la vraie cosmogonie défigurée par des symboles. Dieu créa des particules de toute espèce. Dans le commencement elles étaient immobiles : de petits vides les séparaient. Dieu leur communiqua deux mouvements, l'un doux et oblique, l'autre circulaire : celui-ci fut commun à la masse entière, celui-là propre à chaque molécule. De-là des collisions, des séparations, des unions, des combinaisons ; le feu, l'air, l'eau, la terre, le ciel, la lune, le soleil, les astres, et tout cela comme Moïse l'a entendu et l'a écrit. Il y a des eaux supérieures, des eaux inférieures, un jour sans soleil, de la lumière sans corps lumineux ; des germes, des plantes, des âmes, les unes matérielles et qui sentent ; des âmes spirituelles ou immatérielles ; des forces plastiques, des sexes, des générations ; que sais-je encore ? Dickinson appelle à son secours toutes les vérités et toutes les folies anciennes et modernes ; et quand il en a fait une fable qui satisfait aux premiers chapitres de la Genèse, il croit avoir expliqué la nature et concilié Moïse avec Aristote, Epicure, Démocrite, et les Philosophes.

Thomas Burnet parut sur la scène après Dickinson. Il naquit de bonne maison en 1632, dans le village de Richemond. Il continua dans l'université de Cambridge les études qu'il avait commencées au sein de sa famille. Il eut pour maîtres Cudworth, Widdringhton, Sharp et d'autres qui professaient le platonisme qu'ils avaient ressuscité. Il s'instruisit profondément de la philosophie des anciens. Ses défauts et ses qualités n'échappèrent point à un homme qui ne s'en laissait pas imposer, et qui avait un jugement à lui. Platon lui plut comme moraliste, et lui déplut comme cosmologue. Personne n'exerça mieux la liberté ecclésiastique ; il ne s'en départit pas même dans l'examen de la religion chrétienne. Après avoir épuisé la lecture des auteurs de réputation, il voyagea. Il vit la France, l'Italie et l'Allemagne. Chemin faisant, il recueillait sur la terre nouvelle tout ce qui pouvait le conduire à la connaissance de l'ancienne. De retour, il publia la première partie de la Théorie sacrée de la terre, ouvrage où il se propose de concilier Moïse avec les phénomènes. Jamais tant de recherches, tant d'érudition, tant de connaissances, d'esprit et de talents ne furent plus mal employés. Il obtint la faveur de Charles II. Guillaume III. accepta la dédicace de la seconde partie de sa théorie, et lui accorda le titre de son chapelain, à la sollicitation du célèbre Tillotson. Mais notre philosophe ne tarda pas à se dégoûter de la cour, et à revenir à la solitude et aux livres. Il ajouta à sa théorie ses archéologues philosophiques, ou les preuves que presque toutes les nations avaient connu la cosmogonie de Moïse comme il l'avait conçue ; et il faut avouer que Burnet aperçut dans les anciens beaucoup de singularités qu'on n'y avait pas remarquées : mais ses idées sur la naissance et la fin du monde, la création, nos premiers parents, le serpent, le déluge, et autres points de notre foi, ne furent pas accueillies des théologiens avec la même indulgence que des philosophes. Son christianisme fut suspect. On le persécuta ; et cet homme paisible se trouva embarrassé dans des disputes et suivi par des inimitiés qui ne le quittèrent qu'au bord du tombeau. Il mourut âgé de 86 ans. Il avait écrit deux ouvrages, l'un de l'état des morts et des ressuscités, l'autre de la foi et des devoirs du chrétien, dont il laissa des copies à quelques amis. Il en brula d'autres par humeur. Voici l'analyse de son système.

Entre le commencement et la fin du monde, on peut concevoir des périodes, des intermédiaires, ou des révolutions générales qui changeront la face de la terre.

Le commencement de chaque période fut comme un nouvel ordre de choses.

Il viendra un dernier période qui sera la consommation de tout.

C'est surtout à ces grandes catastrophes qu'il faut diriger ses observations. Notre terre en a souffert plusieurs dont l'histoire sacrée nous instruit, qui nous sont confirmées par l'histoire profane, et qu'il faut reconnaître toutes les fois qu'on regarde à ses pieds.

Le déluge universel en est une.

La terre, au sortir du chaos, n'avait ni la forme, ni la contexture que nous lui remarquons.

Elle était composée de manière qu'il devait s'ensuivre une dissolution, et de cette dissolution un déluge.

Il ne faut que regarder les montagnes, les vallées, les mers, les entrailles de la terre, sa surface, pour s'assurer qu'il y a eu bouleversement et rupture.

Puisqu'elle a été submergée par le passé, rien n'empêche qu'elle ne soit un jour brulée.

Les parties solides se sont précipitées au fond des eaux ; les eaux ont surnagé ; l'air s'est élevé au-dessus des eaux.

Le séjour des eaux et leur poids agissant sur la surface de la terre, en ont consolidé l'intérieur.

Des poussières séparées de l'air, et se répandant sur les eaux qui couvraient la terre, s'y sont assemblées, durcies, et ont formé une croute.

Voilà donc des eaux contenues entre un noyau et une enveloppe dure.

C'est de-là qu'il déduit la cause du déluge, la fertilité de la première terre et l'état de la nôtre.

Le soleil et l'air continuant d'échauffer et de durcir cette croute, elle s'entr'ouvrit, se brisa, et ses masses séparées se précipitèrent au fond de l'abîme qui les soutenait.

De-là la submersion d'une partie du globe, les gouffres, les vallées, les montagnes, les mers, les fleuves, les rivières, les continences, leurs séparations, les îles et l'aspect général de notre globe.

Il part de-là pour expliquer avec assez de facilité plusieurs grands phénomènes.

Avant la rupture de la croute, la sphère était droite ; après cet événement, elle s'inclina. De-là cette diversité de phénomènes naturels dont il est parlé dans les mémoires qui nous restent des premiers temps, qui ont eu lieu, et qui ont cessé ; les âges d'or et de fer, etc.

Ce petit nombre de suppositions lui suffit pour justifier la cosmogomie de Moïse avec toutes ses circonstances.

Il passe de-là à la conflagration générale et à ses suites ; et si l'on veut oublier quelques observations qui ne s'accordent point avec l'hypothèse de Burnet, on conviendra qu'il était difficîle d'imaginer rien de mieux. C'est une fable qui fait beaucoup d'honneur à l'esprit de l'auteur.

D'autres abandonnèrent la physique, et tournèrent leurs vues du côté de la morale, et s'occupèrent à la conformer à la loi de l'Evangîle ; on nomme parmi ceux-ci Seckendorf, Boècler, Paschius, Geuslengius, Becman, Wesenfeld, etc. Les uns se tirèrent de ce travail avec succès ; d'autres brouillèrent le christianisme avec différents systèmes d'éthique tant anciens que modernes, et ne se montrèrent ni philosophes ni chrétiens. Voyez la morale chrétienne de Crellius, et celle de Danée, il règne une telle confusion dans ces ouvrages, que l'homme pieux et l'homme simple ne savent ni ce qu'ils doivent faire, ni ce qu'ils doivent s'interdire.

On tenta aussi d'allier la politique avec la morale du Christ, au hasard d'établir pour la société en général des principes qui, suivis à la lettre, la réduiraient en un monastère. Voyez là-dessus Budée, Fabricius et Pfaffius.

Valentin Alberti prétend qu'on n'a rien de mieux à faire pour poser les vrais fondements du droit naturel, que de partir de l'état de perfection, tel que l'Ecriture-sainte nous le représente, et de passer ensuite aux changements qui se sont introduits dans le caractère des hommes sous l'état de corruption. Voyez son Compendium juris naturalis orthodoxiae Theologiae conformatum.

Voici un homme qui s'est fait un nom au temps où les esprits voulaient ramener tout à la révélation. C'est Jean Amos Comenius. Il nâquit en Moravie l'an 1592. Il étudia à Herborn. Sa patrie était alors le théâtre de la guerre. Il perdit ses biens, ses ouvrages, et presque sa liberté. Il alla chercher un asîle en Pologne. Ce fut-là qu'il publia son Janua linguarum reserata, qui fut traduit dans toutes les langues. Cette première production fut suivie du Synopsis physicae ad lumen divinum reformatae. On l'appela en Suisse et en Angleterre. Il fit ces deux voyages. Le comte d'Oxenstiern le protegea, ce qui ne l'empêcha pas de mener une vie errante et malheureuse. Allant de province en province et de ville en ville, et rencontrant la peine par-tout, il arriva à Amsterdam. Il aurait pu y demeurer tranquille ; mais il se mit à faire le prophète, et l'on sait bien que ce métier ne s'accorde guère avec le repos. Il annonçait des pertes, des guerres, des malheurs de toute espèce, la fin du monde, qui durait encore, à son grand étonnement, lorsqu'il mourut en 1671. Ce fut un des plus ardents défenseurs de la physique de Moïse. Il ne pouvait souffrir qu'on la décriât, surtout en public et dans les écoles. Cependant il n'était pas ennemi de la liberté de penser. Il disait du chancelier Bacon, qu'il avait trouvé la clef du sanctuaire de la nature ; mais qu'il avait laissé à d'autres le soin d'ouvrir. Il regardait la doctrine d'Aristote comme pernicieuse ; et il n'aurait pas tenu à lui qu'on ne brulât tous les livres de ce philosophe, parce qu'il n'avait été ni circoncis ni baptisé.

Bayer n'était pas plus favorable à Aristote ; il prétendait que sa manière de philosopher ne conduisait à rien, et qu'en s'y assujettissant on disputait à l'infini, sans trouver un point où l'on put s'arrêter. On peut regarder Bayer comme le disciple de Comenius. Outre le Fil du labyrinte, on a de lui un ouvrage intitulé, Fundamenta interpretationis et administrationis generalia ex mundo, mente et Scripturis jacta, ou Ostium vel atrium naturae schnographicè delineatum. Il admet trois principes ; la matière, l'esprit et la lumière. Il appelle la matière la masse mosaïque ; il la considère sous deux points de vue, l'un de première création, l'autre de seconde création. Elle ne dura qu'un jour dans son état de première création ; il n'en reste plus rien. Le monde, tel qu'il est, nous la montre dans son état de seconde création. Pour passer de-là à la genese des choses, il pose pour principe que la masse unie à l'esprit et à la lumière constitue le corps ; que la masse était informe, discontinue, en vapeurs, poreuse et cohérente en quelque sorte ; qu'il y a une nature fabricante, un esprit vital, un plasmateur mosaïque, des ouvriers externes, des ouvriers particuliers ; que chaque espèce a le sien, chaque individu ; qu'il y en a de solitaires et d'universaux ; que les uns peuvent agir sans le concours des autres ; que ceux-ci n'ont de pouvoir que celui qu'ils reçoivent, etc. Il déduit l'esprit vital de l'incubation de l'Esprit-saint ; c'est l'esprit vital qui forme les corps selon les idées de l'incubateur ; son action est ou médiate ou immédiate, ou interne ou externe ; il est intelligent et sage, actif et pénétrant ; il arrange, il vivifie, il ordonne ; il se divise en général et particulier, en naturel et accidentel, en terrestre et céleste, en sidéréal et élémentaire, substantifique, modifiant, etc. L'esprit vital commence, la fermentation acheve. A ces deux principes, il en ajoute un instrumental, c'est la lumière ; être moyen entre la masse ou la matière et l'esprit ; de-là naissent le mouvement, le froid, le chaud, et une infinité de mots vides de sens, et de sottises que je n'ai pas le courage de rapporter, parce qu'on n'aurait pas la patience de les lire.

Il s'ensuit de ce qui précède, que tous ces auteurs plus instruits de la religion, que versés dans les secrets de la nature, n'ont servi presque de rien au progrès de la véritable philosophie.

Qu'ils n'ont point éclairci la religion, et qu'ils ont obscurci la raison.

Qu'il n'a pas dépendu d'eux qu'ils n'aient déshonoré Moïse, en lui attribuant toutes leurs rêveries.

Qu'en voulant éviter un écueil, ils ont donné dans un autre ; et qu'au lieu d'illustrer la révélation, ils ont par un mélange insensé, défiguré la philosophie.

Qu'ils ont oublié que les saintes Ecritures n'ont pas été données aux hommes pour les rendre physiciens, mais meilleurs.

Qu'il y a bien de la différence entre les vérités naturelles contenues dans les livres sacrés, et les vérités morales.

Que la révélation et la raison ont leurs limites, qu'il ne faut pas confondre.

Qu'il y a des circonstances où Dieu s'abaisse à notre façon de voir, et qu'alors il emprunte nos idées, nos expressions, nos comparaisons, nos préjugés-mêmes.

Que s'il en usait autrement, souvent nous ne l'entendrions pas.

Qu'en voulant donner à tout une égale autorité, ils méconnaissaient toute certitude.

Qu'ils arrêteront les progrès de la philosophie, et qu'ils avanceront ceux de l'incrédulité.

Laissant donc de côté ces systèmes, nous acheverons de leur donner tout le ridicule qu'ils méritent, si nous exposons l'hypothèse de Moïse telle que Comenius l'a introduite.

Il y a trois principes des choses, la matière, l'esprit et la lumière.

La matière est une substance corporelle, brute, ténebreuse et constitutive des corps.

Dieu en a créé une masse capable de remplir l'abîme créé.

Quoiqu'elle fût invisible, ténébreuse et informe, cependant elle était susceptible d'extension, de contraction, de division, d'union, et de toutes sortes de figures et de formes.

La durée en sera éternelle, en elle-même et sous ses formes ; il n'en peut rien périr ; les liens qui la lient sont indissolubles ; on ne peut la séparer d'elle-même, de sorte qu'il reste une espèce de vide au milieu d'elle.

L'esprit est une substance déliée, vivante par elle-même, invisible, insensible, habitante des corps et végétante.

Cet esprit est infus dans toute la masse rude et informe ; il est primitivement émané de l'incubation de l'Esprit-saint ; il est destiné à l'habiter, à la pénétrer, à y régner, et à former par l'entremise de la lumière, les corps particuliers, selon les idées qui leur sont assignées, à produire en eux leurs facultés, à coopérer à leur génération, et à les ordonner avec sagesse.

Cet esprit vital est plastique.

Il est ou universel ou particulier, selon les sujets dans lesquels il est diffus, et selon le rapport des corps auxquels il préside ; naturel ou accidentel, perpétuel ou passager.

Considéré relativement à son origine, il est ou primordial, ou seminal, ou minéral, ou animal.

En qualité de primordial, il est au dessus du céleste, ou sideré, ou élémentaire ; et partie substantifiant, partie modifiant.

Il est seminal, eu égard à sa concentration générale.

Il est minéral, eu égard à sa concentration spécifique d'or, ou de marbre.

Il se divise encore en vital, relativement à sa puissance et à ses fonctions ; et il est total ou principal, et dominant ou partiel, et subordonné et allié.

Considéré dans sa condition, il est libre ou lié, assoupi ou fermentant, lancé ou retenu, etc.

Ses propriétés sont d'habiter la matière, de la mouvoir, de l'égaler ; de préserver les idées particulières des choses, et de former les corps destinés à des opérations subséquentes.

La lumière est une substance moyenne, visible par elle-même et mobile, brillante, pénétrant la matière, la disposant à recevoir les aspects, et efformatrice des corps.

Dieu destina la matière dans l'œuvre de la création à être un instrument universel, à introduire dans la masse toutes les opérations de l'esprit, et à les signer chacune d'un caractère particulier, selon les usages divers de la nature.

La lumière est ou universelle et primordiale, ou produite et caractérisée.

Sa partie principale s'est retirée dans les astres qui ont été répandus dans le ciel pour tous les usages différents de la nature.

Les autres corps n'en ont pris ou retenu que ce qu'il leur en fallait pour les usages à venir auxquels ils étaient préparés.

La lumière remplit ses fonctions par son mouvement, son agitation et ses vibrations.

Ces vibrations se propagent du centre à la circonférence, ou sont renvoyées de la circonférence au centre.

Ce sont elles qui produisent la chaleur et le feu dans les corps sublunaires. Sa source éternelle est dans le soleil.

Si la lumière se retire, ou revient en arrière, le froid est produit, la lune est la région du froid.

La lumière vibrée et la lumière retirée sont l'une et l'autre ou dispersées, ou réunies, ou libres et agissantes, ou retenues ; c'est selon les corps où elles résident : elles sont aussi sous cet aspect, ou naturelles et originaires, ou adventices ou occasionnelles, ou permanentes et passageres, ou transitoires.

Ces trois principes diffèrent entr'eux, et voici leurs différences. La matière est l'être premier, l'esprit l'être premier vivant, la lumière l'être premier mobîle ; c'est la forme qui survient qui les spécifie.

La forme est une disposition, une caractérisation des trois premiers principes, en conséquence de laquelle la masse est configurée, l'esprit concentré, la lumière tempérée ; de manière qu'il y a entr'eux une liaison, une pénétration réciproque et analogue à la fin que Dieu a prescrit à chaque corps.

Pour parvenir à cette fin, Dieu a imprimé aux individus des vestiges de sa sagesse, et des causes agissant extérieurement, les esprits reçoivent les idées, les formes, les simulacres des corps à engendrer, la connaissance de la vie, des procédés et des moyens, et les corps sont produits comme il l'a prévu de toute éternité dans sa volonté et son entendement.

Qu'est-ce que les éléments, que les portions spécifiées de matière terrestre, différenciées particulièrement par leur densité et leur rareté.

Dieu a voulu que les premiers individus ou restassent dans leur première forme, ou qu'ils en engendrassent de semblables à eux, imprimant et propageant leurs idées et leurs autres qualités.

Il ne faut pas compter le feu au nombre des éléments, c'est un effet de la lumière.

De ces trois principes naissent les principes des Chimistes.

Le mercure nait de la matière jointe à l'esprit, c'est l'aqueux des corps.

De l'union de l'esprit avec la lumière nait le sel, ou ce qui fait la consistance des corps.

De l'union de la matière et du feu ou de la lumière, nait le soufre.

Grande portion de matière au premier ; grande portion d'esprit au second ; grande portion de lumière au troisième.

Trais choses entrent dans la composition de l'homme, le corps, l'esprit et l'âme.

Le corps vient des éléments.

L'esprit, de l'âme du monde.

L'ame, de Dieu.

Le corps est mortel, l'esprit dissipable, l'âme immortelle.

L'esprit est l'organe et la demeure de l'âme.

Le corps est l'organe et la demeure de l'esprit.

L'ame a été formée de l'âme du monde qui lui préexistait, et cet esprit intellectuel diffère de l'esprit vital en degré de pureté et de perfection.

Voilà le tableau de la Physique mosaïque de Comenius. Nous ne dirons de la Morale, qu'il désignait aussi par l'épithète de mosaïque, qu'une chose ; c'est qu'il réduisait tous les devoirs de la vie aux préceptes du Décalogue.

MOSAIQUE, s. f. (Art mécanique) on entend par mosaïque non-seulement l'art de tailler et polir quantité de marbres précieux de différentes couleurs, mais encore celui d'en faire un choix convenable, de les assembler par petites parties de différentes formes et grandeurs sur un fond de stuc, préparé à cet effet, pour en faire des tableaux représentant des portraits, figures, animaux, histoires et paysages, des fleurs, des fruits et toute sorte de desseins imitant la peinture.

On donnait autrefois différents noms à la mosaïque, à cause de ses variétés ; les uns l'appelaient musaique, du latin musivum, qui signifie en général un ouvrage délicat, ingénieux, et bien travaillé ; &, selon Scaliger, du grec , parce que ces sortes d'ouvrages étaient fort polis : en effet, se prennent en ce sens chez les Grecs ; les autres l'appelaient musibum, comme on le voit encore dans quelques manuscrits, et surtout dans les inscriptions de Gruter ; d'autres lui ont donné les noms de musaïcum, museacum et mosiacum, de museis, comme le rapporte Jean-Louis Vives ; lib. XVI. S. Augustin, de civitate Dei ; d'autres encore le font dériver du grec , musico cantu, ou d'un mot hébreu, qui veut dire mélange ; mais Nebricensis et quelques autres craient, et ce qui parait plus vraisemblable, qu'il dérive du grec , muse, parce que, dit-il, il fallait beaucoup d'art pour ces sortes de peintures, et que la plupart servaient d'ornement aux muses.

L'usage de faire des ouvrages de mosaïque est, selon quelques auteurs, fort ancien. Plusieurs prétendent que son origine vient des Perses qui, fort curieux de ces sortes d'ouvrages, avaient excité les peuples voisins à en faire d'exactes recherches. Nous voyons même dans l'Ecriture sainte qu'Assuérus leur roi, fit construire de son temps un pavé de marbre si bien travaillé, qu'il imitait la peinture. D'autres assurent que cet art prit naissance à Constantinople, fondés sur ce que cette ville était de leur temps la seule dont presque toutes les églises et les bâtiments particuliers en étaient décorés, et que delà il s'est répandu dans les autres provinces de l'Europe. En effet, on en transporta des confins de ce royaume chez les peuples voisins d'Assyrie, de-là en Grèce, et enfin, selon Pline, du temps de Sylla, on en fit venir dans le Latium pour augmenter les décorations des plus beaux édifices. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il commença à paraitre vers le temps d'Auguste, sous le nom d'une nouvelle invention. C'était une façon de peindre des choses de conséquence avec des morceaux de verre qui demandaient une préparation particulière. Cette préparation consistait dans la façon de le fondre dans des creusets ; dans celle de le couler sur des marbres polis, et dans celle de le tailler par petits morceaux, soit avec des tranchans, soit avec des scies faites exprès, et de les polir pour les assembler ensuite sur un fond de stuc. (On peut voir dans les ouvrages de Nerius un fort beau traité sur cette partie.) A ces morceaux de verre succédèrent ceux de marbre, qui exigeaient alors beaucoup moins de difficultés pour la taille ; enfin cet art négligé depuis plusieurs siècles, a été ensuite abandonné, surtout depuis que l'on a trouvé la manière de peindre sur toutes sortes de métaux, qui est beaucoup plus durable, n'étant pas sujette, comme la première, à tomber par écailles après un long temps. On lui donnait autrefois le nom de marqueterie en pierre, que l'on distinguait de marqueterie en bois, ou ébénisterie ; et sous ce nom l'on comprenait non seulement l'art de faire des peintures par pierres de rapport, mais encore celui de faire des compartiments de pavé de différents desseins, comme l'on en voit dans plusieurs de nos églises ou maisons royales, ouvrage des marbriers. Ce sont maintenant ces ouvriers qui sont chargés de ces sortes d'ouvrages, comme travaillant en marbre de différente manière.

La mosaïque se divise en trois parties principales, la première a pour objet la connaissance des différents marbres propres à ses ouvrages ; la deuxième est la manière de préparer le mastic qui doit les recevoir, celle de l'appliquer sut les murs, pavés et autres lieux que l'on veut orner de ces sortes de peintures, pour y poser ensuite les différentes petites pièces de marbres ; et la troisième est l'art de joindre ensemble ces mêmes marbres ; et de les polir avec propreté pour en faire des ouvrages qui imitent la peinture.

Première partie. Des marbres. Les marbres se trouvant expliqués fort au long à l'article de la MAÇONNERIE, nous nous contenterons ici de les désigner simplement par leurs noms.

Des marbres antiques.

Des marbres modernes.

Des marbres dits breches modernes.

II Partie. De la manière de préparer le stuc. Le stuc dont on se sert pour ainsi dire par-tout maintenant, au-lieu de marbre, et qui est une composition particulière qui l'imite parfaitement, est une espèce de mastic que l'on applique sur les murs où l'on veut faire de la mosaïque, et sur lequel on pose toutes les petites pièces de marbre qui réunies ensemble, doivent imiter la peinture et former tableau. Il s'en fait de plusieurs manières, selon l'industrie et le génie des ouvriers.

Celle dont on se servait autrefois consistait dans une portion de chaux éteinte (on appelle chaux éteinte, celle qui a été amortie par l'eau), sur trois de poudre de marbre, que l'on mêlait avec des blancs d'œufs et de l'eau ; ce qui formait une masse que l'on appelait mortier. Mais l'usage et l'expérience nous ont appris que ce mastic ne pouvait nous être d'aucun usage, s'endurcissant si promptement que les ouvriers n'avaient pas le temps d'unir leurs pierres ensemble.

La matière que l'on emploie actuellement le plus communément, et qui est beaucoup meilleure que la précédente, consiste dans une portion de chaux éteinte, environ ce qu'en peut contenir un instrument avec lequel on la porte en Italie appelé schiffo, qui est à-peu-près la valeur d'un pied cube, sur trois de poudre de marbre de Tibur, et non d'autre espèce, comme le remarquent plusieurs auteurs, mêlé ensemble, non avec de l'eau, mais avec de l'huîle de lin, que l'on remue tous les jours avec un morceau de fer. La première quantité est de 80 livres, que l'on augmente jusqu'à ce que le tout soit bien pris ; ce qui se connait lorsque la masse entière devenant unie, s'enfle de jour en jour en forme de pyramide, et l'eau qui était dans la chaux s'évapore : on y remet de l'huîle tous les jours, de peur qu'elle ne se desseche, ce qui arrive cependant plus ou moins, selon la température des climats, des saisons, etc. Cette masse est ordinairement en été dixhuit ou vingt jours à acquérir son degré de perfection, et dans les autres temps de l'année davantage, à proportion de l'humidité de l'air, et de la rigueur des saisons ; de sorte qu'en hiver un mois entier ne suffit quelquefois pas pour la sécher : ce degré se connait lorsque le mélange cessant de s'élever ; l'eau qui était dans la chaux étant évaporée, elle demeure dans un état fixe, comme une espèce d'onguent ; ce temps passé l'huîle de lin s'évapore à son tour, et la poudre de marbre mêlée avec la chaux demeurant intimement liées, se durcissent et ne font plus qu'un corps solide.

Si l'on était pressé, on pourrait paitrir dans ses mains de la chaux éteinte réduite en poudre, avec trois fois autant de poudre de marbre de Tibur, mêlée d'huîle de lin, avec quoi l'on ferait un mastic semblable au précèdent.

De la manière de préparer le mastic. Pour préparer les murs, pavés, et autres choses semblables à recevoir la mosaïque, il faut y appliquer le mastic ; et pour cet effet, on enfonce auparavant dans ces murs de forts clous, à tête large, disposés en échiquier, espacés les uns des autres d'environ deux pouces à deux et demi ; on les frotte ensuite avec un pinceau trempé dans l'huîle de lin : au bout de quelques heures ou plus, selon l'humidité du temps, on garnit de mastic le pourtour de la tête de ces clous par petits morceaux, appliqués de plus en plus les uns sur les autres, jusqu'à ce qu'étant bien liés sur les murs, ils ne forment plus qu'un tout que l'on dresse alors à la règle ; on en fait environ 3 à 4 taises au plus de suite, pour qu'il ne se puisse durcir avant que l'on ait placé les petits morceaux de marbre que l'on joint bien proprement les uns contre les autres en les attachant au mastic ; lorsque tout l'ouvrage est bien pris, on le polit à la pierre-ponce bien également par-tout.

Si le mur était en pierre dure, et que l'on ne put y enfoncer des clous, il faudrait alors y faire des trous à queue d'aronde, c'est-à-dire plus larges au fond que sur les bords, d'environ un pouce en carré sur la même profondeur, espacés les uns des autres de deux pouces et demi à trois pouces, disposés en échiquier, que l'on emplirait ensuite de mastic, comme auparavant par petits morceaux les uns sur les autres, et bien liés ensemble. Ces trous assez près les uns des autres, à queue d'aronde et remplis d'un mastic qui, lorsqu'il est dur, ne peut plus ressortir, forment une espèce de chaîne qui retient très-solidement la masse.

On peut encore préparer ces murs d'une autre manière, en y appliquant des ceintures ou bandes de fer entrelacées ; mais ce moyen augmente alors considérablement la dépense.

S'il arrivait que l'on voulut faire des portraits, paysages, histoires et autres tableaux portatifs, tels que l'on en faisait autrefois, ce qui s'exécute ordinairement sur le bois, il faudrait y enfoncer des clous à large tête, et y appliquer ensuite le mastic, de la manière que nous l'avons vu.

III. partie. Des ouvrages de mosaïque. La mosaïque étant un composé de petits morceaux de marbre de diverses formes joints ensemble, les habiles ouvriers exigent que chacun d'eux soit d'une seule couleur, de manière que les changements et diminutions de couleurs et de nuances, s'y fassent par différentes pierres réunies les unes contre les autres, comme elles se font dans la tapisserie par différents points dont chacun n'est que d'une seule couleur. Aussi est-il nécessaire qu'ils soient travaillés et rejoints avec beaucoup d'art, et que le génie de l'ouvrier soit riche, pour produire l'agréable diversité qui en fait toute la beauté et le charme. On voit encore en Italie, quantité de ces ouvrages. Ciampinus a fait graver la plus grande partie de ceux qui lui ont paru les plus beaux ; on voit aussi dans plusieurs de nos maisons royales quelques portraits, paysages, etc. encore existants de ces sortes d'ouvrages.

On divisait anciennement les ouvrages de mosaïque en trois espèces ; la première était de ceux que l'on nommait grands, qui avaient environ dix pieds en carré au-moins ; on les employait à tout ce qu'on pouvait appeler pavé, exposé et non exposé aux injures de l'air ; on n'y représentait aucune figure d'hommes ni d'animaux, mais seulement des peintures semblables à celles que l'on nomme arabesques ; on peut voir dans l'art de Marbrerie quantité de ces sortes de pavés. La deuxième espèce était de ceux que l'on appelait moyens, qui avaient au-moins deux pieds en carré, et étaient composés de pierres moins grandes, par conséquent en plus grande quantité, et exigeaient aussi plus de délicatesse et de propreté que les autres. La troisième espèce était de ceux que l'on nommait petits, ces derniers qui allaient jusqu'à un pied en carré étaient les plus compliqués par la petitesse des pierres dont ils étaient composés, la difficulté de les assembler avec propreté, et l'énorme quantité des figures qui allait jusqu'à deux millions.

La fig. 1. Pl. I. représente un paysage de la première espèce, que le savant Marie Suarez, évêque de Vaison, contemporain de Ciampinus, a apporté lui-même à Preneste sa patrie ; on y voit sur le devant un pêcheur monté sur sa barque parcourant les bords du Nil.

La fig. 2. Pl. II. est un autre paysage de la dernière espèce, exécuté dans l'église de S. Alexis à Rome, dont le fond représente le palais d'un prince souverain sur les bords du Nil ou de quelque autre grand fleuve, au-devant duquel sont deux barques de pêcheurs, dont l'une Ve à la voile.

La fig. 3. représente un assemblage de quelques animaux de diverses espèces exécutés sur le pilastre qui soutient l'arc de triomphe en face du sanctuaire, dans l'église de sainte Marie, au-delà du Tibre.

La fig. 4. représente Europe, fille d'Agenor, roi de Phénicie, enlevée par Jupiter changé en taureau, trait assez connu dans Ovide. Ce tableau conservé dans le palais du prince Barberin, porte environ deux pieds et demi en carré, et a été trouvé dans un lieu appelé communément l'Aréione, proche les murs de la ville de Préneste, parmi les débris de marbre de différente façon, qu'on a employés dans la suite à décorer des colonnes de différents ordres.

La fig. 5. Pl. III. est une statue trouvée dans quelques anciens monuments au-delà de la porte Asinaria, appelée maintenant la rue Latine de S. Jean. Cette figure plongée dans l'obscurité, semble représenter le Sommeil tenant en sa main gauche trois fleurs appelées pavots, attributs de cette divinité. A l'égard de ce qu'elle tenait de la main droite, et que le temps a fait tomber ; on croit selon la fiction des Poètes qu'elle portait une corne qui contenait de l'eau du fleuve Lethé.

La fig. 6. est une seconde représentation de l'enlevement d'Europe par Jupiter, faite sur le pavé rapporté par le célèbre et savant Charles-Antoine ***.

La fig. 7. est un tableau d'environ sept pieds de hauteur sur dix de largeur, en marbre blanc et noir, dont nous sommes redevables au célèbre abbé Ambraise Spezia, représentant trois dauphins, deux écrevisses de mer, un polype, Neptune avec son trident ou quelqu'autre dieu marin. Vers le bas de cette figure on découvre les vestiges de trois autres poissons dont l'un n'est pas connu, un autre semble être un veau marin et le dernier un cheval ; d'où l'on pourrait conjecturer qu'il y avait là des eaux qui contenaient ces sortes de poissons.

La Pl. IV. est un paysage en mosaïque de la dernière espèce, trouvé en la ville de Palestrine, dans les ruines d'un édifice dont la destination est encore incertaine ; les uns craient que c'était un temple dédié à la Fortune, d'autres que c'était un lieu où l'empereur Antonin faisait élever un certain nombre de jeunes filles ; mais la plupart fondés sur différentes inscriptions qu'on y trouva en même temps, et par les débris qui en restaient, assurent que c'était le fameux temple de Serapis, divinité célèbre, révérée des anciens Romains.

Cette planche représente un canton de la haute Egypte où le Nil débordé se répand dans la campagne ; du milieu de ses eaux s'élèvent des pointes de rochers où les oiseaux viennent se reposer ; les édifices sont séparés par des canaux couverts de barques et de bateaux, qui selon Maillet servent de communication les uns aux autres pendant l'inondation de ce fleuve.

A est un temple orné de guirlandes dorées, et couvert dans sa face antérieure d'un voîle de pourpre au dessus duquel est l'empereur Hadrien tenant entre ses mains un vase qu'il a reçu d'un prêtre ; il est suivi d'une troupe d'officiers et de soldats, dont une partie sont sur la galere qui Ve le joindre. Ce prince Ve au-devant de la ville de Sienne, où l'Eléphantine ; que quelques-uns ont pris pour la Victoire, recevoir une palme et un diadème.

B est probablement la demeure des ministres de ce temple, près de laquelle est un parc destiné à renfermer des troupeaux et des animaux sacrés.

C est un autre temple où sont des prêtres égyptiens en habits de lin, couronnés de fleurs et rasés, dont six forment un chœur de musique ; quatre portent un chandelier posé sur une table carrée qu'on croit être le tombeau d'Osiris, et les autres portent sur de longs bâtons les effigies symboliques des divinités égyptiennes.

Près de-là, sur un grand piédestal de marbre de couleur, est représentée la statue d'Anubis.

D est la maison d'un père de famille avec un colombier, titre qui n'existait qu'avec le mariage, près de laquelle est une barque avec voîle et maison, plus bas sont quelques bateaux de pêcheurs.

E est une légère représentation des fêtes de l'Egypte, c'est un berceau chargé des fruits de la vigne, appuyé de deux côtés sur deux iles, dans l'intervalle desquelles coulent tranquillement les eaux du Nil ; aux deux côtés sont deux banquettes où sont assises des figures égyptiennes tenant des vases à boire et des instruments de musique ; au-dessus, au-dessous et à côté de ce berceau sont trois bateliers occupés à ramasser dans le Nil du lotus, plante qui sert de nourriture aux Egyptiens et aux Ethiopiens pendant une partie de l'année.

F est une cabane à l'entrée de laquelle sont deux paysans ou pêcheurs, dont l'un tient un trident ou harpon à trois pointes propre à prendre des gros poissons, qu'on trouve quelquefois dans le Nil.

Plus loin en G sont des Egyptiens montés sur une barque sans voîle avec une maison, après avoir percé de deux traits un hippopotame.

H ils en lancent d'autres.

I un autre hippopotame qui fuit et se cache dans les roseaux.

Au-dessus en K sont des figures debout dont les unes semblent être les ministres du temple voisin, environné d'obélisques et de tours, dont une leur sert de demeure. Celui qui tient un trident est un pêcheur que quelques-uns ont pris pour Neptune.

Près de-là est un puits, espèce de nilomètre qui servait à mesurer les accroissements et décroissements du Nil.

L est un autre temple à-peu-près semblable au précédent, mais décoré de guirlandes, et flanqué de deux maisons.

M sont deux maisons en tours carrées, une en tour ronde servant de retraite aux ibis, espèce de courlis, animaux volatiles, et deux cabanes couvertes de chaume ; près de-là est une barque avec voîle et sans maison.

On voit en N un édifice considérable sur les bords du Nil, propre à nous donner une idée générale des palais d'Egypte.

Le haut de cette planche représente la retraite des animaux pendant les inondations de ce fleuve ; aussi les Ethiopiens n'ayant alors d'autres ressources que la chasse, ont beaucoup plus de facilité à les poursuivre ; il en est de toute espèce, qui portent chacun leur nom en particulier, dont la plupart ont été altérés par la longueur des temps et les différentes révolutions que cet ouvrage a éprouvées.

, rhinoceros, est un animal assez connu ; , ou plutôt , est un animal dont le nom a souffert quelques légères altérations ; le mot grec signifie cochon, singe : en effet il tenait de la nature de l'un et de l'autre.

ou , semblent être deux sangliers ; ce sont deux animaux de la grosseur des hippopotames, qu'on nommait chez les Ethiopiens eolé.

, se rapporte à l'animal inférieur ; il faudrait lire , lésard.

, est un nom dont on n'a pu fixer la lecture ni l'explication.

, est une lionne avec son lionceau.

, est une espèce de singe qui ressemble beaucoup au cheval ; c'est, selon quelques-uns, le lynx des anciens que d'autres croient être un loup-cervier.

, n'a aucune signification déterminée.

, est un crocodile-panthere, animal extraordinaire dont les anciens peuplaient l'Afrique ; et non pas celui de mer, comme on le pourrait croire par opposition à celui qui suit.

, est le crocodîle terrestre.

Au-dessus de ce dernier assis sur un rocher, est un singe dont le nom a disparu.

, sont des tigres. Près de-là est un serpent appelé, à cause de sa grosseur, le serpent géant : c'est un animal qui rampe sur les rochers ; on en trouve d'énormes en Ethiopie et dans les îles que forme le Nil.

ou plutôt , chèvre sauvage. Cet animal ressemble plus à une brebis qu'à une chèvre, mais plus encore à une chèvre qu'à un sanglier ; ainsi est une faute dans la gravure de 1721.

, honocentaure ; animal à longue crinière, qui tient de la nature de l'homme et de celle de l'âne ; il se sert de ses mains indifféremment pour courir ou pour tenir quelque chose. M. de Jussieu croit que c'est une espèce de singe que l'on nomme callitriche.

, vraisemblablement , nabnu, ainsi appelé par les Ethiopiens. Il a, dit-on, la tête d'un chameau, le col d'un cheval, les pieds et les cuisses d'un bœuf ; sa couleur rougeâtre, entremélée de taches blanches, l'a fait nommer par d'autres caméléopard.

, est une espèce de singe d'Ethiopie à tête de lion. Près de cet animal, est un paon perché sur un arbre.

, animal originaire d'Ethiopie, qui, selon plusieurs auteurs, tient beaucoup de la nature du loup et de celle du chien.

.... nom qui a été défiguré dans le monument ; ce sont des caméléopards, ainsi nommés parce qu'ils ont le col du chameau, et des taches sur la peau comme les léopards. Ces animaux ont la tête du cerf avec des cornes de six doigts, la queue fort petite, et les pieds fourchus.

Près de-là, sont deux crabes dans l'eau, un singe sur un rocher, et un animal nommé qui a disparu avec son nom.

, le nom et l'animal sont également inconnus.

ou et non pas , comme on le voit dans la gravure de 1721. On croirait d'abord que ce sont des thos, espèce de loups-cerviers qu'on fait venir d'un loup et d'une léoparde ; cependant cette conjecture est contredite par le nom et la figure de ces animaux, qu'on prendrait plutôt pour un lion et une panthere. Près de là, est un serpent géant qui s'est saisi d'un canard qui vient d'être tué par les chasseurs.

, enhydris, nom commun à la loutre et à une espèce de serpent. Ce sont deux tortues d'eau et deux loutres, tenant chacune un poisson à la bouche.

Des outils. Les outils propres aux ouvrages de mosaïques sont presque les mêmes que ceux qui appartiennent à la marbrerie. L'emploi du marbre étant le seul objet de ces deux arts, la plupart de ceux que l'on voit dans la Planche V. sont une augmentation de ceux placés dans ce dernier, et particuliers à la mosaïque.

La figure première, Pl. V. est un composé d'environ deux cent cases particulières assemblées les unes contre les autres, contenant chacune une certaine quantité de petites pièces de marbre d'une même couleur, appuyée sur une table A A, posée sur deux traiteaux d'assemblage B B.

La fig. 2. est un établi A A, à pieds d'assemblage B B, sur lequel est posé un étau de bois, composé de jumelle dormante C, jumelle mouvante D, et vis à écroux E, dans lequel sont des petits morceaux de marbre F disposés pour être travaillés ; G est une sebille qui contient de l'émeril qui aide à scier le marbre.

La fig. 3. est une petite sciotte, propre aux ouvrages délicats, composée d'un fer A et de sa monture de bois B.

La fig. 4. est un petit compas droit, propre à lever des distances par ses pointes A A.

La fig. 5. est un petit compas à pointes courbes, appelé compas d'épaisseur, fait pour lever des épaisseurs par ses pointes A A.

La fig. 6. est un archet, composé d'une corde à boyau A, tendue sur un arc de baleine B.

La fig. 7. est un trépan, aciéré en A, et à pointe arrondie en B, ajusté dans la boite C, servant avec le secours de l'archet, fig. 6. à percer des trous. On peut voir dans l'art de marbrerie cette opération de deux manières différentes.

La fig. 8. est une lime quarrelette d'Angleterre A, emmanchée en B, faite pour limer et polir le marbre.

La fig. 9. est une pince, faite pour prendre les petites pièces de marbre, et les appliquer plus facilement sur le mastic ; il en est de plus petites ou de plus grandes selon la grandeur des ouvrages.

La fig. 10. est une pince, faite d'une autre manière, à charnière A. Article de M. LUCOTTE.

MOSAÏQUE, en Peinture, espèce de peinture faite avec de petites pierres coloriées et des aiguilles de verre compassées et rapportées ensemble, de manière qu'elles imitent dans leur assemblage, le trait et la couleur des objets qu'on a voulu représenter.

Pour exécuter cet art, il saut, avant toutes choses, avoir le tableau peint, soit en grand, soit en petit, de l'ouvrage qu'on veut imiter, et avoir aussi les desseins au net de la grandeur de chaque partie de l'ouvrage ; ce qu'on appelle cartons. On se sert de petites pierres de toutes sortes de forme et de couleur, qu'on distribue suivant leur nuance, dans différentes boètes ou paniers. Ces petites pierres doivent avoir une face lisse et plate, mais il ne faut point qu'elles soient polies à leur surface extérieure ; car on n'y verrait pas la couleur lorsqu'elle réfléchirait la lumière. Le dessein ou carton de chaque partie de l'ouvrage doit être piqué ; cela fait, on mouille un peu la place de l'enduit qui a été préparé, comme dans la peinture à fresque ; alors on ponce cette place avec de la pierre noire pilée ; ensuite l'on passe du mortier très-fin, d'une épaisseur médiocre et égale, sur chaque endroit qui n'est pas marqué par le trait du dessein, afin de conserver et de mettre dans les contours les petites pierres, en les trempant dans le mortier liquide qu'on a soin d'avoir auprès de soi. Quand on veut dorer dans cette espèce de peinture, on se sert de petites pièces de verre blanc, épais et doré au feu d'un côté. La mosaïque subsiste d'ordinaire autant que le pavé ou le mur sur lequel elle est employée, sans altération de couleur.

Il nous reste en mosaïque un grand nombre de morceaux de la main des anciens. On voit, par exemple, dans le palais que les Barberins ont fait bâtir dans la ville de Palestrine, à 25 milles de Rome, un grand morceau de mosaïque, qui peut avoir 12 pieds de long, sur dix de hauteur, et qui sert de pavé à une espèce de grande niche, dont la voute soutient les deux rampes séparées, par lesquelles on monte au premier palier du principal escalier de ce bâtiment. Ce superbe morceau est une espèce de carte géographique de l'Egypte, &, à ce qu'on prétend, le même pavé que Sylla avait fait placer dans le temple de la Fortune Prénestine, et dont Pline parle au vingt-cinquième chapitre du trente-sixième livre de son histoire. Il se voit gravé en petit dans le Latium du P. Kircher ; mais en 1721 le cardinal Charles Barberin le fit graver en quatre grandes feuilles. L'ancien artiste s'est servi, pour embellir sa carte, de plusieurs espèces de vignettes, telles que les Géographes en mettent pour remplir les places vides de leurs cartes. Ces vignettes représentent des hommes, des animaux, des bâtiments, des chasses, des cérémonies, et plusieurs points de l'histoire morale et naturelle de l'Egypte ancienne. Le nom des choses qui y sont dépeintes, est écrit au-dessus en caractères grecs, à-peu-près comme le nom des provinces est écrit dans une carte générale du royaume de France. On voit encore à Rome et dans plusieurs endroits de l'Italie, des fragments de mosaïque antique, dont la plupart ont été gravés par Pietro Santi Bartoldi, qui les a insérés dans ses différents recueils.

Les incrustations de la galerie de sainte Sophie à Constantinople sont des mosaïques faites la plupart avec des dez de verre, qui se détachent tous les jours de leur ciment ; mais leur couleur est inaltérable. Ces dez de verre sont de véritables doublets ; car la feuille colorée de différente manière, est couverte d'une pièce fort mince, collée par-dessus : il n'y a que l'eau bouillante qui puisse la conserver. C'est un secret connu, et que l'on pourrait mettre en pratique, si les mosaïques revenaient à la mode parmi nous. Quoique l'application de ces deux pièces de verre qui renferment la lame colorée soit vétilleuse, elle prouve que l'invention des doublets n'est pas nouvelle. Les Turcs ont détruit le nez et les yeux des figures que l'on y avait représentées, aussi-bien que le visage des chérubins, placés aux angles du dôme.

L'art de la peinture en mosaïque se conserva dans le monde après la chute de l'empire romain. Les Vénitiens ayant fait venir en Italie quelques peintres grecs au commencement du treizième siècle, Apollonius, un de ces peintres grecs, montra le secret de peindre en mosaïque à Taffi, et travailla de concert avec lui à représenter quelques histoires de la bible dans l'église de saint Jean de Florence. Bientôt après Gaddo-Gaddi s'exerça dans ce genre de peinture, et répandit ses ouvrages dans plusieurs lieux d'Italie. Ensuite Giotto, élève de Cimabué, et né en 1276, fit le grand tableau de mosaïque qui est sur la porte de l'église de saint Pierre de Rome, et qui représente la barque de saint Pierre agitée par la tempête. Ce tableau est connu sous le nom de Nave del Giotto. Beccafumi, né en 1484, se fit une grande réputation par l'exécution du pavé de l'église de Sienne en mosaïque. Cet ouvrage est de clair-obscur, composé de deux sortes de pierre de rapport, l'une blanche pour les jours, l'autre demi-teinte pour les ombres. Josepin et Lanfranc parurent ensuite et surpassèrent de beaucoup leurs prédécesseurs par leurs ouvrages en ce genre de peinture. Cependant on s'en est dégouté par plusieurs raisons.

Il est même certain qu'on jugerait mal du pinceau des anciens, si l'on voulait en juger sur les mosaïques qui nous restent d'eux. Les curieux savent bien qu'on ne rendrait pas au Titien la justice qui lui est due, si l'on voulait juger de son mérite par les mosaïques de l'église de S. Marc de Venise, qui furent faites sur les desseins de ce maître de la couleur. Il est impossible d'imiter avec les pierres et les morceaux de verre dont les anciens se sont servis pour peindre en mosaïque, toutes les beautés et tous les agréments que le pinceau d'un habîle homme met dans un tableau, où il est maître de voiler les couleurs, et de faire tout ce qu'il imagine, tant par rapport aux traits, que par rapport aux couleurs. En effet, la peinture en mosaïque a pour défaut principal, celui de peu d'union et d'accord dans les teintes qui sont assujetties à un certain nombre de petits morceaux de verre coloriés. Il ne faut pas espérer de pouvoir, avec cet unique secours, qui est fort borné, exprimer cette prodigieuse quantité de teintes qu'un peintre trouve sur sa palette, et qui lui sont absolument nécessaires pour la perfection de son art : encore moins, avec l'aide de ces petits cubes, peut-on faire des passages harmonieux. Ainsi la peinture en mosaïque a toujours quelque chose de dur : elle ne produit son effet qu'à une distance éloignée, et par conséquent elle n'est propre qu'à représenter de grands morceaux. On ne connait point de petits ouvrages de ce genre, qui, vus de près, contentent l'oeil.

Il ne me reste qu'un mot à dire sur la mosaïque des habitants du nouveau monde, faite avec des plumes d'oiseau. Quand les Espagnols découvrirent le continent de l'Amérique, ils y trouvèrent deux grands empires florissants depuis plusieurs années, celui du Mexique et celui du Pérou. Depuis longtemps on y cultivait l'art de la peinture. Ces peuples d'une patience et d'une subtilité de main inconcevables, avaient même créé l'art de faire une espèce de mosaïque avec les plumes des oiseaux. Il est prodigieux que la main des hommes ait eu assez d'adresse pour arranger et réduire en forme de figures coloriées tant de filets différents. Mais comme le génie manquait à ces peuples, ils étaient, malgré leur dextérité, des artistes grossiers : ils n'avaient ni les règles du dessein les plus simples, ni les premiers principes de la composition, de la perspective et du clair-obscur. (D.J.)