S. f. (Grammaire, Eloquence) L'interjection étant considérée par rapport à la nature, dit l'abbé Regnier (p. 534.) est peut-être la première voix articulée dont les hommes se soient servis. Ce qui n'est que conjecture chez ce grammairien, est affirmé positivement par M. le Président de Brosses, dans ses observations sur les langues primitives, qu'il a communiquées à l'académie royale des Inscriptions et Belles-lettres.

" Les premières causes, dit-il, qui excitent la voix humaine à faire usage de ses facultés, sont les sentiments ou les sensations intérieures, et non les objets du dehors, qui ne sont, pour ainsi dire, ni aperçus, ni connus. Entre les huit parties d'oraison, les noms ne sont donc pas la première, comme on le croit d'ordinaire ; mais ce sont les interjections, qui expriment la sensation du dedans, et qui sont le cri de la nature. L'enfant commence par elles à montrer qu'il est tout à la fois capable de sentir et de parler.



Les interjections, mêmes telles qu'elles sont dans nos langues formées et articulées, ne s'apprennent pas par la simple audition et par l'intonation d'autrui ; mais tout homme les tient de soi-même et de son propre sentiment ; au moins dans ce qu'elles ont de radical et de significatif, qui est le même par-tout, quoiqu'il puisse y avoir quelque variété dans la terminaison. Elles sont courtes ; elles partent du mouvement machinal et tiennent par-tout à la langue primitive. Ce ne sont pas de simples mots, mais quelque chose de plus, puisqu'elles expriment le sentiment qu'on a d'une chose, et que par une simple voix prompte, par un seul coup d'organe, elles peignent la manière dont on s'en trouve intérieurement affecté.

Toutes sont primitives, en quelque langue que ce sait, parce que toutes tiennent immédiatement à la fabrique générale de la machine organique, et au sentiment de la nature humaine, qui est partout le même dans les grands et premiers mouvements corporels. Mais les interjections, quoique primitives, n'ont que peu de dérivés. ".

[ La raison en est simple. Elles ne sont pas du langage de l'esprit, mais de celui du cœur ; elles n'expriment pas les idées des objets extérieurs, mais les sentiments intérieurs.

Essentiellement bornés, l'acquisition de nos connaissances est nécessairement discursive ; c'est-à-dire, que nous sommes forcés de nous étayer d'une première perception pour parvenir à une seconde, et passer ainsi par des degrés successifs, en courant, pour ainsi dire, d'idée en idée (discurrendo). Cette marche progressive et trainante fait obstacle à la curiosité naturelle de l'esprit humain, il cherche à tirer de son propre fonds même des ressources contre sa propre faiblesse ; il lie volontiers les idées qui lui viennent des objets extérieurs : ] " il les tire les unes après les autres, comme avec un cordon, les combine et les mêle ensemble.

Mais les mouvements intérieurs de notre âme, qui appartiennent à notre existence, y sont fort distincts, y restent isolés, chacun dans leur classe, selon le genre d'affection qu'ils ont produit tout d'un coup, et dont l'effet, quoique permanent, a été subit. La douleur, la surprise, le dégout, n'ont rien de commun ; chacun de ces sentiments est un, et son effet a d'abord été ce qu'il de voit être : il n'y a ici ni dérivation dans les sentiments, ni progression successive, ni combinaison factice, comme il y en a dans les idées.

C'est une chose curieuse sans-doute que d'observer sur quelles cordes de la parole se frappe l'intonation de divers sentiments de l'âme, et de voir que ces rapports se trouvant les mêmes par-tout où il y a des machines humaines, établissent ici, non plus une relation purement conventionnelle, telle qu'elle est d'ordinaire entre les choses et les mots, mais une relation vraiment physique et de conformité entre certains sentiments de l'âme et certaines parties de l'instrument vocal.

La voix de la douleur frappe sur les basses cordes : elle est trainée, aspirée et profondément gutturale : eheu, hélas, si la douleur est tristesse et gémissement, ce qui est la douleur douce, ou, à proprement parler l'affliction ; la voix, quoique toujours profonde, devient nasale.

La voix de la surprise touche la corde sur une division plus haute : elle est franche et rapide ; ah ah, eh, oh oh : celle de la joie en diffère en ce qu'étant aussi rapide, elle est fréquentative et moins breve ; ha ha ha ha, hi hi hi hi.

La voix du dégoût et de l'aversion est labiale ; elle frappe au-dessus de l'instrument sur le bout de la corde, sur les lèvres allongées ; fi ; voe, pouah. Au lieu que les autres interjections n'emploient que la voyelle, celle-ci se sert de la lettre labiale la plus extérieure de toutes, parce qu'il y a ici tout à la fois sentiment et action ; sentiment qui répugne, et mouvement qui repousse : ainsi il y a dans l'interjection voix et figure [ son et articulation ] ; voix qui exprime, et figure qui rejette par le mouvement extérieur des lèvres allongées.

La voix du doute et du dissentement est volontiers nasale, à la différence que le doute est allongé, étant un sentiment incertain, hum, hom, et que le pur dissentement est bref, étant un mouvement tout déterminé, in, non.

Cependant il serait absurde de se figurer que ces formules, si différentes en apparence, et les mêmes au fonds, se fussent introduites dans les langues ensuite d'une observation réfléchie telle que je viens de la faire. Si la chose est arrivée ainsi, c'est tout naturellement, sans y songer ; c'est qu'elle tient au physique même de la machine, et qu'elle résulte de la conformation, du moins chez une partie considérable du genre humain.... Le langage d'un enfant, avant qu'il puisse articuler aucun mot, est tout d'interjections. La peinture d'aucun objet n'est encore entrée en lui par les portes des sens extérieurs, si ce n'est peut-être la sensation d'un toucher fort indistinct : il n'y a que la volonté, ce sens intérieur qui nait avec l'animal, qui lui donne des idées ou plutôt des sensations, des affections : ces affections, il les désigne par la voix, non volontairement, mais par une suite nécessaire de sa conformation mécanique et de la faculté que la nature lui a donnée de proférer des sons. Cette faculté lui est commune avec quantité d'autres animaux [ mais dans un moindre degré d'intensité ] ; aussi ne peut-on pas douter que ceux-ci n'aient reçu de la nature le don de la parole, à quelque petit degré plus ou moins grand ", [ proportionné sans-doute aux besoins de leur oeconomie animale, et à la nature des sensations dont elle les rend susceptibles : d'où il doit résulter que le langage des animaux est vraisemblablement tout interjectif, et semblable en cela à celui des enfants nouveau-nés, qui n'ont encore à exprimer que leurs affections et leurs besoins. ]

Si on entend par oraison, la manifestation orale de tout ce qui peut appartenir à l'état de l'âme, toute la doctrine précédente est une preuve incontestable que l'interjection est véritablement partie de l'oraison, puisqu'elle est l'expression des situations même les plus intéressantes de l'âme ; et le raisonnement contraire de Sanctius est en pure perte. C'est, dit-il, (Minerv. I. ij.) la même chose partout ; donc les interjections sont naturelles. Mais si elles sont naturelles, elles ne sont point parties de l'oraison, parce que les parties de l'oraison, selon Aristote, ne doivent point être naturelles, mais d'institution arbitraire. Eh, qu'importe qu'Aristote l'ait ainsi pensé, si la raison en juge autrement ? Le témoignage de ce philosophe peut être d'un grand poids dans les choses de fait, parce qu'il était bon observateur, comme il parait même en ce qu'il a bien Ve que les interjections étaient des signes naturels et non d'institution ; mais dans les matières de pur raisonnement, c'est à la raison seule à prononcer définitivement.

Il y a donc en effet des parties d'oraison de deux espèces ; les premières sont les signes naturels des sentiments, les autres sont les signes arbitraires des idées : celles-là constituent le langage du cœur, elles sont affectives : celles-ci appartiennent au langage de l'esprit, elles sont discursives. Je mets au premier rang les expressions du sentiment, parce qu'elles sont de première nécessité, les besoins du cœur étant antérieurs et supérieurs à ceux de l'esprit : d'ailleurs elles sont l'ouvrage de la nature, et les signes des idées sont de l'institution de l'art ; ce qui est un second titre de prééminence, fondé sur celle de la nature même à l'égard de l'art.

M. l'abbé Girard a cru devoir abandonner le mot interjection, par deux motifs : " l'un de gout, dit-il, parce que ce mot me paraissait n'avoir pas l'air assez français ; l'autre fondé en raison, parce que le sens en est trop restreint pour comprendre tous les mots qui appartiennent à cette espèce : voilà pourquoi j'ai préféré celui de particule, qui est également en usage ". (Vrais princ. tome. I, disc. IIe pag. 80.) Il explique ailleurs (tom. II, disc. XIIIe pag. 313.) ce que c'est que les particules. ". Ce sont tous les mots, dit-il, par le moyen desquels on ajoute à la peinture de la pensée celle de la situation, soit de l'âme qui sent, soit de l'esprit qui peint. Ces deux situations ont produit deux ordres de particules ; les unes de sensibilité, à qui l'on donne le nom d'interjectives ; les autres de tournures de discours, que par cette raison je nomme discursives ".

On peut remarquer sur cela, 1°. que M. Girard s'est trompé quand il n'a pas trouvé au mot interjection un air assez français : un terme technique n'a aucun besoin d'être usité dans la conversation ordinaire pour être admis ; il suffit qu'il soit usité parmi les gens de l'art, et celui-ci l'est autant en grammaire que les mots préposition, conjonction, etc. lesquels ne le sont pas plus que le premier dans le langage familier. 2°. Que le mot interjective, adopté ensuite par cet académicien, devait lui paraitre du moins aussi voisin du barbarisme que le mot interjection, et qu'il est même moins ordinaire que ce dernier dans les livres de Grammaire. 3°. Que le terme de particule n'est pas plus connu dans le langage du monde avec le sens que les Grammairiens y ont attaché et beaucoup moins encore avec celui que lui donne l'auteur des vrais principes. 4°. Que ce terme est employé abusivement par ce subtil métaphysicien, puisqu'il prétend réunir sous la dénomination de particule, et les expressions du cœur et des termes qui n'appartiennent qu'au langage de l'esprit ; ce qui est confondre absolument les espèces les plus différentes et les moins rapprochées.

Ce n'est pas que je ne sois persuadé qu'il peut être utile, et qu'il est permis de donner un sens fixe et précis à un terme technique, aussi peu déterminé que l'est parmi les Grammairiens celui de particule : mais il ne faut, ni lui donner une place déjà prise, ni lui assigner des fonctions inalliables. Voyez PARTICULE.

Prétendre faire un corps systématique des diverses espèces d'interjections, et chercher entr'elles des différences spécifiques bien caractérisées, c'est me semble, s'imposer une tâche où il est très-aisé de se méprendre, et dont l'exécution ne serait pour le Grammairien d'aucune utilité.

Je dis d'abord qu'il est très-aisé de s'y méprendre, " parce que comme un même mot, selon qu'il est différemment prononcé, peut avoir différentes significations, aussi une même interjection, selon qu'elle est proférée, sert à exprimer divers sentiments de douleur, de joie ou d'admiration ". C'est une remarque de l'abbé Régnier, Grammaire franç. pag. 535.

J'ajoute que le succès de cette division ne serait d'aucune utilité pour le grammairien : en voici les raisons. Les interjections sont des expressions du sentiment dictées par la nature, et qui tiennent à la constitution physique de l'organe de la parole : la même espèce de sentiment doit donc toujours opérer dans la même machine le même mouvement organique, et produire constamment le même mot sous la même forme. De là l'indéclinabilité essentielle des interjections, et l'inutilité de vouloir en préparer l'usage par aucun art, lorsqu'on est sur d'être bien dirigé par la nature. D'ailleurs l'énonciation claire de la pensée est le principal objet de la parole, et le seul que puisse et doive envisager la Grammaire, parce qu'elle ne doit être chargée de diriger que le langage de l'esprit ; le danger du cœur est sans art, parce qu'il est naturel : or il n'est utîle au grammairien de distinguer les espèces de mots, que pour en spécifier ensuite plus nettement les usages ; ainsi n'ayant rien à remarquer sur les usages des interjections, la distinction de leurs différences spécifiques est absolument inutîle au but de la Grammaire.

Encore un mot avant que de finir cet article. Les deux mots latins en et ecce sont des interjections, disent les rudiments ; elles gouvernent le nominatif ou l'accusatif, ecce homo ou hominem, et elles signifient en français voici ou voilà, qui sont aussi des interjections dans notre langue.

Ces deux mots latins seront, si l'on veut, des interjections ; mais on aurait dû en distinguer l'usage : en indique les objets les plus éloignés, ecce des objets plus prochains ; en sorte que Pilate montrant aux Juifs Jésus flagellé, dut leur dire ecce homo ; mais un Juif qui aurait voulu fixer sur ce spectacle l'attention de son voisin, aurait dû lui dire en homo, ou même en hominem. Cette distinction artificielle porte sur les vues diverses de l'esprit ; en et ecce sont donc du langage de l'esprit, et ne sont pas des interjections : ce sont des adverbes, comme hic et illic.

C'est une autre erreur que de croire que ces mots gouvernent le nominatif ou l'accusatif ; la destination de ces cas est toute différente. Ecce homo, c'est-à-dire ecce adest homo ; ecce hominem, c'est-à-dire ecce vide ou videte hominem. Le nominatif doit être le sujet d'un verbe personnel, et l'accusatif, le complément ou d'un verbe ou d'une préposition : quand les apparences sont contraires il y a ellipse.

Enfin, c'est une troisième erreur que de croire que voici et voilà soient en français les correspondants des mots latins en et ecce, et que ce soit des interjections. Nous n'avons pas en français la valeur numérique de ces mots latins, ici et là sont les mots qui en approchent le plus. Voici et voilà sont des mots composés qui renferment ces mêmes adverbes, et le verbe voi, dont il y a souvent ellipse en latin, voici, voi ici ; voilà, voi là. C'est pour cela que ces mots se construisent comme les verbes avec leurs compléments : voilà l'homme, voici des livres ; l'homme que voilà, les livres que voici ; nous voilà, me voici. Ainsi voici et voilà ne sont d'aucune espèce, puisqu'ils comprennent des mots de plusieurs espèces, comme du, qui signifie de le, des, qui veut dire de les, etc. (B. E. R. M.)