S. f. (Algèbre). On appelle en Algèbre expression d'une quantité, la valeur de cette quantité exprimée ou représentée sous une forme algébrique. Par exemple, si on trouve qu'une inconnue x est = , a et b étant des quantités connues, sera l'expression de Xe Une équation n'est autre chose que la valeur d'une même quantité présentée sous deux expressions différentes. Voyez EQUATION. (O)

EXPRESSION, (Belles Lettres) en général est la représentation de la pensée.



On peut exprimer ses pensées de trois manières ; par le ton de la voix, comme quand on gémit ; par le geste, comme quand on fait signe à quelqu'un d'avancer ou de se retirer ; et par la parole, soit prononcée, soit écrite. Voyez ELOCUTION.

Les expressions suivent la nature des pensées ; il y en a de simples, de vives, fortes, hardies, riches, sublimes, qui sont autant de représentations d'idées semblables : par exemple, la beauté s'envole avec le temps, s'envole est une expression vive, et qui fait image ; si l'on y substituait s'en va, on affoiblirait l'idée et ainsi des autres.

L'expression est donc la manière de peindre ses idées, et de les faire passer dans l'esprit des autres. Dans l'Eloquence et la Poésie l'expression est ce qu'on nomme autrement diction, élocution, choix des mots qu'on fait entrer dans un discours ou dans un poème.

Il ne suffit pas à un poète ou à un orateur d'avoir de belles pensées, il faut encore qu'il ait une heureuse expression ; sa première qualité est d'être claire, l'équivoque ou l'obscurité des expressions marque nécessairement de l'obscurité dans la pensée :

Selon que notre idée est plus ou moins obscure.

L'expression la suit ou moins nette ou plus pure ;

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Boil. Art poét.

Un grand nombre de beautés des anciens auteurs, dit M. de la Mothe, sont attachées à des expressions qui sont particulières à leur langue, ou à des rapports qui ne nous étant pas si familiers qu'à eux, ne nous font pas le même plaisir. Voyez ELOCUTION, DICTION, STYLE, LATINITE, etc. (G)

EXPRESSION, (Opéra). C'est le ton propre au sentiment, à la situation, au caractère de chacune des parties du sujet qu'on traite. La Poésie, la Peinture et la Musique sont une imitation. Comme la première ne consiste pas seulement en un arrangement méthodique de mots, et que la seconde doit être tout autre chose qu'un simple mélange de couleurs, de même la Musique n'est rien moins qu'une suite sans objet de sons divers. Chacun de ces arts a et doit avoir une expression, parce qu'on n'imite point sans exprimer, ou plutôt que l'expression est l'imitation même.

Il y a deux sortes de Musique, l'une instrumentale, l'autre vocale, et l'expression est nécessaire à ces deux espèces, de quelque manière qu'on les emploie. Un concerto, une sonate, doivent peindre quelque chose, ou ne sont que du bruit, harmonieux, si l'on veut, mais sans vie. Le chant d'une chanson, d'une cantate, doit exprimer les paroles de la cantate et de la chanson, sinon le musicien a manqué son but ; et le chant, quelque beau qu'il soit d'ailleurs, n'est qu'un contre-sens fatiguant pour les oreilles délicates.

Ce principe puisé dans la nature, et toujours sur pour la Musique en général, est encore plus particulièrement applicable à la musique dramatique ; c'est un édifice régulier qu'il faut élever avec raison, ordre et symétrie : les symphonies et le chant sont les grandes parties du total, la perfection de l'ensemble dépend de l'expression répandue dans toutes ses parties.

Lully a presqu'atteint à la perfection dans un des points principaux de ce genre. Le chant de déclamation, qu'il a adapté si heureusement aux poèmes inimitables de Quinaut, a toujours été le modèle de l'expression dans notre musique de récitatif. Voyez RECITATIF. Mais qu'il soit permis de parler sans déguisement dans un ouvrage consacré à la gloire et au progrès des Arts. La vérité doit leur servir de flambeau ; elle peut seule, en éclairant les Artistes, enflammer le génie, et le guider dans des routes sures vers la perfection. Lully qui a quelquefois excellé dans l'expression de son récitatif, mais qui fort souvent aussi l'a manquée, a été très-fort au-dessous de lui-même dans l'expression de presque toutes les autres parties de sa musique.

Les fautes d'un faible artiste ne sont point dangereuses pour l'art ; rien ne les accrédite, on les reconnait sans peine pour des erreurs, et personne ne les imite : celles des grands maîtres sont toujours funestes à l'art même, si on n'a le courage de les développer. Des ouvrages consacrés par des succès constants, sont regardés comme des modèles ; on confond les fautes avec les beautés, on admire les unes, on adopte les autres. La Peinture serait peut-être encore en Europe un art languissant, si en respectant ce que Raphaël a fait d'admirable, on n'avait pas osé relever les parties défectueuses de ses compositions. L'espèce de culte qu'on rend aux inventeurs ou aux restaurateurs des Arts, est assurément très-légitime ; mais il devient un odieux fanatisme, lorsqu'il est poussé jusqu'à respecter des défauts que les génies qu'on admire auraient corrigés eux-mêmes, s'ils avaient pu les reconnaître.

Lully donc, qui en adaptant le chant français déjà trouvé, à l'espèce de déclamation théâtrale qu'il a créée, a tout-d'un-coup saisi le vrai genre, n'a en général répandu l'expression que sur cette seule partie : ses symphonies, ses airs chantants de mouvement, ses ritournelles, ses chœurs, manquent en général de cette imitation, de cette espèce de vie que l'expression seule peut donner à la Musique.

On sait qu'on peut citer dans les opera de ce beau génie des ritournelles qui sont à l'abri de cette critique, des airs de violon et quelques chœurs qui ont peint, des accompagnements même qui sont des tableaux du plus grand genre. De ce nombre sont sans-doute le monologue de Renaud, du second acte d'Armide ; l'épisode de la haine, du troisième ; quelques airs de violon d'Isis, le chœur, Atys lui-même, etc. Mais ces morceaux bien faits sont si peu nombreux en comparaison de tous ceux qui ne peignent rien et qui disent toujours la même chose qu'ils ne servent qu'à prouver que Lully connaissait assez la nécessité de l'expression, pour être tout à fait inexcusable de l'avoir si souvent négligée ou manquée.

Pour faire sentir la vérité de cette proposition, il faut la suivre dans sa musique instrumentale et dans sa musique vocale. Sur la première il suffit de citer des endroits si frappans, qu'ils soient seuls capables d'ouvrir les yeux sur tous les autres. Tel est, par exemple, l'air de violon qui dans le premier acte de Phaéton sert à toutes les métamorphoses de Protée ; ce dieu se transforme successivement en lion, en arbre, en monstre marin, en fontaine, en flamme. Voilà le dessein brillant et varié que le poète fournissait au musicien. Voyez l'air froid, monotone et sans expression, qui a été fait par Lully.

On regarde comme très-défectueux le quatrième acte d'Armide ; on se demande avec surprise depuis plus de 60 ans, comment un poète a pu imaginer un acte si misérable. Serait-il possible que sur ce point, si peu contesté, on fût tombé dans une prodigieuse erreur ? et quelqu'un oserait-il prétendre aujourd'hui que le quatrième acte d'Armide, reconnu généralement pour mauvais, aurait paru peut-être, quoique dans un genre différent, aussi agréable que les quatre autres, si Lully avait rempli le plan fourni par Quinault ? Avant de se récrier sur cette proposition (que pour le bien de l'art on ne craint pas de mettre en-avant), qu'on daigne se ressouvenir qu'il n'y a pas trente ans qu'on s'est avisé d'avoir quelque estime pour Quinault ; qu'avant cette époque, et surtout pendant la vie de Lully, qui jouissait de la faveur de la cour et du despotisme du théâtre, toutes les beautés de leurs opera étaient constamment rapportées au musicien ; et que le peu de vices que le défaut d'expérience des spectateurs y laissait apercevoir, était sans examen rejeté sur le poète. On sait que Quinault était un homme modeste et tranquille, que Lully n'avait pas honte de laisser croire à la cour et au public, fort au-dessous de lui. Après cette observation, qu'on examine Armide ; qu'on réfléchisse sur la position du poète et du musicien, sur le dessein donné, et sur la manière dont il a été exécuté.

L'amour le plus tendre, déguisé sous les traits du dépit le plus violent dans le cœur d'une femme toute-puissante, est le premier tableau qui nous frappe dans cet opera. Si l'amour l'emporte sur la gloire, sur le dépit, sur tous les motifs de vengeance qui animent Armide, quels moyens n'emploiera pas son pouvoir (qu'on a eu l'art de nous faire connaître immense) pour soutenir les intérêts de son amour ? Dans le premier acte, son cœur est le jouet tour-à-tour de tous les mouvements de la passion la plus vive : dans le second elle vole à la vengeance, le fer brille, le bras est prêt à frapper ; l'amour l'arrête, et il triomphe. L'amant et l'amante sont transportés au bout de l'univers ; c'est-là que la faible raison d'Armide combat encore ; c'est-là qu'elle appelle à son secours la haine qu'elle avait cru suivre, et qui ne servait que de prétexte à l'amour. Les efforts redoublés de cette divinité barbare cedent encore la victoire à un penchant plus fort. Mais la haine menace : outre les craintes si naturelles aux amants, Armide entend encore un oracle fatal qui, en redoublant ses terreurs, doit ranimer sa prévoyance. Telle est la position du poète et du musicien au quatrième acte.

Voilà donc Armide livrée sans retour à sa tendresse. Instruite par son art de l'état du camp de Godefroy, jouissant des transports de Renaud ; elle n'a que sa fuite à craindre ; et cette fuite, elle ne peut la redouter qu'autant qu'on pourra détruire l'enchantement dans lequel sa beauté, autant que le pouvoir de son art, a plongé son heureux amant. Ubalde cependant et le chevalier Danois s'avancent ; et cet épisode est très-bien lié à l'action principale, lui est nécessaire, et forme un contre-nœud extrêmement ingénieux. Armide, que je ne puis pas croire tranquille, Ve donc développer ici tous les ressorts, tous les efforts, toutes les ressources de son art, pour arrêter les deux seuls ennemis qu'elle ait à craindre. Tel est le plan donné, et quel plan pour la musique ! Tout ce que la magie a de redoutable ou de séduisant, les tableaux de la plus grande force, les images les plus voluptueuses, des embrasements, des orages, des tremblements de terre, des fêtes brillantes, des enchantements délicieux ; voilà ce que Quinault demandait dans cet acte : c'est là le plan qu'il a tracé, que Lully aurait dû suivre, et terminer en homme de génie par un entr'acte, dans lequel la magie aurait fait un dernier effort terrible, pour contraster avec la volupté qui devait régner dans l'acte suivant.

Qu'on se représente cet acte exécuté de cette manière, et qu'on le compare avec le plat assemblage des airs que Lully y a faits ; qu'on daigne se ressouvenir de l'effet qu'a produit une fête très-peu estimable par sa composition, qui y a été ajoutée lors de la dernière reprise, et qu'on décide ensuite s'il est possible à un poète d'imaginer un plus beau plan, et à un musicien de le manquer d'une façon plus complete .

C'est donc le défaut seul d'expression dans la musique de cette partie d'Armide, qui l'a rendue froide, insipide, et indigne de toutes les autres. Telle est la suite sure du défaut d'expression du musicien dans les grands desseins qui lui sont tracés : c'est toujours sur l'effet qu'on les juge ; exprimés, ils paraissent sublimes ; sans expression, on ne les aperçoit pas, ou s'ils font quelque sensation, c'est toujours au désavantage du poète.

Mais ce n'est pas seulement dans ses symphonies que Lully est repréhensible sur ce point ; ses chants, à l'exception de son récitatif, dont on ne parle point ici, et qu'on se propose d'examiner ailleurs (voyez RECITATIF), n'ont aucune expression par eux-mêmes, et celle qu'on leur trouve n'est que dans les paroles auxquelles ils sont unis. Pour bien développer cette proposition, qui heurte de front un préjugé de près de quatre vingt ans, il faut remonter aux principes.

La Musique est une imitation, et l'imitation n'est et ne peut être que l'expression véritable du sentiment qu'on veut peindre. La Poésie exprime par les paroles, la Peinture par les couleurs, la Musique par les chants ; et les paroles, les couleurs, les chants doivent être propres à exprimer ce qu'on veut dire, peindre ou chanter.

Mais les paroles que la Poésie emploie, reçoivent de l'arrangement, de l'art, une chaleur, une vie qu'elles n'ont pas dans le langage ordinaire ; et cette chaleur, cette vie doivent acquérir un chant, par le secours d'un second art qui s'unit au premier, une nouvelle force, et c'est-là ce qu'on nomme expression en Musique. On doit donc trouver dans la bonne Musique vocale, l'expression que les paroles ont par elles-mêmes ; celle qui leur est donnée par la poésie ; celle qu'il faut qu'elles reçoivent de la musique ; et une dernière qui doit réunir les trois autres, et qui leur est donnée par le chanteur qui les exécute.

Or, en général, la musique vocale de Lully, autre, on le répete, que le pur récitatif, n'a par elle-même aucune expression du sentiment que les paroles de Quinault ont peint. Ce fait est si certain, que sur le même chant qu'on a si longtemps cru plein de la plus forte expression, on n'a qu'à mettre des paroles qui forment un sens tout à fait contraire, et ce chant pourra être appliqué à ces nouvelles paroles, aussi-bien pour le moins qu'aux anciennes. Sans parler ici du premier chœur du prologue d'Amadis, où Lully a exprimé éveillons-nous comme il aurait fallu exprimer endormons-nous, on Ve peindre pour exemple et pour preuve un de ses morceaux de la plus grande réputation.

Qu'on lise d'abord les vers admirables que Quinault met dans la bouche de la cruelle, de la barbare Méduse :

Je porte l'épouvante et la mort en tous lieux,

Tout se change en rocher à mon aspect horrible.

Les traits que Jupiter lance du haut des cieux,

N'ont rien de si terrible

Qu'un regard de mes yeux.

Il n'est personne qui ne sente qu'un chant qui serait l'expression véritable de ces paroles, ne saurait servir pour d'autres qui présenteraient un sens absolument contraire ; or le chant que Lully met dans la bouche de l'horrible Méduse, dans ce morceau et dans tout cet acte, est si agréable, par conséquent si peu convenable au sujet, si fort en contre-sens, qu'il irait très-bien pour exprimer le portrait que l'amour triomphant ferait de lui-même. On ne représente ici, pour abreger, que la parodie de ces cinq vers, avec les accompagnements, leur chant et la basse. On peut être sur que la parodie très-aisée à faire du reste de la scène, offrirait par-tout une démonstration aussi frappante.